Conclusion

Dans les chapitres qui précèdent, j’ai essayé, en m’appuyant sur quelques exemples cliniques, de classer les différents mécanismes de défense commandés par des situations angoissantes déterminées. Quand nous connaîtrons mieux l’activité inconsciente du moi, nous serons sans doute en mesure d’établir une classification bien plus rigoureuse. La connexion historique établie entre certains incidents vécus et typiques survenus au cours du développement de l’individu et la mise en œuvre de divers systèmes de défense reste encore en grande partie obscure. Les exemples que j’ai donnés ici permettent néanmoins de supposer que le moi met en branle le mécanisme de la négation quand il s’agit d’idées de castration et de pertes d’objets aimés. La cession altruiste des pulsions instinctuelles, d’autre part, semble être utilisée de préférence, dans certaines conditions déterminées, lorsqu’il s’agit de triompher d’humiliations narcissiques.

Nos connaissances actuelles sont mieux établies en ce qui concerne les rapprochements à faire entre les diverses activités de défense du moi contre les dangers qui le menacent soit du dedans soit du dehors. Le refoulement sert à évincer les dérivés du ça comme la négation à supprimer les excitations extérieures. La formation réactionnelle préserve le moi d’une réapparition de ce qui a été refoulé, les fantasmes grâce auxquels la situation réelle est renversée empêchent la négation d’être ébranlée par l’ambiance. L’inhibition de l’émoi pulsionnel correspond à une rétraction du moi, destinée à éviter tout déplaisir causé par le monde extérieur. L’intellectualisation des processus instinctuels agit en tant que protection contre un danger intérieur et équivaut à une vigilance perpétuelle du moi devant les dangers extérieurs. Tous les autres mécanismes de défense qui, à la manière du retournement en contraire ou du retournement contre soi, se manifestent par une altération des phénomènes pulsionnels eux-mêmes, trouvent leur contrepartie dans les tentatives faites sur le moi pour parer au danger extérieur en intervenant activement afin de modifier l’ambiance. Toutefois je ne puis m’étendre davantage ici sur ces sortes d’activités du moi.

Mais en comparant ces divers processus nous nous demandons aussitôt quelles raisons peuvent inciter le moi à choisir telle forme de défense plutôt que telle autre. La lutte contre le monde extérieur se modèle-t-elle sur la lutte contre les pulsions ou bien, au contraire, les mesures défensives adoptées dans le conflit avec les pulsions se conforment-elles aux mesures prises contre l’extérieur ? Dans cette alternative, toute décision nette est impossible. Le moi infantile subit en même temps l’assaut des excitations pulsionnelles et celui des excitations extérieures. Pour continuer à exister, il doit faire front des deux côtés à la fois. Tout porte à croire que dans cette lutte contre les excitations les plus diverses, le moi adapte ses mesures défensives aux dangers qui le menacent de l’intérieur et de l’extérieur.

C’est en comparant ce processus avec un processus analogue, celui de la déformation dans le rêve que nous saisissons le mieux dans quelle mesure le moi, en se défendant contre les pulsions, obéit à ses propres lois et jusqu’à quel point il se laisse influencer par le caractère des pulsions elles-mêmes. La transformation des pensées latentes du rêve en rêve manifeste dépend de la censure qui, pendant le sommeil, remplace le moi. Toutefois l’élaboration du rêve lui-même n’est pas l’œuvre du moi. La condensation, le déplacement, les modes variés et étranges de représentations sont le propre du ça et servent surtout à réaliser la déformation. Les mécanismes de défense non plus n’appartiennent pas entièrement au moi. Les particularités des pulsions sont utilisées dans la mesure où les processus pulsionnels eux-mêmes se trouvent modifiés. Le moi en tentant de déplacer le but pulsionnel du domaine de la sexualité pure vers un domaine que la société juge plus élevé, déclenche le mécanisme de la sublimation et cela grâce à la mobilité des processus pulsionnels. Pour assurer le refoulement par des formations réactionnelles, c’est la tendance de la pulsion à se retourner en son contraire qui est mise à profit. Nous pouvons admettre qu’un système de défense ne résiste aux attaques que s’il a une double base : le moi, d’une part et le processus pulsionnel lui-même, d’autre part.

Bien que le moi ne dispose pas, dans le choix des mécanismes de défense, d’une totale liberté, il n’en est pas moins vrai que l’importance de son rôle nous frappe quand nous étudions ces mécanismes. L’existence même des symptômes névrotiques prouve que le moi a été submergé. Tout retour des pulsions refoulées, toute formation ensuite de compromis trahissent un échec de la défense projetée, partant une défaite du moi. Le moi est vainqueur quand ses mesures de défense sont efficaces, c’est-à-dire quand il arrive, par elles, à limiter la production d’angoisse et de déplaisir, à assurer au sujet, même dans des circonstances difficiles, grâce à une modification des pulsions, une certaine dose de jouissance pulsionnelle. Ainsi s’établissent, dans la mesure du possible, d’harmonieuses relations entre le ça, le surmoi et les puissances du monde extérieur.