Chapitre III. Étude analytique des procédés de défense du moi

Rapport du moi avec la méthode analytique

Les longues et difficiles considérations d’ordre théorique que j’ai exposées dans le précédent chapitre peuvent pratiquement se résumer en quelques phrases simples. L’analyste a pour mission de rendre conscient l’inconscient à quelque instance qu’appartienne ce dernier, il doit aussi porter aux éléments inconscients des trois instances la même attention objective. Autrement dit, en commençant son travail d’élucidation, il part d’un point équidistant du ça, du moi et du surmoi.

Diverses circonstances peuvent malheureusement altérer la claire objectivité de cette attitude. L’impartialité de l’analyste n’est pas payée de retour. Les différentes instances ne réagissent pas de la même façon à ses efforts. Nous savons que les pulsions du ça ne sont guère disposées à rester inconscientes. Elles possèdent un penchant naturel et permanent à pénétrer dans le conscient pour s’y satisfaire ou essayent, tout au moins, d’envoyer vers la surface du conscient certains de leurs dérivés. Comme je l’ai montré plus haut, le travail analytique s’exerce dans le même sens et renforce ce penchant. Pour les éléments refoulés du ça, l’analyste est un auxiliaire et un libérateur.

Les choses sont différentes quand il s’agit du moi et du surmoi. Dans la mesure où les instances du moi se sont appliquées, à l’aide de leurs méthodes propres, à refréner les pulsions du ça, l’analyste apparaît comme un fauteur de troubles. Son travail de dissection supprime des refoulements péniblement réalisés et détruit des compromis dont la forme s’adaptait parfaitement au moi, bien que l’effet en fût pathologique. Les efforts de l’analyste pour rendre conscient l’inconscient et ceux des instances du moi pour dominer la vie instinctuelle se contrarient. Jusqu’au moment où, le sujet se rendant compte de sa maladie, les choses puissent prendre un cours différent, les instances du moi considèrent comme un danger menaçant les entreprises de l’analyste.

C’est pourquoi, comme l’indique le précédent chapitre, l’attitude du moi en face des efforts analytiques comporte trois modalités. Le moi, quand il exerce la faculté d’auto observation dont j’ai parlé plus haut, fait cause commune avec l’analyste, met à la disposition de celui-ci ses capacités et lui procure, grâce aux rejetons des autres instances qui ont pénétré dans son domaine, une image de ces dernières. Le moi se pose en adversaire de l’analyste quand il se montre, au cours de son auto-observation, partial, plein de mauvaise foi et lorsque, enregistrant et transmettant consciencieusement certains renseignements, il en falsifie et rejette d’autres et les empêche de venir au jour : il va ainsi à l’encontre du travail analytique, lequel exige de voir, sans en rien excepter, tout ce qui peut émerger. Enfin le moi est lui-même objet de l’analyse dans la mesure où l’activité défensive qu’il exerce sans cesse se poursuit inconsciemment et ne devient qu’à grand-peine consciente, à peu près comme l’activité inconscient de quelque émoi instinctuel interdit.

Défense contre l’instinct et résistance

Dans le précédent chapitre, j’ai tenté pour faciliter l’étude psychanalytique d’établir une distinction théorique entre les analyses du ça et du moi qui, en pratique, restent indissolublement liées. Cette tentative n’a pu que corroborer un fait déjà établi : en psychanalyse, tout le matériel utile à la connaissance du moi surgit, au cours du traitement, sous la forme de résistance à l’analyse du ça. Ce fait est d’une telle évidence qu’il n’a guère besoin d’être commenté. Pendant l’analyse, le moi devient agissant partout où il cherche, par une action antagoniste, à empêcher la poussée du ça. Or le but de la psychanalyse étant d’assurer aux idées qui représentent la pulsion refoulée l’accès au conscient, c’est-à-dire justement de susciter de pareilles poussées, il s’ensuit que les mesures de défense adoptées par le moi contre l’apparition de ces idées prennent automatiquement le caractère d’une résistance active contre l’analyse. Et comme, en outre, le psychanalyste, en utilisant son influence personnelle, intervient pour faire respecter la règle analytique fondamentale qui permet à ces idées de surgir au cours des associations libres, la défense du moi contre la pulsion se transforme du même coup en opposition directe au praticien. L’hostilité à l’égard de l’analyste et le renforcement ^ des mesures de défense contre l’apparition des émois du ça coïncident fatalement. Quand, à certains moments de l’analyse, la défense vient à cesser et que les représentants de la pulsion peuvent, sans entraves, surgir sous la forme d’associations libres, les relations du moi avec l’analyste restent, à ce point de vue, introublées.

Il est évident que cette sorte de résistance n’est pas, en psychanalyse, le seule possible. À côté des résistances dites du moi, nous savons qu’il existe des résistances de transfert, différemment constituées et aussi certaines forces antagonistes difficilement surmontables qui dérivent de l’automatisme de répétition. Ainsi toute résistance ne résulte pas nécessairement d’un acte défensif du moi, mais tout acte de défense du moi contre le ça, au cours d’une analyse, ne peut se traduire que par une résistance aux efforts de l’analyste. L’analyse de ces résistances du moi nous fournit une bonne occasion d’observer dans toute son intensité et de rendre consciente l’activité défensive inconsciente du moi.

Défense contre les affects

Ce n’est pas seulement lorsque surgissent des différends entre le moi et la pulsion que nous avons l’occasion d’observer plus minutieusement l’activité du moi. Le moi n’est pas seulement en conflit avec les rejetons du ça qui essayent de l’envahir pour avoir accès au conscient et à la satisfaction. Il se défend avec la même énergie contre les affects liés à ces pulsions instinctuelles. Lors du rejet des exigences pulsionnelles, c’est toujours à lui qu’incombe la tâche capitale de se débrouiller au milieu des affects : amour, désir, jalousie, humiliations, chagrins et deuil, toutes manifestations qui accompagnent les désirs sexuels, haine, colère, fureur, liées aux pulsions agressives. Tous ces affects, une fois qu’a été écartée l’exigence instinctuelle à laquelle ils sont associés, se voient soumis à toutes les sortes de mesures qu’adopte le moi pour les maîtriser, c’est-à-dire qu’ils doivent subir certaines métamorphoses. Chaque fois qu’un affect se modifie, que ce soit pendant l’analyse ou en dehors d’elle, c’est que le moi a agi et nous avons alors l’occasion d’étudier les menées de ce dernier. Nous savons que le destin de tout affect associé à une exigence instinctuelle n’est pas simplement identique à celui de son représentant idéatif. Mais il va de soi que les possibilités de défense d’un seul et même moi sont restreintes. À diverses périodes de la vie, et suivant sa structure spécifique, le moi individuel choisit tel ou tel moyen de défense : refoulement, déplacement, retournement, etc. Ces moyens, il peut s’en servir aussi bien dans sa lutte contre les pulsions que dans sa défense contre la libération des affects. Une fois que nous savons de quelle manière tel patient se défend contre l’apparition de ses émois instinctuels, c’est-à-dire de quelle sorte de résistance du moi il fait habituellement usage, nous pouvons d’ores et déjà prévoir la façon dont il réagira à l’égard de ses propres affects indésirables. Quand par exemple nous remarquons chez un sujet certaines formes particulières et nettement marquées de transformations des affects, telles, par exemple, qu’une absence totale de sentiments, la négation, etc., nous ne serons pas surpris de le voir adopter ces mêmes méthodes pour se défendre contre ses émois instinctuels et ses associations libres. Il s’agit toujours du même moi qui, dans n’importe quel conflit, continue avec plus ou moins de persévérance, à se servir de tous les moyens dont il peut disposer.

Manifestations permanentes de défense

Un autre domaine où se manifeste l’activité défensive du moi est celui des phénomènes qu’a étudiés Wilhelm Reich dans son Analyse logique des résistances1. Certaines attitudes du corps telles que la raideur, la rigidité, certaines particularités comme un sourire stéréotypé, certaines façons ironiques, méprisantes, arrogantes, de se comporter, sont toutes des reliquats de phénomènes défensifs jadis très actifs, actuellement dissociés de leurs situations primitives, de leur lutte contre les instincts ou les affects. Toutes ces manifestations se sont transformées en traits de caractère définitifs ou, suivant l’expression de Reich, sont devenues des « cuirasses de caractère ». Dans le cas où l’analyste réussit à retrouver leur origine historique, elles récupèrent leur mobilité et cessent de bloquer par leur fixation notre accès aux opérations défensives où le moi se trouve engagé à ce moment-là. Or comme ces modes de défense ont pris un caractère permanent, nous ne parvenons à relier leur apparition ou leur disparition ni à l’apparition ni à la disparition des exigences instinctuelles et des affects intérieurs, ni à la survenance de tentations et d’affects venus de l’extérieur. C’est pourquoi leur analyse est particulièrement malaisée. Nous ne devons en faire l’objet principal de notre étude que si nous ne parvenons pas à découvrir de conflit actuel entre le moi, la pulsion et l’affect. Il est également certain qu’il ne convient pas de réserver le qualificatif d’ « analyse de la résistance » à la seule étude de ces phénomènes particuliers, car il s’applique tout aussi bien à l’analyse de toutes les résistances.

Formation des symptômes

L’analyse des résistances du moi et de ses mesures défensives contre les pulsions, l’étude des transformations que subissent les affects, révèlent et rendent conscients, en un flot mouvant, des procédés de défense analogues à ceux que nous observons à l’état stéréotypé dans les cas de « cuirasses permanentes du caractère ». Nous retrouvons, sur une plus grande échelle, ces mêmes méthodes défensives à l’état figé, quand nous étudions les symptômes névrotiques. Quel est donc alors le rôle du moi dans la formation de ces compromis que nous appelons symptômes ? Eh bien le moi utilise un procédé déterminé, invariable, contre telle exigence instinctuelle particulière. Ce procédé est toujours employé de la même façon à chaque retour, sous sa forme stéréotypée d’une exigence instinctuelle. Nous savons2 que certaines névroses sont étroitement associées à des modes déterminés de défense ; ainsi l’hystérie se rattache au refoulement, la névrose obsessionnelle à l’isolation et à l’annulation rétroactive. Ces liens étroits entre la névrose et le mécanisme de défense se retrouvent dans le domaine des modes de défense contre les affects et dans les formes de résistances adoptées par le moi. La manière dont tel patient se comporte au cours d’une analyse à l’égard de ses associations libres, la façon dont, abandonné à lui-même, il maîtrise ses exigences pulsionnelles, celle dont il se défend contre des affects indésirables, permettent a priori de prévoir la nature de ses symptômes. D’autre part, l’étude de la formation de ces derniers chez un patient, nous autorise à tirer des conclusions relatives à la structure de ses résistances et de ses défenses contre les pulsions et les affects. C’est surtout dans les domaines de l’hystérie et de la névrose obsessionnelle que le parallélisme entre formation d’un symptôme et forme de la résistance nous est surtout familier. Dans sa lutte contre les pulsions, c’est du refoulement que l’hystérie fait principalement usage dans la formation de ses symptômes : il soustrait au conscient les représentations de pulsions sexuelles. La forme de sa résistance à l’association libre est du même ordre et le sujet écarte purement et simplement les associations capables de susciter une défense du moi. Il ne ressent plus qu’un vide dans son conscient et demeure silencieux, c’est-à-dire qu’une solution de continuité s’est produite dans la chaîne de ses pensées, analogue à celle qui a affecté ses processus instinctuels au moment de la formation des symptômes. D’autre part, nous savons que le moi de l’obsédé adopte, dans la formation des symptômes, le procédé de défense par isolation. Il se contente de séparer les émois instinctuels de leur contexte tout en les retenant dans le conscient. C’est pourquoi la résistance, elle aussi, revêt, chez l’obsédé, une forme différente. Même en état de résistance, il ne se tait pas, il parle, mais en rompant toute connexion entre ses idées et isole, en parlant, ses représentations de ses affects, de telle sorte que ses associations paraissent, sur une échelle réduite, aussi insensées que ses symptômes névrotiques sur une plus grande.

Technique analytique et défense contre les pulsions et les affects

Une jeune patiente se fait analyser pour un état d’anxiété grave qui trouble sa vie et ses études. Bien qu’elle ne se soigne que pour obéir à sa mère, c’est de bon gré qu’elle me raconte les circonstances passées et présentes de sa vie. Ce faisant, son comportement à mon égard reste amical et franc, mais j’observe cependant qu’elle évite soigneusement dans ses récits, de faire la moindre allusion à son symptôme et passe sous silence les crises d’anxiété qu’elle subit dans l’intervalle des séances. Lorsqu’il m’arrive d’insister pour faire entrer le symptôme dans l’analyse ou d’interpréter l’anxiété que trahissent certaines données des associations, le comportement amical de la patiente se modifie aussitôt. Elle déverse chaque fois sur moi un torrent de remarques ironiques et de railleries. J’échoue totalement en tentant de rattacher cette attitude de la malade à son comportement à l’égard de sa mère. Les relations conscientes et inconscientes de la jeune fille avec sa mère offrent une image bien différente. Son ironie, ses sarcasmes sans cesse renouvelés déconcertent l’analyste et, pendant un certain temps, rendent inutile la continuation du traitement. Toutefois, une analyse plus approfondie montre, par la suite, que persiflage et moquerie ne constituent pas, à proprement parler, une réaction de transfert et ne sont nullement liés à la situation analytique. La patiente a recours à cette manœuvre, dirigée contre elle-même, chaque fois que des sentiments de tendresse, de désir ou d’anxiété sont sur le point de surgir dans le conscient. Plus est puissante la poussée de l’affect, plus la jeune fille met de véhémence et d’acrimonie à se ridiculiser elle-même. L’analyste n’attire que secondairement ces réactions de défense parce qu’elle encourage l’apparition dans le conscient des sentiments d’anxiété de la malade. La connaissance du contenu de l’anxiété, même quand les autres dires de la patiente en permettent l’interprétation exacte, reste inopérante tant que toute tentative de se rapprocher de l’affect ne fait qu’intensifier la défense. Il n’a été possible en analyse de rendre conscient le contenu de l’angoisse qu’après avoir réussi à faire remonter jusqu’au conscient et par là à rendre inopérant, le mode de défense contre les affects par dépréciation ironique, processus qui jusqu’alors s’était automatiquement réalisé dans toutes les circonstances de la vie de la malade. Du point de vue historique, ce procédé de défense par le ridicule et l’ironie s’explique, chez notre patiente, par une identification avec son défunt père qui avait voulu enseigner à sa fille la maîtrise de soi et se moquait d’elle chaque fois qu’elle se laissait aller à des manifestations sentimentales. La méthode de défense contre l’affect fixe donc ici le souvenir d’un père tendrement aimé. La technique qui s’impose en ce cas est d’analyser en premier lieu la défense de la patiente contre ses affects, ce qui permet ensuite d’étudier sa résistance dans le transfert. À ce moment seulement, il devient possible d’analyser vraiment l’anxiété et sa préhistoire.

Au point de vue technique, ce parallélisme entre la défense d’un patient contre ses instincts et contre ses affects, la formation du symptôme et la résistance, donne, particulièrement dans l’analyse des enfants, de très importants résultats. Ce qui fait le plus défaut dans la technique de l’analyse infantile, ^ ce sont les associations libres. Celles-ci ne nous fournissent-elles pas, en effet, puisqu’elles représentent l’instinct, les renseignements les plus précieux sur le ça ? Toutefois, il existe d’autres moyens encore d’obtenir ces renseignements. Les rêves, les rêveries diurnes de l’enfant, ses activités imaginatives dans le jeu, les dessins, etc., révèlent sous une forme moins déguisée et plus accessible que chez l’adulte, les pulsions du ça et compensent presque, au cours d’une analyse, la remontée des dérivés du ça telle qu’elle s’effectue dans l’association libre. Toutefois comme la règle analytique fondamentale ne s’applique pas, la lutte menée pour assurer son observance n’existe pas non plus et c’est pourtant cette lutte qui, dans l’analyse des adultes, nous fait connaître les résistances du moi et, en conséquence, l’activité défensive du moi contre les dérivés de l’instinct. L’analyse infantile qui nous fournit quantité de renseignements sur le ça, risque toutefois de nous donner peu d’informations sur le moi infantile.

Suivant les vues de l’école anglaise, l’étude analytique des jeux des jeunes enfants remédie le plus efficacement à l’absence des associations libres. Elle place sur un plan égal à celui des idées qu’énoncent les adultes les activités ludiques des enfants et s’en sert d’une manière analogue pour l’interprétation. Au libre courant des associations correspondent les jeux libres où interruptions et inhibitions équivalent à des empêchements d’exprimer librement les idées. Il s’ensuit qu’en analysant les troubles de l’activité ludique, nous découvrons qu’ils constituent une défense du moi analogue à la résistance au cours des associations.

Toutefois si pour certains motifs théoriques, nous hésitons à considérer comme parfaitement équivalentes l’association libre et l’activité ludique et renonçons, par exemple, à pousser jusqu’à ses extrêmes limites l’interprétation des symboles, nous voilà donc obligés de recourir à de nouveaux procédés d’analyse infantile capables de nous renseigner sur le moi. Il me semble que l’analyse des transformations d’affects chez l’enfant peut combler cette lacune. La vie affective de l’enfant est moins complexe, plus transparente, que celle de l’adulte. Observons alors ce qui chez lui peut provoquer, soit dans l’analyse, soit en dehors d’elle, une décharge d’affects. Que l’enfant se voie négligé par rapport à quelqu’autre, inévitablement il en éprouve de la jalousie, du chagrin. Si l’on exauce un de ses désirs longtemps caressé, il en ressent de la joie. S’il s’attend à être puni, la crainte s’empare de lui. Un plaisir espéré, promis est-il soudain différé ou supprimé, c’est la déception qui l’emplit. Nous nous attendons bien à ce que l’enfant réagisse normalement ainsi à ces divers incidents. Toutefois l’observation montre que les choses ne se passent pas toujours de cette façon. Par exemple, tel enfant demeure indifférent alors qu’il devrait être déçu, manifeste un excès de gaieté au lieu d’éprouver du chagrin ou une tendresse excessive au lieu de jalousie. Dans tous ces cas, il s’est passé quelque chose qui a dévié le cours normal du processus, le moi est intervenu pour provoquer une transformation des affects. L’analyse, en suscitant l’apparition dans le conscient de cette forme spécifique de défense contre l’affect, qu’il s’agisse d’ailleurs de retournement, de déplacement ou de refoulement total, nous fournit des renseignements sur la technique particulière adoptée par le moi du petit sujet. De la même manière que l’analyse des résistances, celle-ci nous permet de tirer des conclusions sur l’attitude de l’enfant en face de ses pulsions et de la formation de ses symptômes. Dans l’analyse infantile, il est particulièrement important pour nous, quand nous voulons étudier les processus affectifs, de ne dépendre en aucune façon du concours volontaire ni de la franchise ou de la dissimulation de l’enfant. L’affect de celui-ci se révèle, fût-ce même à son corps défendant.

Certain petit garçon, par exemple, chaque fois qu’il a un motif quelconque d’éprouver la peur de la castration, est saisi d’ardeurs guerrières ; il revêt un uniforme, prend son équipement, son sabre et ses armes d’enfant, etc. Après l’avoir plusieurs fois observé en pareilles circonstances, je devine qu’il retourne l’angoisse en son contraire, c’est-à-dire en agressivité. Désormais je n’ai plus de difficulté à découvrir chaque fois la peur de la castration que ces réactions belliqueuses dissimulent. En outre, je découvre sans étonnement que cet enfant est un obsédé qui manifeste, dans sa vie instinctuelle, une tendance à transformer en leurs contraires, ses pulsions indésirables. – Une fillette ne réagit pas du tout, semble-t-il, à des situations décevantes, le seul indice de son émotion est un frémissement de la commissure des lèvres. Elle trahit ainsi la faculté qu’a son moi d’écarter les processus psychiques désagréables et d’y substituer des processus physiques. Comment dès lors se montrer surpris en apprenant que, dans ses conflits pulsionnels, elle peut réagir hystériquement ? Une autre petite fille a si bien réussi, au cours de sa période de latence, à refouler son envie du pénis d’un jeune frère, envie qui domine toute sa vie, que même, dans l’analyse, j’ai la plus grande peine à découvrir quelque trace de ce sentiment. L’analyse montre seulement que chaque fois que se présente une occasion d’envier son frère, d’en être jalouse, elle se livre à un étrange jeu d’imagination : elle se figure être un magicien, capable, par ses gestes, d’exercer son influence sur l’univers tout entier et le transformer. Cette enfant transforme en son contraire l’envie qui la tenaille en faisant ressortir son propre pouvoir magique. Grâce à ce fantasme, elle évite la pénible connaissance de sa soi-disant infériorité physique. Son moi utilise le mécanisme de défense du retournement en contraire, sorte de formation réactionnelle contre l’affect. Ce faisant, le moi trahit le caractère obsessionnel de son comportement à l’égard de l’instinct. Une fois ce fait dûment établi, l’analyste conclut facilement, chaque fois, du fantasme de la magie à l’envie du pénis. Ce que l’expérience nous enseigne ainsi n’est qu’une technique de traduction des manifestations de défense du moi et nous y trouvons une méthode qui correspond presque exactement à celle qui nous donne le moyen, dans les associations libres, de liquider les résistances du moi. Notre but est le même que dans l’analyse des résistances. C’est dans la mesure même où nous parvenons à rendre conscientes la résistance et la défense contre les affects – ce qui les annule – que nous réussissons à avancer vers une compréhension du ça.


1 Wilhelm Reich, Konsequente Widerstandsanalyse (Analyse du caractère, technique et bases à l’usage des étudiants et des praticiens psychanalystes), Vienne, 1935.

2 Voir à ce sujet Inhibition symptôme et angoisse et également p. 38, où ce passage est reproduit.