Préface

La capacité de travail de Freud était si stupéfiante, aussi bien du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif, sa production d’idées et de découvertes originales était si considérable, que même un chercheur comme lui ne pouvait explorer toutes leurs ramifications potentielles. Bien des collaborateurs ont contribué à cette tâche gigantesque. Une de ses notes marginales a donné naissance à un livre sur Hamlet, et beaucoup de ses moindres allusions ont été développées sous forme d’essais et même de livres. Ce travail doit continuer dans bien des années à venir, grâce à la richesse de ses intuitions. En outre, l’utilisation des méthodes qu’il a inventées doit, c’est la nature des choses, mener à de nouvelles découvertes au-delà de celles qu’il a faites lui-même, et à des hypothèses qui complètent ou même rectifient les siennes propres – selon un procès qu’il a lui-même mis en œuvre sans la moindre hésitation.

Nous voici cependant à un point où de telles entreprises suscitent un problème difficile. Une expérience amère nous a appris que la résistance contre l’inconscient peut être assez subtile pour déformer les découvertes analytiques et les réinterpréter au service de quelque défense personnelle. Comment peut-on distinguer ce fâcheux état de choses d’un développement authentique, d’un approfondissement de notre connaissance de l’inconscient ? Le seul critère que nous puissions employer à bon droit est celui qui vaut pour toute science : l’accord sur les conclusions acquises par des chercheurs adéquatement qualifiés, qui se servent de la même méthode dans des conditions similaires. Ce qui n’est certainement pas légitime, c’est le principe de Procuste : passer toute conclusion à la toise de celles de Freud, aussi grand que soit, et doive être, notre respect pour lui.

L’œuvre de Mme Klein dans les trente dernières années, qui est le sujet de ce livre, illustre ce problème. Elle a été attaquée et défendue presque avec la même véhémence, mais, à la fin, sa valeur ne peut être estimée justement que par ceux qui ont eux-mêmes réalisé des recherches comparables. Mme Rivière, dans son chapitre d’introduction, a traité très fidèlement des diverses critiques et objections qui ont été exprimées par ceux qui sont en désaccord avec l’œuvre de Mme Klein, et il serait hors de propos pour moi de les examiner ici plus avant. Je ne hasarderai qu’un commentaire personnel. Comme on le sait bien, j’ai considéré depuis le début le travail de Mme Klein avec la plus grande sympathie, d’autant plus que beaucoup de ses conclusions coïncidaient avec celles que j’avais atteintes moi-même ; et j’ai toujours été frappé d’observer qu’un grand nombre des critiques étaient l’écho fidèle de celles avec lesquelles on m’avait familiarisé dans les tout premiers temps de la psychanalyse. Une bonne quantité de ses découvertes et de ses conclusions avaient été entrevues il y a bien longtemps par Freud, Rank, et d’autres, mais ce qu’il y a de si particulier et de si admirable dans son œuvre c’est le courage et l’inébranlable intégrité avec lesquels elle a élaboré sans concessions les implications et les conséquences de ces premières allusions, faisant ainsi en chemin des découvertes nouvelles et importantes. Son esprit est bien éloigné de ceux qui acceptent les découvertes de la psychanalyse à condition de ne pas les prendre trop au sérieux.