Sur les critères de terminaison d’une psychanalyse

Les critères pour terminer une analyse sont un problème important dans l’esprit de tout psychanalyste. Il y a un certain nombre de critères sur lesquels nous serions tous d’accord. Je proposerai ici une approche différente de ce problème.

Il a souvent été observé que la terminaison d’une analyse réactive chez le patient des situations plus anciennes de séparation et qu’elle a la nature d’une expérience de sevrage. Ceci implique, ainsi que mon travail me l’a montré, que les émotions éprouvées par le bébé au moment du sevrage, lorsque les conflits infantiles précoces deviennent critiques, sont fortement ravivées vers la fin d’une analyse. En conséquence, je suis arrivée à la conclusion qu’avant de terminer une analyse, je dois me demander si les conflits et les angoisses vécus durant la première année de vie ont été suffisamment analysés et perlaborés dans le cours du traitement.

Mon travail sur le développement précoce (Klein, 1935, 1940, 1946, 1948) m’a amenée à distinguer deux formes d’angoisse : l’angoisse persécutive qui est prédominante pendant les tout premiers mois de la vie et qui donne naissance à la « position paranoïde-schizoïde », et l’angoisse dépressive qui atteint un point critique au milieu de la première année environ et qui donne naissance à la « position dépressive ». Je suis arrivée en outre à la conclusion qu’au commencement de sa vie postnatale, le nourrisson ressent l’angoisse persécutive à partir de sources à la fois externes et internes : externes, dans la mesure où l’expérience de la naissance est ressentie comme une attaque qui lui est infligée ; et internes, car la menace contre l’organisme, laquelle, selon Freud, provient de l’instinct de mort, suscite, à mon avis, la peur de l’annihilation — la peur de la mort. C’est cette peur que je tiens pour la cause primordiale de l’angoisse.

L’angoisse persécutive se rapporte principalement à des dangers ressentis comme menaçant le moi ; l’angoisse dépressive se rapporte à des dangers ressentis comme menaçant l’objet aimé, essentiellement à travers l’agressivité du sujet. L’angoisse dépressive vient des processus de synthèse dans le moi ; en effet, par suite de l’intégration croissante, l’amour et la haine et, par conséquent, les aspects bons et mauvais des objets se sont rapprochés dans l’esprit de l’enfant. Une certaine intégration est aussi l’une des préconditions pour l’introjection de la mère en tant que personne complète. Les sentiments et l’angoisse dépressifs atteignent leur point culminant — la position dépressive — aux environs de la moitié de la première année. À ce moment-là, l’angoisse persécutive a diminué, quoiqu’elle joue encore un rôle important.

Lié à l’angoisse dépressive, il y a le sentiment de culpabilité se rapportant au mal fait par les désirs cannibaliques et sadiques. La culpabilité suscite le besoin pressant de faire réparation à l’objet d’amour abîmé, de le préserver ou de le ranimer — un besoin qui approfondit les sentiments d’amour et promeut les relations d’objet.

À l’époque du sevrage, le nourrisson sent qu’il a perdu le premier objet aimé — le sein de la mère — à la fois comme un objet externe et comme un objet introjecté, et que sa perte est due à sa haine, son agressivité et son avidité. Le sevrage accentue ainsi ses sentiments dépressifs et équivaut à un état de deuil. La souffrance inhérente à la position dépressive est étroitement liée à un accroissement de l’insight dans la réalité psychique, insight qui, à son tour, contribue à une meilleure compréhension du monde externe. Par le moyen de la croissance de l’adaptation à la réalité et de l’expansion de la gamme des relations d’objet, le nourrisson devient capable de combattre et de diminuer les angoisses dépressives et, dans une certaine mesure, d’installer solidement ses bons objets intériorisés, c’est-à-dire l’aspect secourable et protecteur du surmoi.

Freud a décrit l’épreuve de réalité comme une part essentielle du travail de deuil. À mon avis, c’est dans la toute petite enfance que l’épreuve de réalité est d’abord appliquée dans une tentative de surmonter l'affliction inhérente à la position dépressive ; et chaque fois que, plus tard dans la vie, le deuil est éprouvé, ces processus précoces sont ravivés. J’ai découvert que chez les adultes le succès du travail de deuil dépend non seulement de l’installation dans le moi de la personne dont on fait le deuil (ainsi que nous l’avons appris de Freud et d’Abraham), mais aussi de la réinstallation des premiers objets aimés, objets qui, dans la toute petite enfance, ont été ressentis comme mis en danger ou détruits par les motions destructrices.

Bien que les progrès fondamentaux dans le but de contrecarrer la position dépressive soient faits pendant la première année de la vie, les sentiments persécutifs et dépressifs reviennent tout au long de l’enfance. Ces angoisses sont élaborées et en grande partie surmontées dans le cours de la névrose infantile, et, normalement au début de la période de latence, les défenses adéquates se sont développées et un certain degré de stabilisation est apparu. Ceci implique que le primat du génital et que des relations d’objet satisfaisantes ont été atteints et que le complexe d’Œdipe a été réduit en puissance.

Je tirerai maintenant une conclusion de la définition déjà donnée, à savoir que l’angoisse persécutive se rapporte aux dangers ressentis menacer le moi et l’angoisse dépressive aux dangers ressentis menacer l’objet aimé. Je tiens à proposer que ces deux formes d’angoisse comprennent toutes les situations d’angoisse que traverse l’enfant. Ainsi, la peur d’être dévoré, d’être empoisonné, d’être châtré, la peur d’attaques sur l’« intérieur » du corps, se rangent sous la rubrique de l’angoisse persécutive, tandis que toutes les angoisses se rapportant aux objets aimés sont dépressives de nature. Toutefois, les angoisses persécutive et dépressive, bien que distinctes conceptuellement l’une de l’autre, sont cliniquement souvent mêlées. Par exemple, j’ai défini la peur de la castration, l’angoisse dominante chez l’homme, comme persécutive. Cette peur est mêlée d’angoisse dépressive pour autant qu’elle donne naissance au sentiment qu’il ne peut pas féconder une femme, au fond, qu’il ne peut pas féconder la mère aimée et qu’il est donc incapable de faire réparation pour le mal qui lui a été fait par ses motions sadiques. Je n’ai guère besoin de vous rappeler que l’impuissance mène souvent à des dépressions sévères chez les hommes. Pour prendre maintenant l’angoisse dominante chez les femmes. La peur de la fille que la mère redoutée n’attaque son corps et les bébés qu’il contient, ce qui est à mon avis la situation d’angoisse féminine fondamentale, est par définition persécutive. Cependant, comme cette peur implique la destruction de ses objets aimés — les bébés qu’elle sent être à l’intérieur d’elle — elle contient un fort élément d’angoisse dépressive.

Conformément à ma thèse, c’est une précondition du développement normal que les angoisses persécutive et dépressive aient été en grande partie réduites et modifiées. Par conséquent, ainsi que j’espère que cela s’est révélé dans l’exposition qui précède, mon approche du problème de la terminaison des analyses d’enfants comme d’adultes peut être définie comme suit : l’angoisse persécutive et dépressive se doit d’être suffisamment réduite, et présuppose ainsi — à mon avis — l’analyse des premières expériences de deuil.

Je dirais en passant que même si l’analyse remonte aux stades les plus précoces du développement, ce qui est la base de mon nouveau critère, les résultats varieront toujours en fonction de la gravité et de la structure du cas. En d’autres termes, en dépit du progrès réalisé dans notre théorie et dans notre technique, nous devons garder présent à l’esprit les limitations de la thérapie psychanalytique.

La question surgit de savoir jusqu’où l’approche que je propose est apparentée à certains des critères bien connus, tels que, une puissance sexuelle et une hétérosexualité établies, la capacité d’amour, les relations d’objet et le travail, et certaines caractéristiques du moi qui contribuent à la stabilité mentale et sont étroitement liées à des défenses adéquates. Tous ces aspects du développement sont en corrélation avec la modification de l’angoisse persécutive et de l’angoisse dépressive. En ce qui concerne la capacité d’amour et de relations d’objet, on peut voir aisément qu’elles ne se développent librement que si l’angoisse persécutive et l’angoisse dépressive ne sont pas excessives. La question est plus complexe s’agissant du développement du moi. Deux traits sont habituellement soulignés à ce propos, développement en stabilité et en sens de la réalité, mais je considère que l’expansion en profondeur du moi est tout aussi essentielle.

Un élément inhérent à une personnalité profonde et complète est la richesse de la vie fantasmatique ainsi que la capacité d’éprouver des émotions librement. Ces caractéristiques présupposent, je pense, que la position dépressive infantile a été perlaborée, c’est-à-dire, que toute la gamme de l’amour et de la haine, de l’angoisse, de l’affliction et de la culpabilité en relation avec les objets primaires a été vécue maintes et maintes fois. Ce développement émotionnel est étroitement lié à la nature des défenses. L’échec de la perlaboration de la position dépressive est inextricablement lié à une prédominance de défenses qui entraînent une répression des émotions et de la vie fantasmatique, et il fait obstacle à l’insight. De telles défenses, que j’ai nommées « défenses maniaques », quoique n’étant pas incompatibles avec un certain degré de stabilité et de force du moi, vont avec un manque de profondeur. Si durant l’analyse nous réussissons à réduire les angoisses persécutive et dépressive et, en conséquence, à diminuer les défenses maniaques, un des résultats sera un accroissement en force de même qu'en profondeur du moi.

Même si des résultats satisfaisants ont été atteints, la terminaison de l’analyse est susceptible de réveiller des sentiments douloureux et de raviver des angoisses précoces ; elle équivaut à un état de deuil. Lorsque la perte représentée par la fin de l’analyse s’est produite, le patient a encore à effectuer par lui-même une part du travail de deuil. Ceci, je pense, explique le fait que souvent après la terminaison d’une analyse un progrès supplémentaire est accompli ; dans quelle mesure ceci est susceptible d’arriver, on peut le prévoir plus facilement si nous appliquons le critère que j’ai proposé. En effet, c’est seulement si les angoisses persécutive et dépressive ont été en grande partie modifiées que le patient peut effectuer par lui-même la dernière partie du travail de deuil, ce qui, encore une fois, implique une mise à l’épreuve par la réalité. De plus, quand nous décidons qu’une analyse peut être menée à son terme, je crois qu’il est très utile de communiquer au patient la date de terminaison plusieurs mois à l’avance. Ceci l’aide à perlaborer et à diminuer la douleur inévitable de la séparation alors qu’il est toujours en analyse et cela prépare le terrain pour qu’il finisse le travail de deuil avec succès par lui-même.

J’ai montré distinctement tout au long de cet article que le critère que je propose présuppose que l’analyse a été menée jusqu’aux stades précoces du développement et jusqu’aux couches profondes de l’esprit et qu’elle a aussi inclus la perlaboration des angoisses persécutive et dépressive.

Ceci me mène à une conclusion concernant la technique. Pendant une analyse, le psychanalyste apparaît souvent comme une figure idéalisée. L’idéalisation est utilisée comme défense contre l’angoisse persécutive et elle est son corollaire. Si le psychanalyste autorise la persistance d’une idéalisation excessive — c’est-à-dire, s’il fait surtout fonds sur le transfert positif — il est possible, c’est vrai, qu’il soit en mesure de produire une certaine amélioration. La même chose toutefois, pourrait être dite de toute psychothérapie couronnée de succès. Ce n’est qu’en analysant le transfert négatif tout autant que le transfert positif que l’angoisse est réduite à la racine. Dans le cours du traitement, le psychanalyste vient représenter dans la situation de transfert toute une variété de figures correspondant à celles qui furent introjectées dans le développement précoce (Klein, 1929 ; Strachey, 1934). Il est donc, à certains moments, introjecté comme un persécuteur, à d’autres moments comme une figure idéale, avec toutes les nuances et tous les degrés intermédiaires.

Puisque les angoisses persécutive et dépressive sont vécues et en dernier ressort réduites durant l’analyse, une plus grande synthèse entre les divers aspects de l’analyste se produit conjointement avec une plus grande synthèse entre les divers aspects du surmoi. En d’autres termes, les figures effrayantes les plus anciennes subissent une altération essentielle dans l’esprit du patient — on pourrait dire qu’elles s’améliorent foncièrement. Les bons objets — comme distincts des objets idéalisés — ne peuvent être solidement installés dans l’esprit que si le clivage puissant entre figures persécutrices et figures idéales a diminué, que si les motions agressives et les motions libidinales se sont rapprochées et si la haine a été mitigée par l’amour. Une telle progression dans la capacité de synthétiser est la preuve que les processus de clivage, qui, à mon avis, trouvent leur origine dans la toute petite enfance, ont diminué et que l’intégration du moi en profondeur s’est produite. Lorsque ces traits positifs sont suffisamment affermis, nous sommes fondés à penser que la terminaison d’une analyse n’est pas prématurée, quoiqu’elle puisse raviver jusqu’à une angoisse aiguë.