Avant-propos

par Jacques Sédat

En 1961, parait à titre posthume, chez Hogarlh Press, par les soins du Melanie Klein Trust, fondé en 1955, Narrative of a Child Analysis, « Psychanalyse d’un enfant » qui porte en sous-titre « la conduite de l’analyse des enfants envisagée à partir du traitement d’un garçon de dix ans ».

Mélanie Klein, née à Vienne, le 30 mars 1882, est décédée à Londres le 22 septembre 1960. C’est en pleine guerre qu’elle analyse Richard. En juillet 1940, Mélanie Klein fuit les bombardements de Londres et se réfugie à Pitlochry, une ville au cœur des montagnes d’Écosse. Là, elle continue d’analyser. En particulier, elle reprend l’analyse de Dick, traité à partir de trois ans et demi, de janvier 1929 à 1930.

Richard et sa mère s’installent, en 1941, à Pitlochry pour que Richard, cousin de Dick, âgé de 6 ans de plus que lui, puisse faire une analyse avec Mélanie. Richard est un garçon âgé de 10 ans, « précoce et très doué » mais maladivement craintif, ayant peur des autres enfants, déprimé, hypocondriaque, et ayant un vécu persécutif de type paranoïde. Son frère, âgé de 11 ans de plus que lui, est engagé dans l’armée. Son père, faible et malade, laisse le soin de l’éducation de Richard à son épouse, elle-même fort angoissée. L’analyse débute le 28 avril 1941 et se termine le 23 août 1941. Elle se serait prolongée, si Mélanie Klein n’avait décidé de revenir à Londres pour prendre part aux controverses Anna Freud/Mélanie Klein qui se poursuivent de 1941 à 1945, à la suite des attaques d’Anna Freud contre les théories et la pratique de Mélanie Klein avec les enfants.

Avant la première guerre mondiale, l’approche de l’analyse d’enfant est abordée indirectement par S. Freud dans Le petit Hans (1909)1, Herbert Graf, analysé par son père Max Graf, et par les réflexions de S. Ferenczi sur un petit enfant de 5 ans, Arpad, Le petit homme coq,2 à partir du rapport d’une ancienne patiente (1913).

Après la première guerre mondiale, le travail initial consacré à l’enfant est celui de Hermine von Hug-Hellmuth, De la technique de l’analyse d’enfant3, à partir de l’observation du jeu des enfants, présenté au VIe Congrès international (le premier après la guerre), en septembre 1920 à La Haye, où Mélanie Klein est présente.

Mais la véritable pionnière de la psychanalyse d’enfant est Mélanie Klein. À la suite de la mort de sa mère, Libussa Reizes, le 6 novembre 1914, avec laquelle elle a une relation fort ambivalente, Mélanie Klein, qui réside alors à Budapest avec ses enfants, commence une analyse avec S. Ferenczi. C’est lui qui l’incite à développer son intérêt pour l’enfance et les enfants. De cet intérêt découle son premier texte en 1919, Le roman familial in statu nascendi,4 publié en 1920 dans l’Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse.

En 1921, Mélanie part pour Berlin où elle exerce l’analyse. Elle devient membre associé de la Société psychanalytique de Berlin en 1922, l’année même où Anna Freud (1895-1982) devient membre de la Société psychanalytique de Vienne.

En 1924, Mélanie commence son analyse avec Karl Abraham, qui est élu, presque au même moment, président de l’A.P.I, au VIIIe Congrès international de Salzbourg. Le 17 décembre, Mélanie présente, à la Société psychanalytique de Vienne, sa conférence sur Les principes psychologiques de l’analyse des jeunes enfants5.

En 1925, sur l’invitation d’Ernest Jones, Mélanie donne des conférences à Londres, en juillet. Décès d’Abraham, toujours en 1925 ; il est remplacé à la présidence de l’A.P.I. par Jones.

En septembre 1926, à l’invitation de Jones encore, Mélanie s’installe à Londres.

En 1930, elle publie un article, L’importance de la formation du symbole dans le développement du moi,6 élaboré à partir de l’analyse de Dick.

En 1932, publication de La Psychanalyse des enfants7, premier ouvrage d’ensemble sur l’analyse des enfants.

En 1937, publication de L’Amour, la haine et le besoin de réparation8 avec la collaboration de Joan Riviere.

En 1939, publication d’un article sur Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs9.

Pendant la guerre, elle rédige d’abord Le récit d’une analyse d’un enfant, puis participe aux controverses.

En 1945, elle publie Le Complexe d’Œdipe éclairé par les angoisses précoces,10 élaboré à partir de l’analyse de Richard.

En 1952, publication de Développements de la psychanalyse11 avec la participation de Paula Heimann, Susan Isaacs et Joan Riviere, en hommage à l’occasion du 70e anniversaire de Mélanie Klein.

En 1955, fondation du Melanie Klein Trust.

En 1957, publication de Envie et gratitude et autres essais12 où elle développe sa propre théorie de l’envie.

Récit de la psychanalyse d’un enfant.

Un texte inédit de Mélanie Klein adressé à Jones en 1941, au moment où elle analyse Richard, peut éclairer l’audace de Mélanie Klein et sa capacité dans l’analyse d’enfant à aller vers les couches les plus profondes de l’inconscient, au point qu’on l’a souvent accusée de ne pas différencier les états psychotiques et les positions psychiques infantiles :

« Freud lui-même, après avoir atteint, son sommet avec Inhibition, symptôme et angoisse, non seulement n’alla pas plus loin, mais se mit plutôt à régresser. Dans ses contributions théoriques ultérieures, certaines de ses découvertes apparaissent affaiblies ou bien elles sont laissées de côté, et il n’a certes pas tiré toutes les conclusions de son propre travail. L’audacieuse progression d’Abraham vers les couches les plus profondes du psychisme, ses contributions à la question du sadisme oral et de ce qu’il appela le premier stade sadique-anal, bien qu’elles ne fussent pas liées aux découvertes de Freud, allaient dans la même direction – mais le travail d Abraham resta également inachevé en raison de sa mort. I.e Groupe viennois, sous la férule d’Anna, a en fait considérablement reculé par rapport aux découvertes les plus importantes de Freud et d’Abraham. Ailleurs, également, on peut observer de fortes tendances régressives, ou alors, des conceptions plutôt divergentes se sont développées.

Pour l’essentiel, voici ce que j’avance : ces découvertes qui contiennent les germes de tout développement ultérieur de la psychanalyse lui feront courir un grand danger si elles ne sont pas plus développées et elles sont également en danger d’être tout simplement mises au rebut. Le développement de l’œuvre de Freud dans la direction que j’ai prise pourrait bien non seulement les maintenir en vie, mais leur conserver tout leur sens et leurs potentialités. C’est ma conviction, fondée sur une somme d’observations, de travail clinique et de réflexion. Vous-même, vous faisiez observer dans votre lettre le grand danger que courent les analystes, et l’analyse en général, et qui provient de la tendance à fuir la profondeur et à régresser.

Ce danger n est jamais plus grand que lorsque le surmoi et les couches les plus profondes de l’inconscient sont en cause. C’est la raison pour laquelle je vous disais dans ma lettre que, si les tendances régressives prévalent dans notre société, la psychanalyse risque de disparaître »13.

La régression est à entendre, ici, évidemment, comme refuge dans le rationnel et le théorique pour se mettre à l’abri des couches les plus profondes de l’inconscient. Cette fuite dans la théorie pour se protéger du patient avait déjà été repérée par Freud au moment de la publication par Otto Rank du Traumatisme de la naissance14, où celui-ci substituait au psychique de l’angoisse de castration le biologique de la catastrophe de la naissance. Dans une lettre à Lou Salomé, Freud écrit : « Cet acte d’auto-sauvetage (l’écriture du livre de Rank) lui a été rendu possible par plusieurs circonstances. Premièrement, par un très mauvais complexe paternel et la névrose qui s’est greffée dessus et n’est pas toujours latente ; deuxièmement, par la pratique de l’analyse, laquelle ébranle toutes les structures artificielles (souligné par moi) et supprime éventuellement chez l’analyste même, la sublimation. Troisièmement, par la sensation de faire des découvertes analytiques, tentation à laquelle tout commençant qui n’a pas été analysé – et c’est son cas – est exposé »15.

Hermine von Hug-Hellmuth, dans sa technique, faisait jouer l’enfant pour qu’il mette en jeu ses fantasmes, en évitant toute interprétation. Anna Freud pensait qu’on ne peut analyser le transfert de l’enfant avec ses parents puisqu’il n’y a pas d’effet d’après-coup où l’on puisse répéter ce qui a été vécu pendant l’enfance. Cette théorie de l’absence de transfert dans l’analyse d’enfant n’est peut-être pas étrangère au fait qu’Anna Freud ait été analysée par son père !

Mélanie Klein procède autrement. Elle délaisse la notion de stade trop psychogénétiquement historique pour traiter de positions psychiques qui peuvent ressurgir à nouveau. Elle introduit la « position schizo-paranoïde » marquée par les premières angoisses de persécution. Cela témoigne d’une vie fantasmatique intense et d’un grand degré de souffrance psychique par les attaques du sein et du pénis, et la « position dépressive » marquée par le deuil, la perte, l’absence. On sait que ceux-ci engendrent les états dépressifs et les défenses maniaques qui nient la réalité. Les positions dans lesquelles les premiers objets persécuteurs sont les parents renvoient aussi à un surmoi primaire antérieur au complexe d’Œdipe, ce qui est une innovation kleinienne.

Psychanalyse d’un enfant est le premier, le plus grand et le plus développé des livres écrit sur une analyse d’enfant. On y trouve les interventions de l’enfant, celles de Mélanie et ses réflexions ultérieures. Elle passait deux heures par jour à retranscrire les séances quotidiennes d’une heure où Richard retrouvait ses propres jouets, ses dessins et faisait un travail avec eux.

À partir de 1956, avec l’aide d’un collègue et ancien analysant, Elliott Jacques, elle met au point le manuscrit de l’analyse de Richard, qui ne put paraître finalement qu’un an après sa mort, en 1961. Chose étrange : Un cas de psychose infantile16, analyse de Sammy, un jeune Américain de 9 ans, par Joyce McDougall, qui avait suivi une formation à la Hamstead Clinic de Londres avant de venir à Paris, – analyse contrôlée par Serge Lebovici et très marquée par la lecture de La Psychanalyse des enfants, parait en 1960.

Psychanalyse d’un enfant suscite de nombreux commentaires. En 1963, l’International Review of Psycho-Analysis publie un compte-rendu d’inspiration freudienne d’Elisabeth R. Geleerd et un compte-rendu d’inspiration kleinienne par Hanna Segal et Donald Meltzer en réponse à celui d’E. R. Geleerd. Ultérieurement, Donald Meltzer, dans la seconde partie du Développement kleinien de la psychanalyse17, présente une analyse très précise de Psychanalyse d’un enfant. Enfin, en France, il faut signaler l’analyse critique mais très pertinente de Maurice Dayan, Mme K. interpréta, publié d’abord, en revue, en 1977, puis dans l’Arbre des styles, Aubier-Montaigne 1980, pp. 107-163.

L’ensemble de l’œuvre de Mélanie Klein est actuellement disponible en France :

— Essais de psychanalyse (1921-1945), Payot, 1967.

— La Psychanalyse des enfants, PUF, 1959.

— Développements de la psychanalyse, PUF, 1966.

— Envie et gratitude et autres essais, Gallimard, 1968, Tel, 1978.

— L’Amour et la haine, Payot, 1978.

— Le Transfert et autres écrits, inédits en français, PUF, 1995.

— Psychanalyse d’un enfant, Claude Tchou, pour la Bibliothèque des Introuvables, 2002.

Sur l’œuvre de Mélanie Klein, nous ne retiendrons ici que :

— La biographie intellectuelle monumentale de Phyllis Grosskurth, Mélanie Klein, son monde et son œuvre (1986), PUF, 1989.

— Robert D. Hinshelwood, Dictionnaire de la pensée kleinienne (1989), PUF, 2000.

— Robert D. Hinshelwood, Le Génie clinique de Mélanie Klein (1994), Désir-Payot, 2001.

J.S.