5. Psychopathologie des conduites centrées sur le corps

I. – Le problème du corps chez l’adolescent

Le corps est au centre de la plupart des conflits de l’adolescent. Dans les travaux ou articles portant sur l’adolescence en général ou sur un de ses domaines particuliers, il est rare de n’y trouver aucune référence au corps. La transformation morphologique pubertaire, l’irruption de la maturité sexuelle remettent en cause l’image du corps que l’enfant avait pu constituer progressivement. Ces modifications rendent compte en partie de la fréquence avec laquelle on se réfère au corps lorsqu’on étudie l’adolescence. Mais il s’y ajoute d’autres facteurs ; certains sont inhérents aux processus psychiques eux-mêmes tels que le travail de deuil ou la rupture de l’équilibre entre investissement d’objet – investissement narcissique ; d’autres font intervenir le cadre familial et social au sein duquel évolue l’adolescent. Parlant du corps nous retrouvons ici trois axes principaux de compréhension toujours étroitement mêlés, mais que, dès 1935, Schilder avait bien distingués :

— Le schéma corporel terme à connotation neurophysiologique et neuropsychologique relevant du registre sensori-moteur (sensorialité extéro-ceptive et proprioceptive). Le schéma corporel correspond aux diverses projections corticales de cette sensorialité. Il est évident que les modifications pubertaires s’accompagnent d’une modification sensible du schéma corporel (cf. p. 17).

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— L’image du corps appartient, quant à elle, au registre symbolique imaginaire. La base de F « image du corps » est affective. Son organisation dépend de l’ontogenèse des pulsions libidinales et agressives, de l’importance des points de fixation et des possibilitées de régression à tel ou tel stade. Schilder précise très bien : « tout ce qu’il peut y avoir de particulier dans les structures libidinales se reflète dans la structure du modèle postural du corps. Les individus chez qui domine telle ou telle pulsion partielle sentiront, comme au centre de leur image du corps, tel point du corps ». Ainsi l’image du corps dépend des investissements dynamiques, libidinaux et agressifs : cette image est en perpétuel remaniement. En outre la constitution de l’image du corps implique la reconnaissance d’une limite. Selon Angelergues (1973, cité par Anzieu) l’image du corps est « un processus symbolique de représentation d’une limite qui a fonction d’« image stabilisatrice » et d’enveloppe protectrice. Cette démarche pose le corps comme l’objet d’investissement et son image comme produit de cet investissement, un investissement qui conquiert un objet non interchangeable, sauf dans le délire, un objet qui doit être à tout prix maintenu intact. L’image du corps est située dans l’ordre du fantasme et de l’élaboration secondaire, représentation agissant sur le corps ». À l’adolescence le problème des limites est d’une acuité toute particulière d’où les fréquentes incertitudes concernant F « image du corps » dont témoignent, à des degrés divers, les dysmorphophobies, les bouffées hypocondriaques aiguës ou les fréquents sentiments d’étrangeté. L’image plus spécifique d’un corps sexué est abordée au chapitre 7 (p. 186).

— Le corps social, enfin, constitue le troisième axe de compréhension. Dans une perspective phénoménologique Schilder considérait que le corps représentait le véhicule de F « être au monde », était au centre des échanges relationnels affectifs entre individus : « toutes les fois que se manifeste un intérêt pour telle ou telle partie du corps d’autrui existe le même intérêt pour telle ou telle partie correspondante dans le corps propre. Toute anomalie d’une partie du corps concentre l’intérêt sur la partie correspondante dans le corps des autres » (Schilder). Les recherches de Schonfeld (1963) ont bien montré l’importance de la norme sociale. Il existe à l’adolescence un paradoxe : dans le domaine de la physiologie (taille, âge d’apparition des signes sexuels secondaires, âge des premières règles et des premières éjaculations…) l’écart type par rapport à la moyenne est, à l’adolescence, particulièrement grand alors même que la pression sociale normative est particulièrement forte pour l’individu ; l’adolescent ne cesse de s’interroger pour savoir « si c’est normal », « ce qu’en pensent les autres ». Cette pression de l’environnement, en particulier du groupe des pairs, conduit l’adolescent à utiliser son corps comme support d’un discours social dont le but est à la fois de se différencier d’autrui (surtout dans la pyramide des âges et des générations) et de chercher une ressemblance rassurante avec les

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autres (en particulier les pairs) : le phénomène de la mode, ou à un autre degré du tatouage, en est une illustration. D’ailleurs ces deux moyens d’expression sont parfois liés dans les cas extrêmes comme dans le cas de la mode dite « punk » où la vêture se complète généralement d’une série d’inscription cutanée sans oublier la coupe et la teinture particulière des cheveux.

Pour toutes les raisons énumérées dans le paragraphe précédent, isoler un chapitre consacré aux conduites à expressions somatiques paraît quelque peu arbitraire. Presque tous les types de conduites étudiés dans cette seconde partie de l’ouvrage font intervenir le corps : le passage à Pacte, la tentative de suicide, la conversion hystérique, la crainte dysmorphophobique… Que dire en outre des conduites liées à la sexualité, car l’essentiel pour l’adolescent n’est-ce pas de se reconnaître non seulement dans un corps, mais surtout dans un corps sexué ?

Il est difficile de tracer une frontière bien nette qui définisse l’ensemble des conduites centrées sur le corps. Le passage à Pacte dans son rôle de décharge motrice doit en être exclu, mais il est bien évident que toute conduite centrée sur le corps inclut en elle-même une part d’agir et constitue avec le passage à Pacte une entrave ou une défense relative face à l’élaboration mentale. De même la conversion hystérique symbolise un conflit déplacé sur un segment du corps de la même manière que peuvent le faire certaines conduites somatiques alimentaires ou d’endormissement. Néanmoins dans ces derniers cas, la symbolisation paraît moins élaborée, plus proche d’un comportement propre à un enfant très jeune.

La référence à l’enfant très jeune témoigne de la place particulière qu’occupe le corps dans la psychologie et la psychopathologie de l’adolescent. Il n’est pas excessif de dire que dans l’interaction sociale le corps de l’adolescent occupe presque la même place que celle du corps du nourrisson ou du jeune enfant dans l’interaction duelle avec sa mère. À titre de comparaison, la référence au corps est beaucoup moins fréquente aussi bien dans la psychopathologie de l’adulte que dans celle de l’enfant en période de latence, si l’on excepte bien sûr, les quelques domaines de pathologie spécifique (psychosomatique, pathologie psychomotrice de l’enfant). En effet une des caractéristiques de l’adolescent est de se servir du corps et des conduites dites somatiques comme mode d’expression de ses difficultés, mais aussi comme moyen de relation. En ce sens les conduites à expression somatique diffèrent à la fois de l’hystérie et de la pathologie psychosomatique : le rôle des relations actuelles, la recherche d’un moyen de pression immédiat sur l’environnement situent ces conduites en deçà de l’hystérie si l’on admet que le conflit hystérique est d’abord et avant tout un conflit interne ; mais le travail de symbolisation, la souffrance psychique fréquemment exprimé situent celles-ci au-delà de la pathologie psychosomatique si l’on admet que cette dernière se substitue entièrement à l’élaboration psychique, et se caractérise par l’existence d’une « pensée opératoire ». Pour résumer nous définirons les troubles à expression somatique des adolescents étudiés dans ce chapitre, comme des systèmes de conduite où les besoins physiologiques du corps (entendus au sens large : sommeil, alimentation, mais aussi hygiène, vêture, parure) sont pris comme moyen d’interaction avec les objets externes, que ces objets soient réels (personnes de l’entourage) ou fantasmatiques (images parentales).

D’une manière générale, les conduites centrées sur le corps nous semblent avoir pour première particularité de mettre en question la définition d’un corps sexué : l’adolescent utilise son corps physique, ses besoins physiologiques, en particulier alimentaires ou de sommeil, pour maintenir à distance la sexualité et les bouleversements qu’elle induit dans le corps. L’exemple de l’anorexie mentale est évident, mais l’obésité, certaines difficultés de sommeil, peuvent aussi s’accorder à ce type d’explication. Une hypothèse avancée par Canestari pour rendre compte des fréquentes craintes dysmor-phophobiques peut être étendue aux diverses conduites centrées sur le corps (cf. p. 159). Pour cet auteur, la rupture de l’équilibre entre les investissements objectaux et les investissements narcissiques, l’absence transitoire d’objet aux pulsions libidinales et agressives, conduisent l’adolescent à prendre son propre corps comme objet transitoire, transitionnel ou transactionnel afin d’y diriger ses pulsions. Choisir son propre corps comme objet d’amour, est précisément l’un des paliers du narcissisme secondaire tel que Freud l’a défini. Certes Freud s’est essentiellement intéressé au destin de la pulsion libidinale ; il est possible d’avancer les mêmes constatations avec la pulsion agressive. Lorsque cette dernière n’a plus d’objet d’investissement à sa disposition, le corps vient prendre un relais transitoire. Ainsi de nombreuses conduites observées en clinique telles que les automutilations discrètes ou les ébauches de tentatives de suicide, ou les vagues craintes dysmorphophobiques, paraissent avant tout témoigner de cette relation particulière et privilégiée de l’adolescent avec son corps. L’étude de ces conduites mériteraient presque d’être incluse dans ce chapitre plutôt que dans les divers chapitres spécifiques (cf. p. 97, 99 et 156).

Ainsi le corps, à l’adolescence, peut être considéré comme une sorte d’objet relais aux diverses pulsions libidinales et agressives, à mi-chemin entre l’objet externe et les objets fantasmatiques internes : lieu de projection de ces fantasmes, le paradoxe du corps à l’adolescence est d’être considéré encore comme un objet transitionnel, c’est-à-dire faisant à la fois partie du moi et du non moi. Il est aussi le lieu des craintes d’altérité, d’étrangeté, d’aliénation au sens quasi éthymologique du terme (transfert d’une propriété ou bien d’une personne à une autre). P. Jeammet (1980) résume parfaitement la place du corps dans la problématique de l’adolescence : « le recours au corps est à l’adolescence un moyen privilégié d’expression. Le corps est en effet un repère fixe pour une personnalité qui se cherche et qui n’a qu’une image de soi encore flottante. Il est un point de rencontre entre le dedans et le dehors, en marquant les limites… Le corps est une présence tout à la fois familière et étrangère : il est simultanément quelque chose qui vous appartient et quelque chose qui représente autrui et notamment les parents… Enfin le corps est un message adressé aux autres. Il signe généralement les rituels d’appartenance, notamment sous la forme de la mode ».

Lorsqu’on aborde le champ plus spécifique de la psychopathologie, dans le cadre des conduites centrées sur le corps, deux types de défenses paraissent prévalents parmi tous les autres modes défensifs : 1) le besoin de maîtrise, défense mise au service de la progression illustrée en clinique par l’ascétisme, mais qui peut prendre une intensité telle que toute émergence pulsionnelle doit être annihilée (comme dans l’anorexie mentale) ; 2) la capacité de régression dans sa dimension temporelle marquée par le retour à des sources de satisfactions pulsionnelles antérieures partiellement abandonnées.

— Le besoin de maîtrise est directement lié au besoin de l’adolescent de garder le contrôle à la fois sur les fantasmes qui peuvent surgir en lui et sur les sources d’excitation pulsionnelle interne. Les changements qui s’opèrent en lui « à son corps défendant » risquent de désigner le corps comme objet à contrôler, passant d’un simple besoin de maîtrise à l’impérieuse nécessité de conserver l’emprise sur le corps. Comme le signale Gantheret (1981), « l’emprise est d’abord emprise de corps et « emprise au corps… c’est la tâche de maîtriser l’objet pour arrêter la source qui est dévolue à la pulsion d’emprise ». Cette pulsion d’emprise, on peut selon nous en observer la traduction clinique à travers ce qu’A. Freud a décrit dans le comportement ascétique de l’adolescent (A. Freud, 1946) ; « l’ascétisme de la puberté » se caractérise par une hostilité innée, indifférenciée, primaire et primitive entre le moi et les pulsions, hostilité qui conduit le moi à haïr les instincts s’éveillant lors de la puberté : « cette crainte de la pulsion ressentie par l’adolescent a un caractère dangereusement progressif et peut, après n’avoir concerné que les véritables désirs pulsionnels, être reportée jusque sur les besoins physiques les plus ordinaires. L’adolescent refuse de de prémunir contre le froid, réduit « par principe » au strict minimum sa nourriture quotidienne, s’oblige à se lever très tôt, évite de rire ou de sourire… » Chacun connaît ces adolescents qui s’imposent des tâches physiques rudes, se créent une « hygiène » de vie Spartiate, se refusent toute satisfaction physique. Généralement il est aisé de constater combien ces préceptes ne sont rien d’autres qu’une tentative rigide de contrôler les pulsions sexuelles et/ou agressives, en particulier les désirs masturbatoires. Dans l’anorexie mentale cet ascétisme devient caricatural.

— La place de la régression, sa qualité, son degré, sa réversibilité constituent l’un des facteurs primordiaux de l’évaluation du pathologique à cet âge. Cette régression s’exprime de façon privilégiée à travers des conduites centrées sur le corps (perturbations des conduites alimentaires, des conduites d’endormissement) ou par des demandes corporelles directes (demandes de soins corporels, craintes hypocondriaques…). Il est classique de distinguer trois types de régression : 1) la régression temporelle caractérisée par un retour à des buts de satisfaction pulsionnelle propres à des stades antérieurs au développement ; 2) la régression formelle marquée par l’abandon des processus secondaires de pensée au profit des processus primaires ; 3) la régression topique caractérisée par le passage d’un niveau d’exigence moïque ou surmoïque à un niveau d’exigence du ça.

Le concept de régression doit être articulé étroitement avec le concept de point de fixation (cf. Psychopathologie de l’Enfant, p. 13). À l’adolescence tous les types de régression s’observent. Mais en ce qui concerne plus particulièrement le corps, on peut dire que la régression temporelle et, à un moindre degré, la régression topique constituent des moyens de compréhension ultiles ; il est évident que face à l’émergence de la sexualité, le retour protecteur à des buts pulsionnels témoignant de pulsions partielles est fréquent. Les perturbations des conduites alimentaires occupent dans ce domaine une place privilégiée : la fréquence de ces perturbations à l’adolescence témoigne de l’importance des points de fixation oraux et de leurs réactivations concomitantes à la recrudescence pulsionnelle globale. De même les plaintes concernant le sommeil apparaissent souvent comme des craintes directes de la régression induite nécessairement par l’endormissement ou à l’opposé comme un besoin défensif d’excessive régression (clinophilie) à un stade développemental primaire (stade symbiotique par exemple).

Dans ce chapitre, suivant la définition que nous avons donnée précédemment (cf. p. 120), nous exclurons divers champs particuliers : 1) la pathologie inhérente à une perturbation du schéma corporel (atteinte cérébrale hémisphérique par exemple) ; 2) les atteintes du schéma corporel secondaires à une pathologie mentale patente telle que les délires centrés sur le corps observés dans les psychoses aiguës (cf. p. 244) ou la schizophrénie (cf. p. 239) ; 3) les difficultés psychologiques liées à des perturbations objectives du corps : handicap moteur, malformations diverses, maladies somatiques.

Nous limiterons ce chapitre aux conduites à dimension corporelle essentiellement de deux ordres :

— les troubles de la série alimentaire ;

— les troubles du sommeil et de l’endormissement.

II. – Perturbations des conduites alimentaires

À la suite de H. Bruch, nous regrouperons dans ce chapitre les diverses situations où « la corpulence et/ou l’absorption alimentaire servent à résoudre ou à dissimuler des problèmes adaptatifs internes ou externes ». En clinique ces perturbations prennent l’aspect soit de modifications pondérales stables (obésité, anorexie mentale) ou fluctuantes, soit de préoccupations diététiques excessives liées en général à l’apparence corporelle et entraînant des habitudes alimentaires particulières (régime diététique).

Si ces deux composantes, perturbations pondérales d’un côté, perturbations des habitudes alimentaires de l’autre vont très généralement de pairs, il est habituel que l’une des deux soit au premier plan, la seconde n’apparaissant que comme la conséquence de la première. Ainsi H. Bruch distingue nettement dans le cas de l’anorexie mentale deux groupes : dans le premier, ou anorexie mentale vraie, la recherche d’une silhouette amincie constitue le but à atteindre quelqu’en soient les motifs (cf. p. 131) ; dans le second groupe la fonction alimentaire elle-même est perturbée, l’absorption de nourriture prenant des significations dangereuses : l’amaigrissement est secondaire. En outre il n’est pas rare d’observer l’alternance de phase de boulimie et de phase de restriction chez un même patient, phase suivie, mais pas toujours de modifications pondérales.

A. – Clinique des conduites alimentaires à l’adolescence

Nous isolons les conduites alimentaires des modifications pondérales (obésité ou anorexie) parce que ces conduites peuvent s’observer isolément ou s’associer tantôt à l’obésité, tantôt à l’anorexie. Leurs perturbations sont extrêmement fréquentes à l’adolescence ; cette fréquence peut s’interpréter diversement : 1) réactivation de la pulsion orale liée à un point de fixation défensif par rapport à la recrudescence pulsionnelle, en particulier génitale, et au mouvement régressif qui s’ensuit ; 2) désir d’appropriation et de maîtrise des besoins corporels, désir qui prend place au sein d’une perspective ontogénétique dans le processus de séparation-individuation. À titre d’exemple les conflits entre l’adolescent et ses parents autour de l’alimentation sont habituels : ces derniers souhaiteraient maintenir l’équilibre alimentaire qu’ils estiment satisfaisant, alors que l’adolescent revendique de s’alimenter selon des critères strictement personnels ; 3) focalisation autour du « repas familial » des interactions et du conflit entre parents et adolescent (cf. p. 343). En effet les adolescents éprouvent fréquemment des affects chargés de colère et/ou d’agressivité à l’égard de ces repas pris en commun. Ces affects peuvent constituer la transformation directe de la curiosité face à la « scène primitive », curiosité teintée de dégoût et d’envie : le repas familial prend une valeur hautement symbolique, les fonctions alimentaires se trouvant « sexualisées ». Il existe un déplacement de la « scène primitive » à la « cène familiale » : en témoignent les fréquentes remarques des adolescents sur la manière de manger de leurs parents, en particulier les remarques des adolescentes trouvant que leur père mange « comme un cochon », etc.

Dans certains cas les perturbations constatées existaient depuis longtemps : le contexte familial y joue un rôle prépondérant comme dans le cas des hyperphagies familiales. Toutefois il n’est pas rare que ces conduites alimentaires déviantes apparaissent à l’adolescence. Nous distinguerons trois types de perturbations : 1) comportements alimentaires instables : fringale, crise de boulimie ; 2) comportements alimentaires quantitativement inadéquats : hyperphagie, grignotage, restriction globale ; 3) comportements alimentaires qualitativement perturbés : exclusion alimentaire, régime particulier.

1° Les comportements alimentaires instables. – Si le comportement alimentaire n’est pas perturbé au cours des repas, certains adolescents connaissent par intermittence des conduites particulières. Il est classique de distinguer la fringale et la crise de boulimie.

a) La fringale répond à une sensation impérieuse de faim. Elle s’observerait plutôt chez l’adolescente en période prémenstruelle. Le comportement alimentaire reste adapté, l’adolescent absorbant les aliments qu’il aime (sucrerie, gâteau…).

b) La crise de boulimie, encore appelée compulsion alimentaire par P. Aimez, se caractérise par l’impulsion soudaine et irrésistible à manger. Ce type de conduite est proche de la classique compulsion, conduite que le sujet est poussé à accomplir par une contrainte interne. Ces compulsions alimentaires ne s’accompagnent pas toujours de sensation de faim, mais plutôt d’un sentiment diffus de malaise, de vide, voire de véritable angoisse ou d’un état dépressif transitoire. Le comportement alimentaire est souvent perturbé : l’adolescent est seul, il se jette sur la nourriture, sans distinction aucune, avalant des quantités importantes d’aliments de façon chaotique, sans aucune préparation, habituellement sans y prendre plaisir ; la hâte mise à manger est classique : boîte de conserve éventrée, réfrigérateur dévasté, pots de confiture renversés… Cet accès peut durer quelques minutes, voire même une heure. Il laisse en général la place à une sensation de malaise profond, de dégoût, d’humiliation, de dévalorisation intense de soi-même. Un état de prostration plus ou moins prolongé ou de manœuvres vomitives y succèdent. Dans quelques cas ces « crises de boulimie » s’entourent d’un quasi-rituel comme le signale B. Brusset : « confortablement installé dans son lit, devant la télévision, la nourriture largement étalée en abondance, elle mangeait pendant des heures, perdant la notion du temps, ignorant avec délectation le monde extérieur, ne répondant ni au téléphone, ni à la sonnette… absorbée par des satisfactions qui ne pouvaient être que solitaires » (F., 19 ans). Les crises de boulimie s’observent le plus souvent dans l’anorexie mentale (cf. p. 131) ; assez rarement chez les sujets obèses, parfois chez des patients sans perturbation pondérale majeure, en particulier chez des sujets psychotiques. Au plan psychopathologique, ces crises de boulimie représentent la traduction comportementale d’un sentiment de vide, d’ennui, avec souvent un état d’anxiété. L’émergence de ce désir, de cette pulsion non contrôlée ou au contraire trop contrôlée auparavant, est souvent liée à une profonde désintrication pulsionnelle : le vécu agressif et déstructurant constitue la toile de fond, vécu agressif lié à l’activation soudaine d’une relation imaginaire agressive et/ou mortifère avec l’une des images parentales, en particulier celle de la mère. La crise de boulimie représente alors une vaine tentative d’incorporer l’objet maternel associé à l’angoisse de le détruire.

2° Comportements alimentaires quantitativement perturbés :

a) Hyperphagie – grignotage. – L’hyperphagie comme son nom l’indique se caractérise par un apport alimentaire excessif. Cette hyperphagie est en général familiale. Les repas sont au nombre de 3 ou 4 dans la journée, avec un goûter important, mais un petit déjeuner matinal réduit. L’hyperphagie répond à des facteurs environnementaux, en particulier aux habitudes alimentaires familiales.

Le grignotage se produit en dehors des repas, parfois même s’étend sur toute la journée. Un seul produit peut être incriminé, en général un aliment qui ne nécessite ni recherche, ni préparation (gâteau type « petit beurre », chocolat, sucrerie…). Le grignotage accompagne les activités du sujet : activités scolaires, lecture, télévision. L’inaction physique est de règle au cours du grignotage, de même que le contexte solitaire. La sensation de faim n’est pas habituelle au cours du grignotage. Selon G. Gonthier, hyperphagie et grignotage sont les conduites caractéristiques de l’obésité (cf. p. 126).

b) La réduction alimentaire. – Dans la période prépubertaire surtout chez l’adolescente, une période transitoire de restriction alimentaire est fréquente, sinon habituelle. Cette réduction peut être globale ou élective (pain, fromage…) suivant en cela des « conseils ou recommandations » lus dans la presse ou entendus aux émissions radiophoniques. Les facteurs environnementaux sont prévalents, marqués par la recherche d’une silhouette mince, à la mode. Cette réduction alimentaire suscite fréquemment des discussions familiales, soit sous le mode d’un rapprochement, d’une relative connivence (mère et fille se mettent au même régime) soit sous le mode d’un conflit, l’un des parents voulant maintenir le contrôle qu’il exerçait jusque-là sur le régime alimentaire de son enfant.

Seuls quelques cas évoluent secondairement vers une restriction majeure engageant l’adolescent dans une véritable anorexie mentale (cf. p. 131).

3° Comportements alimentaires qualitativement perturbés. – Dans ces derniers cas, comme le signale H. Bruch, le fait de manger est en soi perturbé, et l’absorption d’aliment prend des significations symboliques diverses, en général faites de danger et de menace. Certains aliments sont exclus, mais non pas dans l’intention d’une réduction d’apport calorique : la signification symbolique de l’aliment, sa valorisation familiale ou individuelle sont ici au premier plan.

Ainsi l’adolescent de type ascétique (cf. p. 121) peut se priver d’un aliment qu’il aime particulièrement. Dans d’autres cas il s’agit d’un met ou d’un plat familial électif. Ces conduites témoignent souvent de l’existence d’un conflit névrotique, en particulier en cas de dégoût électif qui peut correspondre à une conversion hystérique typique. Ailleurs l’adolescent se soumet à un régime alimentaire particulier en raison de la valeur symbolique attachée à tel ou tel aliment ou des vertus attribuées à ce régime. Il n’est pas rare que ces conduites véhiculent des idées sous-jacentes quasi délirantes, ou à tout le moins, une crainte extrême face à une agressivité orale non élaborée. Il en va ainsi des brusques modifications des habitudes alimentaires de certains adolescents qui deviennent soudain végétariens (régime qui exclut la chair des animaux mais non leurs produits tels que lait, beurre, œufs, miel), ou même végétaliens (régime alimentaire excluant tous les aliments qui ne proviennent pas du règne végétal). De telles pratiques qui peuvent témoigner d’investissement délirant de la nourriture s’observent dans les cas de psychose, surtout lorsque ces pratiques sont en discordance avec l’habitus alimentaire familial. L’observation de régime gravement déséquilibré sur le plan diététique peut entraîner des amaigrissements voire même des états de marasme physiologique. Il importe de ne pas confondre les amaigrissements secondaires à l’investissement délirant de la nourriture avec l’anorexie mentale vraie.

B. – L’obésité

I » Généralités. – L’obésité se définit par un excès de poids qui dépasse de deux déviations standard ou de 20 % le poids idéal pour la taille. L’obésité ainsi définie est fréquente : aux Etats-Unis, 9 % des garçons, 12 % des filles ; en France 7 % des enfants et adolescents dans la région parisienne sont obèses (P. Doyard).

En réalité l’obésité ne constitue pas un état spécifique de l’adolescence. En effet selon les enquêtes rétrospectives cherchant à préciser le début de l’obésité, 25 % des obésités du grand enfant et de l’adolescent ont commencé avant un an, 50 % avant 4 ans, et 75 % avant 6 ans. Dans la majorité des cas l’obésité ne se constitue donc pas à l’adolescence mais succède à une obésité déjà installée dans l’enfance. Ceci distingue l’obésité de l’anorexie mentale. Toutefois l’adolescence représente une étape importante : l’enfant était jusque là dépendant de ses parents, consultant sur leur seule pression, souvent peu motivé lui-même à suivre un régime. L’adolescent en revanche peut se sentir personnellement concerné, dans quelques cas demander lui-même la consultation. La pression de l’entourage, du groupe des pairs, de la mode, jointe aux transformations pubertaires peuvent ensemble concourir à ce que l’adolescent participe activement aux consultations et mesures thérapeutiques proposées (G. Schmit et F. Rouam). En ce qui concerne l’obésité débutante à l’adolescence, il faut signaler d’abord l’existence banale et normale d’une discrète surcharge pondérale prépubertaire : cette surcharge n’a pas la signification physiologique d’une obésité, mais peut la prendre aux yeux de l’entourage, créant un contexte environnemental défavorable. Selon H. Bruch il conviendrait de distinguer d’un côté la phase de création de l’obésité et de la prise de poids, et de l’autre la phase de stabilisation pondérale.

Quant aux facteurs psychosociaux ils jouent des rôles complexes. H. Bruch suggère, là aussi, qu’il faut distinguer parmi les facteurs psychosociaux : 1) ceux qui jouent un rôle dans la création de l’obésité ; 2) ceux qui sont créés par l’obésité ; 3) ceux qui sont suscités par le désir de maigrir. Nous n’aborderons pas en détail ces points qui n’ont rien de spécifiques à l’adolescence par rapport aux autres âges (cf. Psychopathologie de l’enfant, p. 121).

2° Conduites et personnalités de l’adolescent obèse. – Deux conduites alimentaires semblent assez spécifiques de l’adolescent : le grignotage et l’hyperphagie à connotation souvent familiale (cf. description, p. 125). Les crises de boulimie sont en revanche assez rares. L’adolescent obèse entretient avec la sensation de faim un rapport particulier, nous y reviendrons dans le paragraphe suivant. En effet la sensation de faim avant l’acte de manger n’est pas toujours retrouvée : les adolescents sont le plus souvent incapable de dire s’ils ont faim lorsqu’ils se livrent au grignotage. Celui-ci semble plutôt succéder à une sensation imprécise, indéfinissable, souvent connotée de malaise ou encore à un besoin (ou à un plaisir) de remplissage buccal, de mastication et de déglutition, en un mot d’une activité orale incessante. En outre la prise alimentaire n’entraîne pas une sensation de satiété, mais plutôt un sentiment de culpabilité ou un état d’ennui supplémentaire.

Classiquement l’adolescent obèse est décrit comme une personne inactive. Selon H. Bruch le trouble fondamental dans l’obésité n’est d’ailleurs pas l’hyperphagie, mais l’inactivité ; cet auteur établit une opposition maintenant bien connue entre « polyphagie – obésité – inactivité » d’un côté, « anorexie – maigreur – hyperactivité » de l’autre. Au sein de cette passivité certains affects semblent fréquents. La notion d’ennui, sans qu’il s’agisse d’un réel état dépressif est souvent retrouvée. D’ailleurs la solitude complète ce sentiment d’ennui : l’adolescent se plaint d’un sentiment de vide, d’inutilité. Dans d’autres cas on décrit des états de tension anxieuse avec quelques traits névrotiques habituellement dans la série phobique.

Sur le plan du diagnostic nous excluerons ici les rares cas d’obésité consécutives à une pathologie organique (syndrome de Willi-Prader, de Laurence Moon-Bield). Quant au diagnostic psychiatrique, la majorité des obésités à l’adolescence ne s’intégre pas dans des tableaux nosographiques précis bien qu’elles puissent s’observer dans des cas de névrose ou de psychose structurée. En cas de psychose accompagnée d’une obésité celle-ci peut prendre un aspect fluctuant avec de fréquentes périodes d’amaigrissement puis de prise pondérale, périodes parfois étroitement liées à des décompensations délirantes ; le terme d’« obésité-baudruche » a été proposé (D. Marcelli et coll., 1979).

3 » Pronostic. Evolution de l’obésité. – Tous les auteurs signalent la relative stabilité de l’obésité à travers les âges. Toutefois l’adolescence est une période privilégiée où la motivation thérapeutique peut devenir personnelle (et non plus parentale) où les modifications psychodynamiques peuvent favoriser la thérapie et où la pression de l’environnement est forte. Parmi les rares facteurs de pronostic, H. Bruch signale l’intérêt du test du Bonhomme : les enfants et adolescents obèses qui dessinent un bonhomme correctement, surmontent leur obésité ou du moins seront des adultes adaptés. En revanche les obèses qui avaient de mauvais résultats au dessin du bonhomme, étaient, selon H. Bruch, mal adaptés, présentaient des troubles graves de la personnalité, voire une psychose. Chez certains membres de ce groupe l’obésité est allée en augmentant.

4 » Hypothèses psychopathologiques. – L’hypothèse d’un facteur constitutionnel génétique repose sur la fréquente constatation de l’existence d’une obésité chez l’un ou les parents. Mais ce facteur est difficile à distinguer des habitudes alimentaires familiales : en effet l’hyperphagie est le plus souvent familiale. H. Bruch a proposé une théorie de l’obésité tenant compte à la fois des interactions familiales puis de l’intériorisation d’un tel modèle dans un développement psychophysiologique déviant. Cet auteur constate, comme d’autres, que souvent l’ingestion d’aliment ne répond pas à un sentiment de faim, mais à tout autre condition. La faim semble être un état physiologique mal discerné, de même que la satiété. Pour H. Bruch, un adolescent normal doit avoir acquis le sentiment de son corps propre, la conscience d’être un organisme autonome et indépendant, avoir les capacités de reconnaître et définir les besoins corporels, et d’être capable, tenant compe de ces besoins et de l’environnement, d’arriver à une satisfaction adaptée de ses besoins. L’adolescent obèse n’est pas parvenu à cette autonomie. H. Bruch avance une hypothèse centrée sur le rôle de l’environnement. Pour elle, l’incapacité de l’adolescent obèse à reconnaître ses besoins corporels propres et par conséquent à leur donner une réponse adaptée, provient du chaos des premières expériences de satisfaction, en particulier orales : « lorsqu’une mère offre de la nourriture en réponse à des signaux qui indiquent un besoin alimentaire, l’enfant développera progressivement la notion de « Faim » comme une sensation distincte des autres besoins ou tensions physiques. Si, en revanche, la réaction de la mère est continuellement inappropriée qu’elle soit indifférente, hyperstimulante, interdictrice ou totalement permissive, le résultat pour l’enfant sera un état de perplexité confuse. Par la suite il sera incapable de discerner s’il a faim, s’il est repu, ou s’il ressent un autre malaise ». Pour H. Bruch, ces enfants deviennent des adolescents « qui n’ont pas développé ni intégré leur image du corps et qui seront sans recours face aux besoins corporels ou auront le sentiment que ces besoins sont contrôlés de l’extérieur, comme s’ils n’étaient pas les propriétaires de leur corps et de leurs sensations ». De tels adolescents face à tout état de tension indéterminée, qu’il s’agisse de faim, mais aussi un sentiment d’ennui, un état de solitude ou un malaise physique, auront tendance à absorber de la nourriture, de même que, lorsqu’ils étaient bébés, leurs mères leur donnaient indistinctement de la nourriture, quelques soient leurs manifestations.

Il y aurait une sorte de conditionnement conduisant l’enfant, puis l’adolescent au recours alimentaire systématique face à toute tension.

Ces hypothèses sont corroborées par certaines constatations cliniques : la faim préside rarement à l’absorption de nourriture, comme dans le grignotage par exemple. De même la satiété reste fréquemment méconnue. Des sensations diffuses (ennui, malaise vague) aboutissement également à une absorption alimentaire.

Par delà cette hypothèse à dominante environnementale, d’autres auteurs ont vu dans ces conduites alimentaires suivies d’obésité le témoignage d’une fixation défensive à la pulsion orale : « la satisfaction de la faim est le prototype de la satisfaction instinctuelle » (Kreisler), l’oralité étant en outre érotisée à travers l’activité de succion caractéristique du grignotage. L’importance de l’oralité et de l’incorporation à l’adolescence a bien été soulignée par P. Bios qui parle de véritable « faim d’objet » à incorporer : « les sensations de faim et la tendance à se gorger de nourriture ne sont qu’en partie causées par la croissance physique de l’adolescent. On peut observer qu’elles varient significativement dans le même sens que la montée ou le déclin de la faim d’objet primitive, c’est-à-dire de la fonction incorporative ».

Lorsqu’elle devient excessive cette fixation à l’oralité semble avoir plusieurs fonctions : facteur de lutte contre la dépression, facteur de résistance à la sexualité, facteur d’entrave à l’élaboration mentale.

a) Obésité et dépression. – L’existence d’éléments dépressifs est une constatation fréquente chez l’obèse adulte. Nous ne reviendrons pas ici sur la place particulière que la dépression occupe à l’adolescence. Chez l’adolescent obèse la dépression ou tout au moins l’ennui sont parfois au premier plan. Cette thématique recouvre souvent des déficiences dans l’élaboration du narcissisme, déficience que l’obésité vient masquer. Par exemple, ce n’est pas un hasard si les thèmes marins avec les « sentiments océaniques » qui peuvent les accompagner se retrouvent si souvent dans les tests projectifs (Rorschach) comme dans une tentative de retourner à l’univers protecteur de la matrice utérine où le corps se dissout dans une entité plus vaste. La thématique dépressive est, elle aussi, proche du versant narcissique avec ses sentiments de vide, d’inutilité, de manque. L’image du corps elle-même, est à la mesure du corps obèse, souvent hypertrophiée, volumineuse : le corps obèse, enflé vient donner à l’adolescent un sentiment de sûreté de soi, de sécurité interne que, sans quoi, il n’aurait pas.

b) Obésité et sexualité. – Lorsqu’elle persiste ou s’aggrave à l’adolescence, l’obésité sert fréquemment d’écran face à la sexualité, en même temps que la conduite hyperphagique et/ou du grignotage apporte des gratifications orales régressives et substitutives. Dans l’un comme l’autre sexe, mais peut-être plus encore chez la fille, l’obésité est parfois utilisée comme une défense face aux désirs sexuels, et aux sentiments de culpabilité qui peuvent les accompagner.

c) Obésité et structure psychosomatique. – Dans quelques cas l’obésité paraît se substituer, en partie, au fonctionnement psychique et faire écran à une décompensation psychotique, en particulier en cas de vécu paranoïde du monde externe : l’obésité semble représenter alors une sorte de protection contre les intrusions externes. On peut faire ces constatations à contrario dans les cas de décompensation après une cure d’amaigrissement comme on l’observe parfois. C’est alors « comme si l’amaigrissement ôtait l’épaisseur concrète des défenses dont l’obèse a besoin de se parer dans le double but d’amortir l’agressivité (projetée) sur l’extérieur et de maintenir un sentiment de soi hypertrophié à la façon d’un ballon de baudruche. En effet l’obésité nous paraît avoir constamment ce double rôle : « protecteur contre l’environnement, garant de l’intégrité et de la valeur de l’image de soi » (D. Marcelli et coll.). De ce point de vue l’obésité à l’adolescence

risque de constituer un facteur d’entrave aux processus psychodynamiques propres à cette période, ce qui dans l’évolution ultérieure de l’individu peut figer de manière plus ou moins définitive les capacités adaptatives et relationnelles et au-delà de celles-ci l’organisation fantasmatique et défensive : l’obésité risque alors de devenir une sorte d’équivalent d’un processus de défense. À ce titre on peut parler de symptôme psychosomatique.

5° Traitement. – Nous serons très bref et nécessairement schématique. L’obésité, sauf cas exceptionnel (surcharge pondérale supérieure à +60 %) ne menace pas directement la vie de l’individu. Aussi, toute mesure coercitive, toute mesure qui n’a pas l’accord et ne suscite pas la participation active de l’adolescent est vouée à l’échec et néfaste.

Pour les traitements médicamenteux, rappelons qu’en France un décret a récemment interdit les « coktails amaigrissants », rendant illicite l’association entre eux de l’un des produits appartenant aux trois classes traditionnelles des produits dits « amaigrissants » : 1) hormones thyroïdiennes ; 2) diurétiques ; 3) psychotropes et anorexigènes. À l’adolescence la prescription médicamenteuse devrait être nulle ou du moins se réduire à un anxiolytique d’appoint.

L’hospitalisation, dans un but de déconditionnement, aussi bien à l’égard du contexte familial que des habitudes alimentaires a pu être proposée, surtout dans les cas graves et quand l’adolescent en fait la demande (Schmit et Rouam).

La psychothérapie, seule ou en groupe, nécessite selon H. Bruch des aménagements dont l’objectif essentiel est de donner à l’adolescent « la conscience des sentiments et des pulsions qui surgissent en lui-même ainsi que la possibilité d’apprendre à les reconnaître, les satisfaire ou les utiliser de façon pertinente ». Pour H. Bruch une telle prise de conscience du corps peut apparaître d’abord dans tout autre domaine que celui de l’alimentation et constitue l’objectif prioritaire, l’amaigrissement n’étant qu’un objectif secondaire : « les progrès par rapport à une obésité fluctuante et ancienne ne peuvent se mesurer en terme de poids, mais uniquement en terme de capacité globale. Seule une meilleure adaptation personnelle peut favoriser une régulation du poids et vice versa. Cette régulation ne pourra être considérée comme réussie et positive qu’après avoir maîtrisé d’autres éléments du comportement pulsionnel ».

C. – L’anorexie mentale

L’anorexie mentale occupe une place particulière dans le champ de la pathologie mentale : sa stéréotypie clinique, la prévalence du sexe féminin et un âge de début assez caractéristique tranchent avec l’habituel polymorphisme des troubles psychopathologiques, surtout à l’adolescence. Cette stéréotypie clinique explique l’ancienneté de la description du syndrome et la constante recherche d’une étiologie organique s’inscrivant dans un schéma explicatif linéaire. Longtemps revendiquée exclusivement par les endocrinologues, l’anorexie mentale ne peut plus être considérée comme le pur résultat d’un désordre « neurovégétatif ». Son déterminisme psychogénétique semble accepté par le plus grand nombre, bien que cette position soit périodiquement remise en cause.

1° Historique. – L’anorexie mentale est de connaissance fort ancienne puisque ses traits ont été remarquablement fixés dès le xvii' siècle par un auteur anglais Richard Morton. Sous le nom de « phtisie nerveuse » celui-ci décrit en 1689 chez une jeune femme, une consomption du corps qui apparaît sans fièvre, sans toux, sans dyspnée et qui s’accompagne d’une perte de l’appétit et des fonctions digestives. Morton insiste sur l’effrayante maigreur à laquelle peut conduire cette affection. Selon lui la maladie a une origine nerveuse et provient d’une altération de l’élan vital.

Mais classiquement, on attribue les premières descriptions de l’anorexie mentale à Ch. Laségue et à W. Gull qui publièrent tous les deux à des dates rapprochées leurs expériences cliniques. W. Gull parle d’abord d’« Hys-téria apepsia » (1868) puis à la suite du travail de Laségue d’« Anorexia Nervosa » (octobre 1873). Ch. Lasègue évoque lui 1’ « anorexie hystérique » (avril 1873).

Les descriptions cliniques faites par ces auteurs mériteraient d’être relues intégralement tant elles conservent toute leur actualité : « peu à peu la malade réduit sa nourriture prétextant tantôt un mal de tête, tantôt un dégoût momentané, tantôt la crainte de voir se répéter les impressions douloureuses qui succèdent aux repas. Au bout de quelques semaines ce ne sont plus des répugnances supposées passagères, c’est un refus de l’alimentation qui se prolonge indéfiniment » (Lasègue). Le comportement hyperactif est aussi noté « les patients quoique extrêmement épuisés ne se plaignent pas de douleur ni du moindre malaise, et souvent étaient singulièrement agités et entêtés… » (W. Gull). « La malade loin de s’affaiblir, de s’attrister, déploie une façon d’alacrité qui ne lui était pas ordinaire : plus active, plus légère, elle monte à cheval, elle entreprend de longues courses à pied… » (Ch. Lasègue). Le désordre alimentaire est attribué à une perturbation mentale : « le manque d’appétit est dû à un état mental morbide… Je pense par conséquent que son origine est centrale et non périphérique » (W. Gull). Enfin l’importance des relations familiales est, dès cette époque, clairement mise en relief. Une fois la maladie constituée, « la famille n’a à son service que deux méthodes qu’elle épuise toujours : prier ou menacer, et qui servent l’une comme l’autre de pierre de touche. On multiplie les délicatesses de la table dans l’espérance d’éveiller l’appétit : plus la sollicitude s’accroît, plus l’appétit diminue. La malade goûte dédaigneusement les mets nouveaux et après avoir ainsi marqué sa bonne volonté, elle se considère comme dégagée de l’obligation de faire plus. On supplie, on réclame comme une faveur, comme une preuve souveraine d’affection, que la malade se résigne à ajouter une seule bouchée supplémentaire au repas qu’elle a déclaré terminé. L’excès d’insistance appelle un excès de résistance » (Ch. Lasègue). « Le milieu où vit la malade exerce une influence qu’il serait également regrettable d’omettre ou de méconnaître » (Ch. Lasègue).

Après ces descriptions princeps qui ont le mérite de mettre en valeur l’origine « morale et nerveuse » de l’affection, une période de relative confusion est dominée par les travaux de Simmonds qui en 1914 décrit un syndrome nouveau : la cachexie panhypophysaire. Pendant de longues années l’anorexie mentale est alors confondue avec cette affection organique, confusion qui servira longtemps à étayer la conviction partagée par certains auteurs d’une origine organique endocrinienne à l’anorexie mentale.

Il faudra attendre les années 1940 pour que soient reprises les hypothèses psychogénétiques. Les travaux sont alors très nombreux ; H. Bruch aux Etats-Unis, M. Selvini en Italie, Kestemberg E. et J., et Decobert en France… dans des perspectives comportementales, psychanalytiques, systémiques ou autres, mais où la dimension psychologique domine toujours.

2° Fréquence. Généralités. – L’affection reste rare du moins dans sa forme grave (0,5 à 0,75 %c : M. Planfz) ; la prévalence du sexe féminin est d’environ 10 filles pour un garçon. L’âge de début est en général indu entre 13/14 ans et 25 ans ; le plus souvent entre 15 et 18 ans. Il s’agit souvent d’enfant unique ou de fratrie avec une prédominance de filles (Girard). La structure familiale apparente est banale : on ne retrouve pas l’augmentation, habituelle aux autres conduites pathologiques (tentatives de suicide, toxicomanie…), des situations de divorces, d’alcoolisme parental, etc. Au contraire la famille est plutôt unie, sans histoire apparente (ce qui ne signifie pas une absence d’« histoire ou de mythe familial » plus ou moins perturbant). La profession des pères se signale, selon certains auteurs, par le fait qu’elle gravite fréquemment autour de l’alimentation ; cuisinier, restaurateur, commerçant dans l’alimentation. Bien que provenant de tous les milieux sociaux, le niveau socioculturel et économique des familles est en général bon ou supérieur.

3° Description clinique de l’anorectique. – Le tableau clinique est très caractéristique. Il se constitue en 3 à 6 mois, après une période marquée par un désir de « suivre un régime » pour perdre quelques kilogrammes jugés superflus. À noter que dans quelques cas il existait une réelle et discrète obésité infantile. En général ce désir initial est accepté par la famille. Un facteur traumatique externe est parfois mis en avant : perte affective, maladie d’un proche, traumatisme affectif… Ce facteur risque de servir d’écran en maintenant à l’extérieur de l’adolescent et des interactions familiales l’origine supposée des troubles. Quoi qu’il en soit la restriction alimentaire s’aggrave, la perte pondérale est estimée toujours insuffisante. La période d’état s’installe associant les trois signes caractéristiques : anorexie, amaigrissement, aménorrhée.

a) La conduite anorectique. – Après la période initiale où elle reste modérée, elle devient rapidement méthodique, résolue, poursuivie avec énergie dans l’intention claire de maigrir. La faim peut être réellement ressentie au début de la conduite anorectique, suscitant d’ailleurs des épisodes boulimiques (voir description de ces épisodes, p. 124), vécus de façon honteuse par la patiente. Il existe une hantise de grossir, la conduite anorectique pouvant même se compléter de manœuvre destiner à « vider » le tube digestif : vomissements, laxatifs, lavements. L’abus des laxatifs, très fréquent, peut susciter des désordres organiques (hypokaliémie). L’adolescente ne s’inquiète absolument pas de l’amaigrissement, parfois même le nie, se trouvant encore trop grosse.

b) Les conduites annexes. – Parallèlement à l’anorexie on note une série de conduites fréquentes :

— L’hyperactivité, qu’elle soit physique ou intellectuelle : l’adolescente effectue de longues promenades forcées, elle patine, danse, nage avec acharnement. Les activités prennent une allure de compétition et sont avant tout l’occasion d’une maîtrise supplémentaire sur le corps. Les activités intellectuelles sont de nature semblable : la compétition, la maîtrise y occupent un place privilégiée. La performance scolaire est recherchée pour elle-même, sans prendre un réel plaisir au fonctionnement intellectuel. Aussi, bien que les performances soient subnormales ou supérieures aux tests d’évaluation, les projectifs montrent l’absence de créativité, de souplesse, en un mot la non utilisation de façon adaptée du fonctionnement mental (il convient d’ajouter ici qu’il existe aussi des cas d’anorexie mentale au niveau intellectuel limite, voir faible).

Cette hyperactivité peut se maintenir alors même que l’amaigrissement est extrême et confine à la cachexie. Des conduites encore plus excessives sont possibles, comme une exposition au froid avec une vêture réduite, des bains froids… Les activités sociales (confessionnelles, politiques ou autres) sont fréquentes, mais se teintent de conformisme.

— Le désintérêt pour la sexualité est constant. Les transformations corporelles de la puberté sont niées, source de gêne. Les activités sexuelles sont ignorées, bien que, le contexte social évoluant, il est moins rare de rencontrer des anorectiques ayant des relations sexuelles : dans ces cas il s’agit toujours d’activités conformistes, pour faire comme les autres, sans implications affectives autre qu’une éventuelle gratification narcissique.

L’anorectique regrette les transformations pubertaires, souhaiterait retrouver son corps prépubaire.

c) Les symptômes somatiques. – Ils sont dominés par l’amaigrissement et l’aménorrhée :

— L’amaigrissement : il devient rapidement spectaculaire : fonte du pannicule adipeux, amyotrophie, atteinte des ongles et des phanères. De l’ordre de 10 à 15 kilos, parfois plus, il correspond à une perte proportionnelle de 20 à 30 %, voire même dans les cas extrêmes atteint 50 % du poids initial réalisant une véritable cachexie. Quand il devient extrême, l’amaigrissement peut s’accompagner de manifestations somatiques : hypoglycémie, hyponatrémie, hypokaliémie (aggravé par l’usage des laxatifs). Certaines fonctions endocriniennes peuvent être alors altérées avec parfois même un panhypopituitarisme plus ou moins sévère, en général réversible après la réalimentation.

— L’aménorrhée : c’est le second volet du tableau somatique. Son rapport avec l’amaigrissement n’est pas simple puisqu’elle peut précéder celui-ci, et persister longtemps après la reprise de poids. L’hypothèse d’une origine neuroendocrinienne de l’anorexie mentale s’est longtemps appuyée sur cette aménorrhée, d’autant plus qu’elle pouvait être le premier symptôme apparu. Les explorations biologiques mettent en évidence une insuffisance de l’axe hypothalamo-hypophysaire, mais qui est le plus souvent, bien que non constamment, tardive et secondaire à l’amaigrissement : diminution des taux de F.S.H. et de L.H., réversible par stimulation (L.H.-R.H.) ou par la reprise de poids. La persistance de l’aménorrhée, même après la reprise alimentaire s’observe dans quelques cas.

4° Description clinique de la famille de l’anorectique. – Dans les premiers travaux de Lasègue et de Gull, l’importance du contexte familial avait été mis en évidence. En dehors des hypothèses étiopathogéniques faisant intervenir la nature des premières relations mère-enfant (H. Bruch, A. Doumic) que nous reverrons au paragraphe « étiologie » (voir p. 138), une certaine typologie psychologique fut proposée par de nombreux auteurs, centrée tantôt sur la mère elle-même, tantôt le couple parental, tantôt sur l’ensemble de la dynamique familiale.

Les mères d’anorectiques sont décrites comme anxieuses et hypocondriaques. Elles seraient ambitieuses et utiliseraient volontiers leur enfant comme une valorisation narcissique d’elle-même (Sours). L’intérêt dans l’apparence physique de l’enfant est excessif. Elles seraient hyperprotectrices, ayant des difficultés à percevoir les besoins propres de leur fille et tendance à maintenir une confusion entre elle et leur enfant (M. Selvini).

Les pères sont plutôt chaleureux, volontiers permissifs et effacés, intervenant peu dans les décisions familiales. Il existe souvent un lien père-fille de connivence teintée d’éléments névrotiques (J. Laboucarié et P. Barrés). On a aussi parlé de pères « maternisés » (Kestemberg et coll.).

Le couple donne une apparence d’union satisfaisante, mais souvent superficielle. Le déséquilibre dans le couple est fréquent, l’un des deux étant souvent très perturbé : traits psychotiques, dépression (Ph. Jeammet). Les interactions familiales sont souvent très rigides et pathologiques nécessitant une approche thérapeutique familiale (M. Selvini). Toutefois il est bien difficile d’évaluer, face à une conduite si alarmante et à un état physique si dégradé, ce qui dans les interactions familiales est cause ou conséquence de l’anorexie mentale.

Les remaniements suscités par le symptôme sont nombreux, focalisés bien évidemment autour de la prise de nourriture : menace et séduction, prière et chantage, sollicitude et indifférence, alternent dans le temps et d’un parent à l’autre. La fratrie peut participer à ces conflits, accusatoire le plus souvent. B. Brusset évoque la « demande paradoxale » que l’anorec-tique exerce sur la famille et surtout sa mère : la maigreur, le dépérissement suscite un besoin culpabilisé de la nourrir, ce qu’intellectuellement l’anorectique refuse avec une extrême énergie, les parents pouvant se sentir coupables de laisser ce corps dépérir, mais aussi coupables des manœuvres de contraintes ou séductions : le lien de dépendance culpabilisée entre les divers membres de la famille ne fait que se renforcer.

5 » Evolution. – Il est quelque peu artificiel d’étudier séparément l’évolution de l’anorexie et la structure psychopathologique qui sous-tend cette conduite, puisque les deux sont intimement liées. Il importe toutefois de distinguer :

— Les formes mineures, assez fréquentes. On y retrouve la totalité de la symptomatologie. Elles apparaissent plus souvent chez une jeune adolescente de 13-14 ans, fille unique. L’épisode anorectique s’étend sur quelques mois, puis disparaît, soit spontanément, soit après quelques réaménagements familiaux effectués sur les conseils du pédiatre ou du psychiatre, en réalité rarement consulté à ce stade.

— Les formes graves cachectisantes. L’installation dans la cachexie représente un risque évolutif notable. Autour de cette cachexie s’observe une redistribution des relations familiales : le symptôme permet une abrasion de l’agressivité mère-fille et la maigreur autorise une relation de connivence père-fille d’où la sexualité est exclue. Toute intrusion dans l’équilibre familial est perçue comme dangereuse, y compris à un stade où la survie de l’adolescent devient aléatoire. Si la mort est moins souvent qu’autrefois l’issue finale et dramatique, en revanche l’arrivée en urgence dans les services de réanimation intensive n’est pas rare. Pour la famille, y compris l’adolescente, c’est un moyen supplémentaire de dénier la dimension psychopathologique. Il n’est pas rare de voir se répéter ces séjours en réanimation. La mort reste l’évolution possible surtout si une maladie intercurrente fait basculer le fragile équilibre physiologique.

— L’évolution intermédiaire est ponctuée d’épisodes anorectiques entrecoupés de reprise transitoire de poids, soit du fait des crises boulimiques de la patiente, soit en raison des hospitalisations. L’anorectique traverse ainsi son adolescence et l’entrée dans l’âge adulte, en établissant avec l’entourage familial ou médical, des relations au sein desquelles la dimension psychopathique, toxicomane ou perverse peut devenir prédominante.

Après plusieurs rechutes, une relative stabilisation est possible, marquée soit par l’installation dans un état anorectique durable, mais de gravité modérée, avec souvent des investissements sociaux ou culturels intenses, soit par la possibilité de « fonder une famille » dans un climat de conformisme social. Dans ces formes d’évolution intermédiaire, on peut parfois voir se développer des épisodes intercurrents de type dépressif, psychopathique ou toxicomaniaque (B. Brusset).

— Quelques éléments de pronostic, en dehors de la structure psychopathologique, ont été avancés. De pronostic défavorable seraient : une puberté précoce, une obésité dans l’enfance et la préadolescence, des perturbations de l’allaitement au sein (A. Crips). Mais d’autres études vont à l’encontre de ces constatations. En réalité il est difficile de trouver dans les seuls facteurs externes, des indices fiables de pronostic. L’évaluation psychodynamique de l’adolescente est nécessaire.

6° Formes cliniques : l’anorexie mentale masculine. – Beaucoup plus rare que chez la fille, l’anorexie mentale peut concerner les garçons dans une proportion qui oscille entre 3 et 20 % des cas selon les auteurs.

Il peut s’agir de formes typiques d’anorexie, les garçons étant cependant moins actifs que les filles. Toutefois il n’est pas rare que le comportement anorectique du garçon s’installe soit au sein d’une organisation psychopathologique plus définie telle qu’une psychose marquée alors par un investissement délirant de la nourriture ou de l’incorporation, soit dans la prolongation d’une anorexie de la petite enfance. La crainte de l’obésité paraît au second plan derrière l’importance de l’angoisse et des manifestations hypocondriaques retrouvées plus souvent que chez la fille. Notons que certains auteurs excluent la possibilité d’une anorexie mentale vraie chez le garçon.

7° Diagnostic psychiatrique. – Le diagnostic positif et différentiel ne pose habituellement aucun problème à la condition d’être suffisamment vigilant pour reconnaître les quelques cas de cachexies secondaires à une origine organique (tumeurs centre-encéphaliques par exemple). Il convient aussi selon H. Bruch et J. Sours de distinguer l’anorexie mentale vraie, de la restriction alimentaire due à un investissement délirant de la nourriture ou de certains aliments (cf. p. 126) comme on l’observe dans certaines psychoses paranoïdes en particulier.

Le diagnostic selon les termes de la nosographie psychiatrique traditionnelle a été à l’origine de nombreux travaux. On peut distinguer deux grandes positions théoriques : 1) les auteurs qui font de 1’ « Anorexie Mentale » une entité autonome, sans rapport avec la nosographie classique ; 2) les auteurs qui considèrent la conduite anorectique comme un symptôme et cherchent, par delà la description sémiologique, à rattacher 1’ « Anorexie Mentale » à une catégorie nosographique connue.

Dans ce second courant, de nombreux diagnostics ont été proposés. Déjà Lasègue rangeait l’entité qu’il décrivait dans le groupe des hystériques (« Anorexie hystérique »). On a évoqué la possibilité d’une névrose compulsive (Palmer et Jones). L’hypothèse d’une psychose schizophrénique ou d’une forme particulière de psychose maniaco-dépressive a aussi été avancée. De même on a évoqué l’hypothèse d’une forme particulière de perversion.

En réalité les auteurs actuels tendent à considérer l’anorexie mentale, non pas en terme de diagnostic psychiatrique traditionnel, mais selon une constellation de symptômes ou de traits psychopathologiques qui, en fonction des regroupements prévalents rangent ces patients sur un continuum diagnostic (J. Sours) fréquemment apparenté au groupe des Etats Limites. Ainsi pour E. Kestemberg et coll. les anorexies mentales évoquent « des organisations complexes et spécifiques » rejoignant d’une part certaines névroses de caractère, et faisant penser d’autre part à certaines structurations psychotiques de la personnalité. Ces auteurs parlent de « psychose froide » caractérisée par une organisation fantasmatique toujours fixe, immuable, permettant l’obnubilation des conflits, une relation fétichique à l’objet, étant à la fois hors du sujet et le représentant.

8° Hypothèses étiologiques organiques. – Considérée, à la suite des travaux de Simmonds sur le panhypopituitarisme, comme le résultat d’un désordre neuroendocrinien central, l’anorexie mentale n’est plus de nos jours réduite à sa seule expression somatique. Toutefois devant la conduite anorectique que la patiente rationalise parfois consciemment comme résultat d’une absence de sensation de faim, mais aussi devant l’existence d’épisodes boulimiques, certains auteurs évoquent la possibilité d’un dérèglement des centres de la faim et de la satiété. L’hypothèse d’un tel dérèglement n’est pas incompatible avec une origine non organique, en particulier dans une ligne de compréhension ontogénétique comme l’adoptent H. Bruch ou M. Selvini. Ces hypothèses n’ont reçu aucune confirmation jusqu’à présent (voir ci-après).

9° Eléments de réflexion psychopathologique. – Il ne nous est pas possible ici de rendre compte de la richesse et de la subtilité d’importants travaux effectués par plusieurs auteurs sur l’approche psychopathologique de l’anorectique mentale et/ou de sa famille. Le lecteur intéressé pourra se reporter aux ouvrages de base suivants : 1) H. Bruch, Les yeux et le ventre, Payot Ed., Paris, 1974, 1 vol.; 2) E. Kestemberg, J. Kestemberg, S. Décobert, La faim et le corps, P.U.F. Ed., Paris, 1972, 1 vol.; 3) B. Brusset, L’assiette et le miroir, Privât Ed., Toulouse, 1977.

Nous nous limiterons ici aux axes de compréhension plus généraux en rappelant les conclusions, toujours actuelles, du Symposium de 1965 à Gôttingen :

— l’anorexie mentale exprime une incapacité d’assumer le rôle sexuel génital et d’intégrer les transformations de la puberté ;

— le conflit se situe au niveau du corps qui est refusé et maltraité et non au niveau des fonctions alimentaires (sexuellement investies) ;

— la structure de l’anorexie mentale est différente de celle d’une névrose classique.

On peut dégager trois grands modèles autour desquels s’articulent la compréhension psychogénétique de l’anorexie mentale. Il va de soi que ces modèles ne s’excluent pas, il est fréquent au contraire de les voir s’associer : 1) un modèle de compréhension centré sur l’étude des interactions alimentaires précoces mère-bébé, puis des interactions famille-enfant : des déviances initiales, résultent les modalités actuelles de la dynamique familiale et individuelle. Il s’agit donc ici de l’anorectique dans sa famille à travers son histoire ; 2) un modèle de compréhension lié à la problématique de l’image du corps et de la place de la sexualité ; 3) un modèle de compréhension psychanalytique synchronique où une organisation fantasmatique particulière propre à l’anorectique mentale est décrite.

a) Les hypothèses ontogénétiques. – Nous ne reviendrons pas ici sur la description déjà faite des particularités familiales. H. Bruch fait remonter l’origine des troubles à une méconnaissance des besoins du corps, et à un trouble secondaire de la perception de l’image du corps. Cette méconnaissance serait liée aux premières expériences défectueuses du nourrisson : il aurait reçu de sa mère des réponses inadaptées, chaotiques, négligentes ou excessives à ses diverses demandes. Ces apprentissages précoces trompeurs ne permettraient pas au nourrisson, puis à l’enfant et l’adolescent de reconnaître les besoins de son corps propre. L’enfant apprendrait à répondre exclusivement aux sensations et aux besoins corporels de la mère et non aux siens ; ceci provoquerait des perturbations dans l’établissement des limites du moi, de l’identité fondamentale et de l’image du corps. Dans l’anorexie mentale il y aurait une distorsion délirante de l’image du corps avec un déni de l’amaigrissement et une crainte durable d’être laid et gros. Ces perturbations dans la reconnaissance et la discrimination cognitive des stimuli corporels concernent la faim et la satiété, mais aussi la fatigue, la faiblesse, le froid. L’incapacité d’intégrer et de comprendre les divers états affectifs expliquerait aussi, selon H. Bruch l’absence d’intérêt pour la sexualité.

De manière moins spécifique certains auteurs (B. Brusset) ont pu rendre compte de la prévalence de l’anorexie mentale dans le sexe féminin à partir des constatations faites d’une plus mauvaise adéquation entre la mère et son bébé-fille qu’entre elle et son bébé-garçon pour ce qui concerne les modalités d’alimentation. O. Brunet et I. Lézine ont en effet observé que l’alimentation des bébés-filles paraissaient beaucoup plus conflictuelle, contrôlée que celle des bébés-garçons. Cette constatation ne saurait certes suffire à elle seule : il ne faut pas oublier les facteurs culturels, ceux liés aux aléas de la sexualité féminine, etc.

b) L’anorectique et son corps. – La concordance de l’anorexie mentale et de l’adolescence a fait considérer cette maladie comme une sorte de névrose actuelle en rapport avec la maturation pubertaire, hypothèse allant dans le sens d’une origine psychosomatique de l’anorexie mentale. Les conduites d’ascétisme assez fréquentes chez de nombreux adolescents (cf. p. 121), deviennent caricaturales dans l’anorexie mentale (S. Mogul), ascétisme qui permet de dénier les besoins corporels, puis la féminité et d’ignorer les désirs génitaux.

Selon M. Selvini le corps est l’objet direct d’une haine : il est possédé par un mauvais objet (« une mauvaise mère »), persécuteur interne confondu avec le corps. Ce mauvais objet est lié génétiquement à la relation précoce mère-enfant. Il existe un état de détresse du moi, source de dépression face à la menace d’un corps qui grossit. La faim selon M. Selvini est bien perçue, mais l’anorectique lutte contre cette sensation de faim vécue comme un état de manque oral en raison de la dimension persécutive que prend l’incorporation de l’objet. En effet, selon cet auteur, il y a un clivage dans le moi entre le sujet et le corps, marqué par une projection extrapsychique mais restant intracorporelle de mauvaises parties du soi et des objets.

Toutefois B. Brusset relève, sous-jacent à ce clivage, l’existence d’un investissement narcissique focalisé sur le corps. « Tout se passe comme si ces adolescents ne pouvaient concevoir une identité psychique différente de leur identité corporelle ». Le corps devient alors le support d’une sorte d’idéalisation mégalomaniaque défensive. Corps idéalisé, désincarné, indestructible, épuré, il devient une abstraction sur laquelle se concentre le besoin de maîtrise, d’emprise dans une identification à l’image de la toute puissance maternelle. L’anorectique en arrive à cette position paradoxale ; d’un côté un corps idéalisé, objet de désir, de l’autre un corps réel, objet de dénégation (E. Kestemberg et coll.). Il y aurait ainsi une sorte de cercle vicieux qu’on peut résumer de la sorte : mauvais objets internes menaçants, projection extrapsychique mais intracorporelle de ceux-ci, clivage protecteur entre le corps et le sujet, ascétisme et maîtrise de ce corps, idéalisation narcissique compensatoire du corps désincarné, identification par l’intermédiaire de ce corps à l’omnipotence maternelle, crainte renforcée du mauvais objet interne, etc. C’est ce que B. Brusset appelle le « processus anorectique » aboutissant à une sorte de nivellement et d’abrasion des différences, processus qui expliquerait le monomorphisme des divers cas d’anorexie mentale arrivés à la période d’état.

c) L’anorectique et ses fantasmes. – Sous l’apparente richesse de la vie fantasmatique telle qu’elle peut apparaître au cours des premiers entretiens, la difficulté associative devient rapidement évidente en psychothérapie. Cette difficulté associative est due à l’importance de la rationalisation qui opère une véritable emprise sur le fonctionnement mental, et laisse vite percevoir l’utilisation prévalente de mécanismes dits archaïques : clivage, projection, identification projective, déni, idéalisation. Ces rationalisations sont soutenues par un investissement défensif de l’érotisme anal de maîtrise et de contrôle, tant de la personne propre que de l’entourage. Le contrôle et la maîtrise (du corps, des besoins physiologiques, de la famille, du « corps » médical) nourrit l’idéal du moi mégalomaniaque et hypertrophié de l’anorectique, encore renforcé par l’estompage des limites du moi (voir paragraphe précédent). Cette hypertrophie de l’idéal du moi et sa relative fusion avec le moi actuel aboutit à une sorte d’indistinction profonde y compris entre les diverses zones érogènes (E. Kestemberg et coll.) : confusion fréquente entre génitalité et oralité, impression de n’être qu’un tube aux orifices quasi interchangeables (voir les multiples pratiques anales visant comme le vomissement à vider le tube : laxatifs, lavements). Enfin pour E. Kestemberg et coll. tous ces mécanismes sont au service d’une vie fantasmatique dominée par l’enflure narcissique, l’anorectique cherchant la fusion de son idéal du moi et de son moi présent, tel que le corps désincarné l’idéalise : ce corps asexué, sans désir, témoigne de sa mégalomanie omnipotente. Au plus secret de l’anorectique siégerait le plaisir teinté de perversion pris à l’orgasme de la faim (Kestemberg), la satisfaction étant apportée par la non-satisfaction : « cette organisation particulière rassemble en effet une mégalomanie secrète, constamment agissante à l’ombre de l’état pitoyable du corps malmené, dont le plaisir se concentre dans l’ivresse muette de la faim recherchée, pourchassée et retrouvée, mais se ramifie aussi dans le vertige de la domination de la bête par le cavalier (la bête étant le corps et ses besoins maîtrisés par le sujet) » (E. Kestemberg et coll.).

10° Traitement. – Nous serons très schématique. Pour certains le traitement repose toujours sur l’isolement mais pour la majorité des auteurs il n’est pas une fin en soi et doit favoriser l’établissement d’une relation thérapeutique. Nous ne reviendrons pas ici sur l’impressionnante panoplie des méthodes coercitives utilisées pour « faire grossir les anorectiques ». Sauf cas de cachexie avancée où la survie est en jeu, nécessitant alors les mesures de réanimation appropriées en milieu spécialisé, mesures auxquelles les anorectiques se soumettent en général presque de « bonne grâce », les méthodes contraignantes et coercitives sont peu à peu abandonnées. Cependant l’isolement et son corrélât, l’hospitalisation, continuent à être utilisés dans les formes de gravité moyenne, en particulier quand les interactions familiales paraissent figées :

— L’isolement : longtemps considéré comme la pierre angulaire de l’action thérapeutique, sa rigueur fluctue selon les auteurs, de l’isolement quasi carcéral au simple séjour en clinique. Le risque est de centrer cette hospitalisation sur la prise de poids (toujours possible) et d’oublier la nécessité concomitante d’établir une relation thérapeutique (toujours aléatoire). Au cours de cette hospitalisation, un maternage intense et de bonne qualité peut avoir un effet réparateur, et permettre à l’anorectique d’amorcer un mouvement authentiquement dépressif sur lequel la psychothérapie trouvera ses premières bases. Etant donné l’intensité des contre-attitudes que suscite l’anorectique, l’analyse institutionnelle de ces dernières est indispensable.

L’isolement et l’hospitalisation ne sont jamais une fin en soi. Pour Girard l’hospitalisation doit avoir des buts limités et précis : – arrêter la chute pondérale, – interrompre l’aggravation des comportements réactionnels familiaux, – démontrer la réversibilité possible de la pathologie somatique par l’abord psychologique, – inscrire l’hospitalisation dans l’ensemble d’un projet thérapeutique dont la psychothérapie reste l’élément majeur, – enfin si nécessaire traiter un état dépressif secondaire.

Le principe d’un contrat incluant ou non un poids de sortie est généralement retenu. L’hospitalisation est habituellement l’occasion d’amorcer les autres approches thérapeutiques.

—- La relation thérapeutique s’adresse tant aux parents : groupe de parents d’anorectiques (Brusset et Jeammet) qu’à la malade. La psychothérapie analytique n’est souvent possible au début que grâce à la prise en charge institutionnelle et à la protection que celle-ci donne au thérapeute. Le psychodrame, grâce au jeu du corps et de l’imaginaire, permet une mobilisation assez rapide des défenses de la malade et s’avère très efficace.

III. – Perturbations des conduites d’endormissement et du sommeil

Par rapport aux conduites alimentaires, les troubles de l’endormissement sont exprimés beaucoup moins souvent ou considérés beaucoup plus banalement par les adolescents. Ils sont pourtant fréquents à cette période de la vie où au point de vue neurophysiologique, l’organisation du sommeil devient celle de l’adulte tandis qu’au point de vue psychopathologique, ils peuvent être le signe avant-coureur d’une menace de régression induite par l’endormissement, le sommeil et le rêve, et par là même des craintes que cette régression suscite.

A. – Le sommeil : aspect électrophysiologique

Le sommeil de l’adolescent est organisé comme le sommeil de l’adulte. Il est divisé en deux grandes catégories :

— Le sommeil à ondes lentes (SL) avec ses quatre stades de profondeur croissante : stade 1 (onde O), stade 2 (survenue de fuseaux et de complexes K), stades 3 et 4 (sommeil lent profond, SLP, ondes ô).

— Le sommeil paradoxal (SP) ou phase de mouvements oculaires rapides (P.M.O., M.O.R., R.E.M. Sleep) auquel est associé la majeure partie de l’activité onirique (cf. abrégé de Psychopathologie de l’enfant, p. 74-77).

Au moment de la puberté le pourcentage de S.P. chute brutalement pour se rapprocher du taux de l’âge adulte ; 22,4 % à 11 ans : 16,97 % à 14 ans et 17,14 % à 24 ans (G. Hoffman et O. Petre Quadrens, 1979). Ces modifications sont en partie liées aux changements hormonaux puisque l’on sait que le taux de S.P. est lié à l’activité hormonale (pourcentage de S.P. plus grand en phase folliculinique qu’en phase lutéale).

Rappelons globalement que de l’enfance à l’âge adulte : 1) la durée totale du sommeil décroît (17 heures à la naissance, 9 h 30 à 12 ans, et 8 heures à 16 ans) ; 2) l’heure d’endormissement devient plus tardive (22 h à 24 h pour les filles et 21 h à 24 h pour les garçons à l’adolescence) ; 3) le nombre de cycles (SL – I – SP) diminue ; 4) le pourcentage respectif de sommeil lent profond et de SP par rapport au sommeil total diminue. Tous ces chiffres sont évidemment des chiffres moyens.

B. – Clinique des conduites d’endormissement et du sommeil

La clinique des troubles du sommeil de l’adolescent est aussi riche et variée que celle de l’enfant. Un élément spécifique est la rareté de l’expression par l’adolescent de ses difficultés de sommeil.

Pourtant ces troubles existent assez fréquemment. En 1973 F. Davidson et coll. signalaient que 10 % des lycéens de 15 à 20 ans prenaient des médicaments pour mieux dormir. Aux Etats-Unis, une enquête épidémiologique portant sur 627 adolescents de 15 à 18 ans donnait les résultats suivants : a) 12,6 % sont des « mauvais dormeurs chroniques », c’est-à-dire des insomniaques sévères : insomnies d’endormissement et/ou insomnies nocturnes. Les filles sont plus fréquemment concernées que les garçons. La grande majorité des ces adolescents relient leurs troubles à des facteurs psychologiques connus par eux : tension, inquiétude, problèmes familiaux, sociaux ou professionnels et problèmes scolaires. Dans ce même groupe on retrouve des difficultés à se lever le matin, des rêves à répétition, des problèmes familiaux de sommeil ; b) 37,6 % sont des « mauvais dormeurs occasionnels », c’est-à-dire présentant des insomnies passagères. Là aussi on retrouve une prédominance de filles. La très grande majorité d’entre eux ignorent les raisons de leurs troubles, c’est-à-dire qu’ils ne se considèrent pas comme ayant des difficultés physiques ou psychologiques particulières (V. Price et coll., 1978).

1° Les insomnies. – Nous pouvons cliniquement distinguer trois types d’insomnie : 1) les « pseudo-insomnies » ou le rythme veille-sommeil est décalé volontairement par l’adolescent : l’endormissement est très tardif, mais la durée de sommeil conservée ou récupérée les jours de repos ; 2) les « insomnies vraies » de l’adolescent avec difficultés d’endormissement et réveils nocturnes. La durée de sommeil est diminuée et l’adolescent se plaint de ne pas pouvoir dormir comme il le souhaite. Les facteurs psychologiques sont ici prévalents, le plus souvent liés à une anxiété excessive associée ou non à des éléments dépressifs. Il s’agit le plus souvent d’adolescent chez lesquels les conduites phobiques ou phobo-obsession-nelles sont aisément retrouvées ; 3) les insomnies secondaires à l’utilisation abusive de drogues psychotropes, d’alcool ou de tabac liée à la relative fréquence de ce type de conduite à cet âge (A. Braconnier, 1981).

Signalons de plus les insomnies totales caractérisées par des « nuits blanches ». Nous retrouvons fréquemment ce phénomène dans les quelques jours qui précèdent l’éclosion des psychoses délirantes aiguës.

2° Conduites pathologiques au cours du sommeil : les parasomnies.

— Beaucoup moins fréquentes qu’au cours de l’enfance, les parasomnies apparaissant, réapparaissant ou persistant au cours de l’adolescence, traduisent généralement une difficulté psychopathologique plus sérieuse qu’’ antérieurement.

Le somnambulisme (somniloquie, bruxisme) se retrouve volontiers chez des adolescents présentant des troubles névrotiques ; les terreurs nocturnes se voient chez les adolescents avec une fragilité des mécanismes de défense du Moi et où une menace d’effondrement psychotique est à craindre. Quant à l’énurésie nocturne, elle peut elle aussi persister à l’adolescence. Il s’agit le plus souvent d’une énurésie primaire. Un caractère familial est fréquemment retrouvé, mais une « immaturité affective » ou une psychopathie caractérise volontiers ces adolescents énurétiques. Il faut noter que cette énurésie disparaît volontiers à l’occasion des premiers rapports sexuels.

3° Les hypersomnies. – Une hypersomnie d’origine organique est rare. Il faut la rechercher chez un adolescent fatigué qui se plaint de trop dormir :

— La narcolepsie débute essentiellement entre 15 et 25 ans.

— Le syndrome de Kleine Levin se caractérise aussi par sa survenue à l’adolescence (Cf. Abrégé de Psychopathologie de l’enfant, p. 85).

Cependant le plus souvent les hypersomnies à l’adolescence sont psychogènes. Elles témoignent volontiers d’un état dépressif latent dont il faut rechercher d’autres manifestations significatives.

C. – Hypothèses étiologiques

Sans oublier les causes médicales rares dans l’ensemble, les troubles du sommeil de l’adolescent sont dominés par trois étiologies possibles : 1) les troubles liés au rythme de vie bouleversé à cet âge ; 2) les causes liées à l’absorption d’une drogue psychostimulante ; 3) les facteurs psychoaffectifs et relationnels qui, comme chez le nourrisson prennent volontiers un aspect psychosomatique (cf. Troubles alimentaires).

D. – Éléments de réflexion psychopathologique

L’endormissement est un moment délicat et fragile à l’adolescence. Cette fragilité provient de la résurgence des différents moyens qu’a utilisé l’enfant au cours de son développement pour lutter contre l’angoisse qui s’installe au moment du coucher : objet transitionnel ou équivalent, rites, phobies et attitudes contraphobiques, activités auto-érotiques. Par exemple la musique si souvent écoutée par l’adolescent avant de s’endormir, renvoie à ce que Winnicott a décrit comme phénomène et aire transitionnels. Des activités orales (cigarettes, boissons), une masturbation ou des rêveries érotiques, sont également fréquentes dans la période de pré-endormissement. Leur retentissement est double : fonction de détente et fonction de restauration narcissique préparant la plongée dans le sommeil, assimilé souvent à une période régressive et de repli narcissique. Nous devons en effet insister plus particulièrement sur la place de la régression, déjà évoquée. Le sommeil est par excellence un moment de régression, mais cette régression peut faire craindre à l’adolescent une perte de la maîtrise sur son monde fantasmatique et pulsionnel surgissant dans les rêves et les cauchemars, et même une perte de son intégrité narcissique. Dans le cas des insomnies nous rencontrons alors des adolescents qui, comme le jeune enfant, ne peuvent s’endormir seuls dans un studio ou un appartement ou qui luttent par des moyens endogènes ou exogènes (café, tabac, musique, drogue) pour ne pas rentrer dans cet abîme d’incertitude et de menace que représentent le sommeil et la vie onirique.

Dans le cas des hypersomnies, le sommeil prendra au contraire une fonction de refuge vis-à-vis de toutes les difficultés de leur vie de veille. Ces adolescents passent de longues heures de la journée ou de la nuit, parfois somnolents, parfois dormant profondément dans un état de retrait narcissique, d’où la note dépressive n’est jamais totalement absente.

Comme toujours chez l’adolescent ces deux mouvements pourront alterner à des rythmes de plus en plus rapides.

E. – Traitements

Comme chez l’enfant, le traitement est essentiellement préventif : assurer une bonne hygiène de sommeil dès la petite enfance, assurer un équilibre psychoaffectif et relationnel le moins mouvementé possible.

Les traitements médicamenteux sont toujours l’aveu d’un échec. Ils doivent être utilisés avec encore plus de précautions à cet âge qu’au cours de l’enfance en raison de risque d’automédication et de l’engagement dans un cycle pharmacothymique dont on connaît le risque de chronicité. Les anxiolytiques ou des produits tels que l’aspartate d’arginine restent pour le moment les produits les moins nocifs. Rappelons qu’il est important à cet âge de ne pas « tuer le rêve » par des médicaments amputant la phase de sommeil paradoxal.

Evidemment face à tout trouble de sommeil, une évaluation psychopathologique doit être envisagée : elle peut déboucher sur une approche psychothérapique de brève ou de longue durée.

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