Préface de l’édition originale

Écoute, petit homme ! n’est pas un document scientifique mais un document humain. Il a été rédigé en été 1945 pour les archives de l’Orgone Institute et n’était pas destiné à être publié. Il est l’aboutissement de tempêtes et luttes intérieures d’un homme de science et d’un médecin qui a observé pendant des décennies, d’abord en spectateur naïf, puis avec étonnement et enfin avec horreur, ce que l’homme de la rue s’inflige à lui-même, comment il souffre et se révolte, comment il admire ses ennemis et assassine ses amis ; comment – au moment même où il accède au pouvoir en assumant la fonction de représentant du peuple – il abuse de sa puissance et la rend pire que celle dont auparavant il avait à souffrir de la part de certains sadiques des classes supérieures.

Ces propos adressés au « petit homme » sont la réplique silencieuse au commérage et à la calomnie. Au moment où cette réplique fut rédigée, personne n’avait l’idée que des autorités gouvernementales qui devaient protéger la santé en collaboration avec les politiciens et les psychanalystes, allaient attaquer la recherche de « l’orgone » (je dis bien qu’elle a essayé de l’étouffer par la calomnie et non de prouver qu’elle était déraisonnable). Or, c’est de la recherche sur l’orgone que dépendent pour une large part la vie et la santé de l’homme. Voilà qui justifie la publication de ces « propos », à titre de document historique. Il a semblé nécessaire que l’homme de la rue apprenne ce qui se passe dans un laboratoire de recherche, qu’il sache ce qu’il représente aux yeux d’un psychiatre expérimenté. L’homme de la rue doit prendre contact avec la réalité qui est seule capable de contrecarrer sa nostalgie pernicieuse de l’autorité. Il faut lui faire savoir quelle responsabilité il assume, qu’il travaille, qu’il aime, qu’il haïsse ou qu’il se livre aux commérages. Il doit savoir comment il peut devenir un fasciste rouge ou noir. Quiconque lutte pour la sauvegarde de la vie et la protection de nos enfants doit être un adversaire du fascisme rouge et noir. Non pas parce que le fascisme rouge est aujourd’hui une idéologie assassine, comme l’était naguère le fascisme noir, mais parce qu’il fait d’enfants pleins de vie et bien portants des infirmes, des robots, des idiots moraux ; parce que pour lui l’état passe avant le droit, le mensonge avant la vérité, la guerre avant la vie ; parce que l’enfant, la sauvegarde de l’être naissant sont le seul espoir ! Il n’existe qu’une seule instance envers laquelle l’éducateur et le médecin se doivent d’être loyaux, c’est la vie dans l’enfant et dans le malade ! Si l’on s’en tient strictement à cette loyauté, les grands problèmes de « politique étrangère » trouveront facilement une solution.

Ces « propos » n’ont pas la prétention de servir de schéma d’existence à qui que ce soit. Ils relatent des tempêtes dans la vie émotionnelle d’un individu productif et heureux. Ils ne se proposent pas de convaincre ou de convertir. Ils décrivent une expérience comme le peintre décrit un orage. Le lecteur n’est pas obligé d’y adhérer, ou de montrer son enthousiasme. Il peut les lire ou y renoncer.

Ils ne contiennent ni profession d’intentions ni programmes. Ils réclament simplement pour le chercheur et le penseur le droit d’avoir des réactions personnelles, ce droit qu’on ne refuse ni au poète ni au philosophe. Ils s’insurgent contre la prétention cachée et méconnue de la peste émotionnelle de décocher, à partir d’une embuscade bien protégée, des flèches empoisonnées au chercheur penché sur son travail. Ils dévoilent la nature de la peste émotionnelle, ses manières d’agir et de retarder tout progrès. Ils proclament la confiance dans les immenses trésors inexploités qui se cachent au fond de la « nature humaine » et qui ne demandent qu’à combler les espoirs des hommes.

Dans ses relations sociales et humaines, la vie est ingénue et aimable, et par là même menacée dans les conditions actuelles. Elle part de l’idée que le compagnon observe les lois de la vie, qu’il est aussi aimable, serviable et généreux. Tant que sévira la peste émotionnelle, l’attitude fondamentalement naturelle, que ce soit celle de l’enfant bien portant ou celle de l’homme primitif, se révèle comme la plus grande menace dans la lutte pour un ordre de vie rationnel. Car l’individu pestiféré attribue à ses semblables également les traits de sa propre manière de penser et d’agir. L’individu aimable s’imagine que tout le monde est aimable et agit en conséquence. Le pestiféré croit que tous les hommes mentent, trompent, trahissent et convoitent le pouvoir. Il va sans dire que, dans ces conditions, la vie est désavantagée et menacée. Quand elle se montre généreuse pour le pestiféré, elle est vidée de tout son sang, puis tournée en dérision ou trahie ; quand elle fait confiance, elle est dupée.

Il en a toujours été ainsi. Il est grand temps que la vie se durcisse là où la dureté est indispensable à la lutte pour sa sauvegarde et son développement ; en agissant ainsi, elle ne perdra pas sa bonté, à condition de s’en tenir courageusement à la vérité. Ce qui nourrit notre espoir c’est le fait qu’on trouve, parmi des millions d’individus actifs et honnêtes, seulement une poignée de pestiférés qui provoquent des malheurs sans nom en faisant appel aux impulsions ténébreuses et dangereuses de l’individu cuirassé, nivelé dans la masse, et en le poussant à l’assassinat politique organisé. Il n’y a qu’un seul remède contre les germes de la peste émotionnelle dans l’individu nivelé dans la masse : sa propre perception de la vie agissante. La vie ne réclame pas le pouvoir, mais le droit de remplir la tâche qui lui est dévolue dans l’existence humaine. Elle se fonde sur trois piliers qui ont pour nom amour, travail, connaissance.

Quiconque se propose de protéger la vie contre les atteintes de la peste émotionnelle doit apprendre à se servir, pour le bien, de la liberté de parole dont nous jouissons aux États-Unis et dont la peste émotionnelle abuse pour le mal. Quand la liberté d’expression est assurée à tous, l’ordre rationnel finit par l’emporter. Et cet espoir n’est pas négligeable !