11. L’aide aux parents normaux (1944)

Si vous m’avez lu jusqu’ici, vous aurez remarqué que j’ai essayé de dire quelque chose de positif. Je n’ai pas indiqué comment on peut surmonter les difficultés, ni ce qu’on devrait faire lorsque des enfants manifestent des signes d’angoisse ou lorsque les parents se disputent devant eux, mais j’ai essayé de venir en aide aux instincts sains des parents normaux, ceux qui sont susceptibles de fonder et de faire vivre une famille avec des enfants normalement sains. Il y a beaucoup plus à dire, mais ceci est un premier pas.

On peut se poser la question de savoir pourquoi se donner la peine de s’adresser à des gens qui font bien. Les parents qui traversent des difficultés n’ont-ils pas un grand besoin d’être aidés ? Eh bien, j’essaie de ne pas me laisser submerger par le fait qu’une grande misère existe sans aucun doute, même ici en Angleterre, à Londres, dans le quartier aux environs immédiats de l’hôpital où je travaille. Je ne connais cette misère que trop bien, ainsi que l’angoisse et la dépression qui prévalent. Mes espoirs, toutefois, reposent sur les familles saines et équilibrées que je vois également se fonder autour de moi, les familles qui forment la seule base pour l’équilibre de notre société durant les vingt années à venir.

On peut aussi se demander pourquoi je m’intéresse aux familles normales, en bonne santé, que j’affirme exister et sur lesquelles mes espoirs reposent. Ne peuvent-elles pas se débrouiller elles-mêmes ? Eh bien, j’ai une très bonne raison d’apporter une aide active dans ce cas et la voici : il existe des tendances à la destruction de ces bonnes choses. Il n’est aucunement sage de croire que ce qui est bon est à l’abri d’attaques. Il serait plutôt vrai de dire que le meilleur doit toujours être défendu s’il doit survivre à sa découverte. La haine de ce qui est bon existe toujours, ainsi que la peur. Elles sont principalement inconscientes et elles peuvent se manifester sous forme d’interventions, de règlements mesquins, de restrictions légales et toutes sortes de stupidités.

Je ne veux pas dire que les parents soient dirigés ou gênés par la politique officielle. L’État, en Angleterre, s’efforce de laisser les parents libres de choisir. Ils peuvent accepter ou refuser ce qu’il offre. Naturellement, les naissances et les décès doivent être déclarés, certaines maladies infectieuses doivent être obligatoirement signalées et les enfants doivent fréquenter l’école entre cinq et quinze ans. On peut forcer les garçons et les filles qui s’écartent des lois à obéir, ainsi que leurs parents. L’État, toutefois, fournit un très grand nombre de services que les parents peuvent utiliser ou refuser. Pour n’en mentionner que quelques-uns, nous avons les écoles maternelles, la vaccination contre la variole et la diphtérie, les centres d’observation pré-natale et les consultations de nourrissons, l’huile de foie de morue et les jus de fruits, les soins dentaires, le lait bon marché pour les bébés et celui qui est offert dans les écoles aux enfants plus âgés. Tout cela est disponible, mais pas obligatoire, ce qui laisse à penser que, de nos jours, l’État en Angleterre reconnaît vraiment qu’une bonne mère est le véritable juge de ce qui est bon pour son enfant, pourvu qu’elle soit informée des faits et éduquée quant aux besoins.

L’ennui est que ceux qui administrent réellement ces services publics n’ont pas tous confiance dans l’aptitude de la mère à mieux comprendre son enfant que quelqu’un d’autre. Médecins et infirmières sont souvent si impressionnés par l’ignorance et la stupidité de certains parents qu’ils ne peuvent admettre la sagesse des autres. Peut-être le manque de confiance dans les mères, que l’on observe si souvent, vient-il aussi de leurs études spécialisées. Ils acquièrent de solides connaissances sur le corps, qu’il soit malade ou en bonne santé, mais ils ne sont pas nécessairement qualifiés pour comprendre toute la tâche des parents. Lorsqu’une mère rechigne devant leurs conseils avisés, ils n’ont que trop tendance à penser qu’elle fait cela par esprit de contradiction, alors qu’elle sait réellement que son bébé souffrirait d’être envoyé à l’hôpital au moment du sevrage, que son garçon devrait être capable de mieux comprendre le monde avant qu’on ne l’emmène à l’hôpital pour être circoncis, ou que sa fille, à cause de son extrême nervosité, est vraiment réfractaire aux piqûres et aux vaccinations (sauf s’il y a réellement une épidémie).

Que peut faire une mère qui s’inquiète de la décision du médecin d’opérer son enfant des amygdales ? Le docteur connaît certainement bien cette question. Souvent, cependant, il ne fait pas sentir à la mère qu’il comprend réellement combien il est grave d’emmener un enfant qui a l’impression de bien se porter et de l’opérer sans pouvoir lui expliquer de quoi il s’agit parce qu’il est trop jeune. La mère ne peut que se raccrocher à son sentiment qu’il faut, si possible, éviter une telle éventualité. Si elle croit réellement dans son instinct, parce qu’elle est au fait du problème de la personnalité en évolution de son enfant, elle peut faire part de son point de vue au médecin et jouer son rôle dans la prise de décision. Un médecin qui respecte les connaissances spécialisées des parents gagne facilement le respect pour ses propres connaissances spécialisées.

Les parents savent bien que leurs petits enfants ont besoin d’un environnement simplifié et qu’ils ont besoin de cet environnement simplifié jusqu’à ce qu’ils soient capables de comprendre la signification des complications et capables, par conséquent, de les admettre. Vient un temps où le fils peut se faire enlever les amygdales, si elles ont vraiment besoin d’être enlevées, sans que cela nuise au développement de sa personnalité. Il peut même trouver de l’intérêt à être hospitalisé et retirer du plaisir de cette expérience. Cela peut lui permettre de progresser du fait d’avoir, pour ainsi dire, sauté un obstacle. Ce moment, toutefois, dépend de la nature de l’enfant et pas seulement de son âge et c’est seulement une personne aussi proche de lui que sa mère qui peut juger, bien qu’il soit certain qu’un médecin puisse l’aider à prendre une décision.

En vérité, dans sa politique d’éducation des parents, l’État est sage de ne pas les forcer. Le pas suivant est l’éducation de ceux qui administrent les services publics et l’affermissement de leur respect pour les sentiments et le savoir instinctif de la mère normale pour ce qui concerne ses propres enfants. À cet égard, c’est une spécialiste et si elle n’a pas un respect excessif de la voix de l’autorité, on s’apercevra qu’elle sait bien ce qui est bon et ce qui est mauvais en matière d’éducation.

Tout ce qui n’apporte pas un soutien spécifique à l’idée que les parents sont des personnes responsables sera, à long terme, dangereux pour le cœur même de la société.

Ce qui est important, c’est que la vie d’un individu qui se transforme de bébé en enfant, puis d’enfant en adolescent, ait pour cadre une famille qui existe d’une façon continue et qui se considère capable de résoudre ses problèmes localisés, les problèmes du monde en miniature. En miniature, oui…, mais pas plus petits en ce qui concerne l’intensité des sentiments et la richesse de l’expérience, plus petits seulement dans le sens relativement peu important de complexité quantitative.

Si ce que j’ai écrit ne faisait rien de plus que de stimuler d’autres personnes à faire mieux ce que je fais, à aider les gens normaux et à leur donner les raisons justes et réelles de leurs bons sentiments instinctuels, cela suffirait pour me satisfaire. Nous, médecins et infirmières, faisons tout ce que nous pouvons pour celui qui est malade dans son corps aussi bien que dans son esprit et nous laissons l’État faire tout ce qu’il peut pour ceux qui, pour une raison ou une autre, sont dans l’embarras et ont besoin de soins et de protection. Mais n’oublions pas qu’il existe heureusement des hommes et des femmes normaux, surtout parmi les moins évolués de la communauté, des gens qui n’ont pas peur des sentiments et dont nous ne devons pas craindre les sentiments. Pour tirer le meilleur des parents, nous devons leur laisser l’entière responsabilité de ce qui les regarde vraiment, l’éducation de leurs propres enfants.