8. Objets transitionnels et phénomènes transitionnels 43 (1951)

Une étude de la première possession44 non-moi45

Introduction

Il est bien connu que les nouveau-nés sont enclins à utiliser dès leur naissance le poing, les doigts, les pouces, pour stimuler la zone orale érogène, pour satisfaire les pulsions orales et aussi tout simplement pour les sucer, car ils trouvent la quiétude dans cette association de la bouche et des doigts. On sait également que quelques mois plus tard, les nourrissons garçons ou filles, prennent plaisir à jouer avec des poupées ; la plupart des mères mettent d’ailleurs à leur disposition un objet particulier, escomptant que l’enfant s’y attachera de façon habituelle et tyrannique.

Il y a une relation entre ces deux ordres de phénomènes qui sont séparés par un intervalle de temps ; le passage de l’un à l’autre peut être étudié avec profit en utilisant un matériel clinique important qui a été quelque peu négligé jusqu’à présent.

La première possession

Ceux qui connaissent bien tout ce qui intéresse et préoccupe les mères n’ignorent pas les schèmes de comportement très riches que présentent ordinairement les nourrissons lorsqu’ils font usage de leur première possession « non-moi ». Ces schèmes, qui sont ainsi manifestés, peuvent faire l’objet d’une observation directe.

On trouvera une grande diversité dans la suite des faits qui va des activités du nouveau-né mettant les doigts à la bouche jusqu’à l’attachement à un jouet en peluche, à une poupée ou à un jouet doux, ou bien à un jouet dur46.

Il est évident qu’il y a là quelque chose d’important, qui n’est pas de l’excitation et de la satisfaction orales, encore que tout le reste en découle probablement.

Un grand nombre d’autres choses méritent de faire l’objet d’une étude ; entre autres :

  • La nature de l’objet.
  • La capacité du nourrisson de reconnaître l’objet comme étant « non-moi ».
  • La place de l’objet à l’extérieur, à l’intérieur, ou à la limite entre les deux.
  • L’aptitude de l’enfant à créer, à réfléchir, à imaginer, à inventer, à faire naître, à produire un objet.
  • L’instauration de relations objectales du type affectueux.

J’ai introduit les expressions « objet transitionnel » et « phénomène transitionnel » pour désigner la zone d’expérience qui est intermédiaire entre le pouce et l’ours en peluche, entre l’érotisme oral et la relation objectale vraie, entre l’activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance primaire de la dette et la reconnaissance de cette dette (« dis : merci ! »).

Selon cette définition, il faut situer dans cette zone intermédiaire au titre de phénomènes transitionnels le babil d’un nourrisson ou la façon dont un enfant plus âgé passe en revue son répertoire de mélodies et de chansons avant de s’endormir : il en est de même de l’usage d’objets qui ne font pas partie du corps du nourrisson et qu’il ne reconnaît pourtant pas encore complètement comme appartenant à la réalité extérieure.

Il est généralement admis qu’une définition de la nature humaine présentée en fonction des relations interpersonnelles est incomplète, même si l’on tient compte de l’élaboration imaginaire de la fonction, de tout l’ensemble des fantasmes à la fois conscients et inconscients, l’inconscient refoulé y compris. Les recherches de ces vingt dernières années nous permettent de décrire les personnes d’une autre manière : on peut dire que pour tout individu qui a atteint le stade de l’unité (avec une membrane qui l’enclot et délimite un intérieur et un extérieur), il existe une réalité intérieure – un monde intérieur riche ou pauvre, en paix ou en conflit.

Je soutiens que si cette double formulation se révèle nécessaire, il est tout aussi indispensable d’y ajouter un autre élément ; car il existe une partie de la vie d’un être humain que nous ne pouvons négliger, la troisième partie qui constitue une zone intermédiaire où la réalité intérieure et la vie extérieure contribuent l’une et l’autre au vécu. C’est une zone qui n’est pas disputée, car on n’en exige rien ; il suffit qu’elle existe comme lieu de repos pour l’individu engagé dans cette tâche humaine incessante qui consiste à maintenir la réalité intérieure et la réalité extérieure distinctes, et néanmoins étroitement en relation.

Il est courant de se référer à la « mise à l’épreuve de la réalité » et de faire une distinction nette entre l’aperception et la perception.

Je me hasarde à avancer qu’il existe un état intermédiaire entre l’inaptitude du petit enfant à reconnaître et à accepter la réalité et son aptitude croissante à le faire. Ce que j’étudie ici c’est donc l’essence de l’illusion, celle qui est permise au petit enfant et qui est propre à l’art et à la religion dans la vie d’adulte. Nous pouvons partager un respect pour une expérience illusoire, et si nous le désirons nous pouvons nous rassembler pour former un groupe sur la base de l’analogie de nos expériences illusoires. Bien des groupes d’êtres humains reposent sur cette base naturelle. Et pourtant si un adulte exige trop de la crédulité des autres, en les obligeant à admettre qu’ils partagent une illusion qui n’est vraiment pas la leur, c’est un signe de folie.

On comprendra, je l’espère, que je ne m’occupe pas exactement de l’ours en peluche du petit enfant, ni de sa première façon de se servir de son poing (de son pouce, de ses doigts), que mon but n’est pas l’étude spécifique du premier objet des relations objectales, mais que je m’intéresse à la première possession et à la zone intermédiaire qui sépare le subjectif de ce qui est perçu objectivement.

Développement d’un schème personnel

On trouve dans la littérature psychanalytique de nombreuses références au progrès (on passe du stade de « la main à la bouche » à celui de « la main aux organes sexuels »), mais le progrès qui aboutit au maniement des objets vraiment « non-moi » est peut-être plus rarement mentionné. Tôt ou tard dans le développement de l’enfant, il apparaît chez celui-ci une tendance à entremêler au schème personnel des objets « autres-que-moi ». Dans une certaine mesure, ces objets représentent le sein maternel, mais là n’est pas le but essentiel de notre étude.

Certains enfants mettent le pouce dans la bouche tandis que les doigts caressent le visage grâce aux mouvements de pronation et de supination de l’avant-bras. La bouche joue alors un rôle actif par rapport au pouce, mais pas par rapport aux doigts. Les doigts qui caressent la lèvre supérieure ou quelque autre partie du visage peuvent être, ou devenir, plus importants que le pouce qui occupe la bouche. De plus, on peut trouver cette activité de caresse isolée, sans que le pouce et la bouche soient unis dans un contact direct (Freud, 1905, Hoffer, 1949).

Il arrive couramment qu’à une expérience auto-érotique (sucer le pouce par exemple) s’ajoute une autre activité, ainsi :

  1. Avec l’autre main, le petit enfant prend un objet externe, disons un bout de drap ou de la couverture et le met dans la bouche avec les doigts ; ou bien :
  2. d’une façon ou d’une autre, le bout de tissu47 est tenu et sucé, ou n’est pas réellement sucé. Les objets utilisés naturellement sont les couches et (plus tard) les mouchoirs ; cela dépend de ce qui est à la portée de l’enfant et de ce qu’il est sûr d’avoir ; ou bien :
  3. l’enfant commence dès les premiers mois à éplucher la laine et à l’utiliser pour la partie « caresse » de cette activité48. Il est moins courant de le voir avaler la laine, ce qui crée même des ennuis ; ou bien :
  4. il a des activités buccales accompagnées de sons tels que « mama mame », il babille49, émet des sons putt putt, les premières notes musicales, etc.

On peut supposer que penser ou fantasmer se rattache à ces expériences fonctionnelles.

C’est tout cela que je désigne sous le terme de phénomènes transitionnels. Pour un enfant donné, il se peut que, de cet ensemble, il se dégage une chose ou un phénomène qui prend une importance primordiale – que ce soit une poignée de laine ou le coin d’une couverture ou d’un édredon, un mot, une mélodie ou encore un geste habituel. Il l’utilise au moment de s’endormir : c’est une défense contre l’angoisse et plus particulièrement l’angoisse du type dépressif (Illingworth, 1951). Il se peut que le petit enfant ait trouvé un objet doux ou sa couverture à utiliser, ce qui devient alors ce que j’appelle un objet transitionnel. Cet objet continue à être important. Les parents en apprennent la valeur et l’emmènent dans les déplacements. La mère le laisse devenir sale et même malodorant parce qu’elle sait qu’en le lavant elle suscite une solution de continuité dans l’expérience du petit enfant, ce qui peut détruire la signification et la valeur de l’objet pour l’enfant.

A mon avis, le schème des phénomènes transitionnels apparaît vers 4, 6, 8, 12 mois. C’est à dessein que je laisse place à des écarts aussi larges.

Les schèmes établis dans les premiers mois de la vie peuvent persister plus tard dans l’enfance, de sorte que l’objet mou primitif continue à être absolument nécessaire à l’heure du coucher ou à des périodes de solitude, ou encore s’il y a risque d’un état dépressif. Mais pourtant, si le développement est normal, la gamme des sujets d’intérêt s’étend peu à peu et, finalement, cette gamme ainsi étendue se maintient même lorsqu’une angoisse dépressive est proche.

On peut voir réapparaître à un âge plus avancé, s’il y a risque de carence affective, ce besoin du jeune âge ressenti à l’égard d’un objet particulier ou d’un certain schème de comportement.

La première possession est utilisée conjointement à des techniques particulières qui proviennent de la toute petite enfance ; ces techniques comprennent les activités plus directement autoérotiques, mais elles peuvent aussi exister isolément. Petit à petit, les jouets en peluche, les poupées et les jouets durs sont intégrés à la vie de l’enfant. Dans une certaine mesure, le goût des garçons les porte davantage vers les jouets durs, tandis que les filles procéderont plutôt à l’acquisition d’une famille. Il est important de remarquer toutefois qu’il n’y a pas de différence notable entre garçon et fille dans l’usage qu’ils font de la première possession « non-moi », que j’appelle l’objet transitionnel.

A mesure que l’enfant utilise des sons organisés (marne, ta, da), il peut apparaître un « mot » pour désigner l’objet transitionnel. Le nom donné par le petit enfant à ces tout premiers objets est toujours significatif et il s’y incorpore habituellement en partie un mot employé par les adultes. Par exemple, s’il l’appelle « bé », cela viendra de ce que l’adulte emploie le mot « bébé », ou « pé », pour poupée.

Il me faut mentionner le fait qu’il n’existe parfois pas d’objet transitionnel si ce n’est la mère elle-même. Ou bien il se peut que le développement affectif d’un enfant soit si perturbé qu’il ne lui permette pas de jouir du stade transitionnel, ou encore qu’il se produise une rupture dans la succession des objets utilisés. Néanmoins, cette continuité peut persister sans être apparente.

Tableau des particularités de la relation

  1. L’enfant s’arroge des droits sur l’objet et nous sommes d’accord pour cette prise de possession. Néanmoins, dès le début, on note une certaine annulation de la toute-puissance.
  2. L’objet est affectueusement dorloté, il est aussi aimé avec passion et mutilé.
  3. L’objet ne doit jamais changer à moins que ce soit l’enfant qui le modifie.
  4. L’objet doit survivre à l’amour instinctuel et aussi à la haine, et, si c’est le cas, à l’agressivité pure.
  5. Pourtant, il faut que pour l’enfant l’objet paraisse donner de la chaleur, ou être capable de mouvement, ou avoir une certaine texture, ou pouvoir faire quelque chose qui semblerait montrer une animation ou une réalité qui lui serait propre.
  6. De notre point de vue, l’objet vient de l’extérieur, mais il n’en est pas de même du point de vue de l’enfant. Pour lui, il ne vient pas non plus du dedans ; ce n’est pas une hallucination.
  7. Cet objet est voué au désinvestissement progressif, de sorte qu’avec les années, il n’est pas tant oublié que relégué dans les limbes. J’entends par là qu’au cours du développement normal l’objet transitionnel n’entre pas « à l’intérieur » et que le sentiment qui s’y rapporte n’est pas nécessairement refoulé. Il n’est pas oublié, et on ne porte pas son deuil. Il perd sa signification, et ce, parce que les phénomènes transitionnels sont devenus diffus, se sont répandus sur tout le territoire intermédiaire qui sépare « la réalité psychique intérieure » du « monde extérieur dans la perception commune à deux personnes », c’est-à-dire qu’ils recouvrent tout le domaine de la culture.

Parvenu à ce point, le sujet de mon étude s’élargit et débouche sur le jeu, la création artistique et l’appréciation des arts, le sentiment religieux, le rêve et aussi le fétichisme, le mensonge et le vol, la naissance et la perte de tout sentiment affectueux, la toxicomanie, le talisman des rites obsessionnels, etc.

Rapport entre l’objet transitionnel et le symbolisme

Il est exact que le coin de couverture (ou toute autre chose de cet ordre) est le symbole d’un quelconque objet partiel tel que le sein maternel. Néanmoins, l’intérêt ne réside pas tant dans la valeur symbolique que dans sa réalité actuelle. Le fait que ce n’est pas le sein (ou la mère) est tout aussi important que le fait qu’il représente le sein (ou la mère).

Lorsqu’il en vient à utiliser le symbolisme, l’enfant sait déjà faire clairement la distinction entre le fantasme et la réalité, entre les objets intérieurs et les objets extérieurs, entre l’activité créatrice primaire et la perception. Mais le terme d’objet transitionnel, selon mon acception, laisse place au processus aboutissant à l’aptitude à accepter les différences et les similitudes. J’estime qu’il serait utile de disposer d’un terme pour décrire l’origine du symbolisme dans le temps, d’un terme qui évoquerait le chemin parcouru par l’enfant lorsqu’il passe du subjectif pur à l’objectivité, et il me semble que l’objet transitionnel (le bout de couverture, etc.) est justement ce que nous voyons de ce cheminement vers l’existence vécue.

Il serait possible de comprendre l’objet transitionnel tout en ne comprenant pas pleinement la nature du symbolisme. Le symbolisme ne peut être étudié correctement, semble-t-il, qu’au cours du processus de développement d’un individu, mais sa signification en mettant les choses au mieux reste variable. Par exemple, si nous considérons l’hostie du Saint-Sacrement, qui est le symbole du corps du Christ, je pense ne pas me tromper en disant que pour les Catholiques romains, c’est le corps et que pour les Protestants, il s’agit d’un substitut, d’un rappel ; ce n’est pas en fait, dans son essence, le corps lui-même. Pourtant, dans les deux cas, l’hostie est un symbole.

Une schizophrène m’a demandé après Noël si j’avais pris plaisir à la manger au souper et : est-ce que je l’avais réellement mangée ou ne l’avais-je fait qu’en imagination ? Je savais qu’elle ne pouvait être satisfaite d’une réponse à l’une ou à l’autre question ; il lui fallait une double réponse en raison de sa dissociation.

Description clinique d’un objet transitionnel

Tous ceux qui sont en contact avec parents et enfants connaissent une infinie quantité de matériel clinique varié qui illustre l’objet transitionnel50. Les exemples qui suivent ne sont donnés que pour rappeler aux lecteurs des observations analogues qu’ils ont pu faire de leur côté.

Cas de deux frères et différence de l’utilisation de leurs premières possessions

L’objet transitionnel et son utilisation dévoyée. « X », un adulte qui est maintenant bien portant, a éprouvé beaucoup de difficulté avant de parvenir à la maturité. La mère « a appris à être mère » en s’occupant de « X », quand il était petit ; ce qu’elle avait appris avec lui, lui a permis d’éviter certaines erreurs avec ses autres enfants. Il faut dire aussi que des raisons extérieures l’avaient rendue anxieuse lorsqu’elle s’était occupée de l’élever quasiment seule dès sa naissance. Elle prit très au sérieux son rôle de mère et le nourrit au sein pendant sept mois. Elle a le sentiment que, dans son cas, ce fut trop long, car le sevrage a été très difficile. Il n’a jamais sucé le pouce ou les doigts, et quand elle l’a sevré « il n’avait rien à quoi se raccrocher ». Il n’avait jamais eu de biberon ou de sucette et n’avait jamais été nourri autrement qu’au sein. Il avait un attachement très fort et très précoce à la mère elle-même, en tant que personne, et c’était elle en personne qui lui était nécessaire.

A partir de douze mois, il adopta parmi ses jouets un lapin qu’il avait l’habitude de dorloter et il reporta par la suite cette attitude affectueuse sur de vrais lapins. Cette affection pour le jouet dura jusqu’à cinq ou six ans. On pourrait la décrire comme un « réconfort », mais ce jouet n’a jamais eu la qualité d’un véritable objet transitionnel. Ce lapin ne fut jamais, comme l’aurait été un véritable objet transitionnel, d’une importance plus grande que celle de la mère, une partie presque inséparable de l’enfant. Dans le cas de ce garçon, le sevrage à sept mois fit naître un type d’angoisses qui produisirent plus tard de l’asthme ; il ne parvint le maîtriser que petit à petit. Il était important que son travail soit éloigné de sa ville natale. Son attachement à sa mère est encore très puissant, mais malgré tout, la définition du normal ou de la bonne santé au sens large s’applique à lui. Cet homme ne s’est pas marié.

Utilisation typique des objets transitionnels. « Y », le frère cadet de « X », s’est développé tout à fait sans histoire ; il a maintenant 3 enfants, tous en bonne santé. Il a été nourri au sein pendant quatre mois, puis sevré sans difficulté51; « Y » a sucé son pouce dès les premières semaines et cela a aussi « rendu son sevrage plus facile que pour son aîné ». Peu de temps après qu’on eut cessé de le nourrir au sein, à cinq mois et jusqu’à six mois, il adopta le bord d’une couverture à l’endroit où s’arrêtait la piqûre. Il était satisfait si un petit morceau de laine dépassait du coin et il se chatouillait le nez avec. Très vite, ceci est devenu son « bê », il a inventé lui-même ce mot pour le désigner dès qu’il a pu utiliser des sons organisés. A un an environ, il a pu substituer à la couverture un maillot vert très doux avec un ruban rouge. Ce n’était pas un « moyen de réconfort » comme dans le cas de son frère aîné, qui était d’humeur dépressive, mais un « calmant ». C’était un sédatif toujours efficace. Voilà un exemple typique de ce que j’appelle un « objet transitionnel ». Lorsque « Y » était petit, on était sûr qu’en lui donnant son « bê » il le sucerait immédiatement et ne serait plus angoissé. En fait, il s’endormait quelques minutes plus tard, s’il était tant soit peu l’heure de dormir. A la même époque, il continuait de sucer son pouce et cela dura jusqu’à l’âge de 3 ou 4 ans. Il se souvient encore qu’il suçait son pouce, et qu’à force de le sucer, un durillon s’était formé. C’est en qualité de père qu’il s’intéresse maintenant à ce que ses enfants sucent leur pouce et aient un « bê ».

Le tableau ci-dessous fait apparaître des points de comparaison tirés de l’histoire des sept enfants de cette famille.

 

Pouce

Objet transitionnel

Type d’enfant

X garçon

0

mère lapin

(réconfortant)

fixé à la mère

Y –

+

« bê »

tricot (calmant)

libre

jumeaux

fille

garçon

0

sucette

âne (ami)

maturité tardive

0

« Ee »

Ee (protecteur)

psychopathe latent

Enfants de Y

 

fille

0

« Bê »

couverture (rassurance)

se

développent

bien

fille

+

pouce

pouce (satisfaction)

garçon

+

« mimis » (1)

objets (tri)

(1) Collections de nombreux objets analogues de consistance douce qui se distinguent par leur couleur, leur longueur, leur taille et sont soumis très tôt à un tri et à une classification.

Au cours d’une consultation avec les parents, il est souvent utile d’obtenir des renseignements sur les premières possessions de tous les enfants de la famille et sur l’usage qu’ils en ont fait. La mère est ainsi amenée à faire des comparaisons entre ses enfants et à se souvenir de leurs traits caractéristiques lorsqu’ils étaient petits.

Souvent il arrive aussi qu’on obtienne des renseignements auprès d’un enfant sur les objets transitionnels. Par exemple, Angus (11 ans et 9 mois) m’a raconté que son frère « avait des centaines de jouets en peluche et de choses » et « qu’avant il avait des petits ours ». Ensuite, il se mit à raconter son histoire à lui. Il me dit qu’il n’avait jamais eu de jouets en peluche. Il y avait un cordon de sonnette qui pendait au-dessus de son lit, et il avait l’habitude de taper dedans jusqu’à ce qu’il s’endorme. Il est probable qu’à la longue le cordon tomba et que ce fut ainsi que cela se termina.

Mais il y eut pourtant quelque chose d’autre. Il le dit très timidement. Il s’agissait d’un lapin violet aux yeux rouges ; « je ne l’aimais pas spécialement. Je le jetais partout. C’est Jeremy qui l’a maintenant. Je le lui ai donné. Je l’ai donné à Jeremy parce qu’il était méchant, le lapin : il tombait toujours de la commode. Il vient encore me voir, j’aime bien qu’il vienne me voir ». Il a été surpris lui-même lorsqu’il me dessina le lapin. On remarquera que ce garçon de 11 ans qui avait un sens de la réalité suffisant pour son âge parlait comme si le sens de la réalité lui manquait lorsqu’il décrivait les qualités et les activités de l’objet transitionnel. Lorsque je vis sa mère plus tard, elle exprima sa surprise qu’Angus se fût souvenu du lapin. Elle le reconnut facilement d’après le dessin en couleurs.

Je m’abstiens délibérément de rapporter ici d’autres observations, d’autant que je désire éviter de donner l’impression que c’est l’exception. On peut trouver pratiquement dans chaque cas quelque chose d’intéressant relatif aux phénomènes transitionnels ou à leur absence (cf. Stevenson, Olive, 1954).

Étude théorique

En se référant à la théorie psychanalytique courante, on peut faire certains commentaires.

  1. L’objet transitionnel représente le sein, ou l’objet de la première relation.
  2. L’objet transitionnel est antérieur à l’établissement de l’épreuve de la réalité.
  3. Par rapport à l’objet transitionnel, l’enfant passe d’une maîtrise omnipotente (magique) à une maîtrise par manipulation (ce qui implique un érotisme musculaire et le plaisir de la coordination).
  4. L’objet transitionnel peut éventuellement devenir un objet fétiche, et comme tel, persister chez l’adulte en tant que caractéristique de sa vie sexuelle (cf. l’exposé de ce thème par Wulff).
  5. L’objet transitionnel peut, en raison d’une organisation érotique anale, représenter les fèces (mais ce n’est pas pour cela qu’il peut sentir mauvais à la longue et ne doit pas être lavé).

Relation de l’objet transitionnel avec l’objet interne (Klein)

Il est intéressant de comparer le concept d’objet transitionnel au concept de Mélanie Klein relatif à l’objet interne. L’objet transitionnel n’est pas un objet interne (ce qui est un concept mental) – mais c’est une possession. Et cependant pour l’enfant, ce n’est pas non plus un objet externe.

Il est nécessaire d’en venir à la définition complexe suivante : l’enfant peut utiliser un objet transitionnel lorsque l’objet interne est vivant, réel et suffisamment bon (pas trop persécutoire). Mais cet objet interne dépend, quant à ses qualités, de l’existence, de l’animation et du comportement de l’objet externe (le sein, l’image maternelle, et tous les soins de l’environnement). Si l’objet externe est mauvais ou fait défaut, cela se répercute sur l’objet interne qui se fige ou prend un caractère persécutoire. Si la carence de l’objet externe persiste, l’objet interne ne peut avoir de sens pour l’enfant et c’est alors seulement que l’objet transitionnel perd aussi sa signification. L’objet transitionnel peut donc représenter le sein « externe » mais indirectement, en tenant lieu de sein « interne ».

L’objet transitionnel n’est jamais sous contrôle magique comme l’objet interne, il n’est pas non plus hors de contrôle comme l’est la vraie mère.

IllusionDésillusionnement

Pour pouvoir apporter une contribution personnelle à ce thème, il me faut d’abord expliciter certains points trop facilement considérés comme allant de soi dans bien des travaux psychanalytiques sur le développement affectif infantile, tout en étant souvent compris par ailleurs dans la pratique.

L’enfant n’a aucune possibilité de passer du principe du plaisir au principe de réalité ou de tendre à une identification primaire, ou encore moins de la dépasser (voir Freud, 1923, p. 14)52, à moins que la mère soit suffisamment bonne53. La mère suffisamment bonne (qui n’est pas nécessairement la propre mère de l’enfant) est une personne qui s’adapte sur un mode actif aux besoins de l’enfant ; cette adaptation décroît petit à petit à mesure que l’enfant devient apte à admettre un défaut d’adaptation et à tolérer les conséquences de la frustration. Naturellement, la propre mère de l’enfant est plus susceptible que toute autre personne d’être « suffisamment bonne » puisque cette adaptation active nécessite une facile et inlassable préoccupation pour cet enfant-là : en fait, la réussite des soins donnés aux enfants dépend du dévouement, et non du degré d’habileté ou des lumières intellectuelles.

La mère suffisamment bonne, comme je l’ai dit, commence par s’adapter presque totalement aux besoins de l’enfant : à mesure que le temps passe, elle s’adapte de moins en moins étroitement, suivant la capacité croissante qu’a l’enfant de s’accommoder de cette carence.

Les moyens dont dispose l’enfant pour y faire face comprennent :

  • Des expériences souvent répétées qui apprennent à l’enfant que la frustration est limitée dans le temps. Au début, naturellement, ce laps de temps doit être bref.
  • Le développement de sa capacité d’appréhender le déroulement de ces expériences.
  • La naissance d’une activité mentale.
  • Le recours aux satisfactions auto-érotiques.
  • Se remémorer, revivre, fantasmer, rêver ; intégrer le passé, le présent, le futur.

Si tout va bien, l’enfant peut effectivement tirer un bénéfice de l’expérience de la frustration, puisqu’une adaptation incomplète au besoin donne aux objets leur réalité, c’est-à-dire qu’ils sont haïs aussi bien qu’aimés. Il en résulte donc que, si tout va bien, une adaptation étroite au besoin perturbe l’enfant si elle se prolonge trop au lieu de décroître naturellement ; en effet, une adaptation exacte ressortit de la magie et l’objet qui se comporte d’une façon parfaite ne vaut pas mieux qu’une hallucination. Néanmoins, au début il est nécessaire que l’adaptation soit presque parfaite ; et s’il n’en est pas ainsi, l’enfant ne peut acquérir l’aptitude d’établir des relations avec la réalité extérieure, ou même parvenir à la concevoir.

L’illusion et la valeur de l’illusion

La mère au début, en s’adaptant presque à cent pour cent, permet à l’enfant d’avoir l’illusion que son sein fait partie de l’enfant.

C’est comme si le sein était pour ainsi dire sous contrôle magique. La même chose s’applique à tous les soins maternels en général, pendant les périodes de calme, qui s’intercalent entre les périodes l’excitation. L’omnipotence est tout près d’être un fait de l’expérience vécue. La mère aura finalement pour tâche de désillusionner l’enfant petit à petit, mais elle n’y réussira que dans la mesure où elle lui aura donné tout d’abord assez de possibilités d’illusion.

En d’autres termes, le sein est créé et recréé par l’enfant à partir de sa capacité d’aimer ou, pourrait-on dire, à partir de son besoin. Un phénomène subjectif apparaît ainsi chez l’enfant, phénomène que nous appelons le sein de la mère54. La mère place le vrai sein juste là où l’enfant est prêt à créer, au bon moment.

Dès la naissance, par conséquent, l’être humain est en butte à la question de la relation entre ce qui est perçu objectivement et ce qui est conçu sur un mode subjectif. L’individu ne pourra résoudre ce problème de façon saine que dans la mesure où sa mère l’a bien fait débuter. La zone intermédiaire à laquelle je me réfère est celle que l’on alloue à l’enfant et qui se situe entre la créativité primaire, et la perception objective basée sur l’épreuve de la réalité. Les phénomènes transitionnels représentent les premiers stades de l’usage de l’illusion sans laquelle un être humain n’attribue pas de sens à l’idée d’une relation avec un objet perçu par les autres comme extérieur à lui.

images6L’idée suivante est illustrée par la fig. 11 : parvenu à un point théorique qui se situe tôt dans le développement de tout individu, un jeune enfant, qui se trouve dans une certaine situation que la mère assure, est capable de concevoir l’idée de quelque chose qui répondrait au besoin croissant suscité par la tension instinctuelle. On ne peut pas dire de l’enfant qu’il sache au début ce qui doit être créé. C’est à ce moment-là que la mère se présente. D’ordinaire, elle donne le sein et offre son désir de nourrir. Si la mère s’adapte suffisamment bien aux besoins de l’enfant, celui-ci en tire l’illusion qu’il existe une réalité extérieure qui correspond à sa capacité personnelle de créer. En d’autres termes, ce que la mère fournit recouvre ce dont l’enfant pourrait se faire une idée.

Pour l’observateur, il semble que l’enfant perçoit ce que la mère lui présente en fait, mais ce n’est pas là toute la vérité. L’enfant perçoit le sein seulement dans la mesure où un sein a pu être créé exactement hic et nunc ; il n’y a pas d’échange entre la mère et l’enfant. Sur un plan psychologique, l’enfant tète un sein qui fait partie de lui-même et la mère allaite un enfant qui est une partie d’elle-même. En psychologie, l’idée d’échange repose sur une illusion.

Pour mieux illustrer ce que je considère être la fonction principale de l’objet transitionnel et des phénomènes transitionnels, j’ai donné une forme à la zone de l’illusion sur le deuxième schéma. L’objet transitionnel et les phénomènes transitionnels donnent au départ à chaque individu quelque chose qui restera toujours important pour lui, à savoir un domaine d’expérience vécue neutre qui ne sera pas contesté. Aussi l’on peut dire qu’à l’égard de l’objet transitionnel, il existe une entente entre nous et l’enfant : on ne lui demandera jamais « as-tu eu l’idée de telle chose ou est-ce que cela t’est venu de l’extérieur ? » Ce qui compte, c’est qu’on ne s’attend pas à ce que l’enfant prenne position ; la question ne doit même pas être formulée.

Ce problème, qui se pose sans aucun doute au petit enfant de façon latente au début, est mis de plus en plus en évidence du fait que la tâche principale de la mère (tout de suite après celle qui a consisté à favoriser l’illusion) est de désillusionner. Cette tâche est préliminaire à celle du sevrage et nous la trouverons plus tard aussi parmi celles des parents et des éducateurs. En d’autres termes, cette question de l’illusion est inhérente à la condition humaine et nul ne peut finalement la résoudre pour soi-même quoique une compréhension théorique puisse fournir une solution théorique. Si tout va bien, la scène est prête, au cours de ce processus graduel de désillusionnement, pour les frustrations que nous désignons globalement sous le terme de sevrage. Mais il faut se souvenir que lorsque nous parlons des phénomènes groupés autour du sevrage – phénomènes que Mélanie Klein a décrits avec précision – nous supposons qu’il existe ce processus sous-jacent grâce auquel sont offertes les possibilités d’illusion et de désillusionnement progressifs. Si le processus illusion-désillusionnement est déformé, l’enfant ne peut parvenir à une chose aussi normale que le sevrage, non plus qu’à une réaction au sevrage, et se référer alors au sevrage en quoi que ce soit est absurde. Le seul fait de mettre fin à l’allaitement au sein n’est pas un sevrage.

Le cas de l’enfant normal nous permet de comprendre l’énorme signification du sevrage. Lorsque nous observons la réaction complexe déclenchée chez un enfant donné par le processus du sevrage, nous savons que cela ne peut se dérouler chez cet enfant que parce que le processus d’illusion-désillusionnement est mené à bien si parfaitement que nous pouvons l’ignorer en parlant du sevrage réel.

Nous supposons ici que l’acceptation de la réalité est une tâche toujours inachevée, qu’aucun être humain n’est affranchi de l’effort que suscite la mise en rapport de la réalité intérieure et de la réalité extérieure ; enfin, que cette tension peut être relâchée grâce à l’existence d’une zone intermédiaire d’expérience qui n’est pas mise en question (les arts, la religion, etc.) (cf. Rivière, 1936) ; cette zone intermédiaire est directement en continuité avec le domaine ludique de l’enfant qui est « perdu » dans son jeu.

Dans la petite enfance, cette zone intermédiaire est nécessaire à l’instauration d’une relation entre l’enfant et le monde. Elle est rendue possible par un maternage suffisamment bon au stade primitif critique. La continuité (dans le temps) de l’environnement affectif extérieur et des éléments particuliers de l’environnement physique, tels que l’objet ou les objets transitionnels, joue à cet égard un rôle essentiel.

Pour l’enfant, les phénomènes transitionnels sont admis parce que les parents reconnaissent intuitivement la tension inhérente à la perception objective, et que là où il y a objet transitionnel, il ne lui est pas posé de question quant à la subjectivité ou à l’objectivité.

Si un adulte exigeait de nous que nous acceptions comme objectifs des phénomènes subjectifs, nous reconnaîtrions la folie ou en ferions même le diagnostic. Par contre, si un adulte peut trouver du plaisir dans une zone intermédiaire qui lui est propre sans rien exiger, nous pouvons alors reconnaître nos propres zones intermédiaires correspondantes et nous réjouir de trouver des points communs, c’est-à-dire une expérience qui coïncide dans l’art, la religion ou la philosophie, pour les membres d’un groupe.

Je désire attirer particulièrement l’attention sur l’article de Wulff, auquel je me suis référé ci-dessus : le matériel clinique donné illustre exactement ce que je désigne sous la rubrique d’objets transitionnels ou de phénomènes transitionnels. La différence entre mon point de vue et celui de Wulff apparaît dans l’usage que je fais de ces termes particuliers et dans celui qu’il fait du terme « objet fétiche ». Il a ramené à la petite enfance quelque chose qui dans notre théorie ressort habituellement des perversions sexuelles. A mon avis, il n’a pas accordé dans cet article assez d’importance à l’objet transitionnel de l’enfant en tant qu’expérience primitive normale. Personnellement, je considère pourtant que les phénomènes transitionnels sont normaux et universels. De plus si nous étendons l’emploi du terme fétiche jusqu’à lui faire recouvrir des phénomènes normaux, une partie de sa valeur sera peut-être perdue.

Je préférerais réserver le terme « fétiche » pour décrire l’objet employé en raison d’une hallucination d’un phallus maternel. J’irais même plus loin : il faut que nous gardions sa place à l’illusion d’un phallus maternel, c’est-à-dire à une idée qui est universelle et non pas pathologique. Si l’accent mis sur l’objet passe maintenant au mot illusion, nous nous rapprochons de l’objet transitionnel de l’enfant ; son importance réside dans le concept de l’illusion qui est une donnée universelle dans le domaine de l’expérience vécue.

A la suite de quoi, nous pouvons admettre que l’objet transitionnel est virtuellement un phallus maternel, tout en étant à l’origine le sein, c’est-à-dire la chose créée par l’enfant et en même temps fournie par l’environnement. C’est dans ce sens que je pense qu’une étude de l’usage que fait l’enfant de l’objet transitionnel et des phénomènes transitionnels en général peut nous éclairer sur l’origine de l’objet fétiche et du fétichisme. Mais on perd obligatoirement quelque chose en remontant de la psychopathologie du fétichisme aux phénomènes transitionnels qui appartiennent aux origines de l’expérience et sont inhérents à un développement affectif normal.

Résumé

Nous avons attiré l’attention sur la richesse que nous offre l’observation des premières expériences de l’enfant normal telles qu’elles s’expriment principalement dans sa relation avec la première possession.

Un rapport est établi entre cette première possession et les phénomènes auto-érotiques qui lui sont antérieurs, la succion du pouce et celle du poing : ainsi qu’avec ce qui apparaît plus tard : le premier jouet moelleux, animal ou poupée et les jouets de consistance dure. On examine le rapport de cette première possession à la fois à l’objet externe (le sein de la mère) et aux objets internes (le sein introjecté magiquement) bien qu’elle soit distincte de l’une et de l’autre.

Les objets transitionnels et les phénomènes transitionnels appartiennent au domaine de l’illusion qui est la base de l’instauration de l’expérience. Ce stade primitif du développement est rendu possible par l’aptitude particulière que possède la mère de s’adapter aux besoins de son enfant, permettant de la sorte à celui-ci d’avoir l’illusion que ce qu’il crée existe réellement.

Cette zone intermédiaire de l’expérience, pour laquelle ne se pose pas la question de savoir si elle appartient à la réalité intérieure ou extérieure (partagée), constitue la partie la plus importante de l’expérience infantile. Tout au long de la vie, elle se maintient dans cette expérience intense qui est du domaine des arts, de la religion, de la vie imaginative, de la création scientifique.

On peut donc attribuer une valeur positive à l’illusion.

L’objet transitionnel de l’enfant est désinvesti ordinairement petit à petit, surtout à mesure que croissent les intérêts culturels.

Sur le plan de la psychopathologie :

On peut définir la toxicomanie en termes de régression au stade primitif, où les phénomènes transitionnels ne sont pas mis en question.

On peut décrire le fétichisme en termes de persistance d’un objet spécifique, ou d’un type d’objet qui remonte à l’expérience infantile dans le domaine transitionnel, lié à l’hallucination d’un phallus maternel.

On peut décrire le mensonge et le vol en termes de besoin inconscient de l’individu de combler une lacune dans la continuité de l’expérience à l’égard d’un objet transitionnel.


43 D’après un exposé présenté à la Société Psychanalytique Britannique le 30 mai 1951, Int.J. Psycho-Anal., XXXIV, 1953.

44 N.D.T. Le terme « possession » est utilisé pour désigner « ce que l’on possède en propre » – first not me possession – première chose possédée en propre et que l’individu distingue de lui-même.

45 Il est nécessaire de souligner que le terme employé ici est « possession » et non pas « objet ». Dans le texte dactylographié qui avait été distribué aux membres de la Société lors de la conférence, j’avais utilisé par erreur à un endroit le mot « objet » au lieu de possession, et il en est résulté une certaine confusion dans la discussion. On a fait remarquer que l’on considère habituellement que le premier objet « non-moi » (not me) est le sein. J’attire l’attention du lecteur sur le fait que l’on trouve à maints endroits chez Fairbairn le terme « transitionnel » (1952, p. 35).

46 N.D.T. L’auteur utilise l’expression soft toy pour désigner un jouet mou, ou doux, moelleux au toucher – objet en peluche, poupée de chiffon, jouet de caoutchouc – par opposition aux jouets durs – en bois, en métal ou d’une matière rigide.

47 On en a vu récemment un exemple dans le film Un enfant de deux ans va à l’hôpital par James Robertson (Tavistock Clinic), où l’enfant a une poupée de chiffon. Cf. aussi Robertson et al. (1952).

48 Il existe en anglais une expression idiomatique : wool-gathering, « être dans la lune » (mot à mot : ramasser de la laine). Cela explique peut-être qu’elle signifie que l’on se situe dans la zone transitionnelle ou intermédiaire.

49 Cf. Scott (1955).

50 On en trouve d’excellents exemples dans l’unique article que j’ai trouvé sur ce sujet : « Fetichism and object choice in early childhood ». Psychoanal. Quart, 1946, 15, p. 450 (« Le Fétichisme et le choix de l’objet dans la petite enfance »), par Wulff, qui y étudie d’une façon claire le même phénomène ; toutefois, il appelle les objets des « objets fétiches ». Pour moi, ce terme ne me paraît pas correct et je le discuterai plus loin. Je n’ai connu en fait l’article de Wulff qu’après avoir écrit le mien, mais j’ai vu avec beaucoup de plaisir qu’un collègue avait déjà considéré que ce sujet méritait d’être traité et cela a étayé mon point de vue. Voir aussi : Abraham (1916) et Lindner (1879).

51 La mère avait « appris avec le premier enfant qu’il était bon de donner un biberon une fois dans la journée tant qu’on nourrissait au sein », c’est-à-dire qu’elle admettait la valeur positive des substituts maternels ; elle parvint de la sorte à sevrer le plus jeune plus facilement que l’aîné.

52 Voir aussi Freud (1921), p. 65.

53 Marion Milner (1952, p. 181) a exposé clairement (à mon avis) un effet – et c’est l’effet principal – de la carence de la mère dans ce domaine au début de la vie d’un enfant. Elle montre que la carence maternelle suscite un développement du moi prématuré, avec une distinction précoce du mauvais objet par rapport au bon objet. La période d’illusion (ou ce que j’appelle la « phase transitionnelle ») subit des perturbations. Dans l’analyse ou dans diverses activités de la vie ordinaire, on peut voir comment un individu recherche sans cesse le lieu de repos précieux de l’illusion. De la sorte, l’illusion a sa valeur positive – Voir aussi Freud (1950).

54 Pour moi, toute la technique du maternage y est comprise. Lorsque l’on dit que le premier objet est le sein, le mot « sein » est utilisé, à mon sens, pour désigner la technique du maternage aussi bien que l’organe lui-même. Il n’est pas impossible à une mère d’être une mère suffisamment bonne (telle que je la définis) même si elle nourrit l’enfant au biberon.

A condition de ne pas oublier le sens large du mot sein, et d’inclure aussi la technique maternelle dans la signification globale du terme, on peut dire qu’il y a un rapport entre la formulation du premier développement d’après Mélanie Klein, et la conception d’Anna Freud. La seule différence qui subsiste est d’ordre chronologique, de peu d’importance en fait puisqu’elle disparaîtra automatiquement avec le temps.