Éros

Le même mot grec est adopté par les différentes langues.

● Terme par lequel les Grecs désignaient l’amour et le dieu Amour. Freud l’utilise dans sa dernière théorie des pulsions pour connoter l’ensemble des pulsions de vie par opposition aux pulsions de mort.

◼ Nous renvoyons le lecteur à l’article : pulsions de vie, et nous nous bornons ici à des remarques sur l’emploi du terme d’Éros pour connoter celles-ci.

On connaît le souci qu’a eu Freud de rapporter ses conceptions sur les pulsions* à des idées philosophiques générales : opposition « populaire » de l’amour et de la faim pour la première théorie, opposition empédocléenne de φιλία et de νεῖϰος (amour et discorde), pour la dernière théorie.

Freud se réfère à plusieurs reprises à l’Éros platonicien en y voyant une notion très proche de ce qu’il entend par sexualité* ; il a en effet marqué d’emblée que celle-ci ne se confondait pas avec la fonction génitale (1). Certaines critiques qui affirment que Freud réduit tout à la sexualité (au sens vulgaire de ce terme) ne résistent pas, une fois dissipée une telle confusion : il convient d’utiliser sexuel « … dans le sens où la psychanalyse l’emploie maintenant couramment – dans le sens d’Éros » (2).

Inversement, Freud n’a pas manqué de souligner l’inconvénient que présente l’emploi du terme Éros, s’il doit conduire à camoufler la sexualité. Soit, par exemple ce passage : « Ceux qui considèrent la sexualité comme quelque chose qui fait honte à la nature humaine et qui la rabaisse sont bien libres de se servir des termes plus distingués d’Éros et d’érotique. J’aurais pu moi-même m’épargner beaucoup d’oppositions en agissant ainsi dès le début mais je ne l’ai pas voulu car il me déplaît de faire des concessions à la pusillanimité. On ne peut pas savoir jusqu’où l’on est ainsi conduit : on commence par céder sur les mots puis on finit par céder sur la chose » (3). Le fait est que l’usage du terme Éros risque de réduire toujours davantage la portée de la sexualité au bénéfice de ses manifestations sublimées.

Si Freud, à partir de Au-delà du principe de plaisir (Jenseits des Lustprinzips, 1920), utilise couramment Éros comme synonyme de pulsion de vie, c’est pour inscrire sa nouvelle théorie des pulsions dans une tradition philosophique et mythique de portée universelle (par exemple, le mythe d’Aristophane, dans Le Banquet de Platon). C’est ainsi qu’Éros est conçu comme ce qui a pour but « … de compliquer la vie en rassemblant la substance vivante, éclatée en particules, dans des unités toujours plus étendues et naturellement de la maintenir dans cet état » (4).

Le terme d’Éros est généralement employé pour connoter les pulsions sexuelles dans une intention délibérément spéculative ; citons par exemple ces lignes : « La spéculation transforme cette opposition [entre pulsions libidinales et pulsions de destruction] en celle des pulsions de vie (Éros) et des pulsions de mort » (5 a).

Comment situer l’un par rapport à l’autre les termes d’Éros et de Libido* ? Quand Freud introduit Éros dans Au-delà du principe de plaisir, il semble les assimiler : « … la libido de nos pulsions sexuelles coïnciderait avec l’Éros des poètes et des philosophes qui maintient la cohésion de tout ce qui vit » (5 b). Notons que ce sont là deux termes empruntés à des langues anciennes et marquant tous deux un souci de théorisation débordant le champ de l’expérience analytique (α). Cela dit, le terme libido a toujours été – et restera après l’introduction d’Éros – employé dans une perspective économique ; il désigne l’énergie des pulsions sexuelles (cf. par exemple ces mots de l’Abrégé de psychanalyse [Abriss der Psychoanalyse, 1938] : « Toute l’énergie de l’Éros, que nous appellerons désormais libido ») (6).

▲ (α) Citons à ce propos un passage des Études sur l’hystérie (Studien über Hysterie, 1895), où Breuer emploie le terme d’Éros pour désigner une puissance d’allure démoniaque : « La jeune fille pressent, dans Éros, la force terrible qui va régler son destin, en décider, et c’est ce qui l’épouvante » (7).

(1) Cf. par exemple : Freud (S.). Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, préface de 1920. G.W., V, 31-2 ; S.E., VII, 133-4 ; Fr., 11-13.

(2) Freud (S.). Die Traumdeutung, 1900 ; n. de 1925. G.W., II-III, 167 ; S.E., IV, 161.

(3) Freud (S.). Massenpsychologie und Ich-Analyse, 1921. G.W., XIII, 99 ; S.E., XVIII, 91 ; Fr., 101.

(4) Freud (S.). Das Ich und das Es, 1923. G.W., XIII, 269 ; S.E., XIX, 40 ; Fr., 196.

(5) Freud (S.), a) G.W., XIII, 66, n. ; S.E., XVIII, 61, n. ; Fr., 70, n. – b) G.W., XIII, 54 ; S.E., XVIII, 50 ; Fr., 58.

(6) Freud (S.). G.W., XVII, 72 ; S.E., XXIII, 149 ; Fr., 9.

(7) Breuer (J.). Ail., 216 ; S.E., II, 246 Fr., 199.