Interprétation

= D. : Deutung. – En. : interprétation. – Es. : interpretación. – I. : inter-pretazione. – P. : interpretaçao.

● A) Dégagement, par l’investigation analytique, du sens latent dans le dire et les conduites d’un sujet. L’interprétation met à jour les modalités du conflit défensif et vise en dernier ressort le désir qui se formule dans toute production de l’inconscient.

B) Dans la cure, communication faite au sujet et visant à le faire excéder à ce sens latent selon des règles commandées par la direction et l’évolution de la cure.

◼ L’interprétation est au cœur de la doctrine et de la technique freudiennes. On pourrait caractériser la psychanalyse par l’interprétation, c’est-à-dire la mise en évidence du sens latent d’un matériel.

C’est l’attitude freudienne à l’égard du rêve qui a constitué le premier exemple et le modèle de l’interprétation. Les théories « scientifiques » du rêve tentaient de rendre compte de celui-ci comme phénomène de la vie mentale en invoquant une baisse de l’activité psychique, un relâchement des associations ; certaines définissaient bien le rêve comme une activité spécifique, mais aucune ne prenait en considération son contenu et a fortiori le rapport existant entre celui-ci et l’histoire personnelle du rêveur. En revanche, les méthodes d’interprétation du type « clé des songes » (Antiquité, Orient) ne négligent pas le contenu du rêve et lui reconnaissent une signification. En ce sens, Freud déclare se rattacher à cette tradition. Mais il fait porter tout l’accent sur l’insertion singulière du symbolisme dans la personne et, en ce sens là, sa méthode se détourne des clés des songes (1 a).

L’interprétation, pour Freud, dégage, à partir du récit que fait le rêveur (contenu manifeste*), le sens du rêve tel qu’il se formule dans le contenu latent* auquel conduisent les libres associations. La visée dernière de l’interprétation est le désir inconscient et le fantasme dans lequel celui-ci prend corps.

Bien entendu, le terme d’interprétation n’est pas réservé à cette production majeure de l’inconscient qu’est le rêve. Il s’applique aux autres productions de l’inconscient (actes manqués, symptômes, etc.) et plus généralement à ce qui, dans le dire et le comportement du sujet, porte la marque du conflit défensif.

 

La communication de l’interprétation étant par excellence le mode d’action de l’analyste, le terme interprétation, employé absolument, a également le sens technique d’interprétation communiquée au patient.

L’interprétation, en ce sens technique, est présente dès les origines de la psychanalyse. On notera toutefois, qu’au stade des Études sur l’hystérie (Studien über Hysterie, 1895), dans la mesure où la visée principale est de faire resurgir les souvenirs pathogènes inconscients, l’interprétation n’est pas encore dégagée comme le mode majeur de l’action thérapeutique (le terme lui-même ne se rencontre d’ailleurs pas dans ce texte).

Elle le sera, dès que la technique psychanalytique commencera à se définir. L’interprétation est alors intégrée à la dynamique de la cure, comme l’illustre l’article sur Le maniement de l’interprétation des rêves en psychanalyse (Die Handhabung der Traumdeutung in der Psychoanalyse, 1911) : « Je soutiens donc que l’interprétation des rêves ne doit pas être pratiquée, au cours du traitement analytique, comme un art en soi, mais que son maniement reste soumis aux règles techniques auxquelles doit obéir tout l’ensemble du traitement » (2). C’est la prise en considération de ces « règles techniques » qui doit commander le niveau (plus ou moins « profond »), le type (interprétation des résistances, du transfert, etc.), l’ordre éventuel des interprétations.

Mais nous n’entendons pas traiter ici des problèmes concernant l’interprétation, qui ont fait l’objet de nombreuses discussions techniques : critères, forme et formulation, opportunité, « profondeur », ordre, etc. (α). Indiquons seulement que l’interprétation ne recouvre pas l’ensemble des interventions de l’analyste dans la cure (comme, par exemple, l’encouragement à parler, la réassurance, l’explication d’un mécanisme ou d’un symbole, les injonctions, les constructions*, etc.), encore que celles-ci puissent toutes prendre au sein de la situation analytique valeur interprétative.

Notons du point de vue terminologique, que le terme français interprétation ne recouvre pas exactement le terme allemand de Deutung. Le terme français oriente davantage l’esprit sur ce qu’il y a de subjectif, voire de forcé, d’arbitraire, dans le sens qui est donné à un événement, à une parole. Deutung paraît plus proche d’explication, d’éclaircissement et présente à un moindre degré, pour la conscience linguistique commune, la nuance péjorative que peut prendre le terme français (β). La Deutung d’un rêve consiste, écrit Freud, à déterminer sa Bedeutung, sa signification (16).

Il n’en reste pas moins que Freud n’a pas manqué d’indiquer la parenté entre interprétation au sens analytique du terme et d’autres processus mentaux où se manifeste une activité interprétative.

C’est ainsi que l’élaboration secondaire* constitue, de la part du rêveur, une « première interprétation » destinée à apporter une certaine cohérence aux éléments auxquels aboutit le travail du rêve : « … certains rêves ont subi jusque dans leur fond une élaboration accomplie par une fonction psychique analogue à la pensée vigile ; ils semblent avoir un sens mais ce sens est tout ce qu’il y a de plus éloigné de la signification [Bedeutung] du rêve […]. Ce sont là des rêves qui pour ainsi dire ont été déjà interprétés avant que nous ne les soumettions, à l’état de veille, à l’interprétation » (1 c). Dans l’élaboration secondaire, le sujet traite le contenu du rêve de la même façon que tout contenu perceptif inédit : en tendant à le ramener au déjà connu au moyen de certaines « représentations d’attente » (Erwartungsvorsteltungen) (3). Freud marque encore les relations qui existent entre l’interprétation paranoïaque (ou encore l’interprétation des signes dans la superstition) et l’interprétation analytique (4 a). Pour les paranoïaques, en effet, tout est interprétable : « … ils attribuent la plus grande signification aux petits détails que nous négligeons d’ordinaire dans le comportement d’autrui, ils interprètent à fond (ausdeuten) et ils en tirent des conclusions de grande portée (4 b). Dans leurs interprétations du comportement d’autrui, les paranoïaques font souvent preuve d’une plus grande pénétration que le sujet normal. La lucidité dont le paranoïaque fait preuve envers autrui a pour contrepartie une méconnaissance foncière de son propre inconscient.

▲ (α) Le lecteur pourra s’orienter dans ces problèmes en consultant l’ouvrage d’Edward Glover, Technique de la psychanalyse (The technique of Psycho-Analysis, 1955, trad. fr., Paris, P.U.F., 1958), et notamment l’enquête menée par cet auteur parmi des psychanalystes.

(β) On notera d’ailleurs que la psychiatrie allemande ne désigne guère le délire paranoïaque comme délire d’interprétation.

(1) Freud (S.). Die Traumdeutung, 1900. – a) Cf. chap. I » et début du chap. II. – b) Cf. G.W., II-III, 100-1 ; S.E., IV, 96 ; Fr., 76. – c) G.W., II-III, 494 ; S.E., V, Fr., 365.

(2) Freud (S.). G.W., VIII, 354 ; S.E., XII, 94 ; Fr., 47.

(3) Cf. Freud (S.). Über den Traum, 1901. G.W., II-III, 679-80 ; S.E., V, 666.

(4) Cf. notamment : Freud (S.). Zur Psychopathologie des AUtagslestebens, 1901. – a) G.W., IV, 283-9 ; S.E., VI, 254-60 ; Fr., 294-300. – b) G.W., IV, 284 ; S.E., VI, 255 ; Fr., 295.