Complexe
= D. : Komplex. – En. : cornplex. – Es. : complejo. – I. : complesso. – P. : complexo.
● Ensemble organisé de représentations et de souvenirs à forte valeur affective, partiellement ou totalement inconscients. Un complexe se constitue à partir des relations interpersonnelles de l’histoire infantile ; il peut structurer tous les niveaux psychologiques : émotions, attitudes, conduites adaptées.
◼ Le terme de complexe a rencontré une grande faveur dans le langage commun (« avoir des complexes », etc.). A l’inverse, il a connu une désaffection progressive chez les psychanalystes, si l’on excepte les expressions de complexe d’Œdipe* et complexe de castration*.
La plupart des auteurs – Freud compris – écrivent que c’est à l’école psychanalytique de Zurich (Bleuler, Jung) que la psychanalyse serait redevable du terme de complexe. En fait, on le trouve dès les Études sur l’hystérie (Studien über Hysterie, 1895), par exemple quand Breuer expose les vues de Janet sur l’hystérie (α) ou quand il invoque l’existence de représentations « … actuelles, agissantes et pourtant inconscientes » : « Presque toujours il s’agit de complexes de représentations, d’assemblages d’idées, de souvenirs se rapportant à des événements extérieurs ou aux enchaînements de pensées du sujet lui-même. Les représentations isolées contenues dans ces complexes de représentations reviennent parfois consciemment toutes à la pensée. Seule cette combinaison bien déterminée est bannie de la conscience » (1 a).
Les « expériences d’association » de Jung (2) devaient fournir à l’hypothèse du complexe, formulée à propos des cas d’hystérie, une base à la fois expérimentale et plus large. Dans le premier commentaire qu’il en donne, Freud écrit : a […] la réaction au mot inducteur ne peut pas être un produit du hasard, mais est forcément déterminée chez celui qui réagit par un contenu préexistant de représentations. On s’est accoutumé à appeler « complexe » un contenu de représentation ainsi capable d’influencer la réaction au mot inducteur. Cette influence se manifeste, soit que le mot inducteur effleure directement le complexe, soit que celui-ci réussisse à se mettre par des intermédiaires en rapport avec le mot inducteur » (3).
Mais Freud, s’il reconnaît l’intérêt des expériences d’association, fait très tôt des réserves sur l’usage du terme de complexe. C’est « … un mot commode et souvent indispensable pour rassembler de façon descriptive des faits psychologiques. Aucun autre terme institué par la psychanalyse pour ses propres besoins n’a acquis une popularité aussi large et n’a été plus mal appliqué au détriment de la construction de concepts plus précis » (4). Même jugement dans une lettre à E. Jones : le complexe n’est pas une notion théorique satisfaisante (5 a) ; il y a une mythologie jungienne des complexes (lettre à S. Ferenczi) (5 b).
Ainsi, selon Freud, le terme de complexe pourrait servir dans une intention démonstrative ou descriptive à mettre en évidence, à partir d’éléments apparemment distincts et contingents, « … certains cercles de pensée et d’intérêts dotés de puissance affective » (6) ; mais il n’aurait pas de valeur théorique. Le fait est que Freud l’utilisera fort peu, à la différence de nombreux auteurs qui se réclament de la psychanalyse (β).
On peut trouver plusieurs motifs à cette réserve de Freud. Il répugnait à une certaine typification psychologique (exemple complexe d’échec) qui à la fois risque de dissimuler la singularité des cas et de donner pour une explication ce qui fait problème. D’autre part, la notion de complexe tend à se confondre avec celle d’un noyau purement pathogène qu’il conviendrait d’éliminer (γ) ; on perdrait ainsi de vue la fonction structurante, à certains moments du développement humain, des complexes, singulièrement de l’Œdipe.
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On simplifierait l’usage, encore confus, du terme de complexe, en distinguant trois sens :
1. Le sens originel qui désigne un arrangement relativement fixe de chaînes associatives (voir : Association). A ce niveau le complexe est présupposé pour rendre compte de la façon singulière dont dérivent les associations.
2. Un sens plus général qui désigne un ensemble plus ou moins organisé de traits personnels – y compris ceux qui sont le mieux intégrés – l’accent étant surtout mis sur les réactions affectives. A ce niveau, on reconnaît l’existence du complexe principalement à ce que les situations nouvelles sont inconsciemment ramenées à des situations infantiles ; la conduite apparaît alors modelée par une structure latente inchangée. Mais une telle acception risque d’entraîner une généralisation abusive : on sera en effet tenté de créer autant et même plus de complexes qu’on imaginera de types psychologiques. C’est, selon nous, cette déviation « psychologisante » qui aurait suscité les réserves puis la désaffection de Freud à l’égard du terme de complexe.
3. Un sens plus strict qu’on trouve dans l’expression – toujours maintenue par Freud – de complexe d’Œdipe et qui désigne une structure fondamentale des relations interpersonnelles et la façon dont la personne y trouve sa place et se l’approprie (voir : Complexe d’Œdipe).
Des termes qui appartiennent à la langue de Freud, comme « complexe de castration », « complexe paternel* » (Valerkomplex) ou encore des termes qu’on rencontre plus rarement comme « complexe maternel », « complexe fraternel », « complexe parental », se situent dans ce registre. On notera que l’apparente diversité des termes « paternel », « maternel »… renvoie en chaque cas à des dimensions de la structure œdipienne, soit que telle dimension soit particulièrement prévalente chez tel sujet, soit que Freud entende donner un relief particulier à tel moment de son analyse. C’est ainsi que sous le nom de complexe paternel, il met l’accent sur la relation ambivalente au père. Le complexe de castration, même si son thème peut être relativement isolé, s’inscrit tout entier dans la dialectique du complexe d’Œdipe.
▲ (α) A propos du rétrécissement du champ de la conscience : « Les impressions sensorielles non perçues et les représentations qui, bien que s’étant présentées, n’ont pas pénétré dans le conscient, s’éteignent généralement sans avoir d’effets. Quelquefois, cependant, elles s’agrègent pour former des complexes […] » (1 b).
(β) Dans le Dictionnaire de Psychanalyse et Psychotechnique publié sous la direction de Maryse Choisy dans la revue Psyché, on trouve décrits une cinquantaine de complexes. Comme l’écrit un des auteurs : « Nous avons tenté de donner une nomenclature aussi complète que possible des complexes connus jusqu’à maintenant. Mais tous les jours on en découvre de nouveaux. »
(γ) Cf. lettre à Ferenczi déjà citée : « Un homme ne doit pas lutter pour éliminer ses complexes mais pour s’accorder avec eux : ils sont légitimement ce qui dirige sa conduite dans le monde » (5 c).
(1) Bheuer (J.). Theoretisches, in Studien über Hysterie, 1895. – a) Ail., 187, n. 1 ; S.E., II, 214-5, n. 2 ; Fr., 171, n. 1. – b) AU., 202 ; S.E., XI, 231 ; Fr., 186.
(2) Cf. Jung (C.-G.). Diagnostische Assoziationsstudien, J. A. Barth, Leipzig, 1906.
(3) Freud (S.). Tatbestandsdiagnostik und Psychoanalyse, 1906. G.W., VII, 4 ; S.E., IX, 104 ; Fr., 44-5.
(4) Freud (S.). Zur Geschichte der psychoanalytischen Bewegung, 1914. G.W., X, 68-9 ; S.E., XIV, 29-30 ; Fr., 286.
(5) Cf. Jones (E.). Sigmund Freud, Life and Work, 1955. – a) Angl., II, 496 ; Fr., 470. – b) Angl., II, 188 ; Fr., 177. – c) Angl., II, 188 ; Fr., 177.
(6) Freud (S.). Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1916-17. G.W., XI, 106-7 ; S.E., XV, 109 ; Fr., 122-3.