Conscience (psychologique)
= A) D. : Bewusstheit. – En. : the attribute (ou the fact) of being conscious, being conscious. – Es. : el estar consciente. – I. : consapevolezza. – P. : o estar consciente.
B) D. : Bevvusstsein. – En. : consciousness. – Es. : conciencia psicolôgica. – I. : coscienza. – P. : consciência psicolôgica.
● A) Au sens descriptif : qualité momentanée caractérisant les perceptions externes et internes parmi l’ensemble des phénomènes psychiques.
B) Selon la théorie métapsychologique de Freud, la conscience serait la fonction d’un système, le système perception-conscience (Pc-Cs).
Du point de vue topique, le système perception-conscience est situé à la périphérie de l’appareil psychique, recevant à la fois les informations du monde extérieur et celles provenant de l’intérieur, à savoir les sensations qui s’inscrivent dans la série déplaisir-plaisir et les reviviscences mnésiques. Souvent Freud rattache la fonction perception-conscience au système préconscient, désigné alors comme système préconscient-conscient (Pcs-Cs).
Du point de vue fonctionnel, le système perception-conscience s’oppose aux systèmes de traces mnésiques que sont l’inconscient et le préconscient : en lui ne s’inscrit aucune trace durable des excitations. Du point de vue économique, il se caractérise par le fait qu’il dispose d’une énergie librement mobile, susceptible de surinvestir tel ou tel élément (mécanisme de l’attention).
La conscience joue un rôle important dans la dynamique du conflit (évitement conscient du désagréable, régulation plus discriminatrice du principe de plaisir) et de la cure (fonction et limite de la prise de conscience) mais elle ne peut être définie comme un des pôles en jeu dans le conflit défensif (α).
◼ Si la théorie psychanalytique s’est constituée en refusant de définir le champ du psychisme par la conscience, elle n’a pas pour autant considéré la conscience comme un phénomène inessentiel. En ce sens, Freud a raillé la prétention de certaines tendances de la psychologie : « Une tendance extrême, telle, par exemple celle du behaviorisme née en Amérique, pense pouvoir établir une psychologie qui ne tienne pas compte de ce fait fondamental ! » (1 a).
Freud tient la conscience pour une donnée de l’expérience individuelle, qui s’offre à l’intuition immédiate et il n’en renouvelle pas la description. Il s’agit d'« … un fait sans équivalent qui ne se peut ni expliquer ni décrire […]. Cependant lorsqu’on parle de conscience, chacun sait immédiatement, par expérience, de quoi il s’agit » (1 b).
Cette double thèse – la conscience ne nous donne sur nos processus psychiques qu’une vue lacunaire, ceux-ci étant pour leur plus grande part inconscients, et : il n’est nullement indifférent qu’un phénomène soit conscient ou non – exige une théorie de la conscience qui détermine sa fonction et sa place.
Dès le premier modèle métapsychologique de Freud, deux affirmations essentielles sont présentes : d’une part Freud assimile la conscience à la perception et voit l’essence de celle-ci dans la capacité de recevoir les qualités sensibles. D’autre part il confie à un système (le système w ou W), autonome par rapport à l’ensemble du psychisme, dont les principes de fonctionnement sont purement quantitatifs, cette fonction perception-conscience : « La conscience nous donne ce qu’on nomme des qualités, des sensations très variées de différence, et dont la différence dépend des relations avec le monde extérieur. Dans cette différence se trouvent des séries, des similitudes, etc., mais on n’y trouve rien de proprement quantitatif » (2 a).
La première de ces thèses sera maintenue tout au long de l’œuvre : « La conscience est selon nous la face subjective d’une partie des processus physiques se produisant dans le système neuronique, nommément les processus perceptifs… » (2 b). Elle donne une priorité dans le phénomène de la conscience à la perception et principalement à la perception du monde extérieur : « L’accès à la conscience est lié avant tout aux perceptions que nos organes sensoriels reçoivent du monde extérieur » (1 c). Dans la théorie de l’épreuve de réalité* on constate une synonymie significative entre les termes : indice de qualité, indice de perception et indice de réalité (2 c). Au départ il existe une « équation : perception – réalité (monde extérieur) » (1 d). La conscience des phénomènes psychiques est, elle aussi, inséparable de la perception de qualités : la conscience n’est rien d’autre qu’un « … organe sensoriel pour la perception des qualités psychiques » (3 a). Elle perçoit les états de tension pulsionnelle et les décharges d’excitation, sous forme des qualités de déplaisir-plaisir. Mais le problème le plus difficile est posé par la conscience de ce que Freud nomme « processus de pensée », entendant par là aussi bien la reviviscence des souvenirs que le raisonnement et, d’une façon générale, tous les processus où entrent en jeu des « représentations »*. Tout au long de son œuvre, Freud a maintenu une théorie qui fait dépendre la prise de conscience des processus de pensée de leur association avec des « restes verbaux » (Worlreste) (voir : Représentation de chose et de mots). Ceux-ci (en raison du caractère de nouvelle perception qui s’attache à leur réactivation : les mots remémorés sont au moins à l’état d’ébauche, re-prononcés) (2 d) permettent à la conscience de trouver une sorte de point d’ancrage à partir duquel son énergie de surinvestissement* peut irradier : « Pour que soit conférée une qualité [aux processus de pensée], ceux-ci sont associés, chez l’homme, aux souvenirs verbaux, dont les restes qualitatifs sont suffisants pour attirer sur eux l’attention de la conscience, à partir de quoi un nouvel investissement mobile se dirige sur la pensée » (3 b).
Cette liaison de la conscience à la perception amène Freud à les réunir le plus souvent en un seul système, qu’il désigne dans le Projet de psychologie scientifique (Entwurf einer Psychologie, 1895) du nom de système co et qu’il nommera à partir des travaux métapsychologiques de 1915 « perception-conscience* » (Pc-Cs). La séparation d’un tel système d’avec tous ceux qui sont le lieu d’inscription de traces mnésiques* (Pcs et Ics) se fonde par une sorte de déduction logique sur une idée déjà développée par Breuer dans les Considérations théoriques (Theorelisches, 1895) : « … un seul et même organe ne peut remplir ces deux conditions contradictoires » : restaurer le plus rapidement possible le statu quo ante afin de pouvoir accueillir de nouvelles perceptions et emmagasiner des impressions afin de pouvoir les reproduire (4). Freud complétera plus tard cette idée par une formule qui entend rendre compte de l’apparition « inexplicable » de la conscience : « … elle apparaît dans le système perceptif à la place des traces durables » (5 a).
★
La situation topique* de la conscience ne va pas sans difficulté : si, dans le Projet, elle est située « aux niveaux supérieurs » du système, bientôt sa jonction intime avec la perception la fera placer par Freud à la périphérie entre le monde extérieur et les systèmes mnésiques : « L’appareil perceptif psychique comporte deux couches : l’une externe, le pare-excitation, destiné à réduire la grandeur des excitations qui arrivent du dehors, l’autre, derrière celle-ci, surface réceptrice d’excitations, le système Pc-Cs » (5 b) (voir : Pare-excitations). Cette situation périphérique préfigure celle qui est assignable au moi ; dans Le moi et le ça (Das Ich und das Es, 1923) Freud voit dans le système Pc-Cs le « noyau du moi » (6 a) : « … le moi est la partie du ça qui est modifiée par l’influence directe du monde extérieur par la médiation de Pc-Cs, d’une certaine façon il est une continuation de la différenciation superficielle » (6 b) (voir : Moi).
Du point de vue économique*, la conscience n’a pas manqué de poser à Freud un problème particulier. En effet, la conscience est un phénomène qualitatif, éveillé par la perception des qualités sensorielles ; les phénomènes quantitatifs de tension et de détente ne deviennent conscients que sous forme qualitative. Mais, d’autre part, une fonction éminemment liée à la conscience comme celle de l’attention, avec ce qu’elle semble impliquer de plus et de moins d’intensité, ou un processus comme l’accès à la conscience (Bewusstwerden) qui joue un rôle si important dans la cure, exigent bien une interprétation en termes économiques. Freud fait l’hypothèse que l’énergie de l’attention qui, par exemple, « surinvestit » une perception, est une énergie venant du moi (Entwurf), ou du système Pc (Traumdeutung), et orientée par les indices qualitatifs fournis par la conscience : « La règle biologique de l’attention s’énonce ainsi pour le moi : lorsque survient un indice de réalité, l’investissement d’une perception qui est simultanément présent doit être surinvesti » (2 e).
De même l’attention qui s’attache aux processus de pensées permet une régulation plus fine de ceux-ci que celle fournie par le seul principe de plaisir : « Nous voyons que la perception par nos organes sensoriels a pour résultat de diriger un investissement de l’attention sur les voies le long desquelles l’excitation sensorielle afférente se déploie ; l’excitation qualitative du système Pc sert de régulateur pour l’écoulement de la quantité mobile dans l’appareil psychique. Nous pouvons considérer que cet organe des sens supérieur qu’est le système Cs fonctionne de la même façon. En percevant de nouvelles qualités elle contribue encore à orienter et à répartir de façon appropriée les quantités d’investissement mobile » (3 c) (voir : Énergie libre – énergie liée ; Surinvestissement).
Enfin, du point de vue dynamique*, on peut noter une certaine évolution quant à l’importance attribuée par Freud au facteur conscience, aussi bien dans le processus défensif que dans l’efficacité de la cure. Sans vouloir retracer cette évolution, on peut en indiquer quelques éléments :
1° Un mécanisme comme celui du refoulement est conçu dans les débuts de la psychanalyse comme un rejet intentionnel encore proche du mécanisme de l’attention : « Le clivage de la conscience dans ces cas d’hystérie acquise est […] un clivage voulu, intentionnel, ou du moins il est souvent introduit par un acte de libre volonté… » (7).
On sait que c’est l’accent mis de plus en plus sur le caractère au moins partiellement inconscient des défenses et de la résistance se traduisant dans la cure, qui conduira Freud au remaniement de la notion du moi et à sa seconde théorie de l’appareil psychique.
2° Une étape importante de cette évolution est marquée par les écrits métapsychologiques de 1915 où Freud énonce que « … le fait d’être conscient, seul caractère des processus psychiques qui nous soit donné de façon immédiate, n’est en aucune façon capable de fournir un critère de distinction entre systèmes » (8 a). Freud n’entend pas là renoncer à l’idée que la conscience doit être attribuée à un système, à un véritable « organe » spécialisé ; mais il indique que la capacité d’accéder à la conscience ne suffit pas à caractériser la position topique de tel contenu dans le système préconscient ou dans le système inconscient : « Dans la mesure où nous voulons nous frayer la voie vers une conception métapsychologique de la vie psychique, nous devons apprendre à nous émanciper de l’importance attribuée au symptôme « être conscient » » (8 b, β).
3° Dans la théorie de la cure, la problématique de la prise de conscience et de son efficacité est restée un thème majeur de réflexion. Il convient ici d’apprécier l’importance relative et le jeu combiné des différents facteurs qui interviennent dans la cure : remémoration et construction, répétition dans le transfert et perlaboration, interprétation enfin dont l’impact ne se limite pas à une communication consciente dans la mesure où elle induit des remaniements structuraux. « La cure psychanalytique est édifiée sur l’influence du Cs sur l’Ics, et nous montre en tout cas que cette tâche, pour malaisée qu’elle soit, n’est pas impossible » (8 c). Mais, d’un autre côté, Freud n’a fait que souligner toujours davantage le fait qu’il ne suffisait pas de communiquer au malade l’interprétation, fût-elle tout à fait adéquate, de tel fantasme* inconscient, pour induire des remaniements structuraux : « Si l’on communique à un patient une représentation qu’il a jadis refoulée mais qu’on a devinée, cela ne change tout d’abord rien à son état psychique. Avant tout cela ne lève pas le refoulement et n’annule pas ses effets… » (8 d).
Le passage à la conscience n’implique pas à lui seul une véritable intégration du refoulé au système préconscient ; il doit être complété par tout un travail capable de lever les résistances qui entravent la communication entre les systèmes inconscient et préconscient et capable d’établir une liaison de plus en plus étroite entre les traces mnésiques inconscientes et leur verbalisation. C’est seulement au terme de ce travail que peuvent se rejoindre « … le fait d’avoir entendu et celui d’avoir vécu [qui] sont d’une nature psychologique absolument différente, même lorsque leur contenu est le même » (8 e). Le temps de la perlaboration* serait ce qui permet cette intégration progressive au préconscient.
▲ (α) L’adjectif bewusst signifie conscient au double sens actif (conscient de) et passif (qualité de ce qui est objet de conscience). La langue allemande dispose de plusieurs substantifs formés à partir de bewusst. Bewusstheit = la qualité d’être objet de conscience, que nous proposons de traduire par « le fait d’être conscient ». Betvusstsein = la conscience comme réalité psychologique et désignant plutôt l’activité, la fonction (la conscience morale est désignée par un terme tout différent : das Getvissen). Das Bewussleste – le conscient, désignant plutôt un type de contenus par différence avec les contenus préconscients et inconscients. Das Bewusstwerden – le « devenir conscient » de telle représentation que nous traduisons par « accès à la conscience ». Das Betvusstmachen = le fait de rendre conscient tel contenu.
(β) Notons à ce propos que la désignation des systèmes dans la première théorie de l’appareil psychique est axée sur la référence à la conscience : inconscient, préconscient, conscient.
(1) Freud (S.). Abriss der Psychoanalyse, 1938. – a) G.W., XVII, 79, n. ; S.E., XXIII, 157, n. ; Fr., 1S, n. – b) G.W., XVII, 79 ; S.E., XXIII, 157 ; Fr., 18. – c) G.W., XVII, 83 ; S.E., XXIII, 161 ; Fr., 24. – d) G.W., XVII, 84 ; S.E., XXIII, 162 ; Fr., 25.
(2) Freud (S.). Aus den Anfängen der Psychoanalyse, 1887-1902. – a) Ail., 393 ; Angl., 369 ; Fr., 328. – b) AIL, 396 ; Angl., 373 ; Fr., 331. – c) Cf. Ail., 373-466 ; AngL, 348-445 ; Fr., 307-96. – d) Cf. AIL, 443-4 ; Angl., 421-2 ; Fr., 375-6. – e) Ail., 451 ; Angl., 428-9 ; Fr., 382.
(3) Freud (S.). Die Traumdeutung, 1900. – a) G.W., II-III. 620 ; S.E., V, 615 ; Fr., 500. – b) G.W., II-III, 622 ; S.E., V, 617 ; Fr., 502. – c) G.W., II-III, 621 ; S.E., V, 616 ; Fr., 501.
(4) Cf. Breuer (J.). Theoretisches, in Studien über Hysterie, 1895. AIL. 164 ; S.E., II, 188-9, n. ; Fr., 149-50, n.
(5) Freud (S.). Notiz über den « Wunderblock », 1925. – a) G.W., XIV, 4-5 ; S.E., XIX, 228. – b) G.W., XIV, 6 ; S.E., XIX, 230.
(6) Freud (S.), a) G.W., XIII, 251 ; S.E., XIX, 24 ; Fr., 178. – b) G.W., XIII, 252 ; S.E., XIX, 25 ; Fr., 179.
(7) Freud (S.). Studien über Hysterie, 1895. G.W., I, 182 ; S.E., II, 123 ; Fr., 96.
(8) Freud (S.). Das Unbewussleste, 1915. – a) G.W., X, 291 ; S.E., XIV, 192 ; Fr., 139. – b) G.W., X, 291 ; S.E., XIV, 192 ; Fr., 139. – c) G.W., X, 293 ; S.E., XIV, 193 ; Fr., 141. – d) G.W., X, 274 ; S.E., XIV, 175 ; Fr., 109-10. – e) G.W., X, 275 S.E., XIV, 175-6 ; Fr. 110.