Pour une théorie de l’attaque hystérique1
En collaboration avec Josef Breuer
Il n’existe encore, pour autant que nous le sachions, aucune théorie de l’attaque hystérique, mais il existe simplement, due à Charcot, une description de celle-ci, se rapportant à la « grande attaque hystérique »2 complète qui survient rarement. Une telle attaque « typique » se compose selon Charcot de quatre phases : 1) l’épileptoïde ; 2) les grands mouvements ; 3) la phase des « attitudes passionnelles »3 ; 4) le « délire terminal »4. Chacune de ces phases s’autonomise, se prolonge, se modifie ou fait défaut, et de ce fait, selon Charcot, naissent toutes ces formes diversifiées d’attaques hystériques, que l’on a, comme médecin, plus souvent l’occasion d’observer que la grande attaque5 typique.
Cette description n’apporte aucune espèce d’éclaircissement sur l’éventuel rapport de chacune des phases avec les autres, sur la signification de l’attaque dans le tableau d’ensemble de l’hystérie ou sur la modification des attaques chez chacun des malades. Nous ne nous égarons peut-être pas en supposant que pour la majorité des médecins prévaut la tendance à voir dans l’attaque hystérique un « déchargement périodique des centres moteurs et psychiques du cortex cérébral ».
Nous sommes parvenus à nos idées sur l’attaque hystérique en traitant des hystériques par suggestion hypnotique et en explorant par interrogatoire sous hypnose leurs processus psychiques lors de l’attaque. Nous avançons, à propos de l’attaque hystérique, les propositions suivantes, que nous prenons soin de faire précéder d’une remarque : nous considérons l’hypothèse d’une dissociation — clivage du contenu de la conscience — comme indispensable à l’explication des phénomènes hystériques.
1. Le contenu constant et essentiel d’une attaque hystérique (faisant retour) est le retour d’un état psychique que le malade a déjà vécu antérieurement, en d’autres termes, le retour d’un souvenir.
Nous affirmons donc que la part essentielle de l’attaque hystérique est contenue dans la phase des attitudes passionnelles6 de Charcot. Dans de nombreux cas, il est tout à fait notoire que cette phase contient un souvenir tiré de la vie du malade et, qui plus est, fréquemment toujours le même. Mais dans d’autres cas, une telle phase semble faire défaut, l’attaque ne consiste apparemment qu’en phénomènes moteurs, en convulsions épileptoïdes, en un état de repos cataleptique ou semblable au sommeil, mais dans ces cas également, l’exploration sous hypnose permet d’apporter la preuve certaine d’un processus psychique mnésique, tel qu’il se révèle habituellement de toute évidence dans la phase passionnelle7.
Les manifestations motrices de l’attaque ne sont jamais sans rapport avec le contenu psychique de celle-ci. Ou bien elles représentent l’expression générale du mouvement d’humeur concomitant ou bien elles correspondent exactement à celles des activités qu’entraîne le processus mnésique hallucinatoire.
2. Le souvenir qui constitue le contenu de l’attaque hystérique n’est pas n’importe lequel, il est au contraire le retour de l’expérience même qui a causé l’explosion hystérique — le traumatisme psychique.
Cet état de choses est une fois de plus notoire dans les cas classiques d’hystérie traumatique, tels que Charcot a enseigné à les diagnostiquer chez des patients de sexe masculin, cas où l’individu non hystérique au préalable succombe à la névrose à la suite d’une grande et unique frayeur (accident de chemin de fer, chute, etc.). Ici le contenu de l’attaque constitue la reproduction hallucinatoire de cet événement lié au danger de mort, quelque peu associé au cours des idées et aux impressions des sens que l’individu menacé a produits à ce moment-là. Mais ces cas ne s’écartent pas de la commune hystérie féminine, ils en sont bien plutôt le modèle. Explore-t-on dans cette dernière, par la voie déjà indiquée, le contenu des attaques, on rencontre des expériences qui, elles aussi, sont, de par leur nature, propres à agir comme traumatisme (frayeur, vexation, déception). En règle générale le grand traumatisme isolé se trouve ici remplacé par une série de traumatismes plus petits dont la cohésion est maintenue par leur similitude ou parce qu’ils constituent des fragments de l’histoire d’une souffrance. Alors de tels malades ont aussi fréquemment diverses sortes d’attaques, chaque sorte ayant un contenu mnésique particulier. On se trouve incité par ce fait à donner au concept d’hystérie traumatique une plus grande extension.
Dans un troisième groupe de cas on trouve, comme contenu des attaques, des souvenirs auxquels on n’accorderait pas en soi une valeur traumatique, mais qui la doivent manifestement à la circonstance qui les a fait s’associer, par rencontre avec un facteur de disposition pathologiquement renforcé, et s’élever ainsi au rang de traumatisme.
3. Le souvenir qui constitue le contenu de l'attaque hystérique est un souvenir inconscient — pour parler plus correctement : il appartient à l'état de conscience second, plus ou moins hautement organisé dans toute hystérie. En conséquence, il fait également défaut à la mémoire du malade dans son état normal ou il n’y est que sommairement présent. Si l’on parvient à faire totalement rentrer ce souvenir dans la conscience normale, sa capacité à engendrer des attaques disparaît. Pendant l’attaque elle-même, le malade se trouve pleinement ou partiellement dans l’état de conscience second. Dans le premier cas il a, dans sa vie normale, une amnésie de toute l’attaque ; dans le second, il perçoit la modification de son état et ses manifestations motrices, alors que le processus psychique lui reste caché pendant l’attaque. Mais celui-ci peut être à tout moment éveillé par l’hypnose.
4. La question de l’origine du contenu des attaques hystériques se confond avec la question de savoir quelles conditions seraient déterminantes pour qu’une expérience vécue (représentation, projet, etc.) soit reçue dans la conscience seconde au lieu de l’être dans la conscience normale. De ces conditions nous en avons reconnu deux avec certitude chez les hystériques.
Si l’hystérique veut oublier intentionnellement une expérience, écarte violemment de lui, inhibe et réprime un projet, une représentation, ces actes psychiques accèdent par là à l’état de conscience second, manifestent à partir de là leurs effets permanents, et le souvenir qu’il en a revient sous forme d’attaque hystérique. (Hystérie des religieuses, des femmes continentes, des garçons bien élevés, des personnes qui ressentent en elles une propension à l’art, au théâtre, etc.)
Accèdent également à l’état de conscience second ces impressions qui ont été reçues lors d’un état psychique inhabituel (affect, extase, autohypnose).
À cela nous ajoutons que ces deux conditions se combinent fréquemment par un rapport interne et qu’en dehors d’elles il faut en supposer d’autres.
5. Si l’on part de cette proposition, au demeurant de grande portée, selon laquelle le système nerveux s’efforce de maintenir constant, dans ses relations fonctionnelles, quelque chose qu’on peut bien nommer « somme d’excitation », et fait droit à cette condition de la santé en liquidant par association ou en déchargeant par réaction motrice correspondante tout accroissement sensible d’excitation, on aboutit à une propriété commune de ces expériences psychiques, que l’on rencontre comme contenu des attaques hystériques. Ce sont dans tous les cas des impressions auxquelles est refusée la décharge adéquate, soit parce que les malades en écartent d’eux la liquidation par peur de combats psychiques douloureux, soit parce que (comme pour les impressions sexuelles) la pudeur et les conditions sociales les interdisent, ou finalement parce que ces impressions ont été reçues dans des états où le système nerveux était incapable d’en assumer la liquidation.
Sur cette voie l’on acquiert aussi une définition du traumatisme psychique utilisable pour la doctrine de l’hystérie. Devient traumatisme psychique toute impression dont la liquidation par travail mental associatif ou réaction motrice offre des difficultés au système nerveux.
1 Zur Theorie des hysterischen Anfalls. Le manuscrit, un projet qui fut envoyé à Breuer, porte, écrit de la main de Freud, la date : Vienne, fin novembre 1892. Quelques paragraphes figurent dans la communication préliminaire « Sur le mécanisme psychique des phénomènes hystériques » (Neurologisches Zentralblatt, année 1893 ; Études sur l'hystérie, 1895). Ce travail a paru avec l’accord des héritiers de Breuer dans l'Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse et Imago, vol. XXV, 1940, n° 2. GW, XVII.
2 En français dans le texte.
3 En français dans le texte.
4 En français dans le texte.
5 grande attaque en français dans le texte.
6 attitudes passionnelles en français dans le texte.
7 phase passionnelle en français dans le texte.