La sexualité dans l’étiologie des névroses1
Par des recherches approfondies, je suis parvenu, dans les dernières années, à reconnaître que des facteurs provenant de la vie sexuelle constituent les causes les plus proches et les plus importantes en pratique dans chaque cas d’affection névrotique. Cette doctrine n’est pas entièrement neuve ; une certaine importance a été concédée au facteur sexuel dans l’étiologie des névroses de tout temps et par tous les auteurs ; pour de nombreux courants marginaux de la médecine la guérison des « difficultés sexuelles » et celle de la « faiblesse nerveuse » ont été toujours unies dans une seule et même promesse. Il ne sera donc pas difficile de contester l’originalité de cette doctrine dès qu’on aura renoncé à en nier le bien-fondé.
Dans quelques articles plus courts, parus ces dernières années dans le Neurologisches Zentralblatt, dans la Revue neurologique et dans la Wiener Klinische Rundschau, j’ai tenté d’indiquer le matériel et les points de vue qui offrent un appui scientifique à la doctrine de l’« étiologie sexuelle des névroses ». Une présentation détaillée fait encore défaut et à vrai dire essentiellement parce qu’en s’efforçant d’éclairer les corrélations reconnues comme objectives on aborde des problèmes toujours nouveaux, pour la solution desquels on manque de travaux préliminaires. Mais il ne me paraît en rien prématuré de tenter d’orienter l’intérêt du médecin praticien sur les faits que je mets en avant, afin qu’il se convainque de la justesse de ces affirmations et en même temps des avantages qu’il peut tirer de la connaissance de celles-ci pour sa pratique médicale.
Je sais qu’on s’efforcera immanquablement, par des arguments teintés de morale, d’écarter le médecin de la poursuite de cet objet d’étude. Qui veut savoir avec certitude à propos de ses malades, si leurs névroses sont réellement en relation avec leur vie sexuelle, ne peut éviter de s’informer auprès d’eux de leur vie sexuelle et d’insister pour être éclairé sur celle-ci d’une manière fidèle à la vérité. Mais on prétend qu’il y a là un danger pour l’individu comme pour la société. J’entends dire que le médecin n’a pas le droit de faire intrusion dans les secrets sexuels de ses patients, de blesser grossièrement la pudeur — particulièrement celle des personnes de sexe féminin — par un tel examen. De sa main maladroite, il ne peut que détruire le bonheur des familles, chez de jeunes personnes froisser l’innocence, et empiéter sur l’autorité des parents ; avec des adultes il accédera à une complicité gênante et détruira sa propre relation à ses malades. Ce serait donc son devoir moral de rester à distance de toute l’affaire sexuelle.
On a bien le droit de répondre : c’est là l’expression d’une pruderie indigne d’un médecin, laquelle cache imparfaitement son indigence derrière de mauvais arguments. Si des facteurs de la vie sexuelle doivent réellement être reconnus comme causes de maladie, alors l’investigation et la discussion de ces facteurs ressortissent justement, de ce fait, sans plus d’hésitation, aux obligations du médecin. L’offense à la pudeur, dont il se rend par là coupable, n’est ni différente ni pire, devrait-on penser, que lorsque, pour guérir une affection locale, il insiste sur l’inspection des organes génitaux féminins, exigence à laquelle l’oblige la Faculté elle-même. On entend encore souvent raconter par des femmes d’un certain âge, ayant passé leurs jeunes années en province, qu’elles s’étaient autrefois affaiblies jusqu’à l’épuisement par des hémorragies génitales surabondantes, parce qu’elles n’avaient pu se résoudre à laisser un médecin voir leur nudité. L’influence éducative que les médecins exercent sur le public a permis, au cours d’une génération, d’obtenir qu’une telle aversion ne se produise chez nos jeunes femmes qu’avec une extrême rareté. Là où on la rencontrerait, elle serait condamnée comme incompréhensible pruderie, comme pudeur mal placée. Vivons-nous donc, demanderait le mari, en Turquie où la femme malade n’a le droit de montrer au médecin que son bras à travers un trou dans le mur ?
Il n’est pas vrai que l’examen et la complicité dans les choses sexuelles procurent au médecin une toute-puissance dangereuse à l’égard de ses patients. La même objection pouvait, en son temps, être faite avec plus de raison à l’emploi de la narcose, par laquelle le malade est privé de sa conscience et de son libre arbitre, et par laquelle le médecin a en main la possibilité de décider si et quand il les recouvrera. La narcose nous est pourtant devenue indispensable aujourd’hui, parce qu’elle participe utilement, plus que toute autre chose, à l’effort des médecins, et le médecin a assumé, parmi ses autres obligations sérieuses, la responsabilité de la narcose.
Le médecin peut causer des dommages dans tous les cas où il est soit maladroit, soit sans scrupule, dans les autres cas, il n’en cause ni plus ni moins que par l’exploration de la vie sexuelle de ses patients. Certes, celui qui ayant une précieuse disposition à la connaissance de soi pense ne pas avoir le tact, le sérieux et la discrétion, dont il a besoin pour l’examen des névrosés, celui qui sait par lui-même que les dévoilements de la vie sexuelle éveilleront en lui un frémissement sensuel au lieu d’un intérêt scientifique, celui-là fera bien de rester à l’écart du sujet de l’étiologie des névroses. Nous ne lui demandons rien d’autre que de se tenir aussi à l’écart du traitement des nerveux.
Il n’est pas vrai non plus que les malades opposent à une exploration de leur vie sexuelle des obstacles insurmontables. Des adultes ont l’habitude, après une courte hésitation, de retrouver contenance avec ces mots : Je suis donc chez le médecin, à lui on peut tout dire. De nombreuses femmes, pour qui l’obligation de cacher leurs sensations sexuelles pèse assez lourd tout au long de leur vie, se trouvent soulagées de remarquer chez le médecin que nul autre souci, en l’occurrence, ne passe avant celui de leur guérison, et elles lui sont reconnaissantes de pouvoir pour une fois se comporter de façon purement humaine à propos de choses sexuelles. Une connaissance obscure de l’importance primordiale de facteurs sexuels dans l’apparition de l’état nerveux, connaissance que je cherche à gagner à la science sous une forme neuve, semble n’avoir absolument jamais disparu de la conscience des profanes. Que de fois des scènes semblables à la suivante : on a un couple devant soi, dont un partenaire souffre de névrose. Après bien des préambules et ménagements, précisant que pour le médecin qui veut aider en pareil cas, il ne peut y avoir de limites conventionnelles et autres choses semblables, on fait part aux deux que la cause de la maladie, comme on le suppose, réside dans le mode de commerce sexuel, non naturel et dommageable, qu’ils ont dû choisir depuis les dernières couches de la femme. Que les médecins n’ont pas l’habitude, en règle générale, de se soucier de ces problèmes, mais que c’est tout simplement une mauvaise chose, même si les malades n’aiment pas en entendre parler, etc. Alors l’un des partenaires pousse l’autre du coude et dit : « Tu vois, je te l’ai dit, ça va me rendre malade. » Et l’autre répond : « J’y ai aussi pensé, mais qu’est-ce qu’il faut faire ? »
Dans certaines autres circonstances, par exemple avec des jeunes filles, qui bien sûr sont systématiquement éduquées à dissimuler leur vie sexuelle, on devra se contenter, dans une proportion fort modeste, d’une bienveillance loyale. Mais ici entre en ligne de compte le fait que le médecin compétent n’aborde pas ses malades sans préparation, et qu’en règle générale il n’a pas à exiger d’eux un éclaircissement, mais seulement une confirmation de ses suppositions. Celui qui veut suivre mes indications sur la manière d’agencer la morphologie des névroses et de la traduire en étiologie, n’a pas besoin que les malades lui fassent beaucoup plus d’aveux. Dans la description de leurs symptômes morbides, qu’ils ne font qu’avec beaucoup trop de complaisance, ils lui ont la plupart du temps livré la connaissance des facteurs sexuels qui se cachent derrière.
Ce serait un grand avantage que les malades sachent mieux avec quelle certitude il est désormais possible au médecin d’interpréter leurs souffrances névrotiques et d’en déduire l’étiologie sexuelle en cause. Ce serait certainement une incitation pour eux à renoncer à leurs secrets à partir du moment où ils se sont déterminés à demander de l’aide pour leurs maux. Par ailleurs nous sommes tous intéressés à ce que dans les choses sexuelles aussi un degré de sincérité supérieur à celui exigé jusqu’à présent devienne une obligation pour les humains. La moralité sexuelle ne peut qu’y gagner. Présentement nous sommes tous, sans exception, en matière de sexualité, des hypocrites, malades comme bien portants. Cela ne pourra être pour nous que profitable si, par suite de la sincérité générale, une certaine dose de tolérance dans les choses sexuelles devient monnaie courante.
Le médecin trouve habituellement un intérêt minime à nombre de questions qui sont discutées chez les neuropathologistes au sujet des névroses, par exemple si l’on est fondé à différencier rigoureusement hystérie et neurasthénie, si l’on a le droit de distinguer en outre une hystéro-neurasthénie, si l’on doit ranger l’obsession avec la neurasthénie ou si l’on doit la reconnaître comme névrose particulière et ainsi de suite. Et en fait, le médecin a bien le droit d’être indifférent à de telles distinctions tant que le diagnostic établi reste sans plus de conséquences, ni compréhension plus profonde, ni aucune indication pour la thérapie, tant que dans tous les cas le malade est envoyé à l’établissement hydrothérapique, ou s’entend dire qu’il n’a rien. Mais il en est autrement si l’on adopte nos points de vue sur les relations causales entre la sexualité et les névroses. Alors s’éveille un nouvel intérêt pour la symptomatologie des différents cas névrotiques, et il devient important pour la pratique de savoir décomposer correctement le tableau complexe en ses éléments et les dénommer correctement. La morphologie des névroses est, en effet, sans grand effort, traduisible en étiologie, et à partir de la connaissance de celle-ci se déduisent, comme allant de soi, de nouvelles indications thérapeutiques.
Or le diagnostic important, qui peut à chaque fois être obtenu par appréciation soigneuse des symptômes, a pour but de savoir si le cas comporte les caractères d’une neurasthénie ou d’une psychonévrose (hystérie, obsession). (On rencontre avec une fréquence peu commune des cas mixtes, où des signes de neurasthénie sont unis à ceux d’une psychonévrose ; mais nous en réserverons l’appréciation pour plus tard.) C’est seulement dans les neurasthénies que l’examen des malades a pour résultat de découvrir les facteurs étiologiques provenant de la vie sexuelle ; ceux-ci sont, comme il est naturel, connus du malade et appartiennent au présent, plus exactement à la période de sa vie ayant débuté avec la maturité sexuelle (bien que cette délimitation elle non plus ne permette pas d’inclure tous les cas). Dans les psychonévroses un tel examen fournit peu de chose ; il nous livre, par exemple, la connaissance de facteurs que l’on doit reconnaître comme déclenchants et qui dépendent de la vie sexuelle ou éventuellement pas du tout ; dans le premier cas ils ne se révèlent alors pas d’une autre nature que les facteurs étiologiques de la neurasthénie et sont donc totalement dépourvus de relation spécifique à la survenue de la psychonévrose. Et pourtant l’étiologie des psychonévroses, elle aussi, réside dans chaque cas, une fois de plus, dans le sexuel. Par un remarquable détour, dont il sera question plus loin, on peut parvenir à connaître cette étiologie et à trouver compréhensible que le malade n’ait rien su nous en dire. En effet les événements et influences qui sont à la base de toute psychonévrose n’appartiennent pas à l’actualité mais à une époque de la vie depuis longtemps révolue, pour ainsi dire préhistorique, à la prime enfance et c’est pourquoi ils ne sont pas connus du malade lui-même. Il les a — dans un certain sens seulement — oubliés.
Étiologie sexuelle donc dans tous les cas de névrose ; mais dans les neurasthénies elle est de type actuel, dans les psychonévroses ce sont des facteurs de nature infantile ; ceci est la première grande opposition dans l'étiologie des névroses. On en trouve une deuxième, si l’on tient compte d’une différence dans la symptomatologie de la neurasthénie elle-même. Ici on trouve d’un côté des cas où certains maux caractéristiques de la neurasthénie se mettent au premier plan : le serrement de tête, la fatigabilité, la dyspepsie, la constipation, l’irritation spinale et ainsi de suite. Dans d’autres cas ces signes régressent, et le tableau morbide se compose d’autres symptômes qui tous révèlent une relation au symptôme nodal, l’« angoisse » (anxiété flottante, inquiétude, angoisse d’attente, crises d’angoisse complètes, rudimentaires et supplémentaires, vertige locomoteur, agoraphobie, insomnie, amplification des douleurs, etc.). J’ai laissé son nom au premier type de neurasthénie, mais j’ai désigné le second comme « névrose d’angoisse », et j’ai justifié cette distinction dans un autre écrit où il est aussi tenu compte du fait que les deux névroses, en règle générale, apparaissent ensemble. Pour notre propos, il suffit de souligner qu’à la diversité symptomatologique des deux formes, vient en parallèle une différence dans l’étiologie. La neurasthénie se laisse à chaque fois ramener à un état du système nerveux, tel qu’il est acquis par masturbation excessive, ou qu’il apparaît spontanément par des pollutions accumulées ; dans la névrose d’angoisse on trouve régulièrement des influences sexuelles qui ont pour facteur commun la rétention ou la satisfaction incomplète, telle que : coïtus interruptus, abstinence avec vive libido, excitation dite frustrée et autres choses semblables. Dans le petit article qui s’efforçait d’introduire la névrose d’angoisse, j’ai énoncé la formule que l’angoisse serait en général une libido détournée de son emploi.
Quand sont réunis dans un cas des symptômes de la neurasthénie et de la névrose d’angoisse, donc dans un cas mixte, on s’en tient à cette proposition empiriquement trouvée, qu’à un mélange de névroses correspond une collaboration de plusieurs facteurs étiologiques, et l’on trouve à chaque fois son attente confirmée. Avec quelle fréquence ces facteurs étiologiques sont organiquement reliés les uns avec les autres par l’interrelation des processus sexuels, par exemple coïtus interruptus ou puissance masculine insuffisante avec la masturbation, ceci mériterait assurément un exposé détaillé.
Quand on a diagnostiqué avec certitude tel cas de névrose neurasthénique et qu’on en a correctement groupé les symptômes, on peut se permettre de traduire la symptomatologie en étiologie et d’exiger alors hardiment des malades la confirmation des hypothèses avancées. Une opposition initiale ne doit pas induire en erreur ; on insiste fermement sur ce qu’on a conclu, et l’on triomphe finalement de chaque résistance en affirmant le caractère inébranlable de sa conviction. Ce faisant, on apprend toutes sortes de choses de la vie sexuelle des humains, de quoi remplir un livre utile et instructif, on se met aussi à regretter à tous égards que la science sexuelle passe encore de nos jours pour déshonnête. Les écarts bénins par rapport à une vita sexualis normale étant beaucoup trop fréquents pour qu’on puisse accorder valeur à leur découverte, on ne fera valoir comme explication chez ses malades névrosés qu’une anormalité grave et longtemps poursuivie de la vie sexuelle ; mais qu’on puisse par son insistance amener un malade, psychiquement normal, à s’accuser lui-même à tort d’une faute sexuelle, c’est là un danger qu’on peut en toute confiance négliger comme imaginaire.
Si l’on procède de cette façon avec ses malades, on acquiert aussi la conviction qu’il n’existe pas de cas négatifs au regard de la doctrine de l’étiologie sexuelle de la neurasthénie. Chez moi du moins, cette conviction est devenue si assurée que j’ai donné aussi une valeur diagnostique à un résultat négatif de l’examen, à savoir que je peux me dire : de tels cas ne sauraient être une neurasthénie. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises j’en vins à admettre l’existence d’une paralysie progressive au lieu d’une neurasthénie, parce que je n’étais pas parvenu à mettre en évidence l’abondante masturbation dont ma doctrine montre la nécessité, et l’évolution de ces cas me donna raison ultérieurement. Une autre fois où le malade, en l’absence d’altération organique évidente, se plaignait de serrement de tête, maux de tête, dyspepsie et s’opposait avec sincérité et hautaine assurance à mes insinuations d’ordre sexuel, j’eus l’idée de supposer une suppuration latente dans l’un des sinus latéraux du nez et un collègue, spécialiste compétent, confirma cette conclusion tirée d’un examen sexuel négatif, en délivrant le malade de ses douleurs par l’évacuation de pus fétide d’un sinus de Highmore.
L’illusion qu’il existerait pourtant des « cas négatifs » peut se produire encore d’une autre façon. L’examen révèle parfois une vie sexuelle normale chez des personnes dont la névrose est vraiment assez semblable, lors d’une observation superficielle, à une neurasthénie ou à une névrose d’angoisse. Mais une observation plus approfondie découvre alors régulièrement le véritable état de choses. Derrière de tels cas que l’on a pris pour de la neurasthénie se cache une psychonévrose, hystérie ou névrose obsessionnelle. L’hystérie en particulier qui imite tant d’affections organiques peut avec facilité donner l’apparence de l’une des névroses actuelles en élevant ses symptômes au rang de ceux de l’hystérie. De telles hystéries sous la forme de la neurasthénie ne sont d’ailleurs pas très rares. Mais ce n’est pas une solution de peu de prix que de recourir aux psychonévroses, pour ces neurasthénies dans lesquelles l’information sexuelle est négative ; on peut en conduire la démonstration selon la seule voie qui permet de démasquer infailliblement une hystérie, selon la voie que nous mentionnerons plus loin comme celle de la psychanalyse.
Peut-être bien que certains qui sont disposés à tenir compte de l’étiologie sexuelle chez leurs malades neurasthéniques, nous reprocheront cependant comme un parti pris de ne pas les inviter à prêter aussi attention aux autres facteurs qui sont généralement mentionnés chez les auteurs comme causes de la neurasthénie. Certes il ne me vient pas à l’idée de substituer dans les névroses l’étiologie sexuelle à toute autre au point de déclarer abolie leur efficacité. Ce serait mal me comprendre. Je veux bien plutôt dire qu’à tous les facteurs étiologiques bien connus et vraisemblablement reconnus à juste titre par les auteurs, à l’origine de la neurasthénie, s’ajoutent encore les facteurs sexuels qui jusqu’à présent n’ont pas été suffisamment pris en considération. Mais ceux-ci méritent, selon mon appréciation, de se voir attribuer une place particulière dans la série étiologique. Eux seuls en effet ne manquent dans aucun cas de neurasthénie, eux seuls sont capables de produire la névrose sans autre assistance, si bien que ces autres facteurs semblent réduits au rôle d’étiologie d’appoint et supplémentaire ; eux seuls permettent au médecin de reconnaître des relations certaines entre leur diversité et la pluralité des tableaux cliniques. Quand, en revanche, je rassemble les cas qui sont prétendument devenus neurasthéniques par surmenage, trouble émotionnel, après une fièvre typhoïde, etc., je n’y retrouve rien de commun dans les symptômes, je serais incapable, d’après le type de l'étiologie, de former aucune attente concernant les symptômes, comme inversement de conclure du tableau clinique à l'étiologie à l’œuvre.
Les causes sexuelles sont aussi celles qui offrent au médecin le meilleur point d’appui pour son action thérapeutique. L’hérédité est indubitablement un facteur important là où on la retrouve ; elle fait en sorte que se produise un effet pathologique important, là où sans elle il n’y en aurait eu qu’un très petit. Mais l’hérédité est inaccessible à l’action du médecin ; chacun apporte avec lui ses tendances pathologiques héréditaires ; nous n’y pouvons plus rien changer. De plus, il ne faut pas oublier que dans l’étiologie des neurasthénies justement il est de toute nécessité pour nous de refuser le premier rang à l’hérédité. La neurasthénie (sous ses deux formes) appartient aux affections que peut aisément contracter tout individu héréditairement non taré. S’il en était autrement la gigantesque augmentation de la neurasthénie dont se plaignent tous les auteurs serait impensable. En ce qui concerne la civilisation, au débit de laquelle, dans le livre des péchés, on inscrit souvent la responsabilité de la neurasthénie, les auteurs peuvent aussi avoir raison sur ce point (bien que vraisemblablement par de toutes autres voies qu’ils ne le croient) ; mais l’état de notre civilisation est lui aussi quelque chose d’impossible à modifier pour l’individu ; d’ailleurs ce facteur, de par son caractère général pour les membres d’une même société, n’explique jamais le fait du choix de la maladie. Le médecin non neurasthénique se trouve en effet soumis aux mêmes influences de la civilisation prétendument pathogène que le malade neurasthénique qu’il a à soigner. L’importance d’influences épuisantes reste sujette aux limitations indiquées plus haut. Mais le facteur du « surmenage », que les médecins font si volontiers valoir à leurs patients comme cause de leur névrose, est souvent l’objet d’abus tout à fait démesurés. Il est parfaitement exact que celui qui s’est prédisposé à la neurasthénie par des nuisances sexuelles supporte mal le travail intellectuel et les épreuves psychiques de la vie, mais jamais personne ne devient névrotique par le travail ou l’énervement seuls. Le travail de l’esprit est bien plutôt un moyen de protection contre la maladie neurasthénique ; ce sont précisément les travailleurs intellectuels les plus acharnés qui restent épargnés par la neurasthénie, et ce que les neurasthéniques accusent comme « surmenage qui rend malade » ne mérite en règle générale d’être reconnu comme « travail de l’esprit » ni par sa qualité ni par son étendue. À l’employé qui se « surmène » à son bureau, ou à la ménagère à qui la tenue de la maison est devenue trop lourde, les médecins devront bien s’habituer à donner l’explication qu’ils ne sont pas tombés malades parce qu’ils ont essayé de remplir leur tâche, véritablement légère pour un cerveau civilisé, mais parce que, ce faisant, ils ont massivement négligé et altéré leur vie sexuelle.
Seule l’étiologie sexuelle nous permet de plus de comprendre toutes les particularités de l’histoire de la maladie chez les neurasthéniques, les améliorations mystérieuses au milieu de l’évolution et les aggravations également inexplicables qui sont habituellement mises en relation par les médecins et les malades avec le traitement entrepris. Dans ma collection de plus de deux cents cas est, par exemple, décrite l’histoire d’un homme qui, après que le traitement du médecin de famille ne lui ait été d’aucun profit, alla voir le pasteur Kneipp et à partir de cette cure enregistra pendant un an une amélioration extraordinaire dans ses souffrances. Mais lorsqu’un an plus tard les maux se renforcèrent de nouveau et qu’il chercha derechef de l’aide à Wörishofen, cette deuxième cure resta sans succès. Un coup d’œil sur la chronique familiale de ce patient résout la double énigme : six mois et demi après le premier retour de Wörishofen, la femme du malade lui donna un enfant ; il l’avait donc quittée au début d’une grossesse encore ignorée et il put après son retour avoir des rapports naturels avec elle. Lorsqu’à l’issue de ce temps salutaire pour lui, sa névrose fut attisée de nouveau par la reprise du coïtus interruptus, la deuxième cure ne put que se révéler sans succès, car la grossesse mentionnée plus haut demeura la dernière.
Un cas analogue où il fallait de même expliquer une action inattendue de la thérapeutique, prit une forme encore plus instructive du fait qu’il comportait une alternance énigmatique dans les symptômes de la névrose. Un jeune nerveux avait été envoyé par son médecin dans un établissement thermal bien dirigé pour une neurasthénie typique. Là son état s’améliora au début de plus en plus, si bien qu’il y avait tout lieu d’envisager de faire sortir le patient, devenu un partisan reconnaissant de l’hydrothérapie. Survint alors, dans la sixième semaine, un revirement : le malade « ne supporta plus l’eau », devint de plus en plus nerveux et quitta finalement l’établissement deux semaines plus tard, ni guéri ni content. Lorsqu’il se plaignit auprès de moi de cette duperie de la thérapie, je m’informai un peu des symptômes qui l’avaient affecté au milieu de la cure. Curieusement une mutation s’y était accomplie. Il était entré à l’établissement avec serrement de tête, fatigabilité, dyspepsie ; ce qui l’avait perturbé pendant le traitement, c’était : énervement, crises d’oppression, vertiges à la marche et troubles du sommeil. Je pus alors dire au malade : « Vous êtes injuste envers l’hydrothérapie. Vous êtes tombé malade, comme vous le saviez vous-même très bien, par suite d’une masturbation longtemps poursuivie. Dans l’établissement, vous avez abandonné ce mode de satisfaction, en conséquence de quoi vous vous êtes rapidement rétabli. Mais, quand vous vous êtes senti mieux, vous avez inconsidérément recherché avec une dame, supposons une autre patiente, des relations qui ne pouvaient mener qu’à une excitation sans satisfaction normale. Les belles promenades aux alentours de l’établissement vous en fournissaient une bonne occasion. C’est de par cette liaison que vous êtes retombé malade, et non pas de par une intolérance subite à l’hydrothérapie. De votre état présent je conclus d’ailleurs que vous poursuivez encore la même liaison en ville. » Je peux assurer que le malade m’a alors donné confirmation point par point.
La thérapeutique actuelle de la neurasthénie, telle qu’on la pratique de la façon la plus favorable sans doute dans les établissements thermaux, se propose pour but d’atteindre l’amélioration de l’état nerveux par deux facteurs : mettre à l’abri et fortifier le patient. Je n’aurais rien d’autre à reprocher à cette thérapeutique que de ne tenir aucun compte des conditions sexuelles du cas. D’après mon expérience, il est hautement souhaitable que les médecins directeurs de ces établissements se rendent bien compte qu’ils n’ont pas affaire à des victimes de la civilisation ou de l’hérédité, mais — sit venia verbo — à des estropiés de la sexualité. D’une part, il leur serait alors plus facile d’expliquer leurs succès tout comme leurs insuccès, et d’autre part ils atteindraient de nouveaux succès qui étaient jusqu’à présent abandonnés au hasard ou au comportement spontané du malade. Si l’on fait sortir de sa maison pour l’envoyer à l’établissement thermal une femme neurasthénique, anxieuse, si, toutes obligations écartées, on la met alors aux bains, à la gymnastique et à une alimentation abondante, on sera certainement enclin à mettre l’amélioration souvent brillante, obtenue ainsi en quelques semaines ou mois, au compte du repos dont jouissait la malade et des forces apportées par l’hydrothérapie. C’est bien possible ; mais on oublie ici que l’éloignement de la maison s’accompagne pour la patiente d’une interruption du commerce conjugal, et que c’est seulement cette mise à l’écart temporaire de la cause pathogène qui lui donne la possibilité de se rétablir à l’aide d’une thérapeutique appropriée. La méconnaissance de ce point de vue étiologique se venge après coup, le succès thérapeutique apparemment si satisfaisant se révélant très fugitif. Peu après le retour du patient à ses relations quotidiennes, les symptômes de la maladie se réinstaurent et l’obligent ou bien à passer sans cesse, de temps en temps, une partie de son existence improductivement dans de tels établissements, ou bien l’amènent à diriger ailleurs ses espoirs de guérison. Il est donc clair que les mesures thérapeutiques dans la neurasthénie doivent avoir leur point d’attaque non pas dans les établissements thermaux mais au sein des relations quotidiennes des malades.
Dans d’autres cas notre doctrine étiologique peut éclairer le médecin de l’établissement sur la source des échecs qui se produisent dans l’établissement lui-même, et lui suggérer comment les éviter. La masturbation est bien plus fréquente chez les filles adultes et les hommes mûrs qu’on ne le croit d’habitude, elle agit comme nuisance non seulement par la production des symptômes neurasthéniques, mais aussi en maintenant les malades sous la pression d’un secret ressenti comme honteux. Le médecin, qui n’est pas habitué à traduire neurasthénie en termes de masturbation, rend compte de l’état de la maladie en recourant à un mot tout fait tel que anémie, sous-alimentation, surmenage, etc., et escompte alors la guérison de son malade par l’élaboration et la mise en œuvre de la thérapie antagoniste. Mais à son étonnement, chez le malade, des périodes d’amélioration alternent avec d’autres où tous les symptômes s’aggravent, au milieu d’une sévère dépression. L’issue d’un tel traitement est en général douteuse. Si le médecin savait que le malade lutte en permanence contre son habitude sexuelle, qu’il est tombé dans le désespoir parce qu’il a dû y succomber de nouveau, s’il s’entendait à obtenir du malade son secret, à en dévaloriser à ses yeux la gravité, et à le soutenir dans sa lutte pour se déshabituer, alors le succès de l’effort thérapeutique s’en trouverait sans aucun doute assuré.
La désaccoutumance de la masturbation n’est qu’une des nouvelles tâches thérapeutiques qui résultent pour le médecin de la prise en compte de l’étiologie sexuelle, et cette tâche précise ne semble pouvoir être accomplie, comme toute autre désaccoutumance, que dans un établissement hospitalier et sous surveillance constante du médecin. Abandonné à lui-même, le masturbateur revient, à l’occasion de toute influence déprimante, à la satisfaction qui lui est commode. Le traitement médical ne peut ici se fixer d’autre but que de ramener au commerce sexuel normal le neurasthénique qui a récupéré ses forces, car le besoin sexuel, dès lors qu’il a été éveillé et qu’il a été satisfait pendant un certain temps, ne peut plus être réduit au silence, mais seulement déplacé sur une autre voie. Une remarque tout à fait analogue vaut d’ailleurs aussi pour toutes les autres cures d’abstinence, qui ne réussiront qu’en apparence, tant que le médecin se contentera de retirer au malade son agent narcotique sans se soucier de la source d’où jaillit le besoin impérieux de celui-ci. « Accoutumance » n’est qu’une simple façon de parler sans valeur explicative ; tous ceux qui ont l’occasion de prendre pendant un certain temps de la morphine, de la cocaïne, du chloral et autres, n’acquièrent pas de ce fait « l’appétence » pour ces choses. Une investigation plus précise démontre en règle générale que ces narcotiques sont destinés à jouer le rôle de substituts — directement ou par voie détournée — de la jouissance sexuelle manquante, et là où ne peut plus s’instaurer une vie sexuelle normale, on peut s’attendre avec certitude à la rechute du désintoxiqué.
Une autre tâche pour le médecin est celle que lui pose l’étiologie de la névrose d’angoisse, elle consiste à inviter le malade à abandonner toutes les modalités nuisibles du commerce sexuel et à adopter des relations sexuelles normales. Il va de soi que ce devoir incombe avant tout au confident médical du malade, au médecin de famille, qui nuit gravement à ses clients s’il se croit trop respectable pour intervenir dans cette sphère.
Comme il s’agit ici la plupart du temps du couple conjugal, l’effort du médecin se heurte aussitôt aux tendances malthusiennes visant à limiter le nombre des conceptions dans le mariage. Il me paraît indubitable que ces intentions se répandent de plus en plus dans notre classe moyenne ; j’ai rencontré des couples qui, dès après le premier enfant ont pratiqué la prévention de la conception, et d’autres qui dans leur commerce sexuel ont voulu tenir compte de cette intention dès la nuit de noces. Le problème du malthusianisme est vaste et compliqué ; je n’ai pas l’intention de le traiter ici exhaustivement, comme il serait vraiment nécessaire pour la thérapie des névroses. Je veux seulement discuter de la meilleure attitude que le médecin qui reconnaît l’étiologie sexuelle des névroses doit prendre envers ce problème.
Le plus faux est manifestement de vouloir l’ignorer — sous quelque prétexte que ce soit. Rien de ce qui est nécessaire ne peut être inférieur à ma dignité de médecin, et il est nécessaire d’assister de son conseil médical un couple qui songe à la limitation de la procréation, si l’on ne veut pas exposer à la névrose l’un des conjoints ou les deux. Il est incontestable que des mesures malthusiennes deviennent un jour ou l’autre nécessaires dans un mariage, et ce serait théoriquement l’un des plus grands triomphes de l’humanité, l’une des libérations les plus tangibles à l’égard de la contrainte naturelle à laquelle est soumise notre espèce, si l’on parvenait à élever l’acte responsable de la procréation au rang d’une action volontaire et intentionnelle, et à le dégager de son intrication avec la satisfaction nécessaire d’un besoin naturel.
Le médecin perspicace prendra donc sur lui de décider dans quelles circonstances l’application de mesures préventives contre la conception est justifiée, et il aura à distinguer parmi ces moyens ceux qui sont nuisibles de ceux qui sont inoffensifs. Est nuisible tout ce qui empêche la survenue de la satisfaction ; mais comme on le sait, nous ne possédons actuellement aucun moyen de protection contre la conception qui remplirait toutes les exigences que l’on est en droit d’attendre, c’est-à-dire qui soit sûr, commode, qui ne nuise pas à la sensation de plaisir lors du coït et ne blesse pas la délicatesse de sentiment de la femme. Une tâche pratique est offerte ici aux médecins, à la réalisation de laquelle ils peuvent appliquer leurs forces en étant payés de retour. Celui qui comblera cette lacune dans notre technique médicale aura préservé les jouissances de la vie et protégé la santé d’innombrables personnes, il aura assurément préparé ainsi également un changement tout à fait radical dans les conditions de notre vie en société.
Par là ne sont pas épuisées les suggestions qui découlent de la reconnaissance d’une étiologie sexuelle des névroses. L’action principale que nous pouvons accomplir en faveur des neurasthéniques est du domaine de la prophylaxie. Si la masturbation est la cause de la neurasthénie dans la jeunesse et si plus tard, par la diminution de puissance qu’elle crée, elle acquiert aussi une importance étiologique pour la névrose d’angoisse, la prévention de la masturbation chez les deux sexes est une tâche qui mérite plus de considération qu’elle n’en a trouvé jusqu’à présent. Si l’on songe à tous les préjudices plus ou moins subtils ou grossiers qui proviennent d’une neurasthénie qui, paraît-il, ne cesse de s’étendre, on ne saurait manquer de trouver un intérêt public à ce que les hommes accèdent au commerce sexuel avec une pleine puissance. Mais en matière de prophylaxie l’individu est assez désarmé. La communauté doit prendre intérêt à cet objet et donner son accord à la création de dispositifs valables pour tous. Pour le moment nous sommes encore très loin d’une telle situation qui serait une promesse de remède, et c’est pourquoi l’on peut à juste titre rendre aussi notre civilisation responsable de l’extension de la neurasthénie. Bien des choses devraient changer. Il faut briser la résistance d’une génération de médecins qui ne sont plus capables de se souvenir de leur propre jeunesse ; il faut surmonter la superbe des pères qui n’aiment guère s’abaisser devant leurs enfants au niveau de l’humain, il faut combattre la pruderie incompréhensive des mères, qui considèrent régulièrement de nos jours comme un arrêt du destin insondable mais immérité, que « ce soit justement leurs enfants qui sont devenus nerveux ». Mais avant tout il faut que soit créé dans l’opinion publique un espace pour la discussion des problèmes de la vie sexuelle ; on doit pouvoir en parler sans être désigné comme un perturbateur ou quelqu’un qui spécule sur les bas instincts. Et ainsi il resterait encore suffisamment de travail pour les cent années à venir, au cours desquelles notre civilisation doit être capable de se mettre en accord avec les revendications de notre sexualité !
Une distinction diagnostique exacte entre les psychonévroses et la neurasthénie démontre aussi sa valeur en ce que les premières exigent une autre appréciation pratique et des mesures thérapeutiques particulières. Les psychonévroses apparaissent dans deux sortes de circonstances, soit de façon autonome, soit à la suite des névroses actuelles (neurasthénie et névrose d’angoisse). Dans ce dernier cas on a affaire à un type nouveau, d’ailleurs très fréquent, de névroses mixtes. L’étiologie de la névrose actuelle est devenue l’étiologie auxiliaire de la psychonévrose ; il en résulte un tableau morbide dans lequel domine par exemple la névrose d’angoisse, mais qui comprend aussi des traits de la neurasthénie vraie, de l’hystérie et de la névrose obsessionnelle. On aurait tort devant une telle intrication de renoncer peut-être à une distinction des tableaux névrotiques individualisés, car il n’est malgré tout pas difficile de s’expliquer le cas de la façon suivante : comme le démontre le développement prépondérant de la névrose d’angoisse, la maladie est ici apparue sous l’influence étiologique d’une nuisance sexuelle actuelle. Mais l’individu en cause était, en dehors de cela, prédisposé à une ou plusieurs psychonévroses par une étiologie particulière et il aurait un jour ou l’autre été atteint de psychonévrose, spontanément ou par l’adjonction d’un autre facteur débilitant. Eh bien, l'étiologie auxiliaire, encore marquante, pour la psychonévrose est fournie par l’étiologie actuelle de la névrose d’angoisse.
Pour de tels cas, s’est installée avec raison la pratique thérapeutique de négliger dans le tableau clinique les composantes psychonévrotiques et de traiter exclusivement la névrose actuelle. Dans bien des cas on parvient aussi à se rendre maître de la névrose concomitante, si l’on s’oppose adéquatement à la neurasthénie. Mais une autre appréciation est rendue nécessaire par ces cas de psychonévroses qui, ou bien surviennent spontanément, ou bien subsistent indépendamment au décours d’une maladie associant neurasthénie et psychonévrose. Si j’ai parlé de survenue « spontanée » d’une psychonévrose, je ne veux pas par là suggérer que tout facteur étiologique fasse défaut lors de l’enquête anamnestique. Cela peut bien être le cas, mais on peut aussi bien avoir l’attention attirée par un facteur indifférent, un mouvement émotionnel, un affaiblissement par une maladie somatique, etc. Cependant, on doit dans tous ces cas maintenir que la véritable étiologie des psychonévroses ne repose pas dans ces facteurs déclenchants, mais demeure insaisissable par le type habituel de recherche anamnestique.
Comme nous le savons, c’est cette lacune qu’on a tenté de combler par l’hypothèse d’une disposition névropathique particulière, dont l’existence assurément ne laisserait guère de perspective de succès pour une thérapie de ces états pathologiques. La disposition névropathique elle-même est conçue comme le signe d’une dégénérescence générale, et ainsi ce terme factice et commode en vient à être utilisé surabondamment contre les pauvres malades que les médecins sont fort impuissants à aider. Par bonheur, il en va autrement. La disposition névropathique existe bien, mais je dois contester qu’elle suffise à produire la psychonévrose. Qui plus est, je dois contester que le concours d’une disposition névropathique et de causes déclenchantes de la vie ultérieure constitue une étiologie suffisante des psychonévroses. En rapportant le destin pathologique des individus aux expériences vécues par leurs ancêtres, on est allé trop loin, et l’on a en ceci oublié qu’entre la conception et la maturité de l’individu se situe une période longue et importante de la vie, l’enfance, dans laquelle peuvent être acquis les germes d’une maladie ultérieure. Il en va effectivement ainsi dans la psychonévrose. Sa véritable étiologie est à trouver dans les expériences vécues de l’enfance, et cela à nouveau — et exclusivement — dans des impressions concernant la vie sexuelle. On a tort de négliger totalement la vie sexuelle des enfants ; ils sont, autant que je le sache, capables de toutes les réalisations sexuelles psychiques et de nombreuses réalisations somatiques. Pas plus que les organes génitaux externes et les deux gonades ne constituent la totalité de l’appareil sexuel de l’être humain, pas davantage sa vie sexuelle ne commence-t-elle seulement avec la puberté, comme il pourrait paraître à une observation grossière. Mais il est exact que l’organisation et l’évolution de l’espèce Homme tendent à éviter une activité sexuelle trop riche dans l’enfance ; il semble que les forces pulsionnelles sexuelles de l’être humain doivent être stockées, pour servir de grands buts culturels lorsqu’elles sont ensuite libérées à l’époque de la puberté (Wilh. Fliess). À partir d’un tel ensemble de faits, on peut sans doute comprendre pourquoi des expériences sexuelles de l’enfance ne peuvent qu’agir de façon pathogène. Mais elles ne développent leur action que pour la plus petite part à l’époque où elles surviennent ; bien plus considérable est leur action après coup, qui ne peut apparaître qu’à des périodes ultérieures de la maturation. Cette action après coup provient, il n’en peut être autrement, des traces psychiques qu’ont laissées les expériences sexuelles infantiles. Dans l’intervalle entre l’expérience de ces impressions et leur reproduction (ou bien plutôt le renforcement des impulsions libidinales qui en découlent), non seulement l’appareil sexuel somatique mais également l’appareil psychique ont connu un développement considérable, et c’est pourquoi de l’influence de ces expériences sexuelles précoces résulte maintenant une réaction psychique anormale, et des formations psychopathologiques apparaissent.
Dans ces indications je n’ai pu que citer les facteurs principaux sur lesquels s’appuie la théorie des psychonévroses : l’après-coup, l’état infantile de l’appareil sexuel et de l’instrument psychique. Pour arriver à une véritable compréhension du mécanisme d’apparition des psychonévroses, il aurait fallu de plus amples développements ; avant tout, il serait inévitable de rendre crédibles certaines hypothèses, qui me paraissent nouvelles, sur la composition et le mode de travail de l’appareil psychique. Dans un livre sur L’interprétation du rêve, que je prépare actuellement, j’aurai l’occasion d’aborder ces fondements d’une psychologie des névroses. Le rêve appartient en effet à la même série de formations psychopathologiques que l’idée fixe hystérique, l’obsession et l’idée délirante.
Comme les manifestations des psychonévroses proviennent de traces psychiques inconscientes par le moyen de l’après-coup, elles deviennent accessibles à la psychothérapie qui doit toutefois emprunter ici d’autres voies que celle qui a été jusqu’à présent uniquement suivie, la suggestion avec ou sans hypnose. M’appuyant sur la méthode « cathartique » proposée par J. Breuer, j’ai presque complètement élaboré dans les dernières années une procédure thérapeutique que je dénommerai la procédure « psychanalytique », à laquelle je dois de nombreux succès, tout en osant espérer accroître encore considérablement son efficacité. Dans les Études sur l’hystérie publiées en 1895 (avec J. Breuer) ont été données les premières communications sur la technique et la portée de la méthode. Depuis lors, bien des améliorations, j’ose l’affirmer, y ont été apportées. Tandis qu’alors nous déclarions avec modestie que nous ne pouvions nous attaquer qu’à l’élimination de symptômes hystériques et non pas à la guérison de l’hystérie elle-même, cette distinction m’est apparue depuis lors comme vide de contenu, et la perspective d’une véritable guérison de l’hystérie et des obsessions s’est offerte. C’est pourquoi j’ai trouvé un assez vif intérêt à lire dans les publications de collègues spécialistes : dans ce cas la procédure judicieuse inventée par Breuer et Freud a échoué, ou bien : la méthode n’a pas tenu ce qu’elle semblait promettre. Je ressentais alors ce que peut éprouver un homme qui trouve dans le journal son avis de décès, mais qui sûr de son fait peut se sentir tranquille. La procédure est en effet si difficile qu’elle doit absolument être apprise ; et je n’ai pas le souvenir qu’aucun de mes critiques ait voulu l’apprendre de moi, et je ne crois pas non plus qu’ils s’y soient consacrés comme moi-même avec suffisamment d’intensité pour pouvoir la découvrir par eux-mêmes. Les indications des Études sur l’hystérie sont parfaitement insuffisantes pour permettre au lecteur la maîtrise de cette technique, et d’ailleurs elles ne visent nullement à donner une formation complète.
La thérapie psychanalytique n’est pas à ce jour universellement applicable ; je lui connais les limitations suivantes : elle exige chez le malade un certain degré de maturité et de discernement, et par suite elle n’est pas valable pour des personnes infantiles ou pour des débiles et des incultes d’âge adulte. Elle échoue chez des personnes trop âgées, du fait que chez elles, en raison du matériel accumulé, elle requerrait beaucoup trop de temps, si bien qu’on parviendrait à la terminaison de la cure à une époque de la vie pour laquelle on n’attribue plus de valeur à la santé nerveuse. Enfin elle n’est possible que quand le malade a un état psychique normal, à partir duquel le matériel pathologique se laisse maîtriser. Pendant une confusion hystérique, une manie ou une mélancolie intercurrentes, on n’obtient aucun résultat avec les moyens de la psychanalyse. On peut aussi soumettre de tels cas à notre procédure, après avoir, par les mesures habituelles, amené l’apaisement des manifestations violentes. Dans la pratique, les cas chroniques de psychonévroses donnent en général mieux prise à la méthode que les cas de crises aiguës dans lesquels ce qui compte avant tout, évidemment, c’est la rapidité de leur résolution. Aussi, c’est pourquoi les phobies hystériques et les différentes formes de la névrose obsessionnelle offrent le champ de travail le plus favorable à cette nouvelle thérapie.
Que la méthode soit cantonnée dans ces limites, cela s’explique en grande partie par les conditions dans lesquelles j’ai dû l’élaborer. Mon matériel, ce sont justement des nerveux chroniques appartenant aux classes cultivées. Je tiens pour tout à fait possible qu’on puisse développer des procédures complémentaires pour des personnes infantiles et pour le public qui cherche assistance dans les hôpitaux. Je dois aussi indiquer que jusqu’à présent j’ai expérimenté ma thérapie exclusivement sur des cas graves d’hystérie et de névrose obsessionnelle ; qu’en adviendrait-il dans ces cas pathologiques légers que l’on voit aboutir à une guérison, apparente du moins, avec un traitement quelconque de peu de mois, je ne saurais le préciser. Comme on le conçoit, une nouvelle thérapie qui exige de multiples sacrifices, ne pouvait compter que sur ce type de malades qui avaient déjà essayé sans succès les méthodes curatives reconnues ou dont l’état justifiait la conclusion qu’ils n’auraient rien à attendre de ces procédures curatives soi-disant plus commodes et plus brèves. Ainsi dus-je d’emblée m’attaquer avec un instrument imparfait aux tâches les plus difficiles ; l’épreuve s’en révéla d’autant plus probante.
Les difficultés essentielles qui s’opposent encore maintenant à la méthode curative psychanalytique ne résident pas en celle-ci même, mais dans le manque de compréhension, chez les médecins et les profanes, pour la nature des psychonévroses. Ce n’est que la contrepartie nécessaire de cette totale ignorance, si les médecins se croient justifiés à consoler le malade par les assurances les plus inadéquates ou à l’inciter à des mesures thérapeutiques. « Venez six semaines dans mon établissement et vous serez débarrassé de vos symptômes (angoisse des voyages, obsessions, etc.). » De fait, l’établissement est indispensable pour apaiser des épisodes aigus au cours d’une psychonévrose, par la diversion, les soins et la mise à l’abri ; pour éliminer les états chroniques, il ne sert à rien, et cela aussi peu les maisons de santé distinguées dirigées de façon prétendument scientifique, que les établissements hydro-thérapiques communs.
Il serait plus convenable et plus profitable au malade, qui de toute façon doit finir par s’accommoder de ses maux, que le médecin dise la vérité, telle qu’il en fait tous les jours l’expérience : comme genre morbide, les psychonévroses ne sont nullement des affections légères. Lorsqu’une hystérie débute personne ne peut savoir d’avance quand elle prendra fin. On se console en vain la plupart du temps avec cette prophétie : un jour elle aura subitement disparu. La guérison se révèle assez souvent être un simple compromis de tolérance réciproque entre le sain et le malade chez le patient, ou bien elle se produit par voie de mutation d’un symptôme en une phobie. L’hystérie de la jeune fille, calmée à grand-peine, revit, après la brève interruption due au premier bonheur conjugal, dans l’hystérie de l’épouse, à ceci près que maintenant une personne autre qu’avant, l’époux, est poussé par son intérêt à faire silence sur ce cas pathologique. Là où la maladie ne provoque pas une invalidité manifeste, des atteintes à un épanouissement total des forces psychiques ne font presque jamais défaut. Les obsessions reviennent tout au long de la vie ; les phobies et autres limitations de la volonté se sont soustraites jusqu’ici à l’influence de toute thérapie. Tout cela est caché au profane et c’est pourquoi le père d’une fille hystérique s’indigne de devoir donner son accord, par exemple, à un traitement d’un an pour son enfant, alors que la maladie n’a peut-être duré que quelques mois. Le profane est pour ainsi dire profondément convaincu dans son for intérieur du caractère accessoire de toutes ces psychonévroses, c’est pourquoi face au déroulement de la maladie il ne présente aucune patience et face à la thérapie aucun esprit de sacrifice. S’il se montre plus compréhensif vis-à-vis d’une typhoïde qui dure trois semaines, d’une fracture de jambe dont la guérison réclame six mois, si la poursuite de mesures orthopédiques lui paraît envisageable pendant plusieurs années, dès qu’apparaissent chez son enfant les premières traces d’une déviation de la colonne vertébrale, c’est que cette différence résulte d’une meilleure compréhension des médecins, qui transmettent leur savoir au profane par une information honnête. La sincérité des médecins et la docilité des profanes s’instaureront également dans le cas des psychonévroses, pas avant que la pénétration de la nature de ces affections soit devenue fonds commun de la médecine. Le traitement psychothérapique radical de celles-ci exigera toujours, certes, une formation particulière et sera inconciliable avec l’exercice d’une autre activité médicale. En revanche, à cette catégorie de médecins, fort nombreux à l’avenir, s’offriront l’occasion de glorieuses réalisations et celle d’une pénétration satisfaisante de la vie psychique des hommes.
1 Die Sexualität in der Ätiologie der Neurosen, Wiener Klinische Rundschau, 12 (2), 21-22 ; (4). 55-57 ; (5). 70-72 et (7), 103-105. GW, I.