II.

De pareils fantasmes, surgis à un âge très tendre, peut-être à propos d’événements accidentels et conservés ultérieurement pour la satisfaction auto-érotique qu’ils procurent, ne peuvent, d’après tout ce que nous savons, être conçus que comme fonction d’un facteur primaire de perversion. Une des composantes de la fonction sexuelle aurait pris, dans l’évolution, de l’avance sur les autres, serait devenue prématurément indépendante, se serait fixée et dérobée ainsi aux processus évolutifs ultérieurs : elle fournirait par là le témoignage d’une anomalie constitutionnelle particulière.

Une perversion infantile de ce genre ne se maintient pas nécessairement la vie entière : on peut la voir subir un refoulement, être remplacée par un mécanisme réactionnel, ou se transmuer par sublimation. (La sublimation d’ailleurs provient, peut-être, d’un processus particulier qu’entraverait le refoulement.) Que si les processus que je viens d’indiquer font défaut, la perversion se maintient chez l’adulte. Quand nous constatons chez un adulte une aberration sexuelle — perversion, fétichisme, inversion — nous pouvons à juste titre espérer découvrir, par l’investigation anamnestique, une fixation infantile. Bien avant l’avènement de la psychanalyse, des observateurs tels que Binet avaient pu ramener les aberrations sexuelles de l’adulte à des impressions enregistrées précisément vers l’âge de cinq à six ans. Il y avait pourtant quelque chose où la raison se heurtait : le manque de force traumatisante des impressions fixatrices, leur caractère le plus souvent banal et sans valeur excitative pour les autres hommes. Il était impossible de dire pourquoi les appétences sexuelles s’étaient justement fixées sur elles. Leur signification n’apparut que quand on comprit qu’elles avaient fourni à la composante sexuelle trop avancée et prête à l’essor, le prétexte accidentel, mais nécessaire à sa fixation. Il fallait bien s’attendre à se voir arrêter quelque part, au moins provisoirement, dans la remontée du cours de l’enchaînement causal. La constitution était ce point d’arrêt.

Si la composante sexuelle qui s’isole précocement en devançant les autres est la composante sadique, nous pouvons, d’après ce que nous savons par ailleurs nous attendre à ce que son refoulement ultérieur crée une prédisposition à la névrose obsessionnelle. Or, il ne semble pas que le résultat fourni par l’examen clinique contredise ici cette hypothèse. Parmi les six observations (4 femmes et 2 hommes) sur l’étude approfondie desquelles cette courte étude est basée, il y avait deux cas de névrose obsessionnelle : le premier très grave, désorganisant toute la vie du malade ; le second moins grave, facilement accessible à l’intervention. Un troisième cas présentait au moins quelques traits nets de névrose obsessionnelle. Certes, le quatrième cas n’était qu’une simple hystérie avec des douleurs et des inhibitions et dans le cinquième cas, l’on n’avait recouru à la psychanalyse que pour des indécisions : un diagnostic clinique grossier aurait ou bien laissé ce sujet hors de tout classement, ou bien s’en serait débarrassé en en faisant un « psychasthénique ». Que cette statistique ne nous déçoive pas : toute prédisposition n’évolue pas nécessairement vers une maladie définie et en outre, nous devons nous estimer contents d’expliquer les faits positifs, sans nous croire obligés de préciser pourquoi telle ou telle chose n’est pas arrivée.

Voilà exactement jusqu’où nos connaissances actuelles nous permettent d’aller dans la compréhension des fantasmes de fustigation. Que cela ne constitue pas la liquidation définitive du problème, le psychanalyste l’entrevoit en reconnaissant que ces fantasmes semblent rester en dehors du reste du contenu de la névrose et ne pas occuper une place précise dans la structure de celle-ci. Mais je sais, par ma propre expérience qu’on néglige volontiers de pareilles impressions.