Psychanalyse
Psychanalyse est le nom : 1) d'un procédé d'investigation des processus psychiques, qui autrement sont à peine accessibles ; 2) d'une méthode de traitement des troubles névrotiques, qui se fondent sur cette investigation ; 3) d'une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui fusionnent progressivement en une discipline scientifique nouvelle.
Histoire
La meilleure façon de comprendre la psychanalyse est encore de s'attacher à sa genèse et à son développement. Dans les années 1880-1881, le Dr Joseph Breuer de Vienne, connu comme spécialiste des maladies internes et de physiologie expérimentale, s'occupa du traitement d'une jeune fille chez qui s'était déclarée, alors qu'elle soignait son père malade, une hystérie grave, dont le tableau clinique était composé de paralysies motrices, d'inhibitions et de troubles de la conscience. Répondant à un appel de la très intelligente patiente, il la mit en hypnose et parvint ainsi à ce que, en communiquant les états d'âme et les pensées qui la dominaient, elle retrouve chaque fois une disposition psychique normale. Par la répétition conséquente de ce procédé pénible, il réussit à la libérer de toutes ses inhibitions et paralysies, si bien que pour finir il trouva sa peine récompensée par un grand succès thérapeutique et par des conceptions inattendues sur la nature de l'énigmatique névrose. Cependant, Breuer s'abstint de mener plus avant sa découverte, et une dizaine d'années durant ne publia rien là-dessus, jusqu'à ce que l'influence personnelle de l'auteur de ces lignes (Freud, qui au sortir de l'école de Charcot était rentré à Vienne en 1886) réussisse à lui faire reprendre et travailler en commun ce sujet. Ensemble, Breuer et Freud publièrent alors, en 1893, une communication préliminaire, Sur le mécanisme psychique des phénomènes hystériques, et en 1895 un livre, Études sur l'hystérie (4e éd. en 1922), dans lequel ils désignaient leur procédé thérapeutique sous le terme de « cathartique ».
La catharsis
Des investigations, qui servirent de base aux études de Breuer et Freud, découlèrent avant tout deux résultats, qui ne furent d'ailleurs pas ébranlés par l'expérience ultérieure ; premièrement : les symptômes hystériques trouvent sens et signification dans le fait qu'ils sont un substitut d'actes psychiques normaux ; et deuxièmement : que le dévoilement de ce sens inconnu coïncide avec la levée des symptômes, que donc la recherche scientifique et l'effort thérapeutique se recouvrent ici. Les observations étaient faites sur une série de malades qui furent traitées comme la première patiente de Breuer, c'est-à-dire mises sous hypnose profonde, et les résultats parurent brillants jusqu'à ce que, par la suite, leur faiblesse se révèle. Les représentations théoriques que se firent alors Breuer et Freud étaient influencées par les enseignements de Charcot sur l'hystérie traumatique et pouvaient s'étayer sur les enquêtes de son disciple P. Janet, qui certes avaient été publiées plus tôt que les Études, mais n'en étaient pas moins postérieures au premier cas de Breuer. Dès le tout début le facteur affectif y était mis au premier plan ; les symptômes hystériques devaient naître du fait qu'un processus psychique chargé d'un affect puissant se trouvait d'une façon ou d'une autre empêché de se résorber par la voie normale conduisant à la conscience et à la motilité (abréaction), après quoi l'affect en quelque sorte « coincé » s'engageait dans de fausses voies et trouvait un écoulement dans l'innervation corporelle (conversion). Les circonstances dans lesquelles de telles « représentations » pathogènes prenaient naissance furent désignées par Breuer et Freud sous le nom de « traumatismes psychiques », et comme elles relevaient le plus souvent d'époques depuis longtemps révolues, les auteurs purent dire que les hystériques souffraient en grande partie de réminiscences (non liquidées).
La « catharsis » résultait alors, sous traitement, de l'ouverture de la voie d'accès à la conscience et du déchargement normal de l'affect. L'hypothèse de processus psychiques inconscients était, comme on le voit, une part indispensable de cette théorie. Janet lui aussi avait travaillé sur les actes inconscients de la vie psychique, mais comme il le souligna dans des polémiques ultérieures dirigées contre la psychanalyse, ceci n'était pour lui qu'une commodité d'expression, une manière de parler2, par laquelle il ne prétendait suggérer aucune conception nouvelle.
Dans un chapitre théorique des Études, Breuer a communiqué quelques spéculations sur les processus d'excitation dans le psychique, qui n'ont cessé de fournir des orientations pour l'avenir et n'ont, aujourd'hui, toujours pas été reconnues à leur juste valeur. Ainsi prirent fin ses contributions à ce domaine de la science ; il se retira peu après du travail commun.
Le passage à la psychanalyse
Dès les Études, des contradictions dans les conceptions des deux auteurs s'étaient annoncées. Breuer supposait que les représentations pathogènes manifestent un effet traumatique du fait qu'elles ont pris naissance dans des « états hypnoïdes », dans lesquels l'opération psychique est soumise à des limitations particulières. L'auteur de ces lignes rejetait cette explication et pensait reconnaître qu'une représentation devient pathogène dès lors que son contenu s'oppose aux tendances dominantes de la vie psychique, si bien qu'elle suscite la « défense » de l'individu (Janet avait attribué aux hystériques une incapacité constitutionnelle à maintenir ensemble leurs contenus psychiques ; c'est ici que les chemins de Breuer et Freud se séparaient du sien). Les deux innovations qui firent bientôt quitter à l'auteur de ces lignes le terrain de la catharsis avaient elles-mêmes déjà fait l'objet d'une mention dans les Études. Voici qu'elles devinrent après le retrait de Breuer le point de départ de nouveaux développements.
Abandon de l'hypnose
L'une de ces innovations s'appuyait sur une expérience pratique et conduisit à une modification de la technique, l'autre consistait en un progrès dans la connaissance clinique de la névrose. Il s'avéra bientôt que les espoirs thérapeutiques que l'on avait mis dans le traitement cathartique sous hypnose restaient dans un certain sens inaccomplis. La disparition des symptômes, il est vrai, s'effectuait parallèlement à la catharsis, mais le succès global s'avérait pourtant totalement dépendant de la relation du patient au médecin, se présentait donc comme un succès de la « suggestion », et lorsque cette relation se détruisait, tous les symptômes resurgissaient, comme s'ils n'avaient jamais trouvé de résolution. À cela, s'ajoutait encore que le faible nombre des personnes qui se faisaient mettre sous hypnose profonde avait pour conséquence une limitation, médicalement très importante, de l'utilisation du procédé cathartique. C'est pour ces raisons que l'auteur de ces lignes décida de renoncer à l'hypnose. Mais, dans le même temps, il puisait dans les impressions qu'il devait à l'hypnose les moyens de la remplacer.
La libre association
L'état hypnotique avait eu pour conséquence chez le patient une telle amplification de l'aptitude à associer qu'il savait aussitôt trouver le chemin, inaccessible à sa réflexion consciente, menant du symptôme aux pensées et souvenirs s'y rattachant. L'abandon de l'hypnose semblait créer une situation de désarroi, mais l'auteur de ces lignes se souvint de la preuve fournie par Bernheim que l'expérience vécue dans le somnambulisme n'était oubliée qu'en apparence et pouvait à tout moment être mise sur la voie du souvenir par le médecin assurant de façon pressante que celle-ci est connue. Il essaya donc de presser, même ses patients non hypnotisés, de communiquer leurs associations, afin de trouver par un tel matériel le chemin de ce qui est soumis à l'oubli ou à la défense. Plus tard, il remarqua qu'on n'avait pas besoin d'une telle pression, que chez le patient les idées subites surgissaient presque toujours en abondance, mais que celles-ci étaient, par des objections déterminées qu'il se faisait à lui-même, tenues à l'écart de la communication et même de la conscience. Dans l'attente, à cette époque encore injustifiée, confirmée plus tard par une expérience féconde, que tout ce qui vient à l'esprit du patient à partir d'un point donné doive nécessairement être aussi en rapport intime avec celui-ci, la technique se dégagea, qui éduque le patient à renoncer à toutes ses positions critiques et qui exploite le matériel d'idées subites, amené alors à la lumière, en vue de dévoiler les rapports recherchés. Une solide confiance en la rigueur du déterminisme dans le psychique avait certainement sa part dans la conversion à cette technique, qui devait remplacer l'hypnose.
La « règle fondamentale de la technique », Ce procédé de l'« association libre », a été retenu depuis dans le travail psychanalytique. On engage le traitement en invitant le patient à se mettre dans la situation d'un auto-observateur attentif et dénué de passion, à ne recueillir toujours que la surface de sa conscience et, d'une part, à se faire un devoir de la plus totale franchise, d'autre part, à n'exclure de la communication aucune idée subite, même si : 1) on devait la ressentir comme par trop désagréable, ou même si 2) on ne pouvait pas la juger autrement qu'insensée, 3) par trop anodine, 4) étrangère à ce que l'on cherche. Il s'avère régulièrement que les idées subites, suscitant les critiques mentionnées en dernier, sont justement celles qui ont une valeur particulière pour la découverte de ce qui est soumis à l'oubli.
La psychanalyse, art de l'interprétation
La nouvelle technique modifia tellement l'impression produite par le traitement, entraîna le médecin dans des relations aux malades tellement nouvelles et fournit des résultats tellement surprenants qu'il parut justifié de recourir à un nom pour distinguer ce procédé de la méthode cathartique. L'auteur de ces lignes choisit pour le mode de traitement, pouvant désormais s'étendre à beaucoup d'autres formes de perturbation névrotique, le nom de psychanalyse. Cette psychanalyse était donc au premier chef un art de l'interprétation et se fixait la tâche d'approfondir la première des grandes découvertes de Breuer, selon laquelle les symptômes névrotiques sont un substitut plein de sens pour d'autres actes psychiques qui n'ont pas eu lieu. Dorénavant, il s'agissait de concevoir le matériel fourni par les idées subites des patients, comme s'il renvoyait à un sens caché, et de deviner ce sens à partir de ce matériel. L'expérience montra rapidement que le médecin analysant se comporte ici de la façon la plus adéquate s'il s'abandonne lui-même, dans un état d'attention uniformément flottante, à sa propre activité mentale inconsciente, évite le plus possible de réfléchir et d'élaborer des attentes conscientes, ne veut, de ce qu'il a entendu, rien fixer en particulier dans sa mémoire et capte de la sorte l'inconscient du patient avec son propre inconscient. On remarqua alors, quand les circonstances n'étaient pas trop défavorables, que les idées subites du patient avançaient par tâtonnements, en quelque sorte comme des allusions vers un thème donné, et l'on n'eut plus soi-même qu'à oser un pas de plus en avant pour deviner et pouvoir communiquer au patient ce qui lui était à lui-même caché. Certes, ce travail d'interprétation ne se laissait pas rigoureusement enfermer dans des règles et laissait une grande aire de jeu au tact et à l'adresse du médecin, c'est seulement en conjuguant impartialité et entraînement que l'on parvenait généralement à des résultats fiables, c'est-à-dire à ceux qui, dans des cas semblables, se confirmaient par répétition. À l'époque où si peu de choses étaient encore connues sur l'inconscient, la structure des névroses et les processus pathologiques à leur arrière-plan, on ne pouvait qu'être satisfait de pouvoir recourir à une telle technique, même si elle n'était pas mieux fondée en théorie. On la pratique d'ailleurs encore de la même façon dans l'analyse actuelle, avec seulement le sentiment d'une plus grande sécurité et une meilleure compréhension de ses limites.
L'interprétation des actes manqués et actions fortuites
Ce fut un triomphe pour l'art de l'interprétation de la psychanalyse lorsqu'elle réussit à prouver que certains actes psychiques fréquents des personnes normales, pour lesquels jusqu'à présent on n'avait pas requis la moindre explication psychologique, sont à comprendre comme les symptômes des névrosés, c'est-à-dire ont un sens, qui n'est pas connu de l'intéressé mais peut être facilement trouvé par l'effort d'analyse. Les phénomènes en question, l'oubli momentané de paroles et de noms habituellement bien connus, l'oubli de résolutions, les si fréquents lapsus linguœ, erreur de lecture, lapsus calami, fait de perdre ou d'égarer des objets, maintes erreurs ou actes d'auto-endommagement apparemment fortuits, enfin des mouvements que l'on accomplit par habitude, comme sans intention et par jeu, des mélodies qu'on fredonne « sans penser à rien » et autres choses encore — tout ceci fut soustrait à l'explication physiologique, pour peu que celle-ci ait été tentée, fut présenté comme rigoureusement déterminé et reconnu comme manifestation d'intentions réprimées de la personne ou comme conséquence d'une interférence de deux intentions, dont l'une était inconsciente durablement ou dans l'instant. Cette contribution à la psychologie était polyvalente. Le champ du déterminisme psychique s'en trouva élargi dans des proportions insoupçonnées ; l'abîme supposé entre les faits psychiques normaux et les faits psychiques morbides fut réduit ; dans de nombreux cas on put aisément voir clair dans le jeu des forces psychiques, qu'on ne pouvait pas ne pas supposer derrière les phénomènes. Finalement, on acquit ainsi un matériel, propre comme nul autre à éveiller la croyance en l'existence d'actes psychiques inconscients, même chez ceux à qui l'hypothèse d'un psychisme inconscient apparaît comme bizarre, voire même absurde. L'étude des actes manqués et des actions fortuites proprement dits — occasion qui s'offre en abondance à la plupart des gens — est encore aujourd'hui la meilleure façon de se préparer à pénétrer dans la psychanalyse. Dans le traitement analytique, l'interprétation des actes manqués affirme sa place comme moyen de dévoilement de l'inconscient, à côté de l'interprétation des idées subites, incomparablement plus importante.
L'interprétation des rêves
Un nouvel accès aux profondeurs de la vie de l'âme s'ouvrit lorsque l'on appliqua la technique de la libre association aux rêves, les siens propres ou ceux des patients analytiques. En fait, la plus grande et la meilleure part de ce que nous savons des processus se déroulant dans les couches inconscientes de l'âme provient de l'interprétation des rêves. La psychanalyse a restitué au rêve la signification qui lui était autrefois, dans les temps anciens, généralement dévolue, mais elle procède autrement avec lui. Elle ne s'en remet pas à la sagacité de l'interprète du rêve, mais pour la plus grande part, transfère la tâche au rêveur lui-même, en lui demandant ce qu'il associe aux différents éléments du rêve. En poursuivant plus avant ces associations, on parvient à la connaissance de pensées qui recouvrent parfaitement le rêve, mais qui, jusqu'à un certain point, se révèlent être des pans de l'activité de l'âme en éveil, ayant pleine valeur et parfaitement compréhensibles. Ainsi le rêve remémoré se trouve-t-il, en tant que contenu manifeste du rêve, confronté aux pensées latentes du rêve trouvées par interprétation. Le processus qui a converti ces pensées en ce contenu, en « rêve » justement, et qui est défait par le travail de l'interprétation, peut à bon droit être appelé travail du rêve.
Les pensées latentes du rêve, nous les appelons également, en raison de leur relation à la vie de veille, restes diurnes. Elles se trouvent condensées de façon étonnante par le travail du rêve, auquel on aurait tout à fait tort d'attribuer un caractère « créateur », déformées par le déplacement d'intensités psychiques, organisées pour la présentation en images visuelles, et sont par ailleurs soumises, avant que n'aboutisse la mise en forme du rêve manifeste, à une élaboration secondaire, qui pourrait bien donner à la nouvelle construction quelque chose comme du sens et de la cohésion. À vrai dire, ce dernier processus n'appartient plus au travail du rêve.
Théorie dynamique de la formation du rêve
Percer à jour la dynamique de la formation du rêve n'a pas fait trop de difficultés. La force pulsionnelle nécessaire à la formation du rêve n'est pas formée par les pensées latentes du rêve ou les restes diurnes, mais par une tendance inconsciente refoulée le jour, avec laquelle les restes diurnes ont pu se mettre en relation, et qui s'aménage un accomplissement de désir à partir du matériel des pensées latentes. Ainsi chaque rêve est-il d'une part un accomplissement de désir de l'inconscient, d'autre part, dans la mesure où il réussit à préserver l'état de sommeil de toute perturbation, un accomplissement du désir normal de sommeil, qui a induit le sommeil. Fait-on abstraction de la contribution inconsciente à la formation du rêve et réduit-on le rêve à ses pensées latentes, il peut alors être le représentant de tout ce qui a occupé la vie de veille, une réflexion, un avertissement, une résolution, une préparation du proche avenir et également la satisfaction d'un désir inaccompli. Le caractère méconnaissable, l'étrangeté, l'absurdité du rêve manifeste sont pour une part la conséquence de la transposition des pensées du rêve en un autre mode d'expression qu'il faut qualifier d'archaïque, mais d'autre part l'effet d'une instance de limitation et de refus critique, qui même pendant le sommeil n'est pas totalement abolie. On n'a pas de peine à supposer que la « censure du rêve », que nous rendons responsable au premier chef de la déformation des pensées du rêve en rêve manifeste, est une extériorisation des mêmes forces psychiques qui, tout le jour, avaient tenu à l'écart, refoulé, la motion inconsciente de désir.
Il vaudrait la peine de pénétrer plus avant dans l'élucidation des rêves, car le travail analytique a montré que la dynamique de la formation du rêve est la même que celle de la formation du symptôme. Ici et là, nous reconnaissons un antagonisme de deux tendances, une inconsciente, d'habitude refoulée, qui vise à la satisfaction — accomplissement de désir —, et une appartenant vraisemblablement au moi conscient, qui refuse et qui refoule, et nous reconnaissons comme résultat de ce conflit une formation de compromis — le rêve, le symptôme — dans laquelle les deux tendances ont trouvé une expression imparfaite. La signification théorique de cette concordance saute aux yeux. Comme le rêve n'est pas un phénomène pathologique, cette concordance fournit la preuve que les mécanismes psychiques qui produisent les symptômes morbides sont également présents dans la vie psychique normale, que la conformité aux mêmes lois inclut le normal et l'anormal, et que les résultats de la recherche sur les névrosés et les malades mentaux ne peuvent pas être sans importance pour la compréhension de la psyché saine.
La symbolique
Lors de l'étude du mode d'expression créé par le travail du rêve, on se trouva en face du fait surprenant que, dans le rêve, certains objets, arrangements et rapports sont représentés en quelque sorte indirectement par des « symboles », que le rêveur utilise sans en connaître la signification, et même à propos desquels son association ne fournit habituellement rien. Il faut que leur traduction soit donnée par l'analyste, qui lui-même ne peut la trouver qu'empiriquement, en essayant de l'intégrer dans le contexte. Il s'avéra plus tard que l'usage de la langue, la mythologie et le folklore contiennent les analogies les plus abondantes avec les symboles du rêve. Les symboles, auxquels se rattachent les problèmes les plus intéressants non encore résolus, semblent être un fragment du patrimoine psychique immémorial, La communauté du symbole s'étend au-delà de la communauté de la langue.
La signification étiologique de la vie sexuelle
La seconde nouveauté qui se fit jour, après que l'on eut remplacé la technique hypnotique par l'association libre, était de nature clinique et fut trouvée lors de la recherche continue des expériences vécues traumatiques, dont les symptômes hystériques semblaient dériver. Plus on mettait de soin dans cette quête, plus l'enchaînement de telles impressions étiologiquement significatives se révélait fécond, mais plus celles-ci remontaient loin dans la puberté ou l'enfance du névrosé. Simultanément, elles acquéraient un caractère uniforme et finalement on devait s'incliner devant l'évidence et reconnaître qu'à la racine de toute formation de symptôme, on ne manquerait pas de trouver des impressions traumatiques nées de la vie sexuelle des toutes premières années. Le traumatisme sexuel prit ainsi la place du traumatisme banal et ce dernier dut sa signification étiologique à sa relation associative ou symbolique avec le premier qui l'avait précédé. Comme l'examen, entrepris dans le même temps, de cas de nervosité commune, classés comme neurasthénie et névrose d'angoisse, amena à conclure que ces perturbations se ramènent à des aberrations actuelles dans la vie sexuelle et peuvent être écartées par l'arrêt de celles-ci, on en déduisit sans peine que les névroses étaient en réalité l'expression de perturbations dans la vie sexuelle, les névroses dites actuelles l'expression (à médiation chimique) d'endommagements présents, les psychonévroses l'expression (à élaboration psychique) d'endommagements depuis longtemps révolus de cette fonction biologiquement si importante, jusqu'à présent gravement négligée par la science. Aucune des thèses de la psychanalyse n'a rencontré une incrédulité si obstinée, ni une résistance si acharnée, que celle de la signification étiologique prépondérante de la vie sexuelle pour les névroses. Ne manquons pourtant pas de remarquer expressément que la psychanalyse n'a d'ailleurs rencontré, au cours de son développement jusqu'à ce jour, aucun motif pour rétracter cette affirmation.
La sexualité infantile
Par son investigation étiologique, la psychanalyse se mit en situation de s'occuper d'un thème dont l'existence avait été à peine présumée avant elle. On s'était habitué en science à faire commencer la vie sexuelle avec la puberté, et l'on avait jugé les manifestations de la sexualité infantile comme des signes rares de précocité anormale et de dégénérescence. Et voici que la psychanalyse dévoilait une abondance de phénomènes aussi singuliers que réguliers, par lesquels on se voyait contraint de faire coïncider le début de la fonction sexuelle chez l'enfant presque avec le commencement de la vie extra-utérine, et l'on se demanda avec étonnement comment il avait été possible de fermer les yeux sur tout cela. Les premières vues sur la sexualité infantile ont certes été acquises par l'investigation analytique d'adultes, et par conséquent affectées de tous les doutes et sources d'erreur qu'on pouvait attendre d'une rétrospection si tardive, mais lorsque plus tard (à partir de 1908) l'on commença d'analyser et d'observer sans préjugé des enfants eux-mêmes, on acquit la confirmation directe de tout le contenu concret de la nouvelle conception.
La sexualité infantile montrait à maints égards un autre tableau que celle des adultes et surprenait par de nombreux caractères relevant de ce qui était condamné chez les adultes comme « perversion ». Il fallut élargir le concept du sexuel jusqu'à ce qu'il englobe plus que la tendance à l'union des deux sexes dans l'acte sexuel ou à la provocation de sensations de plaisir particulières aux organes génitaux. Mais cet élargissement trouva sa récompense dans le fait qu'il devint possible de comprendre la vie sexuelle infantile, normale et perverse, à partir d'un ensemble.
L'investigation analytique conduite par l'auteur tomba tout d'abord dans l'erreur de surestimer largement la séduction comme source des manifestations sexuelles infantiles et germe de la formation de symptôme névrotique. On réussit à triompher de cette illusion lorsque se fit reconnaître dans la vie psychique des névrosés le rôle extraordinairement grand de l'activité fantasmatique, qui, pour la névrose, était manifestement plus déterminante que la réalité extérieure. C'est derrière ces fantasmes qu'apparut alors le matériel permettant de donner la description suivante du développement de la fonction sexuelle.
Le développement de la libido
La pulsion sexuelle, dont on appellera la manifestation dynamique dans la vie psychique « libido », est composée de pulsions partielles en quoi elle peut aussi se désagréger de nouveau, et qui ne se réunissent que progressivement en organisations déterminées. La source de ces pulsions partielles, ce sont les organes du corps, en particulier certaines zones érogènes éminentes, mais tous les processus fonctionnels importants dans le corps fournissent également des contributions à la libido. Les pulsions partielles prises une à une aspirent, tout d'abord indépendamment les unes des autres, à la satisfaction, mais au cours du développement elles se regroupent et convergent toujours davantage. On reconnaît comme premier stade d'organisation (prégénital) le stade oral, dans lequel, conformément à l'intérêt principal du nourrisson, la zone buccale joue le rôle principal. Lui succède l'organisation sadique-anale, dans laquelle la pulsion partielle du sadisme et la zone anale se distinguent particulièrement ; la différence des sexes est ici représentée par le contraste actif et passif. Le troisième et dernier stade d'organisation, c'est le regroupement de la plupart des pulsions partielles sous le primat des zones génitales. En règle générale, ce développement se déroule rapidement et imperceptiblement ; pourtant des parties isolées des pulsions en restent aux stades qui précèdent l'aboutissement ultime et produisent ainsi les fixations de la libido, qui, en tant que dispositions à de futures irruptions des tendances refoulées, sont importantes et se trouvent dans un rapport déterminé avec le développement des futures névroses et perversions (voir « Théorie de la Libido »).
La découverte de l'objet et le complexe d'Œdipe
La pulsion partielle orale trouve d'abord sa satisfaction en s'étayant sur l'assouvissement du besoin de nourriture et son objet dans le sein maternel. Elle se détache alors, devenant autonome et simultanément auto-érotique, c'est-à-dire découvre son objet dans le corps propre. Également d'autres pulsions partielles se comportent d'abord de façon auto-érotique et ne se dirigent que plus tard sur un objet étranger. Il est particulièrement significatif que les pulsions partielles de la zone génitale passent régulièrement par une période d'intense satisfaction auto-érotique. Pour l'organisation génitale définitive de la libido, toutes les pulsions partielles ne sont pas également utilisables, c'est pourquoi quelques-unes d'entre elles (par exemple les anales) sont mises de côté, réprimées ou soumises à des transformations compliquées.
Dès les premières années d'enfance (de la deuxième à la cinquième environ) s'opère un regroupement des tendances sexuelles, dont l'objet, chez le garçon, est la mère. Ce choix d'objet, parallèlement à la position, qui lui est inhérente, de rivalité et d'hostilité à l'égard du père, est le contenu de ce qu'on appelle complexe d'Œdipe, lequel, chez tous les hommes, revêt la plus grande importance pour la mise en forme ultime de la vie amoureuse. On a posé comme caractéristique du sujet normal le fait qu'il apprend à maîtriser le complexe d'Œdipe, alors que le névrosé y reste attaché.
L'instauration diphasée du développement sexuel
Cette période initiale de la vie sexuelle trouve normalement un terme vers la cinquième année et est relayée par un temps de latence plus ou moins totale, pendant laquelle les limitations éthiques s'édifient en tant que formations de protection contre les motions de désir du complexe d'Œdipe. Dans le temps qui lui succède, celui de la puberté, le complexe d'Œdipe connaît une réactivation dans l'inconscient et affronte ses nouveaux remaniements. Il faut attendre le temps de la puberté pour que celui-ci développe les pulsions sexuelles jusqu'à leur pleine intensité ; mais l'orientation de ce développement et toutes les dispositions afférentes sont déjà déterminées par l'épanouissement initial de la sexualité préalablement accompli dans l'enfance. Ce développement diphasé de la fonction sexuelle, interrompu par la période de latence, semble être une particularité biologique de l'espèce humaine et receler la condition nécessaire à la naissance des névroses.
La doctrine du refoulement
La conjonction de ces connaissances théoriques avec les impressions immédiates résultant du travail analytique conduit à une conception des névroses qui, très grossièrement esquissée, peut s'énoncer ainsi : les névroses sont l'expression de conflits entre le moi et celles des tendances sexuelles qui apparaissent au moi comme incompatibles avec son intégrité ou ses exigences éthiques. Le moi a refoulé ces tendances non accordées au moi, c'est-à-dire leur a retiré son intérêt et leur a barré l'accès à la conscience ainsi qu'à la décharge motrice menant à la satisfaction. Lorsque dans le travail analytique on tente de rendre conscientes ces motions refoulées, on en vient à ressentir les forces refoulantes comme une résistance. La réalisation du refoulement fait cependant très facilement défaut dans le cas des pulsions sexuelles. Leur libido accumulée se fraie, à partir de l'inconscient, d'autres issues, en régressant à des phases de développement et à des positions objectales antérieures et, là où se trouvent des fixations infantiles, en opérant aux points faibles du développement libidinal une percée vers la conscience et la décharge. Ce qui prend ainsi naissance est un symptôme et donc au fond une satisfaction sexuelle substitutive, mais même le symptôme peut ne pas se soustraire encore entièrement à l'influence des forces refoulantes du moi, si bien qu'il doit s'accommoder de modifications et de déplacements — en parfaite similitude avec le rêve —-, grâce auxquels son caractère de satisfaction sexuelle devient méconnaissable. Le symptôme acquiert ainsi le caractère d'une formation de compromis entre les pulsions sexuelles refoulées et les pulsions du moi refoulantes, d'un accomplissement de désir pour les deux parties en conflit, simultané mais imparfait des deux côtés. Cela vaut en toute rigueur pour les symptômes de l'hystérie, tandis que, dans le cas des symptômes de la névrose obsessionnelle, la part de l'instance refoulante parvient fréquemment à une expression plus vigoureuse par instauration de formations réactionnelles (assurances contre la satisfaction sexuelle).
Le transfert
S'il était encore besoin d'une preuve supplémentaire en faveur de l'affirmation que les forces pulsionnelles de la formation de symptôme névrotique sont de nature sexuelle, on la trouverait dans le fait que s'instaure régulièrement pendant le traitement analytique une relation affective particulière du patient à son médecin, qui va bien au-delà des normes rationnelles, qui dans ses variations va de l'abandon le plus tendre à l'hostilité la plus obstinée, et emprunte toutes ses particularités aux positions amoureuses, antérieures et devenues inconscientes, du patient. Ce transfert qui, tant dans sa forme positive que dans sa forme négative, se met au service de la résistance devient dans les mains du médecin le moyen de secours le plus puissant et joue dans la dynamique du processus de guérison un rôle qu'on ne saurait surestimer.
Les piliers de la théorie psychanalytique
L'acceptation de processus psychiques inconscients, la reconnaissance de la doctrine de la résistance et du refoulement, la prise en considération de la sexualité et du complexe d'Œdipe sont les contenus principaux de la psychanalyse et les fondements de sa théorie, et qui n'est pas en mesure de souscrire à tous ne devrait pas compter parmi les psychanalystes.
Destins ultérieurs de la psychanalyse
Dans les limites approximatives de ce qui vient d'être esquissé, la psychanalyse avait progressé grâce au travail de l'auteur de ces lignes, qui pendant plus d'une décennie la représenta seul. En 1906, les psychiatres suisses E. Bleuler et C. G. Jung se prirent d'un vif intérêt pour l'analyse, en 1907 eut lieu à Salzbourg une première rencontre de ses adeptes, et bientôt la jeune science se découvrit au centre de l'intérêt des psychiatres comme des profanes. Le mode d'accueil dans l'Allemagne autoritariste ne fut pas précisément à l'honneur de la science allemande et provoqua même chez un partisan aussi froid qu'E. Bleuler une défense énergique. Pourtant, toutes les condamnations et mesures discriminatoires officielles lors des congrès ne réussirent pas à arrêter la croissance intérieure et l'expansion extérieure de la psychanalyse, qui dès lors, au cours des dix années suivantes, déborda largement les frontières de l'Europe et devint populaire aux États-Unis d'Amérique particulièrement, ce qu'on ne doit pas pour une moindre part à la diligence ou à la collaboration de J. Putnam (Boston), Ernest Jones (Toronto, plus tard Londres), Flournoy (Genève), Ferenczi (Budapest), Abraham (Berlin), et de beaucoup d'autres. L'anathème frappant la psychanalyse amena ses adeptes à s'associer en une organisation internationale, qui tient cette année (1922) à Berlin son huitième congrès privé et qui comporte actuellement les groupes locaux suivants : Vienne, Budapest, Berlin, Hollande, Zurich, Londres, New York, Calcutta et Moscou. Même la guerre mondiale n'interrompit pas ce développement. En 1918-1919 fut fondé par le Dr Anton von Freund (Budapest) l'Internationaler Psychoanalytischer Verlag, qui publie les livres et revues au service de la psychanalyse ; en 1920 fut ouverte à Berlin, par le Dr M. Eitingon, la première « Policlinique psychanalytique » pour le traitement des malades nerveux sans ressources. Des traductions des œuvres principales de l'auteur de ces lignes, en français, en italien et en espagnol, qui sont en ce moment même en préparation, attestent l'éveil de l'intérêt pour la psychanalyse même dans le monde roman. Dans les années 1911-1913 se détachèrent de la psychanalyse deux orientations, qui s'efforçaient manifestement d'en atténuer les côtés scabreux. L'une, ouverte par C. G. Jung, cherchait à faire droit aux exigences éthiques, dépouillait le complexe d'Œdipe de sa signification réelle en opérant un renversement de valeurs par symbolisation, et négligeait dans la pratique le dévoilement de la période infantile oubliée, celle qui mérite le nom de « préhistorique ». L'autre, qui a pour promoteur Alf. Adler à Vienne, restituait sous un autre nom maints éléments de la psychanalyse, par exemple le refoulement pris dans une conception sexualisée comme « protestation virile », mais s'écartait par ailleurs de l'inconscient et des pulsions sexuelles, et cherchait à ramener le développement du caractère comme celui des névroses à la volonté de puissance, qui s'efforce de tenir en échec au moyen de la surcompensation les dangers menaçants nés de l'infériorité des organes. Ces deux orientations érigées en système n'ont pas influencé durablement le développement de la psychanalyse ; pour ce qui est de l'adlérienne, il s'est avéré rapidement qu'elle a trop peu de points communs avec la psychanalyse à laquelle elle prétendait se substituer.
Progrès récents de la psychanalyse
Depuis que la psychanalyse est devenue domaine d'activité pour un si grand nombre d'observateurs, elle a acquis des enrichissements et des approfondissements dont il ne peut malheureusement être fait mention dans cet article que très succinctement.
Le narcissisme
Le progrès théorique le plus important de la psychanalyse fut bien l'application de la doctrine de la libido au moi refoulant. On en vint à se représenter le moi lui-même comme un réservoir de libido — appelée narcissique — duquel s'écoulent les investissements libidinaux des objets et dans lequel ces investissements peuvent être réintroduits. À l'aide de cette représentation il devint possible d'aborder l'analyse du moi et de procéder au partage clinique des psychonévroses en névroses de transfert et affections narcissiques. Dans les premières (hystérie et névrose obsessionnelle) est disponible une quantité de libido tendant au transfert sur des objets étrangers, qui est mise à contribution pour mener à bien le traitement analytique ; les troubles narcissiques (démence précoce, paranoïa, mélancolie) sont au contraire caractérisés par le fait que la libido se retire des objets, et sont pour cela à peine accessibles à la thérapie analytique. Mais cette insuffisance thérapeutique n'a pas empêché l'analyse de fournir les prémices les plus fécondes d'une compréhension approfondie de ces souffrances attribuées aux psychoses.
Tournant de la technique
Après que l'élaboration de la technique d'interprétation eut satisfait pour ainsi dire le désir de connaître de l'analyste, il fallut que l'intérêt se tourne vers le problème de savoir par quelles voies on pouvait parvenir à influencer le patient avec le maximum d'efficacité. Il en résulta bientôt que la première des tâches du médecin est d'amener le patient à connaître et plus tard à surmonter les résistances qui surgissent chez lui pendant le traitement et dont au début il n'a pas même conscience. On reconnut en outre, simultanément, que la part essentielle du travail de guérison consiste à surmonter ces résistances, et que sans cette opération une modification psychique durable du patient ne peut être atteinte. Depuis que le travail de l'analyste se règle ainsi sur la résistance du malade, la technique analytique a acquis une précision et une finesse qui rivalisent avec celles de la technique chirurgicale. Il faut donc déconseiller instamment d'entreprendre des traitements psychanalytiques sans formation rigoureuse, et le médecin qui s'y risque en se fiant à son diplôme reconnu par l'État n'est en rien meilleur qu'un profane.
La psychanalyse, méthode thérapeutique
La psychanalyse ne s'est jamais donnée pour une panacée et n'a pas non plus prétendu faire des miracles. Dans un des domaines les plus difficiles de l'activité médicale, elle est, pour des souffrances déterminées, la seule méthode possible, et, pour d'autres, celle qui fournit les résultats les meilleurs ou les plus durables, jamais sans dépense correspondante de temps et de travail. Du médecin qui n'est pas totalement absorbé par les soins qu'il a pour tâche de donner, elle récompense généreusement la peine en lui procurant des lumières insoupçonnées sur les labyrinthes de la vie psychique et les connexions entre psychique et corporel. Là où présentement elle ne peut offrir une aide, mais seulement une compréhension théorique, elle fraie peut-être la voie à une influence ultérieure plus directe sur les troubles névrotiques. Elle a pour champ d'action avant tout les deux névroses de transfert, hystérie et névrose obsessionnelle, dans lesquelles elle a contribué à mettre au jour la structure interne et les mécanismes à l'œuvre, sans compter toutes les sortes de phobies, les inhibitions, les anomalies caractérielles, les perversions sexuelles et les difficultés de la vie amoureuse. Selon les indications de quelques analystes, le traitement analytique des atteintes organiques franches n'est pas non plus sans avenir (Jelliffe, Groddeck, Félix Deutsch), puisqu'il n'est pas rare qu'un facteur psychique prenne part à la genèse et à la persistance de ces affections. Comme la psychanalyse requiert chez ses patients un certain degré de plasticité psychique, elle doit, au moment de les choisir, s'en tenir à des limites d'âge déterminées, et comme elle a pour condition qu'on s'occupe longuement et intensément du malade pris isolément, ce serait un non-sens économique de faire inconsidérément une telle dépense à propos d'individus totalement sans valeur, même si par ailleurs ils sont névrosés. Pour savoir quelles modifications sont exigibles pour rendre le procédé thérapeutique de la psychanalyse accessible à de plus larges couches sociales et pour l'adapter à des intelligences plus ou moins faibles, il faut attendre la leçon de l'expérience fournie par le matériel policlinique.
Sa comparaison avec les méthodes d'hypnose et de suggestion
Le procédé psychanalytique se distingue de tous les procédés de suggestion, de persuasion et autres, en ce qu'il ne veut réprimer chez le patient aucun phénomène psychique par voie d'autorité. Il cherche à pénétrer jusqu'à l'origine du phénomène et à abolir celui-ci par la modification durable de ses conditions de naissance. L'inévitable influence suggestionnante du médecin est, dans la psychanalyse, orientée vers la tâche, dévolue au malade, de vaincre ses résistances, c'est-à-dire d'opérer le travail de guérison. Contre le danger de falsifier par la suggestion les données fournies par la mémoire du malade, on se protège par un maniement prudent de la technique. Mais en général on est protégé justement par l'éveil des résistances contre les effets de l'influence suggestionnante qui induisent en erreur. On peut poser comme but du traitement de provoquer, par l'abolition des résistances et l'examen des refoulements du malade, l'unification et le renforcement de son moi les plus étendus, de lui épargner la dépense psychique consacrée aux conflits internes, de façonner, à partir de ce qu'il est, le meilleur de ce qu'il peut devenir en fonction de ses dispositions et capacités, et de le rendre, autant que possible, capable de réaliser et de jouir. L'élimination des symptômes de souffrance n'est pas recherchée comme but particulier, mais, à la condition d'une conduite rigoureuse de l'analyse, elle se donne pour ainsi dire comme bénéfice annexe. L'analyste respecte la singularité du patient, ne cherche pas à le remodeler selon ses idéaux personnels à lui médecin, et se réjouit s'il peut s'épargner des conseils et éveiller en revanche l'initiative de l'analysé.
Son rapport a la psychiatrie
La psychiatrie est actuellement une science essentiellement descriptive et classificatrice, qui maintenant encore a une orientation plus somatique que psychologique, et à qui manquent des possibilités d'explication des phénomènes observés. Mais la psychanalyse ne se situe pas en opposition à elle, comme on pourrait le croire d'après le comportement presque unanime des psychiatres. En tant que psychologie des profondeurs, psychologie des processus de la vie psychique soustraits à la conscience, elle est bien plutôt appelée à lui fournir l'infrastructure indispensable et à remédier à ses limitations actuelles. Il est à présumer que l'avenir créera une psychiatrie scientifique à laquelle la psychanalyse aura servi d'introduction.
Critiques et malentendus relatifs a la psychanalyse
La plus large part de ce qui, même dans les travaux scientifiques, est mis en avant contre la psychanalyse repose sur une information insuffisante qui, quant à elle, semble motivée par des résistances affectives. Ainsi est-il erroné de faire à la psychanalyse le reproche de « pansexualisme » et de raconter à son propos qu'elle fait dériver de la sexualité et y ramène tout événement psychique. La psychanalyse a bien plutôt, dès son tout début, distingué les pulsions sexuelles des autres, qu'elle a provisoirement nommées « pulsions du moi ». Il ne lui est jamais venu à l'idée de vouloir « tout » expliquer, et même les névroses, elle ne les a pas fait dériver de la seule sexualité, mais au contraire du conflit entre les tendances sexuelles et le moi. Le terme libido en psychanalyse (sauf chez C. G. Jung) ne désigne pas simplement de l'énergie psychique, mais la force pulsionnelle des pulsions sexuelles. Certaines affirmations, comme celle selon laquelle tout rêve serait un accomplissement de désir de nature sexuelle, n'ont absolument jamais été soutenues par elle. Le reproche d'unilatéralité fait à la psychanalyse, qui, en tant que science de l'inconscient psychique, dispose de son domaine d'activité déterminé et délimité, est tout aussi déplacé que s'il était adressé à la chimie. C'est un fâcheux malentendu, et justifié par la seule ignorance, de penser que la psychanalyse escompte la guérison des maux névrotiques du « libre abandon » à la sexualité. Le fait de rendre conscientes dans l'analyse les convoitises sexuelles refoulées rend bien plutôt possible une maîtrise de celles-ci, qui ne pouvait être obtenue par le refoulement préalable. On peut plutôt dire à bon droit que l'analyse libère le névrosé des chaînes de sa sexualité. De plus, il est absolument contraire à l'esprit scientifique de juger la psychanalyse en fonction de son aptitude à saper religion, autorité et moralité, étant donné que comme toute science elle se situe absolument hors de tout esprit tendancieux et ne connaît que la seule intention de saisir une part de la réalité hors de toute contradiction. Enfin, on peut bien franchement parler de niaiserie quand on est en présence de la crainte que les biens de l'humanité dits suprêmes, recherche, art, amour, sensibilité morale et sociale, soient dépouillés de leur valeur ou de leur dignité, du fait que la psychanalyse est en mesure de révéler qu'ils ont leur origine dans des motions pulsionnelles élémentaires et animales.
Les applications et les relations de la psychanalyse en dehors de la médecine
Le jugement porté sur la psychanalyse serait incomplet si l'on négligeait de faire savoir que, seule de toutes les disciplines médicales, elle a les relations les plus étendues avec les sciences de l'esprit et qu'elle est en passe d'acquérir pour l'histoire des religions, l'histoire des civilisations, la mythologie et les lettres, la même importance que pour la psychiatrie. Il y aurait là de quoi s'étonner si l'on considère qu'à l'origine elle n'avait pas d'autre but que de comprendre et d'influencer des symptômes névrotiques. Il n'en est pas moins facile d'indiquer en quel endroit a été jeté le pont qui mène aux sciences de l'esprit. Lorsque l'analyse des rêves apporta la lumière sur les processus psychiques inconscients, et montra que les mécanismes qui créent les symptômes pathologiques sont également actifs dans la vie psychique normale, la psychanalyse se mua en psychologie des profondeurs et, en tant que telle, fut capable de s'appliquer aux sciences de l'esprit, et put résoudre un grand nombre de questions devant lesquelles la psychologie scolastique de la conscience avait dû s'arrêter, perplexe. Dès les premiers temps s'établirent les relations avec la phylogenèse humaine. On reconnut avec quelle fréquence la fonction pathologique n'est rien d'autre qu'une régression vers un stade de développement antérieur de la fonction normale. C. G. Jung, le premier, montra avec force la concordance surprenante des fantasmes chaotiques des déments précoces avec les formations mythiques des peuples primitifs ; l'auteur de ces lignes fit observer que les deux motions de désir qui composent le complexe d'Œdipe recouvrent pleinement par leur contenu les deux interdits principaux du totémisme (ne pas tuer l'ancêtre et ne prendre en mariage aucune femme de son propre lignage), et en tira des conclusions de grande portée. L'importance du complexe d'Œdipe se mit à prendre des proportions gigantesques, on soupçonna que l'ordre étatique, la moralité, le droit et la religion étaient aux tout premiers temps de l'humanité nés conjointement, en tant que formation réactionnelle au complexe d'Œdipe. Otto Rank jeta de vives lumières sur la mythologie et l'histoire littéraire en leur appliquant les découvertes psychanalytiques, de même que Th. Reik sur l'histoire des mœurs et des religions ; le pasteur O. Pfister (Zurich) éveilla l'intérêt des directeurs de conscience et des enseignants et fit comprendre la valeur des points de vue psychanalytiques pour la pédagogie. De plus amples développements sur ces applications de la psychanalyse n'ont pas leur place ici ; qu'il suffise de remarquer qu'on ne peut pas encore préjuger de leur extension.
Caractère de la psychanalyse en tant que science empirique
La psychanalyse n'est pas un système à la manière de ceux de la philosophie, qui part de quelques concepts de base rigoureusement définis, avec lesquels il tente de saisir l'univers puis, une fois achevé, n'a plus de place pour de nouvelles découvertes et de meilleurs éléments de compréhension. Elle s'attache bien plutôt aux faits de son domaine d'activité, tente de résoudre les problèmes immédiats de l'observation, s'avance en tâtonnant sur le chemin de l'expérience, est toujours inachevée, toujours prête à aménager ou modifier ses doctrines. Elle supporte, aussi bien que la physique ou la chimie, que ses concepts majeurs ne soient pas clairs, que ses présupposés soient provisoires, et elle attend de son activité future une détermination plus rigoureuse de ceux-ci.
2 En français dans le texte.