1. Le concept de castration

 

En psychanalyse, le concept de « castration » ne répond pas à l’acception habituelle de mutilation des organes sexuels mâles, mais désigne une expérience psychique complexe, vécue inconsciemment par l’enfant vers l’âge de cinq ans et décisive pour l’assomption de sa future identité sexuelle. L’essentiel de cette expérience consiste dans le fait que pour la première fois l’enfant reconnaît, au prix de l’angoisse, la différence anatomique des sexes. Jusqu’alors il vivait dans l’illusion de la toute-puissance ; désormais, avec l’épreuve de la castration, il saura accepter que l’univers soit composé d’hommes et de femmes, et que le corps ait des limites, c’est-à-dire accepter que son pénis d’enfant ne lui permettra jamais de concrétiser ses intenses désirs sexuels à l’endroit de la mère.

Mais le complexe de castration, que nous allons présenter comme une étape dans l’évolution de la sexualité infantile, ne se réduit pas à un simple moment chronologique. Au contraire, l’expérience inconsciente de la castration est sans cesse renouvelée tout au long de l’existence et particulièrement remise enjeu dans la cure analytique du patient adulte. Un des buts de l’expérience analytique est en effet de rendre possible et de réactiver dans la vie adulte l’expérience que nous avons traversée dans l’enfance : admettre avec douleur que les limites du corps sont plus étroites que les limites du désir.

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Le complexe de castration chez le garçon

Entre l’amour narcissique pour son pénis et l’amour incestueux pour sa mère, le garçon choisit son pénis.

Freud découvre, à l’occasion de son travail avec un enfant de cinq ans, le « petit Hans » ', ce qu’il appellera le complexe de castration. C’est à travers l’analyse de ce jeune garçon, mais aussi en s’appuyant sur les souvenirs d’enfance de ses patients adultes, que Freud dégage ce complexe, décrit pour la première fois en 1908 2. Nous pouvons schématiser en quatre temps la constitution du complexe de castration masculin.

Premier temps : tout le monde a un pénis 1

On ne peut comprendre le véritable enjeu de la castration qu’à partir de cette fiction de l’enfant, selon laquelle tout le monde posséderait un pénis semblable au sien. C’est le temps préliminaire des croyances infantiles selon lesquelles il n’y aurait pas de différence anatomique entre les organes sexuels mâles et femelles. Cette croyance repérée par Freud chez tous les enfants, filles et garçons, constitue le préalable obligé du processus de castration. La découverte de la réalité d’un être proche ne possédant pas cet attribut supposé universel — mère, petite sœur, etc. — mettra en échec la croyance de l’enfant et ouvrira la voie à l’angoisse d’être un jour lui-même pareillement dépossédé. Puisque au moins un être s’est avéré dépourvu du pénis

— pense le petit garçon —, la possession de mon propre pénis n’est plus désormais assurée. Répétons-le, la condition préalable à l’expérience psychique de la castration est donc cette fiction de la possession universelle du pénis.

Deuxième temps : le pénis est menacé

C’est le temps des menaces verbales visant à interdire à l’enfant ses pratiques auto-érotiques et à l’obliger à renoncer à ses fantasmes incestueux. Explicitement, ces menaces mettent en garde l’enfant contre la perte de son membre s’il persévère dans ses attouchements, mais l’enjeu implicite des avertissements parentaux est d’ôter tout espoir au garçon de prendre un jour la place du père dans le commerce avec la mère. La menace de castration vise le pénis, mais ses effets portent sur le fantasme du garçon de posséder un jour son objet aimé, la mère. À  cela, il devra donc renoncer. Les mises en garde verbales, en particulier celles proférées par le père, progressivement intériorisées par l’enfant, seront à l’origine du surmoi. Précisons encore que les avertissements parentaux n’auront d’influence sur l’enfant qu’une fois traversée l’étape suivante, celle du troisième temps.

Troisième temps : il y a des êtres sans pénis, la menace est donc bien réelle

C’est le temps de la découverte visuelle de la région génitale féminine. À ce stade, la région génitale féminine qui s’offre aux yeux de l’enfant n’est pas l’organe sexuel féminin mais plutôt la zone pubienne du corps de la femme. Ce que l’enfant découvre visuellement n’est pas le vagin, mais le manque de pénis. De prime abord le garçon paraît n’attacher aucun intérêt à ce manque, mais le souvenir des menaces verbales entendues lors du deuxième temps viendra à présent donner sa pleine signification à la perception visuelle d’un danger jusqu’alors négligé. « Il arrive un beau jour que l’enfant, fier de sa possession d’un pénis, a devant les yeux la région génitale d’une petite fille et est forcé de se convaincre du manque de pénis chez un être si semblable à lui. De ce fait la perte de son propre pénis est devenue elle aussi une chose qu’on peut se représenter, la menace de castration parvient après coup à faire effet3. » Etant donné l’attachement affectif narcissique qu’il porte à son pénis, l’enfant ne peut pas admettre qu’il existe des êtres semblables à lui qui en seraient dépourvus. C’est pourquoi, lors de la première perception visuelle de la zone génitale de la petite fille, son préjugé tenace — c’est-à-dire sa croyance selon laquelle il est impossible qu’il y ait des êtres humains sans pénis — résiste fortement à l’évidence. La valeur affective qu’il accorde à son corps est si intense qu’il ne peut pas se représenter une personne semblable à lui sans cet élément primordial ; il préfère défendre la fiction qu’il s’est forgée au détriment de la réalité perçue du manque. Au lieu de reconnaître l’absence radicale de pénis chez la femme, l’enfant s’obstinera à lui attribuer un organe pénien qu’il assortit d’un commentaire : « La fille a un pénis encore petit, mais il va grandir. »

Quatrième temps : la mère est aussi châtrée ; émergence de l’angoisse

Malgré la perception visuelle du corps de la petite fille, le garçon maintiendra encore sa croyance selon laquelle les femmes plus âgées et respectables comme sa mère sont dotées d’un pénis. Plus tard, lorsque l’enfant découvrira que les femmes peuvent enfanter, il réalisera que sa mère est elle aussi dépourvue du pénis. C’est à ce moment que surgira véritablement l’angoisse de castration. Voir un corps féminin ouvre la voie à l’angoisse de perdre l’organe pénien, mais ce n’est pas encore à proprement parler l’angoisse de castration. Pour que le complexe de castration s’organise effectivement, c’est-à-dire pour que la menace que signifie la vision des parties génitales féminines soit le signe d’un danger, nous avons vu qu’il fallait l’intervention d’un autre facteur. La perception du corps de la femme vient réveiller chez l’enfant le souvenir de menaces verbales

— réelles ou imaginaires — proférées antérieurement par ses parents et visant à interdire le plaisir qu’il prenait à l’excitabilité de son pénis. La vision de l’absence de pénis chez la femme d’une part et l’évocation auditive des menaces verbales parentales d’autre part définissent les deux conditions majeures du complexe de castration.

L’angoisse de castration, précisons-le, n’est pas ressentie effectivement par le garçon, elle est inconsciente. Cette angoisse ne doit pas être confondue avec l’angoisse que nous observons chez les enfants sous la forme de peurs, cauchemars, etc. Ces troubles ne sont que les manifestations de défenses contre le caractère intolérable de l’angoisse inconsciente. Une angoisse vécue, par exemple, peut être une défense contre cette autre angoisse non vécue et inconsciente que nous appelons angoisse de castration.

Temps final : fin du complexe de castration et fin du complexe d’Œdipe

C’est sous l’effet de l’irruption de l’angoisse de castration que le garçon accepte la loi de l’interdit et choisit de sauver son pénis, quitte à renoncer à la mère comme partenaire sexuel. Avec le renoncement à la mère et la reconnaissance de la loi paternelle s’achève la phase de l’amour œdipien ; l’affirmation de l’identité masculine devient alors possible. Cette crise que le garçon a dû traverser a été féconde et structurante puisqu’il est devenu capable d’assumer son manque et de produire sa propre limite. Autrement dit, la fin du complexe de castration est aussi pour le garçon la fin du complexe d’Œdipe. Notons que la disparition du complexe de castration est particulièrement violente et définitive. Voici les mots de Freud : « Chez le garçon le complexe d’Œdipe n’est pas simplement refoulé, il vole littéralement en éclats sous le choc de la menace de castration (...) dans les cas idéaux il ne subsiste alors même plus dans l’inconscient 4. »

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Le complexe de castration chez la fille

Le complexe de castration féminin s’organise très différemment du complexe de castration masculin malgré deux traits communs. Leur point de départ est d’abord similaire ; dans un premier temps que nous avons repéré comme préalable au complexe de castration, garçons et filles soutiennent indistinctement la fiction qui attribue un pénis à tous les êtres humains. La croyance à l’universalité du pénis est donc le préalable nécessaire à la constitution du complexe d’Œdipe pour l’un et l’autre sexe.

Le deuxième trait commun se réfère à l’importance du rôle de la mère. Au-delà de toutes les variations de l’expérience de la castration masculine et féminine, la mère reste le personnage principal jusqu’au moment où le garçon s’en détache avec angoisse et la fillette avec haine. Que ce soit marqué par l’angoisse ou marqué par la haine, l’événement majeur du complexe de castration est, à n’en pas douter, la séparation de l’enfant d’avec sa mère au moment précis où il la découvre châtrée.

Hormis ces deux traits communs, universalité du pénis et séparation d’avec la mère châtrée, la castration féminine que nous structurons en quatre temps, suit un tout autre mouvement que celle du garçon.

Avançons déjà deux différences importantes entre la castration masculine et féminine :

•    Le complexe de castration chez le garçon s’achève sur un renoncement à l’amour pour la mère alors que chez la femme il ouvre à l’amour œdipien pour le père. « Tandis que le complexe d’Œdipe du garçon sombre sous l’effet du complexe de castration, celui de la fille est rendu possible et est introduit par le complexe de castration 5. » L’Œdipe chez le garçon naît et s’achève avec la castration. L’Œdipe chez la fille naît mais ne s’achève pas avec la castration.

La haine' de jadis resurgit alors chez la petite fille sous la forme cette fois-ci de l’hostilité et de la rancune à l’égard d’une mère qu’elle tiendra pour responsable de l’avoir faite fille. L’actualisation des anciens sentiments négatifs à l’égard de la mère marquera la fin du complexe de castration. Insistons pour dire que le rôle de la mère, contrairement à l’opinion commune, est beaucoup plus important dans la vie sexuelle de la petite fille que celui du père ; la mère est à l’origine et à la fin du complexe de castration féminin.

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Premier temps : tout le monde a un pénis (le clitoris est un pénis)

Dans ce premier temps, la petite fille ignore la différence entre les sexes et l’existence de son propre organe sexuel, c’est-à-dire le vagin. Elle est parfaitement heureuse de posséder comme tout le monde un attribut clitoridien qu’elle assimile au pénis et auquel elle accorde la même valeur que celle que le garçon attribue à son organe. Qu’il se présente sous la forme de l’organe pénien chez le garçon ou de l’organe clitoridien chez la fille, le pénis reste donc pour les deux sexes un attribut universel.

Deuxième temps : le clitoris est trop petit pour être un pénis : « J’ai été châtrée »

C’est le moment où la fille découvre visuellement la région génitale masculine. La vue du pénis l’oblige à admettre définitivement qu’elle ne possède pas le véritable organe pénien. « La petite fille remarque le grand pénis bien visible d’un frère ou d’un camarade de jeu. Elle le reconnaît immédiatement comme la réplique supérieure de son petit organe caché [clitoris] et dès lors elle est victime de l’envie du pénis 6. »

À la différence du garçon pour lequel les effets de l’expérience visuelle sont progressifs, pour la fille, les effets de la vue du sexe masculin sont immédiats. « D’emblée elle a jugé et décidé. Elle a vu cela, sait qu’elle ne l’a pas et veut l’avoir 7. » L’expérience du garçon est très différente de l’expérience de la fille : à la vue du pénis, la fille reconnaît d’emblée qu’elle a déjà été châtrée — la castration a déjà été accomplie : « J’ai été châtrée. » À la vue du pubis féminin, le garçon craint d’être châtré — la castration pourrait s’accomplir : « Je pourrais être châtré. » Pour mieux distinguer la castration féminine de la castration masculine, nous devons retenir que le garçon vit Y angoisse de la menace alors que la fille éprouve Yenvie de posséder ce qu’elle a vu et dont elle a été châtrée 8.

Troisième temps : la mère aussi est châtrée ; résurgence de la haine contre la mère

Au moment où la fille reconnaît sa castration au sens où son clitoris est plus petit que le pénis, il ne s’agit encore que d’un « malheur individuel », mais progressivement elle prend conscience que les autres femmes — et parmi elles sa propre mère — souffrent du même désavantage. La mère est alors méprisée, rejetée par l’enfant pour n’avoir pu lui transmettre les attributs phalliques et, au-delà, pour n’avoir pu lui apprendre à valoriser son véritable corps de femme . La haine primordiale de la première séparation d’avec la mère, jusqu’ici enfouie, resurgit maintenant chez la fillette sous la forme de reproches incessants. La découverte de la castration de la mère conduit donc la fille à s’en séparer une deuxième fois et à choisir dorénavant le père comme objet d’amour.

Temps final : les trois issues du complexe de castration ; naissance du complexe d’Œdipe

Devant l’évidence de son manque de pénis, la fillette peut adopter trois attitudes différentes qui décideront du destin de sa féminité. Bien entendu, ces trois issues ne sont pas toujours nettement distinguées dans la réalité.

1. Pas d’envie du pénis

La première réaction de la fillette devant le manque est d’être si effrayée par son désavantage anatomique qu’elle se détourne d’une façon générale de toute sexualité. Elle refuse d’entrer dans la rivalité avec le garçon et par conséquent elle n’est pas habitée par l’envie du pénis.

2. Envie d’être dotée du pénis de l’homme

La deuxième réaction de la fille, toujours devant ce manque, est de s’obstiner à croire qu’elle pourrait un jour posséder un pénis aussi grand que celui qu’elle a vu chez le garçon et devenir ainsi semblable aux hommes. Dans ce cas, elle dénie le fait de sa castration et garde l’espoir d’être un jour détentrice d’un pénis. Cette deuxième issue la conduit « à ne pas démordre, avec une assurance insolente, de sa masculinité menacée 10 ». Le fantasme d’être malgré tout un homme demeure le but de sa vie. « Le complexe de masculinité de la femme peut aussi s’achever en un choix d’objet homosexuel manifeste ". » L’envie du pénis est ici l’envie d’être dotée du pénis de l’homme. Le clitoris reste en tant que « petit pénis » la zone érogène dominante.

3. Envie d’avoir des substituts du pénis

La troisième réaction de la fillette est celle de la reconnaissance immédiate et définitive de la castration. Cette dernière attitude féminine, que Freud qualifie de « normale », se caractérise par trois changements importants.

a.    Changement du partenaire aimé : la mère cède la place au père. □ Tout au long des différents temps que nous avons développés, le partenaire aimé par la fille est principalement la mère. Ce lien privilégié à la mère persiste jusqu’au moment où la fille prend acte que sa mère aussi a de tout temps été castrée. Elle s’en écarte alors avec mépris et se tourne vers le père, susceptible de répondre positivement à son envie d’avoir un pénis. Il y a alors changement de l’objet d’amour. C’est vers le père que se dirigent maintenant les sentiments tendres de la fillette. Ainsi s’amorce le complexe d’Œdipe féminin qui persistera tout au long de la vie de la femme.

b.    Changement de la zone érogène : le clitoris cède la place au vagin. □ Jusqu’à la découverte de la castration de la mère, le clitoris-pénis garde sa suprématie érogène. La reconnaissance de sa propre castration et de la castration maternelle, ainsi que l’orientation de son amour vers le père, impliquent un déplacement de la libido dans le corps de la fillette. Au cours des années qui s’étendent de l’enfance à l’adolescence, l’investissement du clitoris se transposera progressivement au vagin. L’envie du pénis signifie alors désir de jouir d’un pénis dans le coït et le « vagin prend maintenant valeur comme logis du pénis ; il recueille l’héritage du corps maternel 12 ».

c. Changement de l’objet désiré : le pénis cède la place à un enfant. □ L’envie de jouir d’un pénis dans le coït se métabo-lise, dans cette troisième issue, en l’envie de procréer un enfant. Le déplacement des investissements érogènes du clitoris vers le vagin, se traduira par le passage de l’envie d’accueillir dans son corps l’organe pénien à l’envie d’être mère.

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Résumons brièvement le parcours qui conduit une fillette à être femme. Le nourrisson-fille désire d’abord sa mère, s’en sépare une première fois au moment du sevrage et une deuxième fois au moment de la découverte de la castration maternelle. Son désir d’un pénis se porte alors vers le père sous la forme d’un désir d’enfant. On peut constater que le complexe d’Œdipe féminin est une formation secondaire, tandis que celui du garçon est une formation primaire. La féminité est en définitive un constant devenir tissé par une multiplicité d’échanges, tous destinés à trouver au pénis son meilleur équivalent.

Schéma du complexe de castration chez le Garçon    Schéma du complexe de castration chez la Fille

Extraits des œuvres de S. Freud sur la Castration

Pour le garçon et la fille, le pénis est un attribut universel

La première [des théories sexuelles infantiles] est liée au fait que sont négligées les différences entre les sexes. Cette théorie consiste à attribuer à tous les humains, y compris les êtres féminins, un pénis, comme celui que le petit garçon connaît à partir de son propre corps 1 (1908).

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Le caractère principal de cette « organisation génitale infantile » réside en ceci que, pour les deux sexes, un seul organe génital, l’organe mâle, joue un rôle. Il n’existe donc pas un primat génital, mais un primat du phallus 2 (1923).

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Pour le garçon, le pénis est menacé

On sait comment [les petits garçons] réagissent aux premières impressions provoquées par le manque de pénis.

Ils nient ce manque et croient voir malgré tout un membre : ils jettent un voile sur la contradiction entre observation et préjugé, en allant chercher qu’il est encore petit et qu’il grandira sous peu, et ils en arrivent lentement à cette conclusion d’une grande portée affective : auparavant, en tout cas, il a bien été là et par la suite il a été enlevé. Le manque de pénis est conçu comme le résultat d’une castration et l’enfant se trouve maintenant en devoir de s’affronter à la relation de la castration avec sa propre personne 3 (1923).

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L’expérience visuelle du garçon réactive les menaces verbales antérieures

[La mère] menace l’enfant de lui enlever l’objet du délit [le pénis objet de pratiques masturbatoires] et, généralement, pour rendre sa menace plus croyable, elle déclare laisser au père le soin de l’exécuter. Le père, dit-elle, coupera le membre viril. Chose remarquable, cette menace ne devient opérante que si une autre condition se trouve remplie. En effet, l’enfant ne croit pas à la possibilité d’une punition semblable, mais si plus tard, il lui arrive d’apercevoir le sexe féminin auquel manque l’objet apprécié entre tous, il prend alors au sérieux la menace, et, sous l’effet du complexe de castration, subit le plus fort traumatisme de sa jeune existence 4 (1938).

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La croyance du garçon à l’universalité du pénis est plus forte que la réalité de la perception du manque de pénis

Quand le petit garçon voit les parties génitales d’une petite sœur, ses propos montrent que son préjugé est déjà

assez fort pour faire violence à la perception ; au lieu de constater le manque de membre, il dit régulièrement en guise de consolation et de conciliation : c’est que le... est encore petit ; mais quand elle [la fille] sera plus grande, il grandira bien0 (1908).

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Entre l’amour narcissique pour son pénis et l’amour incestueux pour sa mère, le garçon choisit son pénis

Si la satisfaction amoureuse, sur le terrain du complexe d’Œdipe, doit coûter le pénis, alors on en vient nécessairement au conflit entre l’intérêt narcissique pour cette partie du corps et l’investissement libidinal des objets parentaux. Dans ce conflit, c’est normalement la première de ces forces qui l’emporte ; le moi de l’enfant se détourne du complexe d’Œdipe 6 (1923).

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La plupart du temps, la virilité de l’enfant cède sous ce premier choc [de l’angoisse de castration]. Afin de sauver son membre viril, il renonce plus ou moins complètement à la possession de sa mère 7 (1938).

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Le complexe de castration chez la fille

Chez la fille, le complexe d’Œdipe est une formation secondaire. Il est précédé et préparé par les séquelles du complexe de castration. En ce qui concerne la relation entre complexe d’Œdipe et complexe de castration, il y a une opposition fondamentale entre les deux sexes. Tandis que le complexe d’Œdipe du garçon sombre sous l’effet du complexe de castration, celui de la fille est rendu possible et est introduit par le complexe de castration. Cette contradiction s’éclaire lorsqu’on réfléchit que le complexe de castration agit toujours dans le sens impliqué par son contenu : il inhibe et limite la masculinité et encourage la féminité 8 (1925).

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Pour la fille, son clitoris est un pénis

Le clitoris de la fille se comporte d’abord tout à fait comme un pénis 9 (1923).

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La femme possède deux [zones génitales prédominantes] : le vagin qui est proprement féminin et le clitoris analogue au membre viril. Le vagin n’est pour ainsi dire pas présent pendant de nombreuses années (...). L’essentiel de ce qui, dans l’enfance, concerne la génitalité doit donc se dérouler en relation avec le clitoris 10 (1931).

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La fille sait qu’elle a été de tout temps châtrée

La femme n’a pas besoin de ce fantasme [de castration], puisqu’elle est venue au monde déjà castrée, en tant que femme 11 (1912).

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La petite fille, puis la femme, éprouve l’envie du pénis

L’espoir [chez la petite fille] d’obtenir un jour, malgré tout, un pénis et ainsi de devenir semblable aux hommes peut se 'maintenir jusqu’à une époque incroyablement tardive et devenir le motif d’actes étranges qui sans cela seraient incompréhensibles 12 (1925).

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Le complexe de castration de la fillette naît aussi à la vue des organes génitaux de l’autre sexe. Elle s’aperçoit immédiatement de la différence. Très sensible au préjudice qui lui a été fait, elle voudrait bien, elle aussi, « avoir un machin comme ça ». L’envie du pénis s’empare d’elle, envie qui laissera dans son évolution, dans la formation de son caractère, des traces ineffaçables. La fillette, quand elle découvre son désavantage, ne se résigne pas facilement. Quand enfin la connaissance de la réalité lui a fait perdre toute espérance de voir se réaliser son désir, l’analyse montre encore que ce dernier est demeuré vivace dans l’inconscient et qu’il conserve toujours une charge énergétique notable 13 (1933).

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La mère est châtrée : résurgence de la haine

... la fillette considère tout d’abord sa mutilation comme un malheur individuel ; c’est plus tard seulement qu’elle s’aperçoit finalement que d’autres êtres féminins, et parmi eux sa propre mère, sont semblables à elle-même. Or, son amour s’adressait à une mère phallique et non à une mère châtrée. Il devient dès lors possible de s’en détourner et de laisser les sentiments hostiles, depuis longtemps accumulés, prendre le dessus 14 (1933).

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Une conséquence de l’envie du pénis semble être un relâchement de la relation tendre à la mère en tant qu’objet. C’est presque toujours la mère qui est rendue responsable du manque de pénis, cette mère qui a lancé [la fille] dans la vie avec un équipement aussi insuffisant 15 (1925).

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La raison pour laquelle tant de filles en veulent à leur mère a pour racine ultime ce reproche que celle-ci les a fait naître femmes au lieu de les faire naître hommes 16 (1916).

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Changement du partenaire aimé : la mère cède la place au père

... [La petite fille] se détache d’une mère autrefois aimée, ne lui pardonnant pas, sous l’effet de l’envie du pénis, de l’avoir mise au monde si mal pourvue. Dans son ressentiment, elle se détourne de sa mère et adopte un autre objet d’amour : son père (...). Elle se met à haïr celle qu’elle avait jusqu’alors aimée, cela pour deux motifs : par jalousie et par rancune à cause du pénis dont elle a été privée. Ses nouvelles relations avec son père peuvent s’établir d’abord sur le désir de disposer du pénis de celui-ci 17 (1938).

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Changement de la zone érogène de la fille : le clitoris cède la place au vagin

Nous pouvons être certains que, durant la phase phallique, c’est bien le clitoris qui constitue la zone érogène prépondérante. Mais cet état n’est pas stationnaire : à mesure que se forme la féminité, le clitoris doit céder tout ou partie de sa sensibilité et par là de son importance, au vagin 18 (1933).

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Changement de l’objet désiré : le pénis cède la place à un enfant

Le désir qu’a la fille de son père n’est sans doute que le désir de posséder un phallus, ce phallus qui lui a été refusé par sa mère et qu’elle espère avoir maintenant de son père. Toutefois, la situation ne s’établit vraiment que lorsque le désir du pénis est remplacé par le désir d’avoir un enfant, ce dernier, suivant une vieille équivalence symbolique, devenant le substitut du pénis 19 (1933).

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Le complexe d’Œdipe est le devenir « normal » de la femme

Son désir, inassouvissable en son fond, de posséder un pénis, peut trouver une satisfaction si elle réussit à compléter son amour de l’organe en amour de l’homme porteur de ce dernier 20 (1938).

Référence des Extraits cités

1.    « Les théories sexuelles infantiles », in La Vie sexuelle, P.U.F., 1969, p. 19.

2.    « L’organisation génitale infantile », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 114.

3.    Ibid., p. 115.

4.    Abrégé de psychanalyse, P.U.F., 1949, p. 60-61.

5.    « Les théories sexuelles infantiles », loc. cit., p. 19.

6.    « La disparition du complexe d’Œdipe », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 120.

7.    Abrégé de psychanalyse, op. cit., p. 61.

8.    « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », loc. cit., p. 130.

9.    « La disparition du complexe d’Œdipe », loc. cit., p. 121.

10.    « Sur la sexualité féminine », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 141-142.

11.    « Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, séance du 20 mars

1912 », in Les Premiers Psychanalystes, t. IV, Gallimard, 1983, p. 105.

12.    « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 127.

13.    « La féminité », in Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 1984, p. 167.

14.    Ibid., p. 169.

15.    « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », loc. cit., p. 128-129.

16.    « Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse », in Essais de psychanalyse appliquée, Gallimard, 1971, p. 111.

17.    Abrégé de psychanalyse, op. cit., p. 65.

18.    « La féminité », loc. cit., p. 155.

19.    Ibid., p. 168.

20.    Abrégé de psychanalyse, op. cit., p. 65-66.

Choix bibliographique sur la Castration

Freud, S.

1905 Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Gallimard, 1962, p. 91-92, et note 51 (de 1920), p. 179-180.

1908    « Les théories sexuelles infantiles », in La Vie sexuelle, P.U.F., 1969, p. 19.

1909    « Analyse d’une phobie chez un petit garçon de cinq ans. (Le petit Hans) », in Cinq Psychanalyses, P.U.F., 1954, p. 95-98, 168-189.

1910    Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Gallimard, 1977, p. 71-77.

1917    « Sur les transpositions de pulsions plus particulièrement dans l’érotisme anal », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 106-112.

1918    « Extrait de l’histoire d’une névrose infantile. (L’Homme aux loups) », in Cinq Psychanalyses, op. cit., p. 378-392.

1923 « L’organisation génitale infantile », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 113-116.

1923 « La disparition du complexe d’Œdipe », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 117-122.

1925 « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 123-132.

1927 « Le fétichisme », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 133-138.

1931 « Sur la sexualité féminine », in La Vie sexuelle, op. cit., p. 139-155.

1933 « La féminité », in Nouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 1984, p. 167-175.

1937    « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », in Résultats, Idées, Problèmes II (1921-1938), P.U.F., 1985, p. 265-268.

1938    « Le clivage du moi dans le processus de défense », in Résultats, Idées, Problèmes II, op. cit., p. 283-286.

1938 Abrégé de psychanalyse, P.U.F., 1949, p. 60-61, 65-66.

Lacan, J.

Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, Seuil, 1981, p. 21-22, 170, 195-205, 349-355. La Relation d’objet et les structures freudiennes (séminaire inédit), leçons du 12 décembre 1956, du 16 janvier 1957, du 30 janvier 1957, de février 1957 et de mars 1957.

Les Formations de l’inconscient (séminaire inédit), leçons de mars 1958, d’avril 1958, de mai 1958 et du 5 juin 1958.

Le Désir et son interprétation (séminaire inédit), leçons de février 1959, d’avril 1959, du 13 mai 1959, du 20 mai 1959, du 10 juin 1959, du 17 juin 1959 et du 1er juillet 1959.

Écrits, Seuil, 1966, p. 232, 386-393, 555-556, 565, 685-695, 732, 820.

* *

DOLTO, F., La Sexualité féminine, Le Livre de Poche, 1982, p. 99.

—,    L’Image inconsciente du corps, Seuil, 1984, p. 63-

208.

LECLAIRE, S., Psychanalyser, Seuil, 1968, chap. 8.

—,    Démasquer le réel, Seuil, 1971, p. 45-53.

NASIO, J.-D., L’Inconscient à venir, Bourgois, 1980, p. 41-43.

SAFOUAN, M., La Sexualité féminine, Seuil, 1976, p. 73-94, 129-141.


1 Tout au long de ce texte nous utiliserons le terme de pénis sans nous préoccuper de le distinguer du terme de phallus. Cette distinction sera l’objet de l’article suivant consacré au « phallus ».

2    L’événement majeur du complexe de castration féminin est — comme nous l’avons déjà noté — la séparation d’avec la mère, mais avec cette particularité d’être la répétition d’une autre séparation plus ancienne. Le tout premier attachement — dès l’origine de la vie — de la fille pour sa mère va s’interrompre avec la perte du sein maternel. Selon Freud, la femme ne se consolant jamais d’une telle séparation portera en elle l’empreinte du ressentiment d’avoir été laissée dans l’insatisfaction. Ce ressentiment primitif, cette haine ancienne va disparaître sous l’effet d’un refoulement inexorable pour réapparaître ensuite, lors du complexe de castration, au moment de cet événement majeur qu’est la séparation de la fillette d’avec sa mère.