19. Troubles psychosomatiques

Parler de psychosomatique chez l’enfant nous place entre deux écueils : d’un côté celui d’étendre à l’excès l’appellation de psychosomatique et d’y englober des troubles les plus divers dès l’instant qu’au sein d’une maladie un facteur psychologique, causal ou réactionnel, peut être décelé (cette position risque de par son extension de vider de tout contenu la notion même de trouble psychosomatique) ; d’un autre côté existe le risque d’elfectuer des généralisations hâtives à partir des études psychosomatiques de l’adulte, en oubliant le caractère spécifique des manifestations somatiques de l’enfant, en particulier leurs liens constants avec les processus de maturation et les processus de développement.

Aussi convient-il de délimiter d’abord ce que nous entendons par « psychosomatique » en excluant de ce champ, à la suite de Kreisler et coll. :

— les réactions psychologiques secondaires à des maladies somatiques : ainsi en est-il du retentissement d’une hémophilie, d’une cardiopathie ou d’une malformation congénitale ;

— les aggravations de maladies somatiques en raison de difficultés psychologiques : par exemple les comas diabétiques répétés de l’adolescent qjii refuse son insulino-dépendance ;

— les manifestations somatiques liées à un mécanisme mental de conversion, bien que le partage entre une céphalée par conversion hystérique et une céphalée symptôme psychosomatique soit loin d’être aisé ;

— enfin les multiples allégations somatiques d’enfants qui s’expriment d’autant plus facilement par une plainte somatique que leur entourage est trop disposé à les écouter : la fatigue, les douleurs diverses en sont de fréquents exemples.

Le second point concerne la question suivante : la symptomatologie psychosomatique de l’enfant présente-t-elle une particularité par rapport à celle de l’adulte ? Il faut d’abord souligner qu’à la naissance il n’y a rien de plus « psychosomatique » qu’un nourrisson : le corps occupe une place privilégiée dans le vaste champ des interactions avec l’entourage, les diverses fonctions physiologiques (alimentation, élimination sphinctérienne, tonus statique et dynamique…) servant de base pour la communication avec l’entourage dont le rôle est d’ailleurs de « mentaliser » ce comportement, en particulier grâce aux capacités d’illusion anticipatrice de la mère. Certains analystes ont pu considérer que les symptômes psychosomatiques de l’adulte étaient la traduction d’une perturbation de l’organisation fantasmatique, la pensée fonctionnant sur un mode opératoire, sans que s’instaure un dialogue avec des images fantasmatiques intériorisées. Chez l’enfant, et ce d’autant plus qu’il est jeune, le dialogue s’établit d’abord, non avec des images, mais avec les personnes bien réelles de son environnement : le symptôme psychosomatique prend une place privilégiée dans le système d’interaction mère-enfant, et c’est dans cette perspective qu’on doit l’envisager. La question se pose alors de savoir si la symptomatologie psychosomatique que présente un nourrisson ou un enfant se poursuivra à l’âge adulte.

Les études catamnestiques sont encore trop peu nombreuses et s’étendent sur des temps trop courts pour répondre avec rigueur à cette interrogation. Toutefois il semble que l’existence de troubles psychosomatiques graves dans la petite enfance fasse plutôt le lit d’organisations ultérieures différentes telles que la psychose ou surtout la psychopathie.

Il existe donc là une importante différence avec l’adulte, le facteur de l’évolutivité nous conduisant à une autre caractéristique propre aux symptômes psychosomatiques de l’enfant : leurs rapports étroits avec les stades maturatifs successifs que parcourt l’enfant. De nombreuses manifestations psychosomatiques tendent à survenir à des âges spécifiques montrant ainsi combien les troubles doivent être mis en étroite relation avec la maturation du fonctionnement des organes et avec les caractéristiques du développement psychologique. On pourrait ainsi schématiquement dresser une sorte de « calendrier » des manifestations psychosomatiques en fonction de l’âge :

— colique idiopathique entre 3 et 6 mois ;

— vomissement du premier semestre ;

— anorexie du second semestre ;

— eczéma infantile entre 8 et 24 mois ;

— douleurs abdominales vers 3-4 ans ;

— asthme du jeune enfant de 5 ans ;

— céphalée de l’enfant de 6-7 ans.

À cette relative spécificité en fonction de l’âge, certains auteurs ont voulu associer une spécificité de la relation mère-enfant. D’une évaluation caractérologique globale de la mère (envahissante et hyperprotectrice, ou rejetante et agressive, ou anxieuse) on est ensuite passé à un modèle d’interaction caractéristique d’une pathologie précise. Spitz range ainsi les désordres psychosomatiques selon deux grands types d’attitudes maternelles : les désordres psychotoxiques qui répondent à des relations mère-enfant inappropriées et les désordres par déficience qui répondent à des relations mère-enfant quantitativement insuffisantes (v. tableau VI), chacun de ces désordres étant caractéristique d’une attitude maternelle (Spitz : De la naissance à la parole, p. 158).

TABLEAU VI. classification étiologique des maladies

PSYCHOGÈNES

DE L’ENFANCE CORRESPONDANT AUX ATTITUDES MATERNELLES.

 

FACTEUR ÉTIOLOGIQUE FOURNI PAR LES ATTITUDES MATERNELLES

MALADIE DE L’ENFANT

Psychotoxique (facteur qualitatif)

Rejet primaire manifeste

Indulgence primaire excessive et anxieuse Hostilité déguisée en anxiété

Oscillations entre les cajoleries et l’hostilité Sautes d’humeur cycliques catathymiques Hostilité consciemment compensée

Coma du nouveau-né (Ribble)

Colique des trois mois

Eczéma infantile

Hypermotilité (balancement)

Jeux fécaux

Hyperthymie agressive (Bowlby)

Déficience (facteur quantitatif)

Privation affective partielle

Privation affective complète

Dépression anacli-tique Marasme

Allant plus avant dans la spirale d’interactions mère-enfant, il importe d’évaluer non seulement le rètentissement de l’attitude maternelle sur l’enfant, mais aussi la modification de cette attitude face aux symptômes de l’enfant. En effet la mère est particulièrement sensible aux manifestations psychosomatiques de son enfant qui induisent chez elle de nouvelles attitudes. Ainsi l’agressivité qui sous-tend la relation mère-enfant est souvent totalement annulée dès qu’apparaissent les symptômes psychosomatiques (agressivité déplacée alors sur la relation mère-médecin), la mère prenant un rôle de mère-thérapeute au sens où l’entend Winnicott, l’enfant ayant pour bénéfice de se « faire soigner » par celle-ci. Le rapport de soin qu’instaure fréquemment entre mère et enfant la pathologie psychosomatique nous paraît fondamental.

Quant à l’éventualité d’une constitution psychosomatique chez l’enfant, comparable à ce qui a été décrit chez l’adulte (Alexander, Schur, Michel de M’Uzan et Fain) il ne semble pas qu’on retrouve chez l’enfant des traits semblables, d’autant que, comme nous l’avons dit, l’évolution lointaine de la pathologie psychosomatique de l’enfant se fait dans des directions très variables.

En ce qui concerne le choix d’organe, outre l’importance des processus maturatifs déjà largement soulignés, nous rappellerons la théorie de la fragilité d’organe (méïopragie d’appel servant de point d’ancrage aux troubles).

Sur le plan pratique, face à un enfant qui présente une symptomatologie fortement évocatrice d’un problème psychosomatique, la démarche d’investigation est double :

— d’un côté tenter de mettre en évidence le « lien psychosomatique » non seulement par l’étude d’une corrélation entre un symptôme et un événement extérieur (les vomissements au départ de la mère, la céphalée devant la composition de français), mais aussi à la lumière des étapes privilégiées du développement que nous avons citées ;

— d’un autre côté tenter d’appréhender le sens que prend le symptôme psychosomatique dans la spirale d’interaction mère-enfant, et le rôle économique qu’il y occupe.

Dans ce chapitre, nous envisagerons successivement :

— les maladies de la sphère digestive :

• colique idiopathique,

• vomissement,

• mérycisme,

• recto-colite hémorragique ;

— les maladies de l’arbre respiratoire :

• asthme,

• spasme du sanglot ;

— pathologie de la sphère cutanée :

• eczéma,

• pelade ;

— céphalée, migraine ;

— nanisme carentiel.

I. – Maladies de la sphère digestive

A. – Coliques idiopathiques des trois premiers mois

Connue des pédiatres depuis longtemps, la colique idiopathique du nourrisson se caractérise par la survenue après un intervalle libre de 8-10 jours, de cris et hurlements qui se produisent après le repas au moment où l’enfant va s’assoupir. L’examen somatique est strictement normal. Les cris cessent lorsque la mère donne à nouveau le biberon à son bébé, mais réapparaissent aussitôt après. La dimension « psychosomatique » de ces manifestations a été suspectée devant l’efficacité thérapeutique de la sucette et du bercement : aussitôt le nourrisson se calme avant de s’endormir paisiblement. Cette colique s’améliore ou disparaît si l’enfant est confié à une nourrice ou hospitalisé.

Dans l’ensemble, l’observateur remarque qu’il s’agit de nourrissons hypertoniques, mangeant avec voracité. Les mères sont anxieuses, tendues, faisant preuve d’une excessive sollicitude ou impatientes, peu respectueuses des rythmes propres à l’enfant. Spitz fait de la rencontre entre cette « sollicitude primaire excessive et anxieuse » de la mère, et Phypertonie de l’enfant, le facteur déclenchant : l’enfant manifeste plus facilement qu’un autre un certain désagrément et la réponse anxieuse de la mère (le plus souvent par un biberon supplémentaire), ne fait qu’accroître ce désagrément (surcharge gastrique). La sucette (possibilité d’un investissement auto-érotique de la succion : sucette-pacificateur des auteurs anglo-saxons) ou le bercement (régression à la compétude narcissique primaire) représentent deux moyens physiques d’apaisement des tensions qui permettent l’écoulement de l’excitation diffuse déclenchée par la prise de hjberon parce qu’un système plus mentalisé tel que la réalisation hallucinatoire du désir n’a pu se mettre en place du fait de l’anxiété maternelle (Fain et coll.).

La colique cesse à la fois en raison de « l’apprentissage » et de l’ajustement progressif de la mère à son enfant, et aussi parce que ce dernier découvre avec l’âge de nouvelles voies de décharge des tensions : gestualité intentionnelle, suçage du pouce, etc.

B. – Vomissement

1°) Vomissement du nourrisson et du petit enfant

Symptôme particulièrement fréquent, surtout chez le nourrisson, il existe tout un continuum entre la simple régurgitation banale et physiologique, le gros « renvoi » et le véritable vomissement. Théoriquement le vomissement concerne un lait qui a déjà subi le processus de la digestion (âcreté de l’odeur), à l’opposé de ce qu’on voit dans la régurgitation. La distinction n’est cependant pas toujours aisée, d’autant que la physiologie même du cardia (jonction œso-phage/estomac) du nourrisson rend plus faciles ces vomissements.

En dehors de toute anomalie physiologique (malposition cardiotubé-rositaire) ou d’épisode pathologique (infection, déshydratation…), certains nourrissons vomissent avec une déconcertante facilité.

Souvent il s’agit de nourrissons anorectiques (v. p. 124) où l’interaction alimentaire entre mère et enfant s’est précocement engagée sur une voie conflictuelle. Les vomissements alternent avec les épisodes anorectiques. Ils peuvent s’associer à des comportements alimentaires particuliers : refus de tout morceau qui déclenche aussitôt le vomissement, goût électif ou au contraire attitude boulimique. Ils surviennent parfois sans aucun effort apparent, ailleurs ils apparaissent secondaires à des efforts de contraction des muscles abdominaux. Plus exceptionnelles sont les conduites quasi perverses où le nourrisson cherche à se faire vomir par introduction de doigts dans la bouche, afin de déclencher un réflexe nauséeux.

La distinction entre ces nourrissons vomisseurs chez lesquels la dimension psychopathologique paraît être au premier plan, et ceux pour lesquels il s’agit d’un simple trouble fonctionnel (discrète béance du cardia) n’est pas facile.

2°) Vomissement du grand enfant

Avec l’âge, avec la diversification de l’alimentation, avec l’acquisition de l’autonomie alimentaire, les vomissements s’estompent progressivement dans le cours de la seconde année. Néanmoins, chez certains enfants la facilité à vomir persiste et peut survenir dans des contextes très variés, en particulier dès qu’une contrainte ou un sentiment d’anxiété ou d’angoisse apparaissent : les vomissements du matin avant l’école en sont l’exemple typique. À cet égard signalons qu’on retrouve assez souvent dans les antécédents de ces enfants des vomissements précoces, comme si était marquée par ce symptôme l’existence d’une voie privilégiée des décharges tensionnelles. Parmi eux quelques-uns développeront ultérieurement une phobie scolaire.

C. – Mérycisme

Le mérycisme survient au cours du second trimestre. Il se caractérise par une régurgitation provoquée tantôt par des efforts manifestes, tantôt par une facilité exagérée à ramener la nourriture dans la bouche. Ce vomissement provoqué aboutit à une rumination : l’enfant garde en totalité ou en partie les aliments dans sa bouche, les mâchonne avant de les ravaler. Parfois, une grande partie de la nourriture est rejetée, seule une bouchée étant conservée. Dans ces cas, une dénutrition, voire une déshydratation peuvent apparaître.

Ce trouble n’a lieu que lorsque l’enfant est seul. Au cours de cette rumination, toute son activité semble suspendue : immobile, atone, le regard vide, étranger au monde extérieur. Parfois, d’autres manifestations alternent avec le mérycisme : balancement de la tête, succion des doigts, trichotillomanie. Ces comportements cessent lorsque l’enfant ressent la présence d’un adulte. L’appétit est conservé, voire exagéré.

Tous les auteurs admettent que cette activité est secondaire à un syndrome de carence maternelle : les mères sont distantes, froides, peu carressantes. Elles élèvent souvent leur bébé dans un cadre ritualisé et obsessionnel. Certains auteurs ont interprété leurs fréquentes craintes de maladie ou de mort de l’enfant comme témoin de leur agressivité inconsciente dirigée contre celui-ci. L’établissement d’une relation chaleureuse suspend d’ailleurs le comportement méryciste du nourrisson : celui-ci se montre souvent avide de contact affectif san^ réticence aucune. À ce titre, l’établissement d’une séparation avec un maternage adéquat a pu être préconisé.

La compréhension psychopathologique du mérycisme doit tenir compte de l’âge électif de survenue, entre 6-10 mois : une analogie avec le jeu de la bobine décrit par Freud (Fain et coll.) a été avancée : le nourrisson tente de maîtriser la carence maternelle par une satisfaction auto-érotique, manifestant par là-même son refus de toute dépendance. Cette autosuffisance va de pair avec une érotisation secondaire du dysfonctionnement musculaire (Soulé) : renversement du fonctionnement de la musculature lisse œsophagienne permettant au nourrisson d’éviter la position passive.

L’aspect très élaboré du mérycisme fait poser le problème d’une précocité et d’une maturité excessive mises au service d’un comportement quasi autistique avec toutes les perturbations ultérieures possible dans l’établissement de relations d’objets satisfaisantes.

L’évolution à court terme est favorable, la disparition du symptôme étant expliquée, comme dans le cas de la colique idiopathique, par l’investissement de nouvelles zones de décharge grâce à la maturation neurophysiologique. Le pronostic lointain reste imprécis.

D. – Rectocolite ulcéro-hémorragique

La place de la rectocolite ulcéro-hémorragique dans le cadre des maladies psychosomatiques de l’enfant dépend en grande partie de l’origine géographique des auteurs. Fort peu étudiée de ce point de vue en France où cette maladie reste du domaine strict des pédiatres somaticiens, même s’ils en soulignent les fréquents déterminants psychologiques (séparation parentale, naissance d’un cadet, entrée à l’école, début de la puberté…), la rectocolite a été l’objet de nombreuses études de psychiatres ou psychanalystes américains (Prugh, M. Sper-ling). Il semble d’ailleurs que chez l’enfant elle soit plus fréquente aux États-Unis qu’en France.

La rectocolite ulcéro-hémorragique survient le plus souvent chez des enfants d’âge scolaire, vers 7-8 ans, ou au début de la puberté (11-13 ans). Certains auteurs notent l’existence fréquente d’antécédents d’anorexie, et la concomitance de divers signes névrotiques : phobie,

rituel obsessionnel entre autres (Sichel et Fasla). L’épisode de diarrhée sanglante survient parfois au moment d’une séparation réelle ou fantasmatique d’avec la mère.

Au plan psychopathologique, ces enfants sont souvent décrits comme effacés, soumis, obéissants. La survenue d’un épisode psychotique associé à la poussée ulcéreuse a été décrite. La mère présente des traits dépressifs, mais s’avère en réalité autoritaire, agressive, dominatrice et hyperprotectrice. La relation mère-enfant passerait d’une tonalité agressive et rejetante en temps normal à une relation de soins envahissante et manipulatrice, lorsque les symptômes apparaissent, donnant à l’enfant le bénéfice d’une position régressive (M. Sperling).

Selon les auteurs anglo-saxons, le traitement psychothérapique est efficace, tant sur les traits de caractère que sur l’évolution même des poussées de rectocolite. En France, les positions des somaticiens sont tout à fait en retrait, et la préémincence du traitement chirurgical fort peu remise en question. La discordance entre ces deux types d’attitude devrait susciter une réflexion et des travaux approfondis car il semble que l’abord psychothérapeutique puisse être à l’origine de rémission et de stabilisation.

II. – Asthme de l’enfant

La composante psychique de l’asthme de l’enfant a été reconnue depuis fort longtemps et fut même, à une période, tenue pour le facteur essentiel. Les travaux modernes ont montré l’importance des mécanismes allergiques et infectieux à l’origine du mécanisme de contraction de la musculeuse bronchiolaire, sans pour autant en faire le seul facteur déclenchant des crises. En effet, s’il est bien établi maintenant que le contact respiratoire de l’allergène est susceptible de provoquer la décharge d’histamine responsable de la bronchoconstriction, donc la bradypnée avec tirage inspiratoire typique de la crise d’asthme, il est tout aussi bien établi que chez un même sujet une crise peut survenir en l’absence d’allergène. Inversement, malgré la présence d’allergène, la crise peut ne pas se déclencher chez des patients qui ont suivi une psychothérapie. Cette absence de crise d’asthme en présence de l’allergène s’accompagne paradoxalement d’une persistance de l’hypersensibilité spécifique aux tests in vivo ou in vitro.

On ne peut donc considérer le processus de déclenchement de la crise d’asthme comme univoque : de nombreux facteurs paraissent susceptibles d’agir ; en revanche, une fois le processus engagé, on assiste à une sorte de « voie finale commune », la réaction étant identique quelle qu’en soit l’étiologie (héréditaire, allergique, infectieuse, psychogénétique).

Il paraît vain dans ces conditions de déterminer une hiérarchie des processus comme on le voit faire parfois, afin de savoir ce qui du somatique ou du psychologique serait fondamental. Comme dans toutes les affections psychosomatiques, il devient vite impossible, une fois la réaction morbide établie, de déterminer dans l’interaction familiale, ce qui est constitutif de ce qui est simplement réactionnel. Néanmoins, l’environnement joue un rôle fondamental puisque les crises asthmatiques apparaissent souvent après un traumatisme affectif et qu’ultérieu-rement l’enfant fait ses crises dans des conditions bien déterminées : en présence ou en l’absence d’une même personne, identité de lieu ou de circonstance, sans que cela soit lié directement à l’allergène, etc.

Au plan clinique, l’asthme de l’enfant apparaît habituellement dans le cours de la troisième année, et persiste pendant toute l’enfance. La puberté est un cap important car un grand nombre d’asthmes disparaissent alors, tandis que quelques autres persistent à l’âge adulte.

A. – Personnalité de l’enfant asthmatique et interactions familiales

Le plus souvent l’enfant asthmatique est décrit comme sage, calme, plutôt dépendant, soumis à son entourage, facilement anxieux. La scolarité est souvent très investie, la maladie étant d’ailleurs vécue comme une entrave à une meilleure réussite. Des absences trop nombreuses peuvent être à l’origine des difficultés scolaires. Toutefois, d’autres enfants se montrent volontiers agressifs, exigeants ou provocateurs.

Les relations familiales paraissent assez spécifiques, surtout en ce qui concerne la mère. Celle-ci apparaît souvent comme assez rejetante ou du moins froide, conformiste, « hypernormale ». Il n’est pas rare que les seuls échanges affectifs tournent autour de la maladie : la mère soigne l’enfant et sa propre culpabilité, l’enfant se soumet à sa mère tout en suscitant l’angoisse de cette dernière. L’ambivalence des affects, tant de la mère (rejet/culpabilité), que de l’enfant (soumission/indépen-dance) trouverait ainsi son issue dans la relation de soin établie autour des crises d’asthme. Dans d’autres cas il semble s’établir un lien d’identification narcissique étroit entre l’enfant et ses parents dont les perturbations psychopathologiques propres s’équilibrent grâce aux projections narcissiques sur leur enfant (Zylberszac). Ce dernier en arrive à « étouffer » sous la massivité de cet investissement narcissique. L’amélioration des crises lors des séparations du milieu familial confirmerait la validité de ce point de vue. Fréquemment les crises réapparaissent d’ailleurs au retour en famille.

L’interprétation psychopathologique de la crise d’asthme se fait le plus souvent en référence à l’archaïsme de la fonction respiratoire : le cri-pleur, premier signe de détresse du bébé, précurseur de la communication, ne peut être dépassé. L’environnement familial donnerait valeur de communication à la crise d’asthme, au même titre que les pleurs habituels de l’enfant normal. De nombreux auteurs signalent en elfet que l’enfant asthmatique pleure peu.

Quant à la psychopathologie de l’enfant lui-même, il semble que sous son aspect fréquemment hyperadapté, l’organisation de sa vie fantasmatique reste largement infiltrée de traits prégénitaux. La « pensée opératoire » décrite typiquement chez les sujets allergiques adultes (M. Marty) ne semble apparaître que chez les enfants qui, du fait de leur maladie, ont subi de nombreux placements, et séparations.

B. – Attitude thérapeutique

Il n’y a aucun parallélisme entre la gravité et la fréquence des crises d’asthme et la gravité des perturbations psychologiques. Le premier temps thérapeutique consiste donc à évaluer la place qu’occupent les processus mentaux, en particulier le rôle de l’angoisse, au milieu des différents facteurs déclenchants. Lorsque le déterminisme psychique apparaît prévalent, il importe d’en tenir compte car un traitement purement physique (désinfection, désensibilisation, corticothérapie) risquerait d’être un échec.

La séparation de la famille donne certes des résultats souvent spectaculaires mais qui disparaissent dès le retour à la maison, si aucune modification en profondeur de la dynamique familiale n’est intervenue. La psychothérapie de l’enfant et, chez des enfants jeunes, la psychothérapie couplée mère-enfant, bien que difficile, peut apaiser l’« angoisse du souffle », et créer les conditions d’une amélioration symptomatique secondaire.

C. – Asthme du nourrisson

L’asthme du nourrisson, que d’autres préfèrent appeler bronchite asthmatiforme en raison du contexte fébrile habituel, présente quelques particularités méritant d’être soulignées.

Sur le plan clinique, signalons d’abord sa survenue lors du second semestre, et sa disparition fréquente vers 2-3 ans. Notons aussi l’absence d’angoisse manifeste chez l’enfant dyspnéique qui ne paraît pas outre mesure incommodé par cette dyspnée : il reste actif, joueur, gai même. Au plan psychologique l’excessive familiarité sans qu’apparaisse l’angoisse normale de l’étranger a aussi été notée chez ces nourrissons. On peut l’attribuer soit à des conditions de maternage défectueuses où le substitut maternel change trop souvent (garde à temps partiel par exemple), soit à un environnement surprotecteur et envahissant.

Au plan psychopathologique la survenue de l’asthme traduirait l’échec de l’élaboration mentale du mécanisme d’angoisse de l’étranger (Fain), l’issue plus fréquente de cet échec dans l’auto-érotisme comme on peut l’observer au cours du mérycisme étant là barrée par la conduite « hypemormative » de la mère. Le déploiement du second organisateur de Spitz serait ainsi entravé soit par une triangulation trop rapide entre des personnages équivalents (garde partielle), soit par la massivité de l’investissement maternel.

Toutefois, ces hypothèses pathogéniques ne sont pas confirmées par d’autres auteurs. Ainsi Gautier et coll. ne retrouvent chez le nourrisson asthmatique et dans l’interaction avec sa mère aucune caractéristique spécifique en dehors d’une inquiétude un peu excessive de l’éloignement maternel. Ces auteurs considèrent que les descriptions des relations mère-enfant pathogènes, valables pour l’enfant asthmatique plus âgé, ne s’observent pas encore à ce stade précoce, la réactivité asthmatique n’étant qu’un facteur de vulnérabilité susceptible d’entraîner la relation mère-enfant dans une ambivalence secondairement pathogène et pathologique.

III. – Spasme du sanglot

A. – Généralités

Le spasme du sanglot se caractérise par une perte de connaissance brève due à une anoxie cérébrale chez un enfant le plus souvent âgé de 6 à 18 mois, qui survient dans des conditions précises. On distingue deux formes :

■ La forme bleue, la plus fréquente (80 %) est marquée par une perte de connaissance survenant dans un contexte de pleurs à l’occasion d’une réprimande, d’une frustration, d’une douleur : l’enfant sanglote, sa respiration s’accélère jusqu’au blocage en inspiration forcée, une cyanose apparaît et l’enfant perd connaissance quelques secondes.

■ La forme pâle se caractérise par la survenue d’une syncope à l’occasion d’un événement le plus souvent désagréable : douleur subite, peur, émotion intense. L’enfant pousse un cri bref, pâlit et tombe.

Dans les deux formes une contraction en opisthotonos, quelques mouvements cloniques des membres, une révulsion des globes oculaires peuvent accompagner ces pertes de connaissance. On les observe plus souvent dans la forme pâle.

Dans les deux cas la crise est brève, quelques secondes, une minute au plus, l’enfant en sort fatigué.

Le plus souvent, le même enfant fait toujours le même type de crise, il arrive cependant que la forme bleue et la forme pâle alternent. La fréquence du spasme du sanglot serait de 4 à 5 % dans une population générale.

Sur le plan somatique l’évolution est bénigne, il n’y a aucun signe neurologique associé ni séquelle à redouter.

Habituellement les crises disparaissent vers l’âge de 3 ans, mais peuvent parfois persister bien au-delà. Les circonstances de survenue du spasme méritent d’être notées car il n’est pas rare qu’on ne l’observe qu’en présence de certain membre de la famille (mère ou grand-mère) toujours le même.

■ Sur le plan neurophysiologique les études électro-encéphalogra-phiques (Gastaut) ont montré l’absence de toute anomalie de type épileptique et l’existence de signe typique d’anoxie cérébrale (asphyxie due au blocage respiratoire de la forme bleue, ischémie due à l’arrêt cardiaque de la forme pâle) au moment de la perte de connaissance.

B. – Abords psychologique et psychopathologique

Au plan psychologique

Tous les auteurs notent la différence entre la forme bleue et la forme pâle. Dans la première les enfants sont volontiers énergiques, actifs, facilement opposants et coléreux, dominateurs. Une anorexie d’opposition s’observe souvent. Dans la seconde, la forme pâle, les enfants paraissent plutôt craintifs, timides, dépendants, en un mot passifs. Il est facile et tentant d’opposer ainsi une forme bleue, active, virile et une forme pâle, passive, féminine (Fain).

Au plan psychopathologique

La compréhension de ce trouble fonctionnel doit se faire à plusieurs niveaux. L’importance de la relation entre l’enfant et le personnage sensible, le plus souvent la mère, doit être soulignée ; l’angoisse que celle-ci ressent l’amène à un comportement de prévenance, voire de soumission pour éviter le spasme évocateur de mort chez son enfant. Ce dernier retirera vite de cette crainte des bénéfices secondaires qui vont alimenter une mégalomanie sans cesse reconfirmée par les nouvelles crises.

L’importance du rôle de la respiration doit aussi être notée. Cette fonction est probablement la première fonction dont le caractère immédiatement vital est très tôt perçu chez l’enfant ; la possibilité d’un contrôle conscient, les modifications qu’entraînent l’hypo ou l’hypercapnie sont peut-être perçues beaucoup plus précocement qu’on ne le pense. À cet égard Soulé parle d’un véritable « étayage » de la fonction respiratoire au sens où, comme pour la faim et l’oralité, la satisfaction de la fonction physiologique sert d’étayage à la fixation d’un investissement libidinal.

D’après Fain le spasme du sanglot fonctionnerait comme une « préforme d’acte pervers », l’investissement privilégié se faisant contre nature, au niveau de la sensation d’asphyxie, véritable équivalent de décharge orgasmique, de coït, et finalement de simulacre de mort. La perte de connaissance interviendrait comme une fusion régressive et mortifère à la mère, rendue possible par la défaillance d’un investissement plus symbolisé et mentalisé.

C. – Attitude thérapeutique

Elle est d’autant plus simple que l’enfant est jeune. Elle porte avant tout sur l’entourage qu’il importe de rassurer : la bénignité de l’évolution somatique, la distinction nette d’avec l’épilepsie doivent être expliquées. La mère ou la grand-mère doivent pouvoir exprimer leurs angoisses et un soutien psychothérapique peut leur être nécessaire. Il est important d’obtenir que la crainte du spasme ne soit plus le prétexte à abandonner toute attitude éducative, et que la mère se désintéresse relativement de ces manifestations. Rapidement les spasmes s’espacent dans le temps avant de disparaître. L’avenir psychopathologique reste plus incertain, les études catamnestiques étant pratiquement inexistantes.

IV. – Pathologie de la sphère cutanée

Lieu de contact privilégié avec le monde environnant, barrière contre les agressions extérieures, enveloppe qui limite et contient le dedans, zone d’échange entre l’intérieur et l’extérieur, la peau est un organe dont les fonctions physiologiques et psychologiques sont riches et diversifiées. Miroir fidèle des influences psychiques, les manifestations cutanées (rougeur, pâleur, sudation, horripilation) ont des origines autant physiologiques que psychologiques. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les manifestations psychosomatiques s’y retrouvent souvent.

A. – Eczéma du nourrisson

Dans sa forme typique, l’eczéma atopique du nourrisson commence au cours du second trimestre. Il débute sur les joues, le cou et peut s’étendre progressivement à tout le corps. Il est fréquent de voir cet eczéma régresser dans le courant de la seconde année et, dans quelques cas, un asthme infantile y succède. On décrit aussi l’eczéma des plis, forme où l’irritation locale paraît jouer un rôle plus important.

Spitz a bien montré la fréquence élevée des eczémas de nourrissons vivant dans des conditions institutionnelles (institutions pour mères célibataires). Selon cet auteur, l’hostilité, déguisée en anxiété manifeste chez la mère, serait à l’origine de la réponse cutanée pathologique d’un nourrisson présentant toutefois une « prédisposition congénitale ».

La guérison dans le courant de la seconde année s’expliquerait, comme dans le cas d’autres manifestations psychosomatiques, par les nouveaux investissements rendus possible par le développement de l’enfant ; dans le cas de l’eczéma, l’acquisition de la marche rend le nourrisson moins dépendant du contact maternel.

On décrit chez les enfants plus âgés qui présentent un eczéma, une personnalité où se remarquent la soumission, la sensibilité, une anxiété importante. Les mères semblent osciller entre le rejet et la surprotection, laquelle se manifeste d’ailleurs par un souci thérapeutique envahissant : les seuls contacts tendres entre mère et enfant consistent pour celle-là à passer de la pommade sur le corps de celui-ci.

B. – Pelades

Le déterminisme psychogénétique des pelades, tant de l’adulte que de l’enfant, est bien connu ; mais les études psychodynamiques sont rares. Les auteurs s’accordent pour reconnaître que le choc affectif à l’origine de la pelade représente souvent une perte réelle ou symbolique. On retrouve fréquemment la notion d’un abandon. Signalons le cas particulier des pelades décalvantes qui, cliniquement, se caractérisent par la perte de tous les poils (cheveux, cils, sourcils, poils axillaires, pubiens, etc.), et dont le déterminisme psychogénétique semble identique. Nous avons eu ainsi l’occasion d’observer la constitution rapide d’une pelade décalvante chez un enfant dans une situation d’abandon aiguë et chez un autre au décours d’un épisode psychotique aigu.

V. – Affections diverses

A. – Migraines

Elles se caractérisent par la survenue brutale d’une pâleur avec une céphalée intense et pulsatile, le plus souvent sans phénomène visuel.

L’enfant est nauséeux, puis il vomit, ce qui calme l’accès. Ces migraines surviennent généralement chez l’enfant d’âge scolaire, et sont parfois liées à une scolarité très investie. Le caractère familial de la migraine est souvent relevé.

B. – Céphalées

Elles sont elles aussi liées à la scolarité, et il n’est pas toujours facile de les distinguer des migraines, sinon que leur survenue et leur disparition sont moins soudaines. La recherche du bénéfice secondaire (rester à la maison, éviter la composition, la matière redoutée, la séance de piscine) est souvent claire, la céphalée étant le résultat direct de la tension entre une peur ou une angoisse et un désir d’autonomie ou d’affirmation de soi.

Dans d’autres cas, les céphalées répondent à un mécanisme assez direct de conversion hystérique, en particulier lorsque l’enfant se trouve placé au sein d’un conflit sur lequel il ne peut agir (mésentente parentale ou divorce par exemple). Le renoncement à la pensée, à l’élaboration mentale risque chez un enfant d’être plus lourd de conséquence que chez un adulte où les processus cognitifs sont arrivés à maturité. À noter qu’un des parents est fréquemment céphalalgique lui-même.

C. – Retard de croissance d’origine psycho-sociale

Décrit initialement par des pédiatres endocrinologues (Rappaport et coll.), le « nanisme psychosocial » se caractérise par l’existence d’un important retard de croissance (supérieur à trois déviations standard) associé à un ralentissement de la vitesse de croissance chez un enfant âgé de plus de trois ans. Sur le plan clinique, cette petite taille est soit isolée chez un enfant par ailleurs en bon état général, soit associée à d’autres éléments : traces de coups (hématomes, fractures) chez des enfants maltraités, maigreur en cas d’ànorexie, symptômes psychosomatiques divers (anorexie, insomnie, diarrhée, énurésie, encoprésie) ou troubles du comportement.

Il n’y a pas de signe de dysmorphie. L’examen radiologique révèle un important retard de maturation osseuse qui se rapproche en général de l’âge correspondant à la taille.

Sur le plan social, ces enfants sont issus de familles très défavorisées, avec souvent des fratries nombreuses, sans que cela soit toutefois constant.

Le diagnostic différentiel se pose avec la pathologie hypothalamo-hypophysaire, en particulier les insuffisances globales ou électives. C’est un diagnostic très difficile, car ce retard de croissance s’accompagne souvent d’une diminution du taux de S.T.H. Le climat familial peut être un indice. Le seul critère diagnostique valable est la normalisation rapide du taux de S.T.H. et la reprise de la croissance staturale après la séparation du milieu familial.

■ L’interprétation physiopathologique de ce retard de croissance n’est pas univoque. Les auteurs s’accordent tous à reconnaître la dimension profondément carentielle du milieu familial mais le lien entre cette carence affective souvent manifeste, et l’altération neuroendocrinienne reste mystérieux. L’extrême rapidité de la réversibilité dès la séparation familiale et la normalisation des taux hormonaux surprennent et déconcertent les auteurs. Une carence nutritionnelle a aussi été invoquée, en particulier devant une prise de poids souvent rapide et importante. Le retard de croissance observé dans certaines anorexies graves a pu servir de modèle.

■ L’étude psychopathologique de ces enfants permet de distinguer un groupe d’enfants inhibés, tendus, vivant de façon défensive, dans une position soit de passivité, soit d’opposition. Un second groupe se caractérise, au contraire, par d’intenses capacités projectives, envahissantes et souvent confuses, proches de ce qu’on observe dans les prépsychoses.

Un point commun est représenté par une tendance excessive à l’agir, dans un contexte dominé par la violence des rapports entre l’enfant et son environnement, la mère en particulier. Un lien haineux particulièrement intense semble unir mère et enfant (G. Rimbault).

■ L’attitude thérapeutique préconisée est la séparation prolongée de l’enfant du milieu familial. Les raisons avancées en sont l’efficacité (reprise de la croissance qui dans certains cas est de nouveau arrêtée au retour en famille) et l’urgence relative qu’impose un symptôme dont la trace évidente risque de persister toute la vie. Néanmoins, si les bénéfices de la séparation sont évidents pour la croissance, les études portant sur les conséquences pour l’équilibre psycho-affectif de ces enfants restent à faire.

D. – Psychosomatique du grand enfant : la relation de soin

En guise de conclusion à ce chapitre sur la psychosomatique de l’enfant, nous pensons utile de revenir sur un mode d’interaction déjà évoqué en introduction : la relation de soin entre la mère et l’enfant.

Si l’on a pu en présence d’un nourrisson décrire des types d’organisation assez précis et particuliers (mérycisme ou spasme du sanglot par exemple), il n’en va pas de même au fur et à mesure que l’enfant grandit. Plus l’enfant est âgé, en effet, et moins il semble exister un lien étroit entre un type de symptôme somatique et une organisation psychologique spécifique. La raison de cette évolution nous paraît être que, contrairement à l’adulte où la relation psychosomatique s’interpose dans le dialogue interne du patient avec ses propres images intériorisées, le symptôme psychosomatique de l’enfant vient occuper le champ très concret des interactions de cet enfant avec son entourage, et tout particulièrement les parents.

À cet égard l’impossibilité tant chez l’enfant que chez le/les parent(s), d’exprimer le versant agressif de la nécessaire ambivalence relationnelle semble être à l’origine d’un grand nombre de manifestations somatiques. Celles-ci permettent la déflexion sur le corps de l’enfant de l’agressivité habituellement socialisée et son renversement en sollicitude excessive ou en relation purement thérapeutique de soin.

Des symptômes tels que les douleurs abdominales si fréquentes chez l’enfant, et source d’une telle inquiétude chez les mères en constituent à notre avis un exemple caricatural. D’autres manifestations ont peut-être attiré moins directement l’attention, mais nous paraissent répondre à une dynamique identique. C’est par exemple le cas de certaines angines ou otites à répétition. Ainsi, nous avons plusieurs fois eu l’occasion de voir s’apaiser un conflit aigu entre une mère et un enfant centré en particulier sur l’alimentation, à la seconde même où soit l’angine, soit l’otite autorise l’enfant à ne pas manger, et sa mère à ne pas le forcer : le conflit s’apaise, l’enfant trouve dans la régression et les soins maternels les gratifications nécessaires, la mère déplace alors sur le médecin généraliste, pédiatre ou O.R.L., la dépendance agressive qu’elle ressent envers son enfant. Le caractère répétitif de ces épisodes qui surviennent tous les mois, toutes les quinzaines, voire toutes les semaines, épisodes dont la réalité somatique n’est pas douteuse, comme en témoigne l’inflammation de la gorge ou du tympan, devrait inciter le médecin somaticien a en saisir la dimension réellement psychosomatique. Ceci veut dire que, outre le nécessaire traitement somatique de l’épisode actuel, il convient d’en intégrer la signification individuelle et transactionnelle, afin d’amener un changement qui seul pourra prévenir les rechutes.

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