« Le Pêcheur et le Génie »

Le conte de fées comparé à la fable

L’un des contes des Mille et Une Nuits, « Le Pêcheur et le Génie », présente un tableau presque complet du thème de conte de fées qui met en scène un géant en conflit avec une personne normale6. Ce thème est commun à toutes les cultures, sous une forme ou sous une autre, étant donné que les enfants, partout dans le monde, tremblent et piaffent d’impatience sous le pouvoir que détiennent sur eux les adultes. Les enfants savent que, s’ils ne s’inclinent pas devant les exigences des adultes, ils n’ont qu’une façon d’échapper à leur colère : en étant plus malins qu’eux.

« Le Pêcheur et le Génie » raconte l’histoire d’un pauvre pêcheur qui jette quatre fois son filet dans la mer. La première fois, il ramène une carcasse d’âne ; la seconde, un panier plein de gravier et de fange. Sa troisième tentative n’est pas plus fructueuse : des pierres, des coquilles et des ordures. Au quatrième coup de filet, le pêcheur remonte un vase de cuivre jaune. Dès qu’il l’a ouvert, il s’en échappe un énorme nuage qui se matérialise sous la forme d’un Génie qui menace de le tuer malgré ses supplications. Le pêcheur doit son salut à une astuce : il défie le génie en lui disant qu’il ne pourra jamais croire que, grand comme il est, il ait jamais pu tenir dans un récipient aussi petit ; il pousse ainsi le génie à se réintroduire dans le vase pour prouver que c’est possible. Le pêcheur s’empresse de recouvrir le vase, de le sceller et de le rejeter dans la mer.

Dans d’autres cultures, le même thème peut se présenter dans une version où le personnage méchant prend les traits d’une énorme bête féroce menaçant de dévorer le héros qui, sans sa présence d’esprit, serait tout à fait incapable de lutter contre un pareil adversaire. Le

héros dit alors à haute voix qu’il est bien facile pour un esprit aussi puissant de prendre la forme d’une créature gigantesque, mais qu’il ne pourrait certainement pas se transformer en un petit animal, comme un oiseau ou une souris. Ce défi à la vanité de l’esprit est pour lui un arrêt de mort. Pour bien montrer que rien ne lui est impossible, il se transforme en un petit animal que le héros n’a aucun mal à vaincre7.

L’histoire du « Pêcheur et du Génie » est plus riche en messages cachés que les autres versions du même thème ; il contient en effet des détails importants qu’on ne trouve pas toujours dans les autres contes. On apprend, par exemple, pour quelle raison le génie a la cruauté de vouloir tuer l’homme qui lui rend la liberté ; on sait aussi que les trois tentatives infructueuses ont été récompensées par une quatrième.

Selon la moralité des adultes, plus l’emprisonnement est long, plus le prisonnier doit être reconnaissant envers la personne qui le libère. Mais ce n’est pas du tout ce que raconte le génie. Au cours du premier siècle où il resta confiné dans le vase, le génie jura « que si quel-‘ qu’un l’en délivrait, il le rendrait riche, même après sa mort ; mais le siècle s’écoula et personne ne lui rendit ce bon office. Pendant le second siècle il fit le serment de donner accès à tous les trésors de la terre à quiconque le mettrait en liberté ; mais il ne fut pas plus heureux. Pendant le troisième, il promit de satisfaire chaque jour trois vœux de son libérateur, de quelque nature qu’ils pussent être ; mais ce siècle se passa comme les autres et il demeurait toujours dans le même état. Enfin, enragé de se voir prisonnier si longtemps, il jura que si quelqu’un le délivrait par la suite, il le tuerait impitoyablement... ».

C’est exactement ce qu’éprouve le petit enfant qui a été « abandonné ». Il se console d’abord en imaginant combien il sera heureux lorsque sa mère reviendra ; ou, s’il est consigné dans sa chambre, combien il sera content quand il aura la permission d’en sortir, et combien il en remerciera sa maman. Mais, à mesure que le temps s’écoule, la colère de l’enfant ne fait que croître, et il imagine les terribles revanches qu’il prendra contre ceux qui l’ont frustré. Le fait que, en réalité, il puisse être très heureux au moment du soulagement n’empêche pas ses pensées d’aller de la récompense à la punition envers ceux qui lui ont infligé un chagrin. C’est ainsi que l’évolution des pensées du génie constitue pour l’enfant une vérité psychologique.

Un petit garçon de trois ans dont les parents étaient partis au loin pour trois semaines donne un excellent exemple de cette progression des sentiments. Cet enfant, qui parlait très bien avant le départ de ses

parents, continua de le faire avec la femme qui s’occupait de lui et avec d’autres personnes qu’il était amené à rencontrer. Mais, dès le retour de ses parents, il ne leur adressa plus la parole, ni à quiconque, pendant deux semaines. D’après ce qu'il avait dit à la personne qui s’occupait de lui, il est certain que pendant les premiers jours de leur absence il envisageait avec beaucoup de plaisir leur retour. À la fin de la première semaine, il commença à dire qu’il leur en voulait beaucoup de l’avoir laissé seul et qu’il se vengerait à leur retour. Une semaine plus tard, il renonçait même à parler de ses parents et se mettait violemment en colère contre quiconque faisait allusion à eux. Finalement, quand son père et sa mère furent de retour, il se détourna d’eux et se réfugia dans le mutisme. Malgré tous les efforts que faisaient ses parents pour l’atteindre, le petit garçon restait figé dans son refus. L’enfant ne redevint vraiment lui-même qu’après des semaines au cours desquelles ses parents, avec beaucoup de sollicitude, essayèrent de comprendre la situation difficile où il se trouvait. Il semble évident que, à mesure que le temps passait, la colère de l’enfant s’était accrue jusqu’à devenir si violente, si envahissante, qu’il en eut peur : s’il se laissait aller, craignait-il, peut-être voudrait-il détruire ses parents, ou peut-être le détruiraient-ils par vengeance. En refusant de parler, il se défendait : c’était sa façon de se protéger lui-même et de protéger ses parents contre les conséquences de la rage qui le dominait.

Il est impossible de savoir si dans la langue originelle du « Pêcheur et du Génie » il existait quelque chose d’équivalent à l’expression anglaise « bottled-up » feelings (sentiments refoulés, littéralement, « comprimés dans une bouteille »). Mais cette image d’un confinement dans un vase clos devait être aussi valable à l’époque qu’elle l’est de nos jours. Sous une forme ou sous une autre, tout enfant connaît des expériences semblables à celles de notre petit garçon de trois ans, quoique, en général, d’une façon moins extrême et sans les réactions visibles qu’il a eues. L’enfant, de lui-même, ignore ce qui a bien pu lui arriver ; tout ce qu’il sait, c’est qu’il a été « obligé » de se conduire de cette façon. Tous les efforts tendant à essayer de faire comprendre rationnellement à l’enfant ce qui se passe ne peuvent avoir aucun effet sur lui et, par surcroît, le laisseront sur sa faim, car il ne pense pas encore d’une façon rationnelle.

Si vous racontez à un petit enfant qu’un garçon de son âge était si en colère contre ses parents qu’il cessa de leur parler pendant deux semaines, il réagira certainement en disant : « Il est bête ! » Si vous essayez de lui expliquer pourquoi le petit garçon s’est conduit ainsi, votre enfant attentif ressentira encore davantage qu’un tel comportement est stupide, non seulement parce qu’il considère l’action elle-même comme stupide, mais aussi parce que, pour lui, l’explication n’a aucun sens.

L’enfant est incapable d’admettre consciemment que sa colère puisse le rendre muet, ou qu’il puisse avoir envie de détruire ceux dont dépend son existence. Pour comprendre cela, il faudrait qu’il puisse admettre le fait que ses propres émotions peuvent l’envahir au point de lui enlever tout contrôle sur elles... ce qui serait pour lui une notion assez effrayante. L’idée qu’on puisse avoir en soi des forces incontrôlables a un aspect trop redoutable pour qu’on puisse s’y arrêter, et cela ne concerne pas seulement l’enfant4.

Chez l’enfant, l’action remplace la compréhension. Et cela est de plus en plus vrai à mesure que ses sentiments prennent de la force. L’enfant, guidé par des adultes, peut apprendre à s’exprimer autrement ; mais, d’après ce qu’il voit en réalité, les gens ne pleurent pas parce qu’ils sont tristes : ils pleurent, un point c’est tout. Les gens ne frappent pas, ne détruisent pas ou ne deviennent pas muets parce qu’ils sont en colère : c’est ce qu’ils font, et c’est tout. Un enfant peut avoir compris qu’il peut apaiser un adulte en expliquant une de ses actions de la façon suivante : « J’ai fait ça parce que je suis en colère ! » Mais cela ne change rien au fait que cet enfant n’expérimente pas sa colère en tant que telle, mais seulement comme une impulsion qui l’incite à frapper, à détruire, à se taire. Ce n’est qu’à la puberté que nous commençons à identifier nos émotions pour ce qu’elles sont, sans agir immédiatement selon elles, sans même en avoir envie.

Les processus inconscients de l’enfant ne peuvent lui sembler plus clairs qu’à travers des images qui s’adressent directement à son inconscient. Les images évoquées par les contes de fées jouent ce rôle. De même que l’enfant ne pense pas : « Quand maman reviendra, je serai content », mais : « je lui donnerai quelque chose », de même le génie se dit : « Je rendrai riche celui qui me délivrera ! » De même que l’enfant ne pense pas : « Je suis si en colère que je serais capable de tuer cette personne ! » mais : « Quand je le reverrai, je le tuerai ! », de même le génie dit : « Si quelqu’un me délivre, je le tuerai ! » Si une personne réelle était censée penser ou agir de cette façon, cette idée serait trop angoissante pour qu’on puisse la comprendre. Mais l’enfant sait que le génie est un personnage imaginaire et il peut donc se permettre d’identifier ce qui le motive, sans être contraint d’en inférer directement à lui-même.

Tandis que l’enfant brode ses fantasmes tout autour de l’histoire

— et s’il ne le fait pas, le conte de fées perd une bonne partie de son influence —, il se familiarise lentement avec la façon dont le génie réagit à l’incarcération et à la frustration et effectue en même temps un pas important vers les réactions parallèles qu’il peut avoir lui-même. Comme c’est un conte de fées, situé dans un pays imaginaire, qui lui présente ces modèles de comportement, l’enfant, dans sa tête, peut passer d’une conclusion à l’autre : « C’est vrai, c’est bien comme ça qu’on agit et qu’on réagit », ou : « Ce n’est absolument pas vrai, ce n’est qu’une histoire », selon qu’il est prêt ou non à reconnaître ces processus en lui-même.

Ce qui est beaucoup plus important, étant donné que le conte de fées garantit une conclusion heureuse, c’est que l’enfant n’a pas à avoir peur de permettre à son inconscient de prendre le dessus, eh accord avec le contenu du conte : il sait que, quoi qu’il puisse découvrir, « il vivra heureux pendant de longues et longues années... ».

Les exagérations magiques de l’histoire (pouvoir être, par exemple, enfermé dans un vase pendant des siècles) rendent plausibles et acceptables des réactions qui, présentées de manière plus réaliste, par exemple l’absence des parents, ne le seraient pas. Pour l’enfant, l’absence des parents semble durer une éternité, sentiment qui demeure sans changement quand la mère explique sincèrement qu’elle n’est restée absente que pendant une demi-heure. Ainsi, les exagérations magiques du conte de fées donnent corps à la vérité psychologique, alors que les explications réalistes, tout en étant proches de la réalité des faits, semblent psychologiquement fausses.

« Le Pêcheur et le Génie » montre parfaitement comment le conte de fées perd toute valeur s’il est simplifié et édulcoré. À regarder l’histoire de très loin, il pourrait sembler inutile de relater la démarche de la pensée du génie, à partir du moment où il décide de récompenser la personne qui le libérera, jusqu’à ce qu’il décide de la punir. Il suffirait de raconter l’histoire d’un méchant et puissant génie qui voulait tuer son libérateur, lequel, tout en n’étant qu’un faible mortel, s’arrange pour le rouler. Mais sous cette forme simplifiée, nous n’avons plus qu’un conte à faire peur qui se termine bien, sans aucune vérité psychologique. C’est l’évolution du génie, qui passe du désir de récompenser au désir de punir, qui permet à l’enfant de se mettre au diapason du conte. Comme l’histoire décrit avec beaucoup de véracité ce qui s’est passé dans le crâne du génie, l’idée que le pêcheur soit capable d’être plus malin que lui gagne elle aussi en véracité. Débarrassés de ces éléments apparemment insignifiants, les contes de fées perdent leur signification profonde et cessent d’intéresser les enfants.

Sans qu’il en soit conscient, l’enfant se réjouit de voir qu’un conte de fées met en garde ceux qui détiennent le pouvoir de l’« enfermer dans un vase ». Il ne manque pas d’histoires modernes destinées aux petits où un enfant se montre plus malin qu’un adulte. Mais, parce qu’elles sont trop directes, ces histoires ne soulagent pas l’imagination de la contrainte que fait peser la domination du pouvoir adulte ; ou bien elles font peur à l’enfant dont toute la sécurité repose sur le fait que les adultes sont plus accomplis que lui et qu’ils sont capables de le protéger en toute sûreté.

J’insiste sur la différence : rouler un génie ou un géant, ce n’est pas la même chose que rouler un adulte. Si l’enfant apprend qu’il lui est possible de l’emporter sur les adultes que sont son père et sa mère, l’idée peut lui paraître agréable, mais, en même temps, elle est génératrice d’angoisse : s’il est capable d’être plus malin qu’eux, comment peut-il être convenablement protégé par des êtres aussi faciles à duper ? Mais comme le géant est un personnage imaginaire, l’enfant peut très bien rêver qu’il est plus malin que lui, au point de pouvoir non seulement le dominer, mais aussi le détruire, tout en continuant de compter sur les vrais adultes pour le protéger.

Le conte de fées « Le Pêcheur et le Génie » a plusieurs avantages sur ceux du cycle anglo-saxon de Jack (« Jack et le tueur de géants », « Jack et la perche à haricots »). Comme le pêcheur est non seulement un adulte, mais aussi, selon l’histoire, un père de famille, le jeune auditeur apprend implicitement par l’histoire que son père peut très bien se sentir menacé par des puissances qui lui sont supérieures, mais qu’il est assez intelligent pour les vaincre. Avec ce conte, l’enfant peut gagner sur les deux tableaux : il peut se projeter lui-même dans le rôle du pêcheur et imaginer qu’il l’emporte sur le géant ; il peut aussi projeter son père dans le même rôle et imaginer qu’il est lui-même un esprit qui peut menacer son père, tout en étant certain que ce même père l’emportera.

Le même conte contient un élément apparemment sans signification, mais très important : c’est le fait que le pêcheur doit connaître trois défaites avant de remonter le vase qui contient le génie. Alors qu’il serait beaucoup plus simple de commencer l’histoire au coup de filet qui fait apparaître le vase fatal, cet élément indique à l’enfant, sans intention moralisatrice, qu’on ne peut pas compter sur le succès du premier coup, ni même du deuxième ni du troisième. Les choses ne s’accomplissent pas aussi facilement qu’on pourrait l’imaginer ou le souhaiter. Si le pêcheur avait été moins tenace, ses trois premières prises l’auraient déterminé à abandonner, puisque ses efforts ne lui valaient que du rebut. De nombreuses fables, de nombreux contes de fées enseignent qu’il ne faut pas abandonner malgré les premiers échecs. Cette notion est si importante pour l’enfant que de nombreux contes de fées, de nombreuses fables contiennent ce message. Ce dernier peut atteindre son but à condition qu’il ne soit pas livré au nom de la morale, ou comme une exigence, mais d’une façon fortuite, qui indique bien que dans la vie il n’en va pas autrement. En outre, l’événement magique qui permet au pêcheur de vaincre le géant n’intervient pas sans efforts ni sans ruse ; nous avons de bonnes raisons' d’aiguiser notre esprit et de continuer nos efforts, aussi pénibles soient-ils.

Il existe dans le même conte de fées un autre détail qui, tout en paraissant insignifiant, ne pourrait pas être supprimé sans que la portée de l’histoire en soit affaiblie ; je veux parler du parallèle qui est établi entre les quatre tentatives du pêcheur, qui sont finalement couronnées de succès, et les quatre degrés qui marquent la colère croissante du génie. Ainsi sont juxtaposées la maturité du pêcheur-père et l’immaturité du génie ; est posé en même temps le problème essentiel que tout être humain doit affronter dès le début de son existence : faut-il se laisser gouverner par ses émotions ou par la raison ?

Traduisons ce conflit en termes psychanalytiques : il symbolise la difficile bataille que nous avons tous à livrer ; faut-il céder au principe de plaisir, qui nous vaut la satisfaction immédiate de nos désirs ou qui nous conduit à nous venger violemment de nos frustrations, même contre ceux qui n’y sont pour rien — ou devons-nous renoncer à vivre au gré de ces pulsions, en choisissant une vie dominée par le principe de réalité qui veut que nous soyons prêts à accepter bien des frustrations pour bénéficier de récompenses durables ?

Cette décision concernant le principe de plaisir est si importante qu’un grand nombre de contes de fées et de mythes essayent de l’enseigner. Le mythe d’Hercule illustre très bien la façon directe et didactique dont le mythe traite ce choix crucial par comparaison avec la façon douce, indirecte, sans exigence, et donc psychologiquement plus efficace dont les contes de fées portent le même message8.

Le mythe nous raconte que, « le temps étant venu pour Hercule de décider s’il se servirait de ses dons pour le bien ou pour le mal, il quitta les bergers et se rendit dans une région solitaire pour réfléchir à la direction que sa vie allait prendre. Tandis qu’il s’était arrêté pour méditer, deux femmes de haute stature s’avancèrent vers lui. L’une, d’aspect modeste, était belle et pleine de noblesse. L’autre, arrogante, offrait la séduction d’une poitrine abondante ». La première femme, poursuit le mythe, est la Vertu ; la seconde, le Plaisir. Chacune d’elles fait des promesses pour l’avenir d’Hercule s’il suit le chemin qu’elle offre à sa vie.

Cette image d’Hercule à la croisée des chemins est exemplaire. Tous les humains, comme lui, sont tentés par la perspective du plaisir éternel et facile où « nous récoltons les fruits du travail des autres et ne refusons rien de tout ce qui peut nous procurer du profit », ainsi que le promettait « le Plaisir oisif » camouflé en « Bonheur permanent ». Mais nous sommes également sollicités par la Vertu et « son long et dur chemin de la satisfaction », qui nous dit « que l’homme n’obtient rien sans peine ni effort » et que « si on veut être tenu en estime dans la cité, il faut lui rendre service ; on récolte ce que l’on a semé ».

Toute la différence entre le mythe et le conte de fées est mise en évidence par le fait que le mythe nous déclare sans ambages que les deux femmes qui s’adressent à Hercule sont « le Plaisir oisif » et la « Vertu ». Semblables à des personnages de conte de fées, ces deux femmes personnifient les tendances conflictuelles internes du héros et ses pensées. Dans ce mythe, elles sont décrites comme équivalentes, bien qu’il soit nettement sous-entendu qu’en réalité elles ne le sont pas et qu’entre le Plaisir oisif et la Vertu il faut choisir cette dernière. Le conte de fées ne nous aborde jamais aussi directement, ne nous dit

jamais tout à trac quel doit être notre choix. Au contraire, il aide l’enfant à développer son désir d’une conscience plus haute par le truchement de ce qui est impliqué dans l’histoire. Le conte de fées nous convainc par l’appel qu’il lance à notre imagination et par l’enchaînement séduisant des événements qui nous sollicitent.


4 Un exemple montrera combien il peut être bouleversant pour l’enfant de penser que, à son insu, des forces puissantes s’agitent en lui. Il s’agit d’un garçon de sept ans à qui ses parents essayaient d’expliquer que ses émotions l’avaient détourné vers des actions qui étaient, réprouvées par le père et la mère aussi bien que par l’enfant lui-même. L’enfant réagit ainsi : « Vous voulez dire que j’ai dans mon corps une machine qui n’arrête pas de faire tic tac et qui peut exploser d’un moment à l’autre ? » À partir de ce jour-là, et pendant un certain temps, le petit garçon fut terrorisé à l’idée qu’il vivait perpétuellement sous la menace d’une autodestruction.