Génital (amour —)
= D. : genitale Liebe. – En. : génital love. – Es. : amor génital. – I. : amore genitale. – P. : amor génital.
● Terme souvent utilisé dans le langage psychanalytique contemporain pour désigner la forme de l’amour à laquelle le sujet parviendrait dans l’achèvement de son développement psychosexuel, ce qui suppose non seulement l’accès au stade génital, mais le dépassement du complexe d’Œdipe.
◼ On ne rencontre pas l’expression d’amour génital sous la plume de Freud. On trouve bien en revanche chez lui l’idée d’une forme achevée de la sexualité et même d’une « attitude complètement normale en amour » (1 a), où viennent s’unir le courant de la sensualité et celui de la « tendresse » (Zärtlichkeit). L’exemple, banal en clinique psychanalytique, de l’homme qui ne peut désirer celle qu’il aime (femme qu’il idéalise) ni aimer celle qu’il désire (prostituée) illustre pour Freud leur disjonction.
L’évolution du courant sensuel, décrite dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité (Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905) aboutit à l’organisation génitale* : avec la puberté « … un but sexuel nouveau est donné, à la réalisation duquel toutes les pulsions partielles coopèrent, tandis que les zones érogènes se subordonnent au primat de la zone génitale, […]. La pulsion sexuelle se met maintenant au service de la fonction de reproduction » (2).
Quant à la tendresse, Freud fait remonter son origine à la relation la plus archaïque de l’enfant à la mère, au choix d’objet primaire dans lequel satisfaction sexuelle et satisfaction des besoins vitaux fonctionnent indissolublement en étayage* (voir : Tendresse).
★
M. Balint, dans un article qu’il a consacré à l’amour génital (3 a), remarque qu’on en parle surtout en termes négatifs, tout comme pour le stade post-ambivalent* d’Abraham que l’on définit essentiellement par l’absence des traits des stades antérieurs.
Veut-on définir positivement l’amour génital, on échappe difficilement à des vues normatives et même à un langage franchement moralisant : compréhension et respect d’autrui, oblativité, idéal du mariage, etc.
La notion d’amour génital appelle, du point de vue de la théorie psychanalytique, un certain nombre de questions et d’observations :
1) La satisfaction génitale – celle du sujet, du partenaire, ou réciproque – n’implique nullement qu’il y ait amour. Inversement, l’amour ne suppose-t-il pas un lien qui survit à la satisfaction génitale (3 b) ?
2) Une conception psychanalytique de l’amour, si elle exclut toute référence normative, ne doit pas méconnaître ce que la psychanalyse a découvert de la genèse de l’amour :
— quant à la relation d’objet : incorporation, maîtrise, union* avec la haine (4) ;
— quant aux modes de satisfaction prégénitaux auxquels la satisfaction génitale est indissolublement mêlée ;
— quant à l’objet : le « plein amour d’objet » dont parle Freud n’est-il pas toujours marqué du narcissisme originaire, qu’il s’agisse du type de choix d’objet par étayage* ou du type de Choix d’objet proprement narcissique* ? C’est, rappelons-le, « la vie amoureuse du genre humain » qui a fourni à Freud un motif d’introduire le narcissisme (5).
3) L’usage contemporain de la notion d’amour génital s’accompagne souvent de l’idée d’une satisfaction entière des pulsions, voire de la résolution de tout conflit (« La relation génitale est, pour tout dire, sans histoire », a-t-on pu écrire) (6). A une telle conception s’oppose incontestablement la théorie freudienne de la sexualité ; soit, par exemple, ces lignes : « Nous devons compter avec la possibilité qu’il y ait dans la nature de la pulsion sexuelle elle-même quelque chose de défavorable à la réalisation de la satisfaction complète » (1 b).
4) D’une façon générale, sous le terme d’amour génital, ne confond-on pas plusieurs plans dont la concordance n’est pas assurée : celui du développement libidinal, qui doit conduire à la synthèse des pulsions partielles sous la primauté des organes génitaux ; celui de la relation d’objet, qui suppose l’accomplissement de l’Œdipe ; celui enfin, de la rencontre singulière ? On est d’ailleurs frappé de voir les auteurs qui invoquent l’amour génital ne pas échapper à la contradiction suivante : l’objet d’amour est conçu à la fois comme interchangeable (le « génital » trouvant nécessairement un objet d’amour) et unique (le « génital » prenant en considération la singularité d’autrui).
(1) Freud (S.). Über die allgemeinsleste Erniedrigung des Lisleebestebens, 1912. – a) G.W., VIII, 79 ; S.E., XI, 180 ; Fr., 11-12. – b) G.W., VIII, 89 ; S.E., XI, 188-9 ; Fr., 19.
(2) Freud (S.). G.W., V, 108-9 ; S.E., VII, 207 ; Fr., 111-12.
(3) Cf. Balint (M.). On Génital Love, 1947. In : Primary Love and Psychoanalylic Technique, Hogarth Press, Londres, 1952. – a) Passim. – b) Passim.
(4) Cf. Freud (S.). Triebe and Triebschicksale, 1915. G.W., X, 230 sqq. ; S.E., XIV, 138 sqq. ; Fr., 17 sqq.
(5) Cf. Freud (S.). Zur Einführung des Narzissmus, 1914. G.W., X, 153 sqq. ; S.E., XIV, 87 sqq.
(6) Bouvet (M.). In La Psychanalyse d’aujourd’hui, P.U.F., Paris, 1956, I, 61.