Principe de plaisir

= D. : Lustprinzip. – En. : pleasure principle. – Es. : principio de placer. – I. : principio di piacere. – P. : principio de prazer.

● Un des deux principes régissant, selon Freud, le fonctionnement mental : l’ensemble de l’activité psychique a pour but d’éviter le déplaisir et de procurer le plaisir. En tant que le déplaisir est lié à l’augmentation des quantités d’excitation et le plaisir à leur réduction, le principe de plaisir est un principe économique.

◼ L’idée de fonder sur le plaisir un principe régulateur du fonctionnement mental est loin d’être propre à Freud. Fechner, dont on sait à quel point les idées ont pu marquer Freud, avait lui-même énoncé un « principe de plaisir de l’action » (1 a). Il entendait par là, à la différence des doctrines hédonistes traditionnelles, non pas que la finalité poursuivie par l’action humaine est le plaisir, mais que nos actes sont déterminés par le plaisir ou le déplaisir procurés dans l’actuel par la représentation de l’action à accomplir ou de ses conséquences. Il note aussi que ces motivations peuvent n’être pas consciemment perçues : « … il est tout à fait naturel que, lorsque les motifs se perdent dans l’inconscient, oe soit aussi le cas du plaisir et du déplaisir » (1 b, a).

Ce caractère de motivation actuelle est aussi au centre de la conception freudienne : l’appareil psychique* est réglé par l’évitement ou l’évacuation de la tension déplaisante. On notera que le principe est d’abord désigné comme « principe de déplaisir » (2 a) : la motivation est le déplaisir actuel et non la perspective du plaisir à obtenir. Il s’agit d’un mécanisme de régulation « automatique » (2 b).

La notion de principe de plaisir demeure sans grand changement tout au long de l’œuvre freudienne. Par contre ce qui fait problème chez Freud et reçoit des réponses différentes, c’est la situation du principe par rapport à d’autres références théoriques.

Une première difficulté, déjà sensible dans l’énoncé même du principe, s’attache à la définition du plaisir et du déplaisir. Une des hypothèses constantes de Freud, dans le cadre de son modèle de l’appareil psychique, veut qu’au principe de son fonctionnement le système perception-conscience soit sensible à toute une diversité de qualités en provenance du monde extérieur, alors que de l’intérieur il ne perçoit que les augmentations et diminutions de tension qui se traduisent dans une seule gamme qualitative : l’échelle plaisir-déplaisir (2 c) (β). Peut-on alors s’en tenir à une définition purement économique, plaisir et déplaisir n’étant que la traduction qualitative de modifications quantitatives ? D’autre part, quelle est la corrélation exacte entre ces deux aspects, qualitatif et quantitatif ? Freud a progressivement souligné toute la difficulté qu’il y avait à donner à ce problème une réponse simple. Si, en un premier temps, il se contente d’énoncer une équivalence entre le plaisir et la réduction de tension, entre le déplaisir et l’augmentation de celle-ci, il cesse rapidement de tenir cette relation pour évidente et simple : « … ne négligeons pas le caractère hautement indéterminé de cette hypothèse, tant que nous n’aurons pas réussi à déceler la nature de la relation entre plaisir-déplaisir et les variations dans les quantités d’excitation qui agissent sur la vie psychique. Ce qu’il y a de sûr, c’est que si de telles relations peuvent être très diverses, elles ne peuvent pas en tout cas être très simples » (3).

On ne trouverait guère chez Freud que quelques indications concernant le type de fonction en cause. Dans Au-delà du principe de plaisir (Jenseits des Lustprinzips, 1920), il note qu’il convient de différencier déplaisir et sentiment de tension : il existe des tensions plaisantes. « La sensation de tension ne serait-elle pas à mettre en rapport avec la grandeur absolue de l’investissement, éventuellement avec son niveau, tandis que la gradation plaisir-déplaisir indiquerait la modification de la quantité d’investissement dans l’unité de temps » (4 a). C’est également un facteur temporel, le rythme, qui est pris en considération dans un texte ultérieur, en même temps que l’aspect essentiellement qualitatif du plaisir se voit remis en valeur (5 a).

Malgré les difficultés qu’il y a à trouver des équivalents quantitatifs exacts aux états qualitatifs que sont le plaisir et le déplaisir, l’intérêt pour la théorie psychanalytique d’une interprétation économique de ces états est évident ; elle permet d’énoncer un principe valable aussi bien pour les instances inconscientes de la personnalité que pour ses aspects conscients. Parler par exemple d’un plaisir inconscient qui s’attacherait à un symptôme manifestement pénible peut soulever des objections au niveau de la description psychologique. En se plaçant au point de vue d’un appareil psychique et des modifications énergétiques qui s’y produisent, Freud dispose d’un modèle qui lui permet de considérer chaque sub-structure comme réglée par le même principe que l’ensemble de l’appareil psychique, en laissant en suspens la difficile question de déterminer, pour chacune de ces substructures, la modalité et le moment où une augmentation de tension devient effectivement motivante comme déplaisir ressenti. Ce problème n’est cependant pas négligé dans l’œuvre freudienne. Il est directement envisagé, à propos du moi, dans Inhibition, symptôme et angoisse (Hemmung, Symptom und Angst, 1926) (conception du signal d’angoisse* comme motif de défense).

Un autre problème, qui n’est d’ailleurs pas sans rapport avec le précédent, concerne la relation entre plaisir et constance. En effet, même une fois admise l’existence d’une signification économique, quantitative, du plaisir, la question reste de savoir si ce que Freud nomme principe de plaisir correspond à un maintien de la constance du niveau énergétique, ou à une réduction radicale des tensions au niveau le plus bas. De nombreuses formulations de Freud, qui assimilent principe de plaisir et principe de constance, vont dans le sens de la première solution. Mais, à l’opposé, si l’on fait intervenir l’ensemble des références théoriques fondamentales de Freud (telles qu’elles se dégagent notamment de textes comme le Projet de psychologie scientifique (Entwurf einer Psychologie, 1895) et Au-delà du principe de plaisir), on s’aperçoit que le principe de plaisir se trouve plutôt en opposition par rapport au maintien de la constance, soit qu’il corresponde à l’écoulement libre de l’énergie tandis que la constance correspond à une liaison* de celle-ci, soit qu’à la limite Freud puisse se demander si le principe de plaisir n’est pas « au service de la pulsion de mort » (4 b, 5 b). Nous discutons plus longuement ce problème dans l’article « Principe de constance ».

La question, souvent débattue en psychanalyse, de l’existence d’un « au-delà du principe de plaisir » ne peut valablement être posée qu’une fois pleinement dégagée la problématique qui fait intervenir les concepts de plaisir, constance, liaison, réduction des tensions à zéro. En effet l’existence de principes ou de forces pulsionnelles transcendant le principe de plaisir n’est défendue par Freud que lorsqu’il opte pour une interprétation de celui-ci qui tend à le confondre avec le principe de constance. Lorsqu’au contraire le principe de plaisir tend à être assimilé à un principe de réduction à zéro (principe de Nirvâna) son caractère fondamental et dernier n’est plus contesté (voir notamment : Pulsions de mort).

La notion de principe de plaisir intervient principalement dans la théorie psychanalytique dans son couplage avec celle de principe de réalité. Aussi bien, lorsque Freud énonce de façon explicite les deux principes de fonctionnement psychique, est-ce ce grand axe de référence qu’il met en avant. Les pulsions ne chercheraient d’abord qu’à se décharger, à se satisfaire par les voies les plus courtes. Elles feraient progressivement l’apprentissage de la réalité qui seul eur permet, à travers les détours et les ajournements nécessaires, d’atteindre la satisfaction cherchée. Dans cette thèse simplifiée, on voit comment le rapport plaisir-réalité pose un problème qui est lui-même dépendant de la signification qu’on donne, en psychanalyse, au terme de plaisir. Si l’on entend essentiellement par plaisir l’apaisement d’un besoin, dont la satisfaction des pulsions d’auto-conservation fournirait le modèle, l’opposition principe de plaisir – principe de réalité n’offre rien de radical, d’autant moins qu’on peut facilement admettre dans l’organisme vivant l’existence d’un équipement naturel, de prédispositions qui font du plaisir un guide de vie, le subordonnant à des comportements et à des fonctions adaptatives. Mais si la psychanalyse a mis au premier plan la notion de plaisir, c’est dans un tout autre contexte, où il apparaît au contraire comme lié à des processus (expérience de satisfaction), à des phénomènes (le rêve) dont le caractère déréel est évident. Dans cette perspective, les deux principes apparaissent comme fondamentalement antagonistes, l’accomplissement d’un désir inconscient (Wunscherfüllung) répondant à de toutes autres exigences et fonctionnant selon de toutes autres lois que la satisfaction (Befriedigung) des besoins vitaux (voir : Pulsions d’auto-conservation).

▲ (α) Il est intéressant de noter que Fechner n’a pas mis explicitement en relation son « principe de plaisir » et son « principe de stabilité ». C’est uniquement à ce dernier que se réfère Freud.

(β) Il ne s’agit là que d’un modèle simplifié. Freud est en effet bien forcé de tenter de rendre compte de toute une série de phénomènes « qualitatifs » qui ne proviennent pas d’une perception externe actuelle : langage intérieur, souvenir-image, rêve et hallucination. En dernière analyse, pour lui, les qualités sont toujours fournies par une excitation actuelle du système perceptif. Les difficultés d’une telle conception – qui, entre le langage intérieur et l’hallucination, laisse peu de place à ce que, depuis Sartre, on nomme « imaginaire » – sont particulièrement sensibles dans le Complément métapsychologique à la doctrine des rêves (Metapsychologische Ergänzung zur Traumlehre, 915) (voir aussi : Trace mnésique).

(1) Fechner. Über das Lustprinzip des Handelns, in : Zeitschrift für Philosophie und Philosophische Kritik, Halle, 1848. – a) 1-30 et 163-194. – b) 11.

(2) Freud (S.). Die Traumdeutung, 1900. – a) G.W., II-III, 605 ; S.E., V, 600 ; Fr., 490. – b) G.W., II-III, 580 ; S.E., V, 574 ; Fr., 470. – c) Cf. G.W., II-III, 621 ; S.E., V, 616 ; Fr., 501.

(3) Freud (S.). Triebe und Triebschicksale, 1915. G.W., X, 214 ; S.E., XIV, 120-1 ; Fr., 32-3.

(4) Freud (S.), a) G.W., XIII, 69 ; S.E., XVIII, 63 ; Fr., 74. – b) G.W., XIII, 69 ; S.E., XVIII, 63 ; Fr., 74.

(5) Freud (S.). Das Ökonomische Problem des Masochismus, 1924. – a) G.W., XIII. 372-3 ; S.E., XIX, 160-1 ; Fr., 212. – b) G.W., XIII, 372 ; S.E., XIX, 160 ; Fr., 212,