Psychanalyse sauvage

= D. : wilde Psychoanalyse. – En. : wild analysis. – Es. : psicoanàlisis silvestre. – I. : psicoanalisi selvaggia. – P. : psicanàlise selvagem, ou inculta.

● Dans un sens large, type d’interventions d' « analystes » amateurs ou inexpérimentés qui s’appuient sur des notions psychanalytiques souvent mal comprises pour interpréter des symptômes, des rêves, des paroles, des actions, etc. Dans un sens plus technique, on qualifiera de sauvage une interprétation qui méconnaît une situation analytique déterminée, dans sa dynamique actuelle et sa singularité, notamment en révélant directement le contenu refoulé sans tenir compte des résistances et du transfert.

◼ Dans l’article qu’il a consacré à l’analyse sauvage (Psychanalyse « sauvage » [Über « wilde » Psychoanalyse, 1910]), Freud la définit d’abord par l’ignorance ; le médecin dont il critique l’intervention a commis des erreurs scientifiques (touchant la nature de la sexualité, du refoulement, de l’angoisse) et techniques : « c’est une erreur technique que de jeter brusquement à la tête du patient, au cours de la première consultation, les secrets que le médecin a devinés » (1 a). Ainsi peut-on dire que tous ceux qui ont « quelque notion des découvertes de la psychanalyse » mais n’ont pas reçu la formation théorique et technique nécessaire (α) font de l’analyse sauvage.

Mais la critique de Freud va plus loin : elle s’étend aux cas où le diagnostic formulé est correct, l’interprétation du contenu inconscient exacte. « Nous avons depuis longtemps dépassé la conception selon laquelle le malade souffre d’une sorte d’ignorance : si l’on venait à lever celle-ci par la communication (concernant les rapports de causalité entre sa maladie et son existence, les événements de son enfance, etc.), sa guérison serait certaine. Or ce n’est pas ce non-savoir en soi qui constitue le facteur pathogène, mais c’est le fait que ce non-savoir est fondé dans des résistances intérieures qui l’ont d’abord provoqué et qui continuent à l’entretenir […]. En communiquant aux malades leur inconscient, on provoque toujours chez eux une recrudescence de leurs conflits et une aggravation de leurs maux » (16). C’est pourquoi de telles révélations exigent que le transfert soit bien établi et que les contenus refoulés soient devenus proches de la conscience. Autrement, elles créent une situation d’anxiété non contrôlée par l’analyste. En ce sens, la méthode analytique à ses origines, mal dégagée, comme Freud l’a souvent souligné, des techniques hypnotique et cathartique, peut être qualifiée aujourd’hui de sauvage.

Pourtant il est présomptueux de considérer l’analyse sauvage comme le fait de psychothérapeutes non qualifiés ou comme appartenant à des temps révolus de la psychanalyse, ce qui est une manière commode de s’en croire préservé. Ce que Freud dénonce en effet dans l’analyse sauvage, c’est moins l’ignorance qu’une certaine attitude de l’analyste qui trouverait dans sa « science » la justification de son pouvoir. Dans un article où Freud, sans employer le terme, aborde la question de l’analyse sauvage, il cite Hamlet : « Croyez-vous qu’il soit plus facile de jouer de moi que d’une flûte ? » (2). En ce sens, il est clair qu’une analyse des défenses ou du transfert peut être menée aussi sauvagement que celle du contenu.

Ferenczi définissait l’analyse sauvage comme la « compulsion à analyser », compulsion qui peut se manifester aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la situation analytique ; il l’oppose à l’élasticité qu’exige toute analyse dès l’instant où on n’y voit pas une structure édifiée selon un plan préétabli (3). Glover note que l’analyste qui « saute » sur un lapsus, isole un rêve ou un de ses fragments, trouve là l’occasion d’éprouver une « fragile omnipotence » (4).

En prolongeant de telles remarques, on verrait dans l’analyse sauvage, « savante » ou ignorante, une résistance de l’analyste à l’analyse singulière dans laquelle il est impliqué, résistance qui risque de le conduire à méconnaître la parole de son patient et à « plaquer » ses interprétations.

▲ (α) C’est en 1910, année de la parution de cet article, que l’Association internationale de psychanalyse est créée.

(1) Freud (S.), a) G.W., VIII, 124 ; S.E., XI, 226 ; Fr., p. 41. – b) G.W., VIII, 123 ; S.E., XI, 225 ; Fr., p. 40.

(2) Freud (S.). Über Psychothérapie, 1904. G.W., V, 19 ; S.E., VII, 262 ; Fr., p. 15.

(3) Ferenczi (S.). The elasticity of Psycho-analytic Technique (1928), in Further Contributions, p. 97.

(4) Glover (E.). Technique of Psycho-Anatysis (1955), fr. Paris, P.U.F., 1958, p. 8.