Attention (également) flottante

= D. : gleichschwebende Aufmerksamkeit. – En. : (evenly) suspended (ou [evenly] poised) attention. – Es. : atención (parejamente) flotante. – I. : attenzione (ugualmente) fluttuante. – P..atenção equiflutuante.

● Manière dont, selon Freud, l’analyste doit écouter l’analysé : il ne doit privilégier a priori aucun élément du discours de celui-ci, ce qui implique qu’il laisse fonctionner le plus librement possible sa propre activité inconsciente et suspend les motivations qui dirigent habituellement l’attention. Cette recommandation technique constitue le pendant de la règle de libre association proposée à l’analysé.

◼ Cette recommandation essentielle qui définit l’attitude subjective du psychanalyste lorsqu’il écoute son patient, a été énoncée et commentée par Freud surtout dans ses Conseils au médecin pour le traitement analytique (Ratschlâge für den Artz bei der psychoanalytischen Behandlung, 1912). Elle consiste en une suspension aussi complète que possible de tout ce qui focalise habituellement l’attention : inclinations personnelles, préjugés, présupposés théoriques même les mieux fondés. « De même que le patient doit raconter tout ce qui lui passe par l’esprit, en éliminant toute objection logique et affective qui le pousserait à choisir, de même le médecin doit être en mesure d’interpréter tout ce qu’il entend afin d’y découvrir tout ce que l’inconscient dissimule, et cela sans substituer sa propre censure au choix auquel le patient a renoncé » (1 a).

C’est cette règle qui, d’après Freud, permet à l’analyste de découvrir les connexions inconscientes dans le discours du patient. Grâce à elle l’analyste peut conserver dans sa mémoire une multitude d’éléments en apparence insignifiants dont les corrélations ne ressortiront qu’ultérieurement.

L’attention flottante pose des problèmes théoriques et pratiques que le terme à lui seul indique déjà dans son apparente contradiction.

1° Le fondement théorique du concept est évident si on envisage la question par rapport à l’analysé : les structures inconscientes telles que Freud les a décrites se font jour à travers de multiples déformations, par exemple cette « transmutation de toutes les valeurs psychiques » (2 a) qui aboutit à ce que, derrière les éléments les plus insignifiants en apparence, se dissimulent souvent les pensées inconscientes les plus importantes. L’attention flottante est ainsi la seule attitude objective, en tant qu’adaptée à un objet essentiellement déformé. On notera d’ailleurs que Freud, sans employer encore le terme d’attention flottante, avait décrit dès L’interprétation du rêve (Die Traumdeutung, 1900) une attitude mentale analogue où il voyait la condition de l’auto-analyse des rêves (2 b).

2° Du côté de l’analyste, la théorie de l’attention également flottante soulève en revanche de difficiles questions.

Il est concevable que l’analyste, au même titre que l’analysé, cherche à supprimer l’influence que pourraient exercer sur son attention ses préjugés conscients, voire ses défenses inconscientes. C’est pour éliminer le plus possible celles-ci que Freud préconise d’ailleurs l’analyse didactique car « … tout refoulement non liquidé constitue ce que Stekel a justement qualifié de punctum caecum dans ses facultés de perception analytique » (1 b).

Mais Freud demande davantage : le but à obtenir serait une véritable communication d’inconscient à inconscient (α) : « L’inconscient de l’analyste doit se comporter à l’égard de l’inconscient émergeant du malade comme l’écouteur téléphonique à l’égard du microphone » (1 c). C’est là ce que Theodor Reik a appelé plus tard, de façon imagée, « écouter avec la troisième oreille » (3).

Or, comme Freud l’a indiqué lui-même à propos de la libre association*, la suspension des « représentations-buts* » conscientes ne peut avoir pour effet que leur remplacement par des « représentations-buts » inconscientes (2 c). Il en résulterait une difficulté particulière pour l’analyste lorsqu’il se place dans l’attitude d’attention flottante : comment son attention peut-elle ne pas être orientée par ses propres motivations inconscientes ? La réponse serait sans doute ici que l’équation personnelle du psychanalyste est non seulement réduite – par son analyse didactique – mais aussi doit être appréciée et contrôlée par l’auto-analyse du contre-transfert.

D’une façon générale il faut comprendre la règle de l’attention flottante comme une règle idéale, qui, dans la pratique, rencontre des exigences contraires : comment concevoir par exemple le passage à l’interprétation et à la construction* sans qu’à un moment donné l’analyste se mette à privilégier un certain matériel, à le comparer, le schématiser, etc. ?

On pourrait dégager du mouvement psychanalytique contemporain différentes orientations sur la question de l’attention flottante, dont on notera qu’elle n’a pas été reformulée par Freud dans le cadre de la deuxième topique.

a) Certains auteurs, à la suite de Th. Reik (loc. cit.) tendent à infléchir l’écoute d’inconscient à inconscient dans le sens d’une empathie (Einfühlung) dont l’essentiel se produirait à un niveau infraverbal. Le contre-transfert, loin de s’opposer à la communication, qui est alors décrite comme une perception, témoignerait du caractère profond de celle-ci.

b) Pour d’autres, la règle technique de l’attention flottante exige un relâchement des fonctions inhibitrices et sélectives du moi ; elle n’implique aucune valorisation du ressenti, simplement une « ouverture » de l’analyste aux incitations de son propre appareil psychique, ouverture destinée à éviter l’interférence de ses compulsions défensives. Mais l’essentiel du dialogue psychanalytique se poursuit de moi à moi.

c) Enfin, dans une perspective théorique qui met l’accent sur l’analogie entre les mécanismes de l’inconscient et ceux du langage (Lacan), c’est cette similitude structurale entre tous les phénomènes inconscients qu’il s’agirait de laisser fonctionner le plus librement possible dans l’attitude d’écoute psychanalytique.

▲ (α) Sur cette question, citons deux passages de Freud : « … chacun possède en son propre inconscient un instrument avec lequel il peut interpréter les expressions de l’inconscient chez les autres » (4). « L’Ics d’un sujet peut réagir directement sur celui d’un autre sans qu’il y ait passage par le Cs. Ceci réclame une investigation plus serrée, singulièrement pour décider si l’activité préconsciente y joue un rôle ou non. Mais, descriptivement parlant, le fait est incontestable » (5).

(1) Freud (S.), a) G.W., VIII, 381 ; S.E., XII, 115 ; Fr., 66. – b) G.W., VIII, 382 ; S.E., XII, 116 ; Fr., 67. – c) G.W., VIII, 381 ; S.E., XII, 115-6 ; Fr., 66.

(2) Freud (S.). Die Traumdeutung, 1900. – a) G.W., II-III, 335 ; S.E., IV, 330 ; Fr., 246. – b) Cf. G.W., II-III, 108 ; S.E., IV, 103 ; Fr., 79. – c) Cf. G.W., II-III, 533 ; S.E., V, 528-9 ; Fr., 435.

(3) Cf. Reik (Th.). Listening with the third ear. The inner experience of a psycho-analyst, Grove Press, New York, 1948.

(4) Freud (S.). Die Disposition zur Zwangsneurose, 1913. GAV., VIII, 445 ; S.E., XII, 320 ; Fr., in B.F.P., 1929, III, 3. 441.

(5) Freud (S.). Das Unbewusste. 1915. GAV., X, 293 ; S.E., XIV, 194 ; Fr., 142-3.