Ça (subst.)
= D. : Es. – En. : id. – Es. : ello. – I. : es. – P. : id.
● Une des trois instances distinguées par Freud dans sa deuxième théorie de l’appareil psychique. Le ça constitue le pôle pulsionnel de la personnalité ; ses contenus, expression psychique des pulsions, sont inconscients, pour une part héréditaires et innés, pour l’autre refoulés et acquis.
Du point de vue économique, le ça est pour Freud le réservoir premier de l’énergie psychique ; du point de vue dynamique, il entre en conflit avec le moi et le surmoi qui, du point de vue génétique, en sont des différenciations.
◼ Le terme das Es est introduit dans Le moi et le ça (α) (Das Ich und das Es, 1923). Freud l’emprunte à Georg Groddeck (β) et cite le précédent de Nietzsche, qui désignerait par là « … ce qu’il y a de non-personnel et, pour ainsi dire, de nécessaire par nature dans notre être » (1 a).
L’expression das Es retient Freud en ce qu’elle illustre l’idée développée par Groddeck, que « … ce que nous appelons notre moi se comporte dans la vie d’une façon toute passive et que […] nous sommes « vécus » par des forces inconnues et immaltrisables » (1 b ; y) ; elle concorde aussi avec le langage spontané des patients dans des formules comme « ça a été plus fort que moi, ça m’est venu tout d’un coup, etc. » (2).
Le terme de ça est introduit avec le remaniement que Freud fait subir à sa topique* dans les années 1920-23. On peut tenir approximativement pour équivalentes la place que le ça tient dans la seconde topique et celle du système inconscient* (Ics) dans la première ; ceci toutefois avec des différences qu’on peut préciser ainsi :
1° Si l’on excepte certains contenus ou schèmes acquis phylogénétiquement, l’inconscient de la première topique coïncide avec le refoulé.
Dans Le moi et le ça (chap. Ier), au contraire, Freud met en avant le fait que l’instance refoulante – le moi – et ses opérations défensives sont également en majeure partie inconscientes. Il en résulte que désormais le ça recouvrira les mêmes contenus que précédemment l’Ics, mais non plus l’ensemble du psychisme inconscient.
2° Le remaniement de la théorie des pulsions et l’évolution de la notion de moi entraînent une autre différence. Le conflit névrotique était d’abord défini par l’opposition entre pulsions sexuelles et pulsions du moi, ces dernières ayant un rôle primordial dans la motivation de la défense (voir : Conflit). A partir des années 1920-23, le groupe des pulsions du moi perd son autonomie et est résorbé dans la grande opposition pulsions de vie – pulsions de mort. Donc le moi ne se définit plus par un type d’énergie pulsionnelle spécifique, la nouvelle instance du ça incluant désormais, à l’origine, les deux types de pulsions.
En résumé, l’instance contre laquelle s’exerce la défense n’est plus définie comme pôle inconscient mais comme pôle pulsionnel de la personnalité.
C’est en ce sens que le ça est conçu comme « le grand réservoir » de la libido (δ) et, plus généralement, de l’énergie pulsionnelle (1 c, 1 d). L’énergie utilisée par le moi est empruntée à ce fonds commun, notamment sous forme d’énergie « désexualisée et sublimée ».
3° Les limites de la nouvelle instance par rapport aux autres instances et par rapport au domaine biologique se définissent différemment, et, d’une manière générale, de façon moins nette que dans la première topique :
a) Par rapport au moi, la limite est moins stricte que ne l’était, entre Ics et Pcs-Cs, la frontière de la censure : « Le moi n’est pas séparé du ça de façon tranchée ; dans sa partie inférieure, il se mélange à lui. Mais le refoulé se mélange également avec le ça dont il n’est qu’une partie. Le refoulé ne se sépare du moi de façon tranchée que par les résistances de refoulement, et peut communiquer avec lui par le ça » (1 e).
Cette confluence du ça avec l’instance refoulante tient avant tout à la définition génétique qui est donnée de celle-ci, le moi étant « … la partie du ça qui a été modifiée sous l’influence directe du monde extérieur, par la médiation du système perception-conscience » (1 f).
b) De même le surmoi n’est pas une instance franchement autonome ; en grande partie inconscient, il « plonge dans le ça » (3 a).
c) Enfin, la distinction entre le ça et un substrat biologique de la pulsion est moins tranchée que celle de l’inconscient et de la source de la pulsion : le ça est « ouvert à son extrémité du côté somatique » (3 b). L’idée d’une « inscription » de la pulsion qui venait s’attester dans la notion de « représentant », si elle n’est pas franchement rejetée, n’est pas réaffirmée.
4° Le ça a-t-il un mode d’organisation, une structure interne spécifique ? Freud lui-même a affirmé que le ça était « un chaos » : « Il s’emplit d’une énergie venant des pulsions, mais il n’a pas d’organisation, il ne promeut aucune volonté générale… » (3 c). Les caractères du ça ne se définiraient que de façon négative, par opposition au mode d’organisation du moi.
Il convient en fait de souligner que Freud reprend, à propos du ça, la plupart des propriétés qui définissaient, dans la première topique, le système Ics et qui constituent un mode positif et original d’organisation : fonctionnement selon le processus primaire, organisation complexuelle, stratification génétique des pulsions, etc. De même, le dualisme, nouvellement introduit, des pulsions de vie* et des pulsions de mort* implique qu’elles sont organisées en une opposition dialectique. L’absence d’organisation du ça n’est donc que relative, et trouve son sens dans l’absence des relations propres à l’organisation du moi. Elle se marque avant tout dans le fait que des « motions [pulsionnelles] contradictoires y subsistent côte à côte sans se supprimer l’une l’autre ou se soustraire l’une de l’autre » (3 d). C’est l’absence de sujet cohérent qui caractérise le mieux, comme l’a souligné D. Lagache, l’organisation du ça et que connote le pronom neutre choisi par Freud pour la désigner (4).
5° C’est finalement la différence des perspectives génétiques où ils s’inscrivent qui permet de mieux comprendre le passage de l’inconscient de la première topique au ça de la deuxième topique.
L’inconscient tenait son origine du refoulement, qui, sous son double aspect historique et mythique, introduisait dans le psychisme la scission radicale entre les systèmes Ics et Pcs-Cs.
Avec la deuxième topique, ce moment de la séparation entre les instances perd son caractère fondamental. La genèse des différentes instances est plutôt conçue comme une différenciation progressive, une émergence des différents systèmes. D’où le souci de Freud d’insister sur la continuité, dans la genèse qui mène du besoin biologique au ça et de celui-ci au moi aussi bien qu’au surmoi. C’est en ce sens que la nouvelle conception freudienne de l’appareil psychique se prête, plus facilement que la première, à une interprétation « biologisante » ou « naturalisante ».
▲ (α) Dans les premières traductions françaises, das Es est traduit par le soi. On retrouve cette traduction, mais de plus en plus rarement, chez certains auteurs français, le terme de soi étant plutôt réservé pour rendre l’anglais self ou l’allemand das Selbst.
(β) Groddeck était un médecin allemand, proche des milieux psychanalytiques ; il écrivit plusieurs ouvrages inspirés des idées de Freud, notamment Le livre du ça (Das Buch vont Es : psychoanalytische Briefe an eine Freundin, 1923) traduit en français sous le titre de Au fond de l’homme, cela, Gallimard, 1963.
(γ) Groddeck décrit ainsi ce qu’il entend par das Es :« Je soutiens que l’homme est animé par l’Inconnu, une force merveilleuse qui dirige à la fois ce qu’il fait et ce qui lui advient. La proposition « je vis » n’est que conditionnellement correcte, elle n’exprime qu’une part étroite et superficielle du principe fondamental : « L’homme est vécu par le ça » » (5).
(δ) Le lecteur pourra utilement se reporter au commentaire qu’ont donné sur ce point les éditeurs de la Standard Edition (S.E., XIX, 63-6).
(1) Freud (S.), a) G.W., XIII, 251, n. 2 ; S.E., XIX, 23, n. 3 ; Fr., 177, n. 2. – b) G.W., XIII, 251 ; S.E., XIX, 23 ; Fr., 177. – c) Cf. G.W., XIII, 258, n. ; S.E., XIX, 30, n. 1 ; Fr., 185, n. 1. – d) Cf. G.W., XIII, 275 ; S.E., XIX, 46 ; Fr., 202. – e) G.W., XIII, 251-2 ; S.E., XIX, 24 ; Fr., 178. – f) G.W., XIII, 252 ; S.E., XIX, 25 ; Fr., 179.
(2) Freud (S.). Die Frage der Laienanalyse, 1926. G.W., XIV, 222 ; S.E., XX, 195 ; Fr., 140.
(3) Freud (S.). Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, 1932. – a) G.W., XV, 85 ; S.E., XXII, 79 ; Fr., 109. – b) G.W., XV, 80 ; S.E., XXII, 73-4 ; Fr., 103. – c) GAV., XV, 80 ; S.E., XXII, 73-4 ; Fr., 103. – d) G.W., XV, 80 ; S.E., XXII, 73-4 ; Fr., 103.
(4) Cf. Lagache (D.). La psychanalyse et la structure de la personnalité. In La psychanalyse, P.U.F., 1961, VI, 21.
(5) Groddeck (G.). Das Buch vom Es, 1923. Ail., 10-11 ; Fr., 20.