II. Evolution des instincts

1. Les divers stades

Tout instinct, pulsion biologique primitive, participe d’une donnée qui caractérise toutes les manifestations de la vie : le rythme. (Phases de repos et d’excitations alternées.) Les phases de repos sont muettes, les phases d’excitation correspondent à l’apparition de pulsions. Cela aussi bien pour la faim que pour la libido. Les pulsions instinctuelles seront donc soumises à la répétition.

Les instincts de conservation ne peuvent se différer longtemps quant à leur satisfaction sans menacer la vie même du sujet, et, de ce fait, l’énergie que l’individu déploie pour obtenir leur assouvissement ne peut se déplacer.

Les instincts sexuels, au contraire, peuvent être différés et leur énergie transformée au bénéfice d’autres activités.

On a vu qu’au sens freudien du mot, sexuel ne signifie pas génital, et le qualificatif de génital ne s’adresse qu’à certaines manifestations de la sexualité, les plus tardives et les plus achevées du développement de l’individu. Mais l’hédonisme de l’enfant (c’est-à-dire « la recherche du plaisir ») s’éveille extrêmement tôt.

Le plaisir que donne l’excitation rythmée d’une zone corporelle quelconque doit être qualifié de sexuel alors même qu’il ne vise pas à l’union de deux gamètes. En effet, le principe pulsionnel qui vise dans l’enfance à l’excitation de zones érogènes très nombreuses (tout le corps peut en devenir le siège) ne diffère pas de celui qui, plus tard, sera lié à la vie sexuelle génitale de l’adulte et dont les manifestations sont restées incompréhensibles jusqu’à Freud.

Au suçotement du nourrisson (en dehors des tétées), succèdent le suçotement du pouce, du porte-plume, de la cigarette, et le baiser, acte hédonique auquel on ne peut dénier le qualificatif d’érotique.

Or, il n’est pas de meilleur critérium objectif du développement humain que le critérium affectif, c’est-à-dire le comportement de 1 individu par rapport à ses objets d’amour.

Pour donner un nom à ces époques successives du développement individuel, Freud choisit celui qui évoque la partie du corps sur laquelle est électivement centré l’hédonisme du moment.

C’est pourquoi, en psychanalyse, on distingue successivement le stade oral, le stade anal, le stade phallique, encore appelés stades prégénitaux.

Leur succède une phase dite de latence, qui se place environ entre 7 et 13 ans sous notre climat.

Viennent ensuite la puberté, et enfin le stade génital proprement dit, qui atteint son épanouissement dans nos pays vers 17-18 ans.

C’est l’historique de ces stades d’organisation provisoire qui permet de comprendre les bases du comportement ultérieur non seulement des individus qualifiés de normaux, mais encore de ceux qui présentent des anomalies, depuis les simples bizarreries jusqu aux troubles graves de l’adaptation à la société.

Et l’assujettissement étroit du développement général au développement libidinal explique ce corollaire inéluctable à l’âge adulte : un trouble fonctionnel dans la sphère génitale est nécessairement lié à des troubles du comportement d’ordre affectif et, inversement, des troubles psycho-affectifs s’accompagnent toujours d’un comportement sexuel caractéristique.

C’est pourquoi, dans l’intrication des symptômes telle qu’on l’observe à l’époque où le sujet malade vient consulter, toute thérapeutique qui vise à contrarier ou à amoindrir le symptôme fonctionnel n’agit qu’à titre de palliatif. Et l’attitude affective du médecin, qui calme paternellement de son autorité les inquiétudes morales du malade, n’agit psychiquement que par suggestion ; et si cette attitude peut encore sembler la seule possible dans beaucoup de cas trop graves ou trop invétérés, on ne doit point se dissimuler que son efficacité thérapeutique n’est que factice.

Stade oral

Tel est le nom que l’on donne à la phase d’organisation libidinale qui s’étend de la naissance au sevrage et qui est sous la primauté de la zone érogène buccale8. Le besoin physiologique de sucer apparaît dès les premières heures de la vie ; mais, repu, le bébé continue pendant le sommeil de sa digestion à suçoter ses lèvres, pendant que son aspect extérieur reposé et béat traduit la volupté.

Le plaisir de la succion indépendant des nécessités alimentaires est un plaisir auto-érotique. C’est le type du plaisir narcissique primaire, auto-érotisme originel, le sujet n’ayant pas encore la notion d’un monde extérieur différencié de lui. Si l’occasion lui est donnée passivement de satisfaire ce plaisir, l’enfant s’attache à cet objet occasionnel ; le sein ou e biberon avec lesquels il aime tant jouer, même quand il n’y a plus de lait, qu’il aime sucer sans faire l’effort de l’aspiration et de la déglutition.

L’enfant aime, à l’égal de lui-même, ce qu’on lui met à la bouche (le sein, la tétine), et,par extension (car il n’a pas acquis la notion des limites de son propre corps), la nourrice ou la mère toujours liée nécessairement au plaisir de la tétée, et à qui il est ainsi identifié. D’ailleurs, tous les moments de sensation voluptueuse, le bain, la toilette, le bercement, sont liés à la présence de la mère, par la vue, le son, le toucher. Associée qu’elle est à ces sensations de plaisir, elle devient tout entière, dans sa présence et dans sa personne, un objet d’aimance9, et l’enfant lui sourit et lui fait fête en dehors même des heures de tétées.

Et c’est sur le modèle de cette relation d’aimance que l’attitude vis-à-vis du monde extérieur se conformera. Dès que quelque chose intéressera l’enfant, il le portera à sa bouche. Absorber l’objet, participer de lui, entraîne le plaisir d’« avoir », qui se confond pour le nourrisson avec le plaisir d’« être ».

Peu à peu, l’enfant s’identifie donc à sa mère selon un premier mode de relation, qui subsistera d’ailleurs toute la vie, lors même que d’autres apparaîtront : si elle sourit, il sourit, si elle parle, il gazouille, et l’enfant se développe, emmagasinant passivement les mots, les sons, les images, les sensations.

C’est le stade oral dans sa première forme, passive. Les premiers mots sont déjà une conquête qui demande un effort, récompensé par là joie et les caresses de l’entourage.

Mais parallèlement à ce progrès, la dentition est apparue, avec sa souffrance qui demande à être soulagée par des mor-dillements. C’est alors que l’enfant entre plus avant dans une période orale active.

Il mordra ce qu’il aura à la bouche, les objets, et aussi le sein s’il tète encore sa mère ; et comme la morsure est sa première pulsion agressive, la façon dont elle sera permise ou non par l’objet d’amour est de toute première importance, l’apprentissage de la langue maternelle en dépend.

Si on attend ce moment pour commencer le sevrage, celui-ci sera considéré comme une conséquence de l’agression, c’est-à-dire comme une punition sur le mode de la frustration. Il y a toujours chez les enfants élevés au sein trop tard *, une difficulté à jouir complètement de leur faculté d’agressivité sans provoquer un besoin d’auto-punition. Il est, bien entendu, de toute nécessité que l’enfant n’ait à sa portée que des objets susceptibles d’être sucés et mordus sans danger, et sans provoquer les interdictions ou les gronderies de l’adulte.

Si un sevrage brusque prive subitement l’enfant du sein maternel, sans qu’il ait encore déplacé sur d’autres objets son investissement libidinal, il risque de rester fixé à un mode oral passif (tels les suceurs de pouce tardifs). Il renforce en tout cas son auto-érotisme et, en perdant l’intérêt pour le monde extérieur, il se-concentre sur ses fantasmes, arabesques imaginatives, succession d’images représentatives d’émois. Il peut ainsi garder un noyau de fixation qui entrera en résonance lors d’une frustration ultérieure, et pourra éventuellement aider l’éclosion d’une névrose.

C’est la prédominance des composantes orales partielles

3ui, suivant leurs utilisations ultérieures, fera des orateurs, es chanteurs, des fumeurs, des buveurs, des « bonnes fourchettes », des toxicomanes.

C’est au stade oral que se rapporte la formation des caractères égoïstes à type captatif où le sujet cherche dans sa vie génitale, sans distinction de sexe a priori (le choix étant conforme au Sur-Moi collectif de l’ambiance), l’affection exclusive d’un être élu selon le mode de la relation objectale orale. Que le sujet soit homme ou femme, son objet d’amour devra jouer pour lui le rôle de mère nourricière. La femme, par exemple, devra être sévère et génitalement inviolable, active et volontaire, de préférence plus fortunée que le sujet, donc source de confort général et de plaisir culinaire.

De tels caractères se rencontrent à tous les niveaux de la société. Quel que soit le rang social, ils correspondent au type du « maquereau » et de « la femme entretenue », celle-ci naturellement narcissique et frigide dans les rapports normaux.

Chez le névrosé que sa régression libidinale ramène au stade oral, l’identification inconsciente du sujet à l’objet fait que la perte de celui-ci entraîne la nécessité de mourir : c’est la mélancolie ; à moins que des fantasmes auto-érotiques hallucinatoires ne ramènent le sujet au stade oral passif, nirvâna de ses premières semaines, où il n’a plus aucun moyen de communication avec le monde extérieur.

Chez l’adulte sain, qui peut faire une régression (obfectale et non libidinale), des crises de boulimie peuvent remplacer l’acte sexuel, et l’anorexie mentale symboliser le refus de la sexualité.

La pensée au stade oral

Quel est le mode de penser, au stade oral ? Nous en savons fort peu de chose, et pour cause. Mais il nous est permis d’inférer que l’élaboration mentale y prend la forme onirique, pseudo-hallucinatoire.

Cette hypothèse s’appuie sur deux ordres d’observations :

Les adultes psycho-névrosés, dont les symptômes se rapportent à ce stade archaïque, présentent des hallucinations où ils voient généralement l’objet d’aimance et à qui ils tiennent des propos tendres (j’ai vu une mélancolique bercer son bébé mort imaginaire), ou qui les terrorise ; mais ce ne sont pas de véritables hallucinations car cela fait « partie d’eux » ; ce n’est pas « avec leurs yeux seulement » qu’ils voient, comme une de mes malades me l’expliquait après coup1, « c’est tout, qui sent ».

Les nourrissons de quelques jours qui ont faim pleurent, et ouvrent la bouche en l’étirant de côté comme pour attraper le sein, cela semble une hallucination tactile. Les nourrissons plus âgés, quand ils sont repus et se croient seuls dans la pièce, se mettent parfois à sourire et même à rire aux éclats en battant l’air de leurs bras, comme ils le font quand ils aperçoivent leur mère s’approcher d’eux pour les prendre et les câliner. Cela « ressemble » à ce qu’on observe chez les dormeurs qui rêvent.

z. Car pendant le phénomène ces malades miment, mais sont incapables de trouver des mot » pour dire ce qu’ils sentent, c’est comme s’ils étaient « seuls, et tout ».

Stade anal

Pour l’enfant de i à 3 ans, les 9/10® des sujets de rapports avec les adultes sont la nourriture et l’apprentissage de la propreté sphinctérienne.

La deuxième année de l’enfance, sans détrôner complètement la zone érogène buccale, va donner de l’importance à la zone anale. Celle-ci s’est d’ailleurs éveillée bien plus tôt, et il n’est que d’observer les tout-petits pour s’apercevoir de leur plaisir, non dissimulé, pendant le relâchement spontané de leurs sphincters excrémentiels.

L’enfant est parvenu à un plus grand développement neuro-musculaire : la libido qui provoquait le suçotement ludique du stade oral provoquera maintenant la rétention ludique des fèces ou des urines (laquelle se prolongera parfois tard dans l’enfance, et qu’on retrouve chez certains adultes).

Et cela peut être la première découverte du plaisir autoérotique masochique10 qui est une des composantes normales de la sexualité.

Les soins de propreté qui suivent l’excrétion sont donnés par la mère. Si elle est contente du bébé, la toilette se passe dans une atmosphère agréable ; s’il a sali ses couches, c’est le contraire, il est grondé et pleure.

Mais comme de toute façon, à cause de la satisfaction physiologique de la zone érogène, cette toilette est agréable, des émois contradictoires s’associent à la mère, c’est la première découverte d’une situation d’ambivalence.

Emettre ses excréments au moment opportun où l’adulte les sollicite devient alors, aussi, une manière de récompense (ici, de la part de l’enfant vis-à-vis de la mère), un signe de bonne intelligence avec la mère, tandis que le refus de se soumettre à ses desiderata équivaut à une punition, ou à une mésentente avec elle.

Par la conquête de la discipline sphinctérienne, l’enfant découvre ainsi la notion de son pouvoir, de sa propriété privée : ses selles, qu’il donne ou non. Pouvoir auto-érotique sur son transit11, pouvoir affectif sur sa mère, qu’il peut récompenser ou non. Et ce « cadeau » qu’il lui fera, sera assimilé à tous les autres « cadeaux » qu’on « fait », l’argent, les objets quelconques qui deviennent précieux du seul fait qu’on les donne, jusqu’à l’enfant, petit frère ou petite sœur, que dans les fantasmes des enfants, la mère fait par l’anus, ' n aliment miraculeux. C’est la découverte

Mais expulser ses excréments à heures fixes, souvent avec effort, ne pas attendre le besoin impérieux et spontané, ne pas jouer a les retenir, constitue, dans l’optique de l’enfant, un renoncement. L’interdiction de jouer avec, ensuite, au nom d’un dégoût qu’affecte l’adulte (même quand il ne l’éprouve pas), crée encore un renoncement.

Or l’enfant ne renonce à un plaisir que pour un autre : ici, l’invitation de l’adulte aimé. L’identification, mécanisme déjà connu au stade oral, est un de ses plaisirs.

Mais, le mode de relation inauguré vis-à-vis des excréments ne peut pas disparaître, car, chercher à imiter l’adulte dans ses gestes et dans ses paroles, ce n’est pas encore participer à son mode de penser et de sentir. Aussi faudra-t-il à l’enfant des substituts sur lesquels il puisse déplacer ses affects : ce seront les objets hétéroclites qu’à cet âge il traînera toujours avec lui et auxquels nul ne devra toucher sans provoquer sa rage, « ses caprices » ; lui seul a sur eux droit de vie ou de mort, c’est-à-dire de les serrer dans ses bras ou de les détruire,

de les jeter ; en un mot, de leur donner ou non existence, comme à ses excréments.

Alors, au lieu de jouer avec ses excréments, il s’absorbera dans la fabrication des pâtés de sable, et barbotera dans la saleté, l’eau, la boue ; et à cause de ce déplacement, inconscient, l’attitude plus ou moins sévère des parents devant la propreté, non seulement sphinctérienne, mais générale, favorisera ou entravera l’épanouissement de l’enfant et son adaptation à la vie sociale avec aisance du corps et adresse manuelle.

Si, par ailleurs, par jeu ou constipation fortuite, l’enfant retient ses excréments, il s’ensuit souvent une agression anale de l’adulte, le suppositoire ou même le lavement. Pour l’enfant, c’est une économie d’effort, et une satisfaction érotique de séduction passive ; mais l’opération peut être douloureuse, l’adulte peut se fâcher. L’ambivalence affective se dessine encore et se lie associativement au masochisme naissant.

11 y a plus, en ce qui concerne le comportement : l’enfant arrive maintenant à un développement neuro-musculaire très satisfaisant, qui crée chez lui le besoin de la libre disposition de ses groupes musculaires agonistes et antagonistes, et lui donne désormais la possibilité d’imiter l’adulte non plus seulement dans ses paroles, mais dans tous ses gestes. Il est actif, bruyant, brutal, agressif sur des objets qui ne sont plus seulement à sa portée comme au stade oral, mais qu’il prend et qu’il déchire, frappe, jette par terre, comme s il y mettait un malin plaisir, accentué d’ailleurs pour peu qu’il s’aperçoive que cela mécontente l’adulte. L’identification est réussie. C’est parce qu’il aime l’adulte, qu’il se plaît à fâcher et à battre. L’ambivalence apparue à la fin du stade oral s’affermit.

Mais l’enfant use de son agressivité musculaire sans autre règle que son « caprice ». C’est le rôle de l’éducation de l’habituer là encore a une discipline sociale.

En pratique quand l’enfant désobéit, il est grondé (à ses yeux : privé d’amour), il est battu, et si agressif que soit l’enfant, si fortes que soient ses rébellions, il est toujours le plus faible et doit céder.

Mais de même qu’une éducation favorable aura permis à l’enfant des substituts symboliques de ses matières fécales, de même pour son éducation musculaire on devra lui réserver des heures quotidiennes où, sans contrainte parentale, il pourra jouer aussi brutalement et aussi bruyamment qu’il lui plaira. C’est une condition de sauvegarde pour sa vie et sa libido ultérieures ; sinon, l’enfant se sentira écrasé, sous la domination sadique de l’adulte (non que celui-ci soit nécessairement sadique, mais parce que l’enifant projette sur lui son sadisme insatisfait), et l’activité ultérieure restera dans tous les domaines solidaire d’un besoin de punition qui entraînera la recherche des occasions où passivement l’on est battu et dominé.

Au stade anal, se rapporte la formation des caractères consciencieux, sobres, réguliers, travailleurs, sérieux et scientifiques chez ceux qui ont trouvé du plaisir à se conformer aux nouvelles exigences qu’on leur demandait : chez les autres, on trouvera, les obstinés, les boudeurs, les entêtés, ceux qui aiment à faire esclandre par leur désordre, leur saleté, leur indiscipline, ou encore ceux qu’un ordre méticuleux et proche de l’obsession rend insupportables à leur entourage.

L’intérêt pour les matières fécales pourra être sublimé chez les peintres, les sculpteurs, les amateurs de bijoux, les collectionneurs en tout genre, et tous ceux que la banque et les maniements d’argent en général intéressent.

C’est aux composantes dominantes de la phase anale qu’on doit ramener chez l’adulte les caractères possessifs, mesquins, l’avarice (l’argent représentant les excréments pour l'inconscient du stade anal). Enfin, les composantes sadiques et masochistes de cette période expliquent les perversions chez l’adulte ainsi que l’intérêt libidinal exclusif pour l’orifice anal, dans l’acte sexuel, au détriment du vagin dont l’existence anatomique n’est pas connue à l’âge de la fixation infantile restée vivace chez les pervers.

L’objet d’amour que recherchent les individus de ce type caractérologique n’est pas spécifiquement hétérosexuel ou homosexuel. La caractéristique génitale de l’objet de son désir est parallèle ou accessoire, pourrait-on dire. L’impor-/*

tant c’est qu’il retrouve à son contact le mode de rapports émotionnels éprouvés vis-à-vis de l’adulte dominant et surestimé à la fois, de cette enfance prégénitale où la valeur magique de la puissance de l’éducateur ou de l’éducatrice s’imposait à lui corporellement subjugué, même dans le cas où sa volonté verbalement énoncée semblait l’opposer au maître incontesté dans les faits et actes qu’il imposait.    *

Subjuguer ou être subjugué, tel est le summum de la relation valorisée d’amour. C’est une éthique de possession qui trouve sa fin et sa justification en elle-même. C’est donc une homosexualité latente et inconsciente qui sous-entend le choix de l’objet, qu’il s’agisse ou non d’une personne de l’autre sexe. La complémentation recherchée n’est pas subordonnée à l’efficacité créatrice des deux partenaires mais au renforcement du sentiment de puissance — tant chez l’un dans l’activité que chez l’autre dans la passivité — de leurs comportements sociaux et souvent très intriqués dans la dépendance réciproque, également narcissique.

U importe que l'objet soit très faible ou très fort. Le sujet se complaisant dans le rôle inverse et dépendant. L’objet est souvent doublé d’un mari ou d’un enfant préoccupant si c’est une femme, ou atteint d’une maladie, d’une infirmité ou alourdi par un destin accablant qui l’entrave. Si la situation à trois disparaît et que l’objet s’avère enfin libre, il perd sa valeur d’objet sexuel. Quand ce caractère anal prédomine chez la femme, elle fait une bonne et fidèle employée d’un maître exigeant dont elle se valorise narcissiquement d’être la victime élue. Il peut s’agir d’un homme, comme d’un couple mari-belle-mère, ou de quiconque l’exploite en la justifiant de se dérober à une activité ressentie gratifiante de femme sur le plan de l’accomplissement génital.

De tels caractères dominent en nombre la société actuelle, à tous les niveaux de l’échelle de notre culture — dite chrétienne — en système capitaliste. Le Sur-Moi anal homosexuel est dominé par l’angoisse du rejet qui annihile ou du succès qui réifie, indépendamment de la valeur humaine de sensibilité et d’originalité créatrice assumée, du rayonnement vital et poétique de l’individu.

Les types extrêmes chez la femme, quant au comportement sexuel, sont la prostituée et la virago, au point de vue sentimental et personnel : la femme-enfant, souvent invertie, masquée en vamp, en virago ou en épouse et mère kiépto-chable de vertus domestiques et drapée de sacrifice. La frigidité chez la femme et l'impuissance chez l’homme proviennent du surinvestissement de l’agir, du faire, du faire faire, sur l’exprimé authentiquement éprouvé.

Les types extrêmes chez l’homme, quant au comportement sexuel, sont représentés par le souteneur et le pédéraste. Dans le comportement social par tous les rôles de meneur et de victime élue, ou bien, sublimés, dans ceux de chirurgien, de médecin, d’éducateur. On comprend aisément que la névrose emprunte à cette fixation le principal de la symptoma-tologie courante de l’hystérie, de la névrose obsessionnelle, et la pathologie organique les troubles fixés de petite santé et leurs kyrielles de médiations conjuratoires pathomimiques émouvantes, hypocondriaques et psychosomatiques au service d’un narcissisme de type anal perverti. Toute la thérapeutique pharmaceutique sans ordonnance en justifie le caractère social, puisque commercialement valable. La puissance magique attendue des médicaments miracles achetés en cachette est le secours indispensable pour supporter la vie dans le cas où le type particulier de l’objet libidinal vient à manquer ou ne se peut trouver, et la dépendance à l’égard de ces remèdes est au moins aussi grande et aussi indispensable qu’à celle d’une personne.

La pensée au stade anal

Cet âge, qui est celui de l’initiation ambivalente, est sensibilisé (à cause précisément de cette découverte de l’ambivalence) à la perception des couples antagonistes.

Sur un schéma dualiste, dérivé de l’investissement anal (« passif — actif »), l’enfant va établir avec ce qui l’entoure une série de connaissances qualifiées selon le rapport de cet objet à l’enfant lui-même, après l’avoir identifié à quelque chose qu’il connaît.

Toute femme, c’est une maman ; gentille — méchante. Toute femme âgée, c’est une mémé ; gentille — méchante, grande — petite. Voilà comment procède son exploration comparative.

Les objets qui s’opposent à ses volontés sont « méchants », il les bat ; et il est brouillé avec eux et avec tout ce qui leur ressemble ou leur est associé. Mais quand ses volontés s’opposent à celles de l’adulte, il ne peut pas le battre, ou en tout cas, s’il est « méchant », il est puni et (s’imagine qu’il) perd son amitié. C’est la morale du Beau et du Laid.

L’enfant cède, car il a besoin à chaque instant de l’adulte, la toute-puissante « divine » et magicienne grande personne, et c’est en lui obéissant ou non qu’il se la rend favorable ou indifférente, si ce n’est dangereuse. Dans d’autres occasions semblables à celles dont il a l’expérience, « être sage » consistera à choisir l’action conforme à ce qu’il sait des desiderata de l’adulte qui peut pervertir l’éthique de l’enfant chez qui sage peut signifier passif, immobile, sans curiosités.

Nous voyons donc que les pulsions agressives spontanées et les réactions agressives contre tout ce qui s’oppose à lui, doivent être différées, déplacées ; et lorsque l’adulte est en jeu, ces pulsions et ces réactions seront déplacées sur des objets rappelant l’adulte ; par association, c’est la source du symbolisme ; ou par représentation : poupée, animal ; c’est ta source du fétichisme et du totémisme des enfants12.

Le fait de diriger ses affects (destinés à l’adulte) sur ces objets, leur donne une réalité subjective, que l’enfant prendra pour la réalité objective — dont il n’a pas la notion, n’ayant

[>as encore le sens des « rapports », du pourquoi causal — ui qui n’appréhende la réalité objective que d’après les répercussions agréables ou désagréables qu’elle a sur sa propre existence.

On voit donc au stade anal une pensée caractérisée par des mécanismes à’identification, et de projection : ces projections sont toujours effectuées dans le cadre dualiste inhérent à Y ambivalence sado-masochique des relations objectales. C’est l’époque des animaux totems et celle des phobies par quoi se traduit l’angoisse devant un objet investi par l’enfant lui-même d’une puissance magique. Cet objet, généralement animal, représente, pour l’inconscient de l’enfant, l’adulte auquel il a retiré son investissement libidinal agressif pour le projeter sur son remplaçant, l’animal redouté *.

Stade phallique

Dès la phase orale chez le nourrisson, on assiste à l’éveil de la zone érogène phallique, pénis chez le garçon, clitoris chez la fille. La cause occasionnelle en est peut-être l’excitation naturelle de la miction, ajoutée aux attouchements répétés des soins de propreté. Quoi qu’il en soit, toutes les mères connaissent les jeux manuels des bébés, auxquels s’ajoutent le frottement des cuisses l’une contre l’autre pendant la toilette, et les gazouillements du bébé qui s’y occupe. Ces manifestations se prolongent malgré les petites « tapes sur la main » que l’enfant reçoit quand son éducatrice est sévère. Mais le plus souvent cette masturbation primaire du nourrisson est très peu marquée et cesse d’elle-même, pour ne reparaître qu’au cours de la troisième année.

C’est que le désintérêt des matières fécales, imposé à l’enfant au nom de l’esthétique, est accepté par lui pour « faire plaisir » à ses éducateurs et « acheter » leur amour protecteur ; d y arrive d’autant mieux que son intérêt se centre sur la zone érogène phallique, dont la tension physiologique est visible chez les garçons par l’existence d’érections, à cet âge liées à la miction ou à la défécation. Se dissociant du fonctionnel excrémentiel pour prendre une signification de plaisir émotionnel en soi, cette tension demande un apaisement.

Jusqu’à l’acquisition de la propreté, la miction à volonté servait l’apaisement de l’excitation phallique urétrale selon le libre jeu des tensions libidinales locales. A partir de la discipline du sphincter vésical, qui est d’ailleurs exigée moins précocement que celle du sphincter anal et moins péremptoirement par les adultes, la masturbation secondaire apparaît. C’est a son interdiction aue l’on doit en grande partie la persistance ou le retour à l’incontinence d’urine dans la deuxième enfance accompagnant ou non le suçage de pouce.

Remarquons en passant que l’existence générale ae cette masturbation infantile secondaire a été longtemps méconnue des adultes, à cause du refoulement imposé par le Sur-Moi civilisé. Mais il est beaucoup de parents qui la remarquent, la réprimandent fortement. N’osant s’avouer, ou n’osant se souvenir, qu’ils en ont fait autant, ils prétendent avoir un enfant exceptionnellement « vicieux » ou « nerveux » — selon leurs expressions.

Il faut reconnaître que lorsque cette masturbation est très manifeste, et persiste en présence des adultes malgré leurs premières interdictions, cela prouve qu’à la pulsion libidinale est surajoutée une réaction névrotique : angoisse, provocation, recherche de la punition et surtout l’absence de lien affectif réel avec l’adulte actuel.

La curiosité sexuelle commence dès avant la troisième année, en pleine période sadique anale. Elle vise d’abord à savoir d’où viennent les enfants. Cet intérêt est souvent éveillé par une nouvelle naissance dans la famille ou par l’identification à un camarade de jeu qui est mécontent, ou gratifié, de l’arrivée d’un frère ou d’une sœur. La question est ordinairement éludée par les adultes, qui parlent de choux, de magasin, mais l’enfant découvre assez vite que la mère a un gros ventre avant la naissance du nouveau-venu, puis qu’elle allaite.

Les « pourquoi » lancinants des enfants de 4 ans qui n’écoutent même plus la réponse de l’adulte, n’apparaissent qu’après les premières réactions de ceux-ci devant les questions directement sexuelles et la notion de « défendu » que l’enfant en a retirée.

Des théories variées s’ébauchent en rapport avec les connaissances anatomiques de cet âge : conceptions digestives, naissance par défécation de la mère, avec la réserve d’un rôle paternel encore obscur mais probable, rarement confirmé, encore moins signifié (donc infirmé) par l’adulte éducateur.

Vient ensuite une autre question. Quelle différence y a-t-il entre une fille et un garçon ? Là aussi les adultes d’ordinaire éludent la réponse. L’enfant use alors de ses connaissances personnelles, et se rapportant à son expérience de l’époque musculo-excrémentielle, où le dualisme est caractérisé par le couple antagoniste actif-passif, il se répond à lui-même ; « le garçon est plus fort » ; ce qui est généralement vrai dès la petite enfance13.

Mais, assez vite, et entre autres occasions par la nécessité d’uriner dehors, les enfants remarquent que les garçons urinent debout, ce que ne peuvent faire les filles. Cela est considéré comme une supériorité qui, pour le garçon, va de soi, tandis que la fillette s’imagine que son clitoris poussera.

Quant au garçon, il faudra qu’il soit averti par des menaces de mutilations génitales, pour prendre nettement conscience de ce qu’il a jusque-là refusé de voir : la fille n’en a réellement pas. Cela se passera vers 5 ou 6 ans environ, âge où les propos avec les autres et surtout les jeux sexuels entre garçons et filles ne lui laisseront plus de doute. Mais, avant 6 ans, il pense encore que la fille « en a un plus petit », incapable qu’il est alors de concevoir autrement que par rapport a lui-même. Mais très habituellement dans le cas de l’acceptation du manque de pénis aux filles, la croyance à la mère pénienne subsiste. La mère ne peut pas manquer de ce qu’elle a donné. C’est par sa défaveur que les filles n’en ont pas.

La pensée au stade phallique

Plus l’enfant grandit, moins la mère s’occupe de lui matériellement, les émois libidinaux qui l’ont pour objet se passent plus souvent qu’avant en fantasmes et rêveries la concernant. Ils accompagnent toutes les manifestations de l’activité de l’enfant, et entre autres, la masturbation. Celle-ci, pour la fille, n’est encore que clitoridienne.

L’atmosphère affective de ces fantasmes masturbatoires est alors sado-masochiste avec prédominance de sadisme chez le garçon et de masochisme chez la fille, dans les cas où la mère est normale.

Il n’y a pas si longtemps que ses bras à elle et ses déplacements à elle étaient associés à ses propres mobilisations passives, aussi le regard érotisé sur la mère fait co-agir, participer l’enfant aux activités de celle-ci, tout en autorisant le couplage de ses sensations autonomes passives à la fascination que les activités répétitives et muettes de la mère, absorbée en elle-même, opère sur lui.

Quand sa mère n’est pas là au moment où il la désire, l’enfant l’appelle, la cherche. S’il la trouve, elle peut être occupée et l’évincer en lui disant : « Tout à l’heure, maintenant je fais ceci ou cela » ; l’enfant demande : « Pourquoi ? ». — « Pour que tu aies à manger, répond la mère, pour que le ménage soit fiait, pour que papa soit content ; va jouer. » L’enfant obéit en emportant ce qu’il peut de sa mère ; ses paroles, qu’il se répète à lui-même, souvent tout haut. Ou bien, il reste « sage » à la regarder.

L’observation de l’activité de la mère et la réflexion sur ses paroles, qui sont pour lui résonances sonores qu’il se remémore de façon rythmée parfois tout haut amènent l’enfant à acquérir deux notions d’une importance considérable.

Jusque-là, l’enfant agissait selon ses pulsions immédiates, pour le seul plaisir de les satisfaire. U ne savait pas les différer et réagissait sur-le-champ à leur insatisfaction par « un caprice ». L’inutilité de cette protestation rageuse, le confort affectif au contraire de la « sagesse », l’attente du « tout à l’heure » promis par l’adulte aimé, enseigne à l’enfant la notion du « temps ». Auparavant, tout se passait au présent. Maintenant, il y a « tout à l’heure » et « demain », quand le tout à l’heure arrive après la nuit. Pendant assez longtemps, d’ailleurs, l’enfant ne discernera pas « demain » de « la semaine » ou de « l’année prochaine », ni de « bientôt ». C’est plus tardivement encore qu’il prendra la notion du passé que traduiront les termes « une fois » et « hier », s’appliquant aussi bien au passé immédiat qu’aux jours les plus lointains, en deçà du présent, et qui de ce fait se confondent avec ses fantasmes.

Deuxième notion : en observant l’activité de sa mère, avec l’attention qui se porte sur tout ce que fait l’être aimé et en attendant que sa mère puisse enfin s’occuper de lui, le temps de patience animé d’intelligente observation dépend des rythmes propres à chaque enfant, mais aussi de la présence affective, gaieté, paroles, que la mère lui octroie tout en vaquant à ses occupations. L’enfant peut se sentir dans la détresse de l’abandon collé à sa mère et tout animé de sa joie communicative alors qu’elle est occupée dans la pièce voisine. L’enfant apprend à remarquer les motifs nombreux des mouvements et des actes de l’adulte. U s’aperçoit qu’un même objet a plusieurs usages et il développe ainsi en lui le besoin de généralisation basé sur la recherche des nombreuses motivations liées à un même objet.

« A quoi ça sert » devient son leitmotiv devant tout ce qui l’intéresse. U se détache ainsi pour la première fois de l’exclusif intérêt des choses par rapport à lui-même. Par exemple : le feu et tout ce qui était chaud « brûlait », c’était « méchant », à fuir. Maintenant, « le feu, c’est pour chauffer » et chauffer, c’est « agréable quand on a froid », c’est « nécessaire pour manger », etc. Et la maman est faite « pour s’occuper de lui, pour faire la cuisine, pour faire le ménage », etc. Par extension, il se demande à propos de tous ses objets d’intérêt : « A quoi ça sert. » Un jour viendra où il se le demandera pour son pénis, il se répondra « pour faire pipi », mais s’apercevant que les filles s’en passent il lui cherchera en vain une autre motivation et n’en trouvant pas, il valorisera d’autant plus la supériorité magique que cela lui confère.

C’est ici que peut entrer en jeu Y angoisse primaire de castration que nous exposerons au chapitre suivant.

Grâce à la connaissance de la motivation par l’usage, l’enfant possède maintenant la clef de beaucoup de problèmes. Exemple : il était trop petit pour atteindre ce dont il avait envie et disait « peux pas » en appelant l’adulte à son secours ; maintenant, il va chercher un tabouret pour se grandir. Voilà qu’apparaît l’envie de faire « comme les grands », comme ceux qui ont plus que lui.

L’envie engendre Vambition, le désir de suppléer à son infériorité par le détour de l’exploitation pratique de ses connaissances. C’est, sans nul doute, la base affective de départ de l’intérêt de plus en plus grand que l’individu portera à apprendre, à connaître, et sa valorisation du « Savoir ».

Nous n’avons pas encore parlé d’une autre découverte, celle de la mort. Elle se place tout naturellement à la même époque, car il faut pour que l’enfant y prenne intérêt, qu’il y soit sensibilisé. Il ne l’est pas tant qu’il ne brigue pas l’égalité de force, de mouvement et de savoir des adultes. Il faut que ses ambitions se heurtent à la réalité.

En observant les animaux, il découvre la mort. Trouvant un papillon, un oiseau, un lézard, une mouche, immobiles, il demande « Pourquoi ? », on lui répond : « Parce qu’il est mort. » Est-ce que tout ce qui vit peut mourir ? Pourquoi meurent les animaux ? Parce qu’ils sont trop vieux, mais aussi parce qu’ils ont été attaqués par d’autres qui ont gagné la bataille et les ont tués. Tuer, c’est immobiliser. Voilà seulement ce que comprend l’enfant au stade anal et au début du stade phallique. C’est pourquoi l’enfant joue à tuer par ambition et toute-puissance sadique, sans plus. Réduire ce qui est animé à l’état de chose inanimée, tel est le sens du donner la mort.

C’est la raison pour laquelle chez l’enfant l’immobilité corporelle totale ou partielle, quand elle lui est imposée, est ressentie comme sadique, et encore plus le silence qui lui est imposé par un adulte hypersensible au bruit. Bavarder est le signe d’une activité mentale physiologiquement saine pour tout enfant de moins de 7 ans. Sa concentration d’esprit sur une besogne scolaire ou ludique, sans bruitage, mouvements corporels concomitants et propos parlés est un signe de dévitalisation morbide. L’entraînement à la contention des activités parallèles à la concentration mentale ne peut qu’être progressif et scandé par des moments de détente bruyante et motrice. Cet entraînement est d’ailleurs plus nuisible

au’utile ; il est hélas trop souvent synonyme d’enfant sage, onnant toutes satisfactions aux adultes obsédés ou hystériques que la vitalité de l’enfant dérange dans leurs pensées ou leurs fantasmes.

Le silence et l’immobilité de l’enfant sage sont rarement pour lui autre chose que mutilation dynamique, réduction a l’état d’objet fécal, mort imposée et subie. Avant de sombrer dans l’arriération mentale, fruit de cette mort acceptée, il développe des fantasmes sadiques qui peuvent aller jusqu’à l’hallucination phobique, source de jouissances perverses érotiques de tous les stades de sa libido bloquée dans ses manifestations expressives. Les compulsions masturbatoires rythmées, les tics, les bégaiements, l’insomnie, l’encoprésie, l’énurésie sont les derniers refuges de la libido chez ce moribond social, au supplice d’une éducation perverse.

Quant au sens réel de la mort, il lui faut voir mourir un animal ou un être aimé pour saisir le sens de l’absence sans retour, de la perte définitive de l’objet. Que l’adulte ne puisse pas lui non plus empêcher la mort, ou ressusciter quelque chose de mort, comme il peut raccommoder tant de choses, replonge l’enfant dans le mystère de la naissance. Remarquons — nous en discuterons plus loin — l'importance de cette coïncidence chronologique de l’apparition de l’angoisse de castration et de la découverte de la mort.

Fille ou garçon, l’enfant que sa mère délaisse, du moins à ses yeux de petit despote amoureux, s’aperçoit qu’il n’est pas le seul intérêt de sa mère, ni son seul but d’activité. Il a un rival dans la personne de son père quand il n’a pas des rivaux supplémentaires, les frères et les sœurs.

Longtemps, le père fait partie de l’ambiance de la mère, et pour peu qu’il sache gronder et récompenser à bon escient, il est investi d’une grande affection. De plus, quand une chose est difficile, maman dit : « On demandera à papa. » C’est lui qui porte les choses lourdes et, assez souvent, qui ronfle en dormant. Pour l’enfant, c’est un être fort ; mais peu à peu il devient un rival, avec qui la mère demeure volontiers sans prêter attention aux réclamations de l’enfant, auquel elle est moins assujettie qu’au temps de la première enfance. Il se heurte à des : « Va jouer, laisse-nous. »

Vis-à-vis des frères et sœurs, cette rivalité sera la même et dans la mesure où il leur attribuera, à tort ou à raison, une responsabilité dans l’affection moindre de sa mère, il éprouvera à leur égard des sentiments conflictuels. C’est la raison pour laquelle nous ne discuterons pas spécialement des conflits familiaux dont les mécanismes sont pratiquement et fondamentalement superposables aux conflits parentaux.

On peut dire que, dans la grande majorité des cas, et si les parents sont sains psychiquement, la fille est plus docile, moins agressive, moins bruyante que le garçon.

Dès le stade anal, parmi les jouets, son intérêt se porte plus volontiers sur les poupées, tandis que l’intérêt du garçon se porte sur les chevaux, les autos. Elle aime jouer avec l’eau en lavant des chiffons, en baignant ses poupees, alors que le garçon y lance des cailloux, joue à la pêche et au bateau.

Au stade phallique, elle joue à la dînette, à la poupée, en la couchant, la soignant, la berçant, l’habillant, etc. alors que le garçon, s’il aime une poupée (et ce n’est pas si rare), ne sait pas « jouer à la poupée ». Elle s’intéresse déjà à sa toilette, à ses robes, elle se pare avec des chiffons, elle chipe la poudre de sa mère et aime à se promener avec son sac au bras. Bref, elle s’identifie le plus possible à sa mère, en mimant ses faits, gestes et paroles. Il s’agit de comportements sexués conformes au génie propre de son sexe encore à l’état intuitif sur le plan génital.

Pendant ce temps, le garçon s’adonne à tous les jeux agressifs, il joue au despote, armé d’un bâton qu’il baptise fusil ou revolver, il aime à faire peur et à commander. Quand il le peut, il s’affuble du chapeau de son père, de sa canne. Bref,

il s’identifie le plus possible à lui, et aux hommes qu’il a pu observer, comportement sexué social, recteur du plan génital mâle qui commence à poindre.

Tout le monde a vu les enfants jouer au papa et à la maman et comment les rôles sont partagés, déjà, tels qu’ils le seront dans la vie. Le garçon prenant naturellement le rôle du père et la fille celui de la mère. (Le contraire est symptomatique d’une réaction névrotique.)

Vers 4 ans, 4 ans et demi au plus tard, le garçon entre en lutte émotionnelle ouverte avec son père ; il joue à le tuer, essaie d’accaparer toute la tendresse de sa mère, lui dit qu’il se mariera avec elle, qu’il l’emmènera au loin dans sa maison, en avion, qu’ils auront des enfants. Il entre dans la période de l’Œdipe.

La fillette vit une période analogue. Peut-être l’attitude du père qui, d’ordinaire, aime davantage la fille que le garçon, contribue-t-elle à l’éveiller plus vite ? Toujours est-il que vers 3 ans et demi, 4 ans, un peu plus tôt chez elle que chez le garçon, la fillette se comporte vis-à-vis de son père comme une petite amoureuse, coquette, séductrice, affectueuse et centrant tout son intérêt libidinal sur son père. Elle se montre jalouse de lui, n’a pas de plus grande joie que de sortir seule avec lui, d’accaparer son attention, son affection. Elle lui avoue ses projets merveilleux, il sera son mari, il l’emmènera dans une belle maison et ils auront beaucoup d’enfants.

Hélas, la triste réalité est là, le père et la mère tiennent l’un à l’autre, et tout en traitant avec tendresse leur enfant, l’évincent bien des fois, le renvoyant à ses jeux ; et l’enfant se sent impuissant à déloger son rival.

Que font ces deux grandes personnes ensemble ? Autre question que l’enfant essaie de résoudre ; il les guette, les écoute parler sans comprendre leurs propos. Mais les adultes le chassent et, quelquefois, se taisent quand il arrive. Et ce mystère de l’intimité des parents en rejoint un autre encore resté sans réponse : le rôle du père dans la conception des enfants.

Si l’enfant assiste aux rapports sexuels des parents, soit qu’il couche dans leur chambre, ce qui est malheureusement trop fréquent \ soit qu’il les surprenne, il l’interprète comme un acte sadique, une bataille où papa est le plus fort, et le rôle de sa mère le bouleverse. Sa déesse tabou et chérie est vaincue, tuée peut-être. Le sang des menstrues, quand il les voit, confirmera son hypothèse. Il y a là quelque chose qui dépasse son entendement et jette le trouble en lui ; mais il n’établit pas de lien entre cette bataille et le mystère de la naissance, à cause de l’incapacité où il est de connaître l’existence du sperme et celle du vagin, si on ne vient à son secours *.

Que va devenir cette situation œdipienne qui s’est installée à 4 ans et atteint son développement maximum vers 6 ans ?

Pour se plier à la nature, l’enfant devra non seulement abandonner la rivalité, parfois haineuse, avec le parent du même sexe, mais s’identifier à lui. Il doit développer les qualités qui feront du garçon un homme, et de la fille une femme. Outre le complexe de castration dont nous étudions plus loin les modalités énergétiques inconscientes à l’œuvre dans ce travail structurant, la diminution de poussée libidinale, inhérente à la phase de laterce, concourra à l’aider dans ce difficile passage.

Ce retrait libidinal pulsionnel, net après 9 ans, apaise les conflits, même s’ils ne sont pas entièrement résolus, et jusqu’à

12 ans environ, un refoulement, qui ne manque jamais, repousse dans l’inconscient toutes les curiosités et tous les désirs sexuels qui avaient été si vifs dans la deuxième enfance.

Phase de latence

La phase de latence, normalement muette, ou presque, du point de vue des manifestations et des curiosités sexuelles, est employée à l’acquisition des connaissances nécessaires à la lutte pour la vie, sur tous les plans.

Les facultés de sublimation vont progressivement entrer en jeu.

Le refoulement de l’intérêt sexuel érotique va permettre à la personnalité libérée de déployer toute son activité consciente et préconsciente à la conquête du monde extérieur, en conque de résonance ouverte à tous les sons, en voile ouverte à tous les vents, en plaque toujours sensible — si on veut nous passer ces images. C’est l’aspect culturel de la phase de latence, phase non seulement passive, mais active puisqu’elle verra la synthèse des éléments ainsi reçus et leur intégration à l’ensemble de la personnalité, irréversiblement marquée par le sceau de l’appartenance au groupe masculin ou féminin de l’humanité.

Si à l’entrée de la phase de latence l’enfant en est au stade d’un complexe d’Œdipe bien dessiné, bien marqué, il ne restera point dans l’inconscient de ces couples antagonistes liés à des investissements archaïques. La libido, non immobilisée dans l’inconscient (comme chez l’enfant névrosé, pour tenir en respect des affects refoulés) sera entièrement au service d’un Sur-Moi objectif. L’inconscient participera lui aussi à l’acquisition culturelle, à la conquête du monde extérieur. Le complexe d’Œdipe sera progressivement, et entièrement dissocié, le tabou de l’inceste clairement intégré à la vie imaginaire.

Et quand arriveront chez l’enfant les émois affectifs et érotiques annonçant la puberté, et la masturbation tertiaire, au lieu de réagir comme s’il était fautif, il s’épanouira davantage, et saura sans timidité, ni gêne, conquérir sa liberté, progressivement, au jour le jour, sans réactions auto-punitives.

L’importance et la valeur des sublimations de la phase de latence est grande. Non seulement parce que c’est à cette époque que s’ébauchent les caractéristiques sociales de l’in-cuvidu, mais parce que la façon dont un enfant utilise névro-tiquement ou normalement cette période, fait qu’il fixe ou non, exagère ou fait disparaître, des composantes archaïques de la sexualité, et ses composantes perverses.

Au réveil pubertaire, de mauvaises acquisitions sociales (scolaires, si le milieu est intellectuel, sportives, si le milieu est ouvrier, industrieuses pratiques générales, quel que soit le milieu), rendront difficile l’essor, parce que l’enfant ne pourra, légitimement, avoir confiance en lui. Et l’on dira avec raison, de cet enfant qui ne s'épanouit pas, qu’il est dans « l’âge ingrat ».

La cause peut en être à une déficience réelle des dispositions naturelles de l’enfant, ce qui est rare. En effet, dans ce cas, il aura cherché de lui-même — s’il est sain — à surmonter son infériorité en un point par le développement compensateur d’autres dispositions. La faute peut en être aussi à des causes extérieures à l’enfant (changements constants d’école que des mères inconsciemment castratrices imposent à leurs enfants, maladies, accidents personnels, catastrophes familiales, deuils, bouleversements de fortune) qui perturbent l’atmosphère affective de l’enfant.

Stade génital

Selon, donc, que l’évolution antérieure à la phase de latence aura été saine ou non, ou que des sentiments d’infériorité auront empêché à l’aube de la puberté la liquidation d’un noyau conflictuel résiduel, ou fait régresser la libido du sujet à des stades antérieurs au stade phallique, on assistera à l’éclosion d’une sexualité normale ou perverse, ou à une névrose plus ou moins prononcée.

La masturbation (tertiaire) est accompagnée maintenant de fantasmes qui seront dirigés vers des objets choisis hors de la famille souvent nimbés d’une valeur exceptionnelle qui les rend prudentiellement encore inaccessibles, et suscite un essor culturel dans le travail.

La puberté apportera avec l’apparition de l’éjaculation chez le garçon, du flux menstruel et du développement mammaire chez la fille, les éléments qui manquaient à la compréhension du rôle réciproque de l’homme et de la femme dans la conception.

Il leur reste encore à apprendre à centrer leur tendresse et leurs émois sexuels sur un même être, comme au temps de leur enfance oubliée, puis d’arrêter leur choix après démystification des choix successifs et de le fixer pour la sécurité vitale des enfants qui naîtraient éventuellement d’une rencontre concertée, interhumaine, corporelle, émotionnelle et génitale réussie.

Et si l’enfant, objet d’investissement génital de cette période finale du développement, vient à manquer, son substitut affectif sera leur œuvre sociale commune, car la fécondité est la caractéristique de l’accomplissement à ce stade14.

L'intelligence.

Bien qu’il y ait souvent des relations étroites et une correspondance manifeste entre le développement affectif et le niveau mental, l’expérience nous enseigne qu’il n’en est pas toujours ainsi. A fortiori, l’appréciation numérique d un « niveau mental » ne permet en aucune manière de déduire si l’on a ainsi un moyen d’appréhender et de juger « l’intelligence ».

U nous semble que les prédispositions à la possibilité de sublimations intellectuelles (ce en quoi consiste proprement le travail scolaire et intellectuel en général), dépendent d’éléments préformés, constitutionnels, toutes réactions inhibi-trices affectives mises à part. Mais ces possibilités de sublimations intellectuelles doivent, pour être utilisées, comporter un maximum d’adaptation corporelle et émotionnelle permettant et respectant l’épanouissement du sujet, individu relativement autonome, lieu d’intégration des lois de sa propre cohésion libidinale et de celles assurant la cohésion de la société.

Quand une névrose s’accompagne d’un niveau mental inférieur à la normale, ce fait peut être dû, soit à une débilité intellectuelle vraie, soit à une inhibition brutale du droit à la libido, orale, anale, urétrale, phallique, à l’époque où l’hédonisme de ces zones était le but électif de l’activité.

L’intérêt intellectuel s’éveille en effet, à ces stades successifs, par adhésion affective à des substituts d’objet sexuel, au fur et à mesure des frustrations (orales, anales, urétrales) imposées par l’éducateur et le monae extérieur. U intérêt intellectuel, découlant de la pulsion libidinale, demande que le sujet tolère cette pulsion au moins le temps nécessaire à la formation des intérêts substitutifs, et jusqu’à ce que ces intérêts apportent par eux-mêmes des satisfactions affectives, en plus de l’estime des adultes. C’est alors seulement que l’intérêt sexuel correspondant pourra achever de s’éteindre de lui-même, par un refoulement sans danger ; la possibilité de sublimation est acquise.

L’hypertrophie de « l’intelligence » par rapport au reste de l’activité psycho-physiologique d’un sujet nous parait mériter le nom de « symptôme névrotique », c’est-à-dire de réaction à l’angoisse, à la souffrance. L’intelligence, débile, normale ou supérieure, peut exister tout autant chez le névrosé que chez le sujet sain affectivement ; mais, à possibilités originellement égales de sublimations, le sujet sain dispose, par rapport au névrosé, de facultés intellectuelles mieux adaptées a la réalité, et plus fécondes. Ses intérêts sont plus nombreux, sans être disparates, et visent, en même temps qu’à sa propre satisfaction et à son enrichissement personnel, à des résultats d’efficacité objective pour son milieu social.

Chez de tels sujets, l’époque phallique, la phase de latence, ainsi que le début de la phase génitale à la puberté, sont marqués par l’intérêt affectif, l’adhésion spontanée et successive à toutes les activités dont ils peuvent (dans leur milieu) avoir la notion.

Avec la maturité de la sexualité génitale, l’individu sacrifiera alors délibérément (et non refoulera) ceux de ses intérêts nettement incompatibles avec la ligne de vie pour laquelle il optera. Cela d’ailleurs sans aucune amertume résiduelle vis-à-vis des objets auxquels il aura renoncé et qu’il verra sans angoisse être élus par d’autres.

Ce que nous venons ae dire de l’épanouissement de l’intelligence n’est d’ailleurs qu’une application particulière de l’aboutissement heureux du développement libidinal génital caractérisé par la « Vocation », l’engagement, l’option délibérée qui, lorsqu’elle est entière jusque dans l’inconscient, s’accompagne d’épanouissement psychophysiologique et de fixation libidinale sur le mode dit oblatif à l’objet d’amour, à l’œuvre, à l’enfant.

La pensée au stade génital

Nous avons vu comment, au début de la situation œdipienne, la pensée participait encore du mode anal captatif triomphant ou rejetant triomphant coloré d’ambition. Ce n’est qu’avec la liquidation du complexe d’Œdipe, que la pensée peut se mettre au service de la sexualité dite oblative, c’est-à-dire dépassant la recherche de satisfactions narcissiques sans les infirmer cependant.

Au stade génital la pensée est caractérisée par le bon sens, la prudence, l’objectivité d’observation. C’est la pensée rationnelle.

L’objectivité vers laquelle tendra l’individu sera d’apprécier toute chose, tout affect, tout être, et soi-même, à la juste valeur, c’est-à-dire la valeur intrinsèque, sans perdre de vue la valeur relative par rapport aux autres êtres. Le sujet ne s’approchera au maximum de cette objectivité totale que s’il a, d’une part, liquidé en lui les conflits névrotiques, et que si d’autre part il n’a pas gardé dans son inconscient des noyaux de fixation archaïque.

La pensée objective totale consciente, apanage du stade génital achevé, semble d’ailleurs incompatible avec l’introspection, tout autant, mais pour d’autres raisons, que la pensée narcissique du stade oral, préconsciente et incapable qu’elle était d’objectivation. Le stade génital oblatif est caractérisé par la fixation libidinale, à l’objet, hétérosexuel, pour une vie à deux, féconde, et pour la protection de l’enfant (ou de son substitut).

Cette fixation sexuelle génitale peut aller chez l’adulte achevé, jusqu’à l’abandon total, sincère, c’est-à-dire jusque dans l’inconscient, des instincts de sa propre conservation, pour assurer la protection, la conservation et le libre épanouissement de la vie physique, psychique (affective et intellectuelle) de l’enfant, du fruit. C’est une fixation oblative à un objet extérieur au sujet lui-même, dont la survie et la réussite lui importent plus que la sienne proprex.

Avec un mode de penser totalement et constamment au service de la libido génitale on ne peut plus tenter de « se » concevoir.

Pour qu’une telle pensée puisse être formulée, il faut un minimum d’intérêt pour soi-même (auto-érotique) intriqué à l’intérêt objectai oblatif ; donc ce n’est pas une motivation du stade génital. Les tentatives de réflexions autour de cette

E>ensée atteignent à l’ineffable, elles sortent du domaine de a pensée rationnelle humaine. L’introspection relève donc toujours, même au stade génital, d’un mode de penser sur le mode anal et elle n’est jamais rationnelle ni objective.

Le mode de penser totalement oblatif est incontrôlable pour le sujet, et c’est peut-être ce qui accompagne le bouleversement total psycho-physiologique de l’orgasme génital

i. Oblatif ne doit pas être entendu comme vertueux idéal, mais comme une façon dVimer l’autre, l’aimé, l’œuvre, l’enfant, d’un amour instinctif, protecteur égal et souvent supérieur en intensité libidinale à l’instinct de conservation de soi. C’est le déplacement adulte du narcissisme sur la descendance.

dans le colt avec un partenaire sexuel « aimé », chez l’adulte arrivé sur le double plan conscient et inconscient au stade génital oblatif. Mais le propre de l’orgasme sexuel est précisément d’exprimer l’inexprimable et d’apporter avec lui des émois non pensables, non contrôlables et incommunicables.

Le mode génital oblatif de la pensée peut encore régresser après qu’il a été atteint, et les écnecs ou erreurs dans le choix de l’autre élu ou les épreuves survenant à un enfant ou à l’œuvre créativement conçus peuvent induire par l’angoisse de castration associée toujours depuis l’âge œdipien à la valeur narcissique éthique de l’individu — à une régression névrotique. Les modes de pensée et de réagir des stades antérieurs peuvent réapparaître. Ce sont les cas de névroses traumatiques dont les symptômes traduisent la déréliction objectale, entraînant la perte du goût de vivre, la rechute dans la situation émotionnelle œdipienne critique transférée sur des objets ressentis comme homologues.

Mais jusqu’à la vieillesse, les pulsions libidinales structurées par l’Œdipe retrouvent leur ordonation créatrice dans la lutte rééprouvée conflictuelle articulée à l’Œdipe. Sur le même modèle existentiel que cette crise résolutoire humaine, les pulsions libidinales et les pulsions de mort se confrontent par le moyen des traces restées structurantes du complexe de castration. De même que le sommeil et ses rêves de désir satisfait soutiennent, par le rythme nécessaire du repos, la vitalité consciente du tiers de la vie humaine, de même, en cas d’épreuve majeure dans la vie génitale éprouvée dans la réalité, la régression dans la maladie sert de compensation narcissique. La libido génitale que l’échec a entamée dans ses réalisations créatrices y trouve un substitut castrateur pater-nant, la douleur qui l’oriente vers la relance dynamique de sa personne, reconfirmée en son destin, sans amertume résiduelle comme au temps du complexe d’Œdipe.

La joie créatrice signe la retrouvaille de la libido génitale de nouveau créatrice.

2. Rôle de la sexualité dans le développement de la personne

Nous avons essayé de jeter un coup d’œil d’ensemble sur l’apparition parallèle de toutes les activités chez l’enfant, ainsi que sur sa manière d’appréhender la réalité. La recherche du plaisir érotique sensuel n’est donc pas l’unique occupation de l’enjant, même aux yeux des psychanalystes comme certains veulent le croire.

Mais à chaque âge, depuis la naissance jusqu’à la mort, il n’est pas de pensée, de sentiment ou d’acte de l’individu qui ne comporte en soi la recherche hédonique, c’est-à-dire une pulsion libidinale. U n’est pas de vie saine sans vie sexuelle saine, et inversement, il n’y a pas de vie sexuelle saine chez un individu malade ou névrosé.

La santé sexuelle ne se mesure pas à l’activité érotique physiologique de l’individu, celle-ci n’est qu’un des aspects de sa vie sexuelle. L’autre, c’est son comportement affectif vis-à-vis de l’objet d’aimance qui se traduit en l’absence de celui-ci par des fantasmes où il intervient.

L’étuae de ces fantasmes et de leur symbolisme permet seule de connaître l’âge affectif du sujet et le mode de sexualité qui préside à son activité. Il n’y a pas d’activité qui ne soit soutenue affectivement par des sentiments, en rapport avec le but conscient ou inconscient de cette activité.

Et le but de toute éducation (prophylaxie des troubles du comportement), comme de toute psychothérapie (cure des troubles du comportement), est l’utilisation de la libido de l’individu de manière qu’il se sente heureux et que ce bien-être subjectif s’accorde avec celui des autres, et même le favorise, au lieu de l’entraver.

Nous allons essayer de montrer l’exactitude clinique de ce que nous venons de dire, et de tirer des conclusions éducatives pratiques de cette constatation clinique : c’est l’énergie

libidinale, dérivée de ses buts sexuels, qui anime toutes les activités de l’individu.

La tendance à frotter rythmiquement une partie quelconque de son corps pour l’obtention d’un plaisir existe chez l’enfant depuis les premiers mois de la vie. A la phase orale passive, le suçotement sans déglutition est une manifestation sans autre fin que l’hédonisme ; à la phase orale active, mordre ou mordiller est en soi un plaisir.

Au début de la phase anale commence le plaisir à pincer, à battre, à écraser, à « pousser », c’est-à-dire à faire un effort. C’est parce que l’enfant est physiquement capable de faire un effort musculaire, qu’il sait « pousser » et « retenir », qu’on peut, en lui faisant entendre l’onomatopée qui accompagne cet effort et en le mettant en même temps sur le pot, lui enseigner à discipliner cet effort jusque-là ludique, et à le faire servir à ce qui sera la première conquête de la vie sociale en même temps que son premier moyen de faire plaisir à l’adulte aimé.

Malheureusement le stade sadique anal d’organisation psycho-affective est très agissant, et la tension libidinale de l’enfant ne trouve quelquefois pas à se déplacer entièrement, à ce stade, sur les dérivés que propose ou permet l’adulte. C’est pourquoi l’âge du stade anal est en même temps celui où l’enfant s’arrache le pourtour des ongles, se met les doigts dans le nez, se gratte la peau — même saine — et peut aller jusqu’à se procurer de petites lésions qui naturellement, ne demandent qu’à s’infecter (voir observation de G., p. 187). L’une ou l’autre de ces habitudes peut alors se prolonger au-delà du stade anal, étant donné le moins de prises qu’elle donne à une répression de l’adulte. Et cela prouvera que la polarisation de toute la libido du sujet vers de nouvelles conquêtes ne s’est pas faite, ou ne s’est pas faite entièrement.

Ainsi s’expliquent ces gestes apparemment absurdes en eux-mêmes, et dépourvus de plaisir, intégrés à la mimique caractéristique de chacun de nous (en langage courant, on les nomme « manies »). Ils apparaissent à notre insu, à l’occasion de réflexions, de préoccupations, d’efforts ou d’attention. Ils ont qualitativement la même valeur inconsciente que des symptômes obsessionnels, car ils ont la même origine, et n’en diffèrent que quantitativement. Au point de vue affectif, ils servent de support à des sentiments de même valeur que ceux de l’enfance et à des fantasmes qui se rapportent inconsciemment ou symboliquement à des conflits de la période sadique anale.

La preuve en est que quand nous voyons une personne se mettre le doigt dans le nez, s’arracher le pourtour des ongles, se mordre les ongles ou les lèvres, jouer avec ses clefs ou la monnaie de sa poche, en premier lieu, cela nous agace et, d’autre part, si nous lui en faisons la remarque, c’est elle qui ne peut s’arrêter sans se sentir agacée et gênée pour penser ; autrement dit, la tension que la réflexion entraînait était plus tolérable avec la détente pulsionnelle du geste.

Outre ces gestes qui équivalent en somme à une masturbation « dégradée », il y a les particularités de comportement qui sont intégrées au « caractère de l’individu », colères, rancunes, envie, jalousie, vanité, qui sont tout autant des symptômes, parce que, malgré les justifications logiques que le sujet en donne (rationalisations), elles se reproduisent invariablement dans toutes les relations humaines affectives que le sujet se crée.

C’est l’attitude sentimentale de l’enfant vis-à-vis de ses éducateurs, reflet, le plus souvent, de leur attitude inconsciente à son égard, qui permet ou non l’utilisation des pulsions à des fins culturellement utiles : ainsi, l’audace, le goût du risque, quand ils sont récompensés par l’admiration ae la mère ; la victoire remportée sur l’adulte au cours d’ébats ludiques agressifs ou ae jeux d’adresse, quand ils entraînent l’encouragement de l’adulte, si l’enfant a échoué, au lieu d’entraîner de la part de l’adulte un triomphe taquin ; ainsi, quand des caresses ou des compliments encouragent l’enfant à se montrer « beau joueur », généreux dans les conflits inévitables avec les autres ; et non quand des reproches sévères visent à « le mater » alors qu’il est doué naturellement d’une libido plus riche que d’autres.

Les pulsions et les décharges libidinales n’ont donc pas tant d’importance en elles-mêmes, qu’en vertu des affects qu'elles engendrent.

Pour l’enfant qui n’a pas encore « l’âge de raison », c’est-à-dire de sens moral (le Sur-Moi), les conclusions expérimentales sont réglées par le principe brut du plaisir-déplaisir. Ce qui apporte du plaisir sera répété, ce qui apporte du déplaisir sera évité.

Mais les pulsions instinctuelles de l’enfant vont se heurter à des obstacles. Que ces obstacles soient conformes à la « condition humaine », prise dans le sens le plus vaste, ou qu’ils soient dressés sans nécessité rationnelle par le milieu familial dont l’attitude découle d’une optique éthiquement déformée, l’enfant n’est pas apte à s’en apercevoir. S’en apercevra-t-il un jour, à la puberté ou plus tard, que ses velléités de réviser les valeurs élevées au rang de dogme par son milieu éducateur et par son propre Sur-Moi créeront des conflits entre son sens moral déformé et son Moi. Cette révision des valeurs, à la puberté « affective », est pourtant indis-

fjensable. Réviser les valeurs n’est d’ailleurs pas forcément es détruire, c’est seulement en faire l’inventaire, le triage, et conserver celles qui conviennent. Il est inévitable que cette crise pubertaire amène des conflits familiaux plus ou moins marqués, et cela même si les parents sont très tolérants, surtout s’ils se désintéressent de l’enfant. En effet, pour l’adolescent, l’angoisse intérieure de cette lutte normale de ses instincts contre son Sur-Moi est difficile à supporter. Elle l’est moins quand le jeune être peut faire supporter à d’autres la responsabilité de sa souffrance, et les parents sont le Sur-Moi vivant, les « responsables de service ».

Bien entendu, il y a des parents qui accentuent l’intensité du conflit pubertaire, mais celui-ci n en est pas moins, en lui-même, physiologiquement et affectivement normal. C’est pourquoi ces conflits de l’adolescence, qu’ils se passent à l’âge physiologique ou plus tard, si l’individu est déjà légèrement névrosé avant la puberté, c’est-à-dire coupable de ses émois sexuels, peuvent déclencher des névroses plus ou moins aiguës. Ces dernières éclosent entre 18 et 25 ans et coïncident avec les premiers essais de relations amoureuses hors de « la maison » et les sentiments de culpabilité qu’ils entraînent.

L’art de l’éducateur et du médecin, c’est de conduire l’enfant à l’épanouissement euphorique de toutes celles de ses possibilités affectives et physiologiques naturelles qui sont compatibles avec les exigences physiques et psychiques de son milieu social. Ce n’est pas en isolant l’enfant pour lui éviter le risque des maladies, qu’on y arrivera, c’est en l’armant contre elles. De même pour la santé morale on ne sera d’aucun secours à l’enfant si on lui évite les risques de la vie. Il doit accepter la souffrance inévitable, l’angoisse humaine qu’entraîneront les interdictions que la société dresse face à ses pulsions libidinales désordonnées. On l’aidera si on lui permet le désintérêt libre et spontané des plaisirs défendus ou peu en faveur dans le milieu où il est appelé à vivre. Ce désintérêt s’obtient non par la rigueur, mais grâce aux larges compensations libidinales et sentimentales que la soumission apporte à l enjant en échange des restrictions acceptées.

L’adulte ne doit jamais oublier que la richesse libidinale d’un enfant peut être égale, mais aussi supérieure ou inférieure à la sienne propre, que la personnalité qui existe en puissance chez l’enfant peut être très différente de la sienne, et il ne devra jamais comparer la personnalité d’un enfant à une autre, sinon au strict point de vue de la réussite pratique, de la santé, et du bonheur subjectif d’une bonne adaptation affective.

Il n’existe pas, et il n’existera sans doute jamais, de moyen humain qui permette d’apprécier la valeur intrinsèque d’un être. Tout adulte, qu’il soit parent, médecin ou éducateur, doit avoir très vif en lui le respect de la liberté individuelle de l’enfant dans toutes les activités légitimes qui le tenteront, et le souci de ne rien ajouter aux restrictions instinctuelles que la bonne intelligence avec son milieu social contemporain exige déjà de l’individu.

Ces restrictions ne sont pas toujours les mêmes, et sont souvent moindres que celles que l’adulte s’impose volontairement par éthique personnelle ou par soumission à des conditions de vie quelquefois pénibles desquelles l’enfant n’est pas responsable, et qu’il ne doit pas s’accoutumer à considérer comme « normales ».

L’enfant peut fort bien aimer et admirer l’éducateur sans être obligé pour cela de le croire infaillible dans tous ses jugements. Du fait même qu’il l’aime et se sent respecté par lui, il se plaira à le respecter à son tour, à lui faire plaisir, et à l’imiter, aussi longtemps que cette attitude s’accordera avec son développement original spontané.

En grandissant, il pourra se permettre le choix d’un mode de vie parfois entièrement différent de celui qu’a choisi l’adulte éducateur. Dans ces divergences de vue, toujours pénibles pour lui, il sera encore soutenu par la certitude que sa réussite et son bonheur dans la voie qu’il a choisie (même si celle-ci doit l’éloigner de l’adulte qui l’a formé), apportent à celui-ci la joie profonde de voir l’œuvre de sa vie menée à bien jusqu’au bout et capable à son tour de fécondité.

Si l’adulte n’est pas névrosé, il possède naturellement vis-à-vis de son enfant cet « art » tout affectif dont nous venons de dire qu’il doit être celui de l’éducateur et du médecin, sans préjudice des connaissances intellectuelles que ceux-ci peuvent y adjoindre. En effet, l’adulte sain psychiquement est au stade génital, oblatif ; il est donc déterminé, pour son propre épanouissement physico-affectif, à consacrer ses énergies libidinales à son œuvre, aux objets de sa « vocation », à son enfant. Savoir ce dernier heureux lui donne la joie de vivre et la possibilité de vieillir sans amertume.

Si nous sommes arrivés à parler d’éducation, c’est que l’éducation est au comportement pratique de l’individu ce que la prophylaxie des maladies est à la santé générale organique. « L’art » qui fait la valeur d’un éducateur, lui est donné en partage dès qu’il est doué de bon sens naturel ; et un médecin ne peut y rester étranger.

Quels que soient les défauts et les qualités d’un adulte, il peut avoir une attitude affective objective de sympathie humaine faite d’estime et de respect pour ses semblables, qu’il les approuve personnellement ou non en son for intérieur. C’est cette attitude qui est la seule valable pour le médecin à qui l’on amène un enfant qui présente des troubles du comportement, ou des troubles organiques, ou les deux réunis.

C’est alors qu’il pourra, à condition de posséder aussi des connaissances scientifiques, faire un diagnostic, et tenter un pronostic. Mais son rôle commence seulement. Il doit encore soigner, c’est-à-dire apporter un concours matériel ou moral, ouïes deux réunis, pour aider le malade à guérir en stimulant ses mécanismes de défense naturels, afin de surmonter heureusement ou réparer (avec le minimum de perte de substance, disent les chirurgiens) les troubles fonctionnels ou les dégâts lésionnels pour lesquels le malade vient le consulter.

C’est pourquoi, tous ceux qui s’occupent des troubles du comportement, de troubles fonctionnels organiques, les éducateurs, les « médecins » au vrai sens du terme, doivent avoir des notions sur le rôle de la vie libidinale et savoir que l’éducation de la sexualité est le levain de l’adaptation de l’individu à la société.

3. Importance de l’époque phallique dans la pathogénie des névrosés

Aux premières époques de la sexualité, orale, anale, les adultes n’exigent pas la suppression totale des satisfactions hédoniques.

Si la mère ou l’éducatrice n’est pas névrosée, elle ne vise à obtenir que progressivement la relative régularité nécessaire à la fois à la bonne santé de l’enfant et aux commodités de la vie, l’obligation sans raideur de manger proprement, la discipline des fonctions digestives excrémentielles, sans qu’elle soit ni absolue, ni obsédante. L’éducation sphinctérienne imposée avec une rigueur inflexible est le fait d’une éducation névrotique, c’est-à-dire qui va à l’encontre du but qu’on se propose : désintéresser le Moi de la pulsion pour que les affects qui y sont liés puissent être utilisés à des fins substitutives d’intérêt social. Or, si le fonctionnement intestinal devient un souci, c’est pour l’économie inconsciente, la même chose que si l’érotisme anal régnait en maître en l’absence de répression culturelle, mais ce n’est pas du tout la même chose pour l’ensemble de la personnalité et son adaptation pratique. L’individu n’a plus la permission du plaisir qui est condamné ; mais il n’est pas pour cela libéré des préoccupations anales. Au contraire, la constipation ou la diarrhée deviennent le fait important de la journée ; une grande quantité de libido est utilisée au refoulement de la pulsion sexuelle, elle-même investie d’une quantité égale de libido. La libido ainsi bloquée dans l’inconscient n’est plus disponible pour investir les activités sociales pratiques du Moi, ni pour investir la zone érogène phallique qui doit chronologiquement succéder à la zone anale dans la primauté de l’hédonisme.

Aux époques orale et anale, l’enfant trouve, par l’acceptation du renoncement partiel à la satisfaction de ses pulsions instinctuelles, un moyen de conquérir l’amitié des adultes, sans être pour cela obligé de réprimer complètement l’intérêt pour ses fonctions digestives, indispensables qu’elles sont à la vie organique. De plus, ce qui subit le refoulement dans l’intérêt affectif qu’il porte à ses excréments, sert à investir d’autres objets d’aimance. La mère, d’abord, en est la première bénéficiaire, puisque l’enfant apprend à lui donner des cadeaux ; puis de nouveaux objets, chaque jour plus nombreux, sont accueillis dans le monde affectif de l’enfant.

La libido, colorée de sadisme et de masochisme, détournée de son but érotique primitif, peut alors être mise au service de la musculature et de l’intelligence, physiologiquement aptes à utiliser séparément ou simultanément l’agressivité et la passivité dans aes activités pragmatiques. Des acquisitions culturelles et des expériences personnelles qui enseignent au sujet les limites et les règles imposées par le monde extérieur à ses pulsions individuelles, servent ainsi à créer le noyau conscient d’une personnalité : le Moi de l’enfant manifeste ses libres initiatives dans tout ce qui n’est pas visé par les interdictions de l’adulte éducateur ; il se heurte à ces interdictions de la même façon qu’il se heurte aux lois physiques du monde extérieur. Ces heurts inévitables donnent naissance à une souffrance qu’on nomme angoisse primaire. L’énergie libidinale réprimée, détournée de ses fins hédoniques orales et anales, servira à renforcer l’adhésion aux traductions permises, qui seront ainsi des moyens de défense du Moi contre l’angoisse primaire, en même temps que des satisfactions nar-' :s moyens favorisant le développement

images5

Si l’éducateur n’est pas névrosé et qu’il a atteint le stade génital de son propre développement sexuel, si, d’autre part, Penfant est somatiquement normal, il n’y a pas d’accidents « névrotiques » graves dans l’adaptation de 1 enfant à la vie sociale. Ses mécanismes de défense se montrent adéquats. Ils se font dans le sens du déplacement des affects sur des objets d’intérêt culturellement importants. Ils donnent lieu à des attitudes réactionnelles à forme de traits de caractère et de sublimations en accord avec le milieu social ambiant, avec l’éducateur ou le milieu familial, qui sont eux-mêmes en accord avec ce milieu ambiant. C’est ce qu’on appelle des réactions « normales ».

Les résultats des frustrations du sevrage et de la discipline sphinc-térienne sont donc :d’une part, de former chez l’enfant éauqué normalement une ébauche de personnalité différenciée, dont les intérêts et les sublimations sont déjà appréciables ; — d’autre part, de stimuler l’évolution sexuelle vers la primauté de la zone érogène phallique, qui est peu à peu investie au fur et à mesure que les poussées libidinales nouvelles ne trouvent plus d’issue vers les zones orales et anales désinves-ties d’intérêt sexuel.

A l'époque phallique, un fait nouveau survient, qui donne aux frustrations érotiques non compensées leur valeur de traumatismes psycho-physiologiques mutilateurs. C’est l’impossibilité pour l’enfant de déplacer (sans régression) sur une autre zone érogène, l’investissement libidinal dévolu au phallus, élevé au rang de zone érogène élective. Si, pour la fille, le déplacement peut et doit se faire du clitoris vers le vaçin, la proximité anatomique de ces deux zones fait qu une interdiction visant la masturbation clitoridienne sera souvent valable (d’ailleurs il en est bien ainsi dans l’intention de l’adulte réprobateur) pour la masturbation vaginale.

Pour le garçon, comme pour la fille, la zone génitale devient le centre de l’intérêt sexuel qui n’est pas pour cela entièrement détaché de ses anciennes fixations érotiques (gourmandises, plaisanteries scatologiques, sexualités tactile, auditive, olfactive, hédonisme musculaire, l’adresse, la danse, les sports, les agressions ludiques de mordre, de griffer, de battre, etc.).

L’aboutissement de la sexualité infantile à la primauté de la zone génitale est physiologiquement primordiale. Le respect de son évolution naturelle est culturellement nécessaire à l’adaptation normale de l’enfant à la vie sociale ultérieure, qui demande l’épanouissement physiologique et sentimental de l’individu, c’est-à-dire son épanouissement libidinal. Malheureusement, il arrive trop souvent que l’adulte, ignorant ou névrosé, sape, chez l’enfant, dans ses premières manifestations, l’investissement d’intérêt érotico-affectif pour la sphère génitale. Cet intérêt est pourtant la preuve d’une évolution instinctuelle naturelle en rapport avec le développement biologique de l’être humain. Interdire à l’enfant la masturbation et les curiosités sexuelles spontanées, c’est l’obliger à prêter une attention inutile à des activités et des sentiments qui sont normalement, avant la puberté, inconscients ou préconscients. C’est une évidence morale, (et même un lieu commun théologique, preuve en est la notion « d’âge de raison ») que certains comportements n’ont pas la même signification pour l’adulte et pour le jeune enfant. Une prise de conscience prématurée dans une atmosphère de culpabilité est grandement préjudiciable au développement de l’enfant, car elle prive du droit à utiliser autrement, sur le plan génital, la libido inconsciemment enclose dans ces activités spontanées. L’enfant psychiquement sain arrivé au stade phallique possède la maîtrise de ses besoins, est adroit de son corps et habile de ses mains, il parle bien, écoute et observe beaucoup, aime imiter ce qu’il voit faire, pose des questions, attend des réponses justes à défaut desquelles il fabule des explications magiques.

4. Les interdictions courantes faites à la masturbation

De quels moyens se sert l’adulte, quand il surprend chez l’enfant le ^este « horrible » qui le choque personnellement ?

Il y a d abord la simple interdiction sans explication. Si elle n’était accompagnée d’un ton réprobateur et qu’elle ne vînt de l’adulte préféré, ce serait la moins traumatisante. En effet, comme de toutes les interdictions qu’on fait à l’enfant, il n’en tient compte qu’en présence des « grandes personnes », ou bien lorsqu’il s’aperçoit par lui-même du risque véritable et rationnel que sa désobéissance lui fait encourir. Or, comme ce « véritable danger » ne se montrera jamais en ce qui concerne la masturbation, il pourra satisfaire aux exigences de la société qui, en effet, cela c’est la réalité, ne tolère pas que la masturbation soit publique, mais ne l’interdit à personne dans le privé.

Non seulement l’adulte blâme la masturbation, mais il est rare que l’adulte ne juitifie point son interdiction, car l’enfant innocemment lui en demande la raison. L’embarras commence ici pour l’adulte qui répond généralement : « Ce n’eSt pas beau », ou « ce n’est pas propre », sans se rendre compte que ces explications peuvent creuser un fossé entre lui et 1 enfant, qui, jusqu’alors, lui avait accordé toute sa confiance. Si, par malheur, l’enfant admet et fait siens ces faux jugements de valeur, son « bon sens » en est définitivement altéré ; nous reviendrons plus loin sur ce point.

Quand l’adulte fait intervenir des moyens d’intimidation, il parle selon son propre « Sur-Moi » et pas du tout selon la morale rationnelle, c’est-à-dire conforme aux exigences sociales réelles de son milieu. C’est pourquoi une mère ou une éducatrice névrosée (frigide par exemple) est profondément néfaste à la première éducation d’un enfant, alors même que l’enfant oublie totalement cette première éducatrice.

« Alors, dira-t-on, vous êtes de ceux qui laisseraient l’enfant à l’état inculte sous prétexte de ne lut faire aucune peine ! »

Non, point du tout, mais il y a la manière de demander les renoncements instinctuels, et cette manière dépend de la personnalité profonde de l’éducatrice. Elle peut aider l’enfant à se développer heureusement, ou au contraire, sous prétexte d’éducation, entraver son évolution.

En fait, il est rare que l’enfant ne réitère pas le geste condamné, si « laid » et « sale » qu’on essaie de le lui faire considérer. E’adulte recourt alors à des moyens de coercition ou d’intimidation.

—    Il y a tout d’abord la série des punitions corporelles déjà en usage pour l’éducation précédente, les gifles, les coups, le martinet, les privations alimentaires, etc.

—    Dans certains milieux raffinés, où l’on ne se permet pas de frapper l’enfant, les mères croient être plus douces — alors que c’est la plus sadique des punitions corporelles — en attachant les mains de l’enfant lorsqu’il est couché. Point n’est question pour lui d’oublier sa triste condition de victime. La moindre velléité de bouger sans aucune intention mas-turbatoire, lui rappelle par association le plaisir interdit. Toute son activité manuelle en est condamnée. On imagine sans peine les sentiments de révolte que cette immobilité forcée peut provoquer, chez un être doué d’une forte agressivité naturelle, ou la perversion masochiste qui prend valeur initiatique chez celui qui la supporte sans révolte.

—    U y a, suivant l’âge de l’enfant, la menace magique de le livrer à « l’homme noir », au « croquemitaine », au « gendarme », jusqu’à celle de le livrer aux mains castratrices du « docteur » qui « l’opérera », ou comme on dit plus catégoriquement « la lui coupera » (ceci, dit de la main coupable ou de l’organe sexuel).

—    Les menaces de maladies mutilantes localement (le pénis se rongera ou tombera, la main coupable se desséchera ou se paralysera), de maladies amoindrissantes (fatigue, tuberculose, idiotie, folie), voire de maladies mortelles ou de mort.

Trouvant à leur enfant les yeux « cernés », certaines mères en incriminent la masturbation, et bien qu’elles n’aient jamais pris l’enfant sur le fait, elles le sermonnent. Comme il n’est pas d’enfant qui ne se soit au moins une fois « touché » (qu’il soit ou non coutumier du fait), l’enfant est frappé à l’idée que « ça se voit sur la figure », angoissé par les suites graves prophétisées, il est alors traqué par les menaces cas-tratrices jusque dans sa solitude.

— Ajoutons le châtiment divin encouru pour cette faute grave, dont il faut s’accuser en confession. Malheureusement le prêtre sort parfois névrotiquement de son rôle, et au lieu de donner le pardon apaisant pour la conscience angoissée de l’enfant, gronde et joue — vis-à-vis du garçon — le substitut lui-même châtré du père castrateur15.

Derrière toutes ces explications destinées à appuyer l’interdiction de la masturbation, il y a, formulée ou implicite, la notion de peine, de chagrin profond que l’enfant fait à l’adulte, et cela est nouveau. L’éducation à la propreté et l’éducation générale n’avaient jusqu’alors provoqué chez l’adulte que des interdictions proférées sur un ton violent, fâché, las, excédé, méprisant, mais jamais encore il n’y avait cet appoint de gêne intime, qui accompagne le ton réprobateur de l’adulte, quand il parle à l’enfant de questions touchant l’éducation sexuelle génitale.

D’ailleurs, la sévérité vis-à-vis de la masturbation infantile est le fait de ceux qui ont un Sur-Moi archaïque, de stade anal et qui, encore farouchement appliqués à refouler pour eux-mêmes l’hédonisme excrémentiel, refusent d’en connaître aucun autre. Ils disent vrai « pour eux » quand ils trouvent la masturbation laide ou sale, alors qu’un Sur-Moi génital ne la juge qu’imparfaite et insatisfaisante. Cela explique pourquoi les femmes frigides sont la plupart du temps des constipées opiniâtres et pourquoi, dans la santé de leurs enfants, leur intérêt est centré sur le fonctionnement intestinal1.

Quant aux croyances aux dangers de la masturbation, à la maladie, à la folie, à l'imbécillité, voire au ramollissement de la moelle épinière (sic), elles sont si répandues dans certains milieux qu il faut bien croire que ces « bruits » ont été lancés

f>ar des médecins peu sensés, auteurs de livres néfastes, dans esquels, sans doute, ils écrivaient en noir sur blanc ce qu’ils voulaient rendre plus impressionnant pour eux-mêmes, sadiques et obsédés de masturbation qu’ils étaient.

La vérité, c’est que la masturbation normale, loin de fatiguer l’enfant, apaise la tension libidinale phallique qu’il ressent et dont les érections font preuve. Elle apporte à l’enfant une détente physio-affective qui n’atteint pas en intensité l’orgasme de l’adulte puisqu’il n’y a pas d’éjacula-tion, mais qui est un apaisement psychique et physique, tant

3u’à ses fantasmes masturbatoires il ne se mêle point l’idée ’une désobéissance coupable ou d’un danger menaçant.

Comme nous l’avons dit, ce qui importe, à la phase phallique de 3 à 5 ans (comme d’ailleurs à bien d’autres époques), ce ne sont pas tant les manifestations extérieures de la sexualité que le mode de relation objectale dont elles témoignent. Ce qui importe, c’est la façon dont le sujet se conduit vis-à-vis de son objet électif, d’intérêt affectif celui qu’il investit de sa libido et sur lequel il dirige ses émois, ses pensées et ses fantasmes à fins érotiques et sentimentales.

C’est pourquoi, à l’époque œdipienne, le respect de la masturbation est capital : c’est pourquoi sa suppression imposée avant que l’enfant n’ait fait intérieurement le travail affectif personnel et inconscient du renoncement aux objets incestueux, entrave son adaptation ultérieure plus ou moins totalement.

i. Il m’est arrivé déjà trois fois de rencontrer des mères qui ne tolèrent pour leurs garçons, jusqu’à un âge avancé, que des culottes à pont, parce que « c’est plus convenable ». Toutes les trois cousaient la braguette à la machine, quand elles étaient obligées, faute de temps, d’acheter en confection au lieu de faire elles-mêmes les culottes de leur fils. (Ces femmes m’ont avoué qu’elle » étaient frigides.)

C’est pourquoi les menaces de mutilations sexuelles plus ou moins explicites que les adultes prononcent en présence de la masturbation ae la seconde enfance, autant chez le garçon que chez la fille, ont une si grande importance.

Le seul argument valable qu’il soit rationnel d’employer, c’est la pudeur, si l’enfant se masturbe trop ostensiblement en public, ce qui est assez rare.

Le mieux est de ne point prendre garde à la masturbation ; le plus souvent fugace, elle cessera d’elle-même. Et si l’on juge nécessaire d’intervenir, ce ne peut être qu’en particulier, afin de ne point blesser l’amour-propre de l’enfant ; et ce doit être sur le ton naturel qu’on mettrait dans une remarque banale, à propos de l’habillement ou de la toilette, par exemple, en faisant appel à la notion de pudeur, c’est-à-aire de ce que chacun est admis de faire dans le privé, aussi bien les grandes personnes que les enfants. Et cet argument suffit toujours dans le cas dont nous avons eu l’expérience, à supprimer sans danger pour l’enfant la tendance à se masturber en public.

Que la masturbation soit ostensible ou cachée, ce qui importe c’est que l’adulte ne s’y oppose, ni totalement, ni au nom de principes faux, pour que soit preservê l’avenir affectif de l’enfant. Celui-ci doit pouvoir pratiquer la masturbation quand le besoin s’en fait sentir, sans qu’intervienne, venue ou monde extérieur, et jamais nécessaire à l’éducation, la notion de culpabilité ou de danger. Cette parfaite liberté intime laissée à l’enfant préservera sa liberté affective, c’est-à-dire le libre jeu de ses sentiments tendres ou hostiles, ses fantasmes conquérants, belliqueux, séducteurs, par lesquels la fille ou le garçon motive tout ce qu’il « fait », d’une façon directe ou indirecte, pour la conquête passive et active de ses objets d’aimance.

Nous avons dit que cette activité sexuelle incomplète subissait, vers 7 ans, normalement et pour des causes endogènes (organiques et affectives), un retrait naturel. C’est la période prépubertaire de sommeil plus ou moins complet de l’éro-tisme génital. Le respect de cette évolution normale est la seule attitude favorable que puisse avoir l’éducateur.