III. Le complexe d'Œdipe

Dans les cas normaux, l'enfant de 3 ans n’a donc, comme nous le voyons, plus rien d’un petit sauvage ; il est déjà « policé », il a déjà un caractère, des habitudes, des occupations favorites, un mode de penser et de nombreuses possibilités affectives qui sont canalisées dans des relations sociales avec l’entourage et souvent, dans la plus heureuse des éventualités, avec quelques enfants de son âge, filles et garçons. Sa libido est aonc déjà bien employée.

La manière dont l’adulte a répondu à ses exigences aiman-cielles et a su réagir par l’affection tendre justement mesurée, les réprimandes et les compliments à bon escient, lui ont apporté des satisfactions affectives qui dans les cas « normaux » sont des compensations suffisantes aux renoncements qu’on lui a demandés et qu’il a acceptés.

La facilité avec laquelle il s’est détaché de la zone érogène anale vient de ce qu’il a pu découvrir le plaisir dévolu à l’excitation phallique (pénis ou clitoris).

Bref, ce n est plus un « pervers instinctif », c’est-à-dire un Ça avide d’assouvissements hédoniques désordonnés et immédiats ; il possède un Moi. Son sens moral personnel n’existe pas encore, cependant le besoin qu’il a de la société des autres le conduit à se comporter déjà intuitivement selon les règles morales de son entourage. Les moments où il se livrera à la masturbation seront, d’une part ceux où il « s’ennuiera », où il n’aura rien de plus ou d’aussi attrayant à faire (dans son lit, quand il ne dort pas et qu’il doit rester « sage »), c’est-à-dire les moments où son imagination marche à vide, si l’on peut dire, sans trouver de support ludique à la détente physiologique sexuelle (au large sens du mot) que la pulsion libidinale demande ; surtout s’il est en état physiologique d’excitation (érection de la verge, tension du clitoris). C est dire que chez un enfani normal, en bonne santé, la masturbation ne sera guère publique, ni fréquente, et que, telle elle sera, l’adulte devra s’en désintéresser complètement. Ce besoin sera d’autant moins impérieux que la mère saura stimuler son enfant dans la conquête de toutes les activités utiles et ludiques dont il est capable. Le choix se fera surtout vers les activités que servent l’adresse, l’activité musculaire et intellectuelle de l’enfant, à l’imitation des filles et des garçons plus âgés que lui.

Il en découle que, chez un enfant qu’on surprend fréquemment en train de se masturber, il s’agit, dans le cas où il est « normal », d’un enfant de caractère exceptionnellement doué et qu’on devrait initier à des occupations supérieures en force ou en niveau mental à celles réservées aux enfants de son âge. Mais beaucoup plus habituellement, il s’agit d’un enfant déjà névrosé, dont la masturbation est devenue un besoin obsédant. Cet enfant est à soigner et non à gronder. Des moyens d’intimidation, visant à interdire la masturbation — au cas où il y obéit — inhiberont son développement (peu à peu, il prendra l’air « abruti »), et, s’il n’y obéit pas, ils en feront un instable, un coléreux, indiscipliné, révolté. Ni l’une ni l’autre de ces éventualités ne sont, croyons-nous, le résultat que cherche l’adulte ; c’est pourtant malheureusement ce qu’il obtient, et qu’il a, sans le savoir, tout fait pour obtenir.

Nous avons parlé de la question des interdictions habituelles de la masturbation. Nous les appelons « castratrices » parce qu’elles visent à la suppression de l’activité génitale de l’enfant. Inversement, bien des interventions apparemment anodines de la part des adultes, visant à interdire certains modes de comportement spontané de l’enfant et caractéristiques de sa sexualité normale, auront également la valeur d’interdictions « castratrices » ; exemple : la curiosité chez l’enfant des deux sexes, l’instinct batailleur chez le garçon et la coquetterie chez la fille, simplement parce que ces interdictions auront touché à des éléments lourdement chargés de valeur affective libidinale.

Toute intervention des adultes tendant non seulement à supprimer totalement la masturbation, mais encore à s’immiscer inutilement dans les imaginations des enfants et leurs projets fabuleux (qui masquent toujours des fantasmes sexuels), pour les passer au crible de la raison, devra prendre le nom d intervention castratrice. Elle ne pourra qu’augmenter l’angoisse inévitable et normale de l’indiviau dans ce moment naturellement difficile de son développement.

Admettons pour plus de simplicité dans l’exposé que, contrairement à l’usage assez répandu, il n’est pas fait de remarque à l’enfant sur son activité masturbatoire, soit que l’adulte y reste indifférent, soit qu’il ne s’en aperçoive pas.

Nous allons voir que point n’est besoin de l’intervention des adultes pour que l’enfant souffre d’une angoisse de castration, vis-à-vis de laquelle il doit apprendre à se défendre et non, pas encore, à capituler. Cette défense, comme nous le verrons, aura inévitablement pour effet de faire entrer en jeu la rivalité œdipienne, laquelle à son tour déclenchera un complexe de castration.

C’est la lutte contre ces modalités successives de l’angoisse de la castration, que nous allons étudier.

Disons, en aperçu général, que dans les cas les plus heureux l’enfant liquidera le complexe d’Œdipe avant la phase de latence, dans laquelle il pourra ainsi s’engager en pleine santé physique et morale, ce qui lui permettra les meilleures acquisitions culturelles, lesquelles, ensuite, faciliteront d’autant l’épanouissement normal, sentimental et physiologique, de sa puberté, de son adolescence, puis de sa maturité.

Mais très souvent l’enfant n’arrive pas à liquider son Œdipe avant d’entrer en période de latence ; il est alors amené — qu’on nous passe l’expression — à « signer un armistice » avec le complexe de castration, qui, à la puberté, reprendra son rôle castrateur : le sujet pourra encore s’en défaire à ce moment-là, ou jamais plus16.

L’angoisse de castration.

Le malaise que l’enfant éprouve à constater l’absence de pénis chez la mie, le pousse d’abord à scotomiser le témoignage de ses sens. Comme nous l’avons dit, il reste convaincu que la fille en a un plus petit, et qu’il poussera, ou qu’il est caché entre les jambes comme un de nos malades adultes l’avait rêvé à propos d’une femme, ce qui lui avait rappelé son fantasme infantile. Mais l’enfant a beau se rassurer par ces espoirs consolants, le garçon n’en éprouve pas moins la peur que cela ne lui arrive aussi, puisque cela « est possible ».

C’est que, comme on le sait, le mode de pensée à ce stade est sous le signe de la magie. L’enfant cherche, selon sa logique, ou son niveau mental si l’on veut, à expliquer cette loi de la nature qui le heurte consciemment comme étant une anomalie. Cela ne lui semble pas dans l’ordre naturel des choses ; puisqu’il ne s’en était pas aperçu plus tôt, il conclut que « c’est tombé », ou « qu on 1 a coupé », ou que « ça s est perdu ». D’après chacune de ces explications, il construit une histoire, c’est-à-dire un fantasme où les choses sont représentées symboliquement ; les dessins des enfants illustrent ces fantasmes (voir le dessin n° i, p. 173, où l’animal a le nez et la queue coupés ; et cf. le cas de Tote, p. 239).

Michel, un petit malade que j’ai en analyse, me raconta l’histoire suivante (pour m’expliquer le dessin n° 3, p. 175) : « C’est un Monsieur chinois qui a épluché une banane, et qui est content de la banane, et puis ü regarde un arbre, et il jette sa banane parce qu’il croit que c’est une pierre, la dame attrape la banane. » A ma question : « Est-ce que c’est une histoire vraie ? » il me répond, « Ça m’est arrivé. J’avais une pomme pour goûter et puis, j’ai fait pipi contre un arbre, et puis j’ai plus fait attention. J’ai cru que c’était une pierre que j’avais, je l’ai jetée sans faire exprès et après je n’avais plus de pomme pour moi, et je ne savais pas comment c’était arrivé. » Nous voyons comment l’histoire vraie sert de base au fantasme. La pomme, déjà fruit défendu du paradis terrestre, Michel le sait, est remplacée par la banane, symbole phallique, et l’histoire se rapporte à son pipi. La maman de Michel est une de ces mères qui cousent les braguettes, ce qui oblige évidemment Michel à ôter sa culotte pour faire pipi — donc à poser ce qu’il tient par terre, pour se libérer les deux mains — puis il a oublié de ramasser son goûter, probablement par acte manqué névrotique.

Quand l’enfant s’est aperçu que l’absence de pénis ne se rencontre jamais que chez les filles, le premier résultat est de dévaloriser celles-ci.

Mais il n’admet pas pour autant que les femmes et surtout sa mère puissent être dépourvues de pénis. Fille et garçon continuent encore à l’imaginer infiniment supérieure à eux, donc munie d’un grand phallus. En effet, avoir une verge, c’est « être plus fort que les filles » ; or, les adultes, hommes et femmes, sont encore plus forts que les garçons. L’enfant se sent en état d’infériorité en face de l’adulte et il a raison, vu sa condition d’enfant.

Voir le couvre-chef de la dame du dessin n° 3, p. 175.

Cf. l’observation de Claudine, p. 249 : « Elle est celui (sic) qui n’a rien » dans le dessin où « les garçons et les monsieurs ont chacun un grand machin pour regarder la mer ».

Voir le dessin n° 6, p. 178 (d’un garçon énurétique de 11 ans). Ce grand arbre, fantaisie de pure imagination, côtoie dans ce dessin œdipien une exacte observation du « Normandie », qu’il est allé voir ; le symbolisme était si clair que je lui ai posé la question : savait-il que les femmes n’étaient pas faites comme les hommes ? Il l’ignorait, bien qu’il sût que sa sœur et les filles n’étaient pas faites comme les garçons. Mais, quand elles devenaient « des mamans, des dames », il croyait que « ça s’arrangeait ».

Une fois admis le fait, l’enfant se demande « pourquoi ». Il se dit : c’est parce « qu’on les a punies » — toujours prêt qu’il est, à ce stade, à voir des sanctions sur le plan destructeur agressif à cause de son propre sadisme qu’il projette sur les autres. Il est en effet incapable encore de concevoir des êtres sentant et pensant autrement que lui-même.

« Qui les a punies ? », et il se répondra par des histoires connues ou inventées, ou des fantasmes autour d’un fait raconté par l’adulte.

Chez un de mes petits malades, les symboles castrateurs sont tous apparus en dessin. Il y a eu successivement le grand-père avec son rasoir, Mme Fichini, la mauvaise fée de Blanche-Neige, la méchante maman, le père fouettard, l’ogre, le croquemitaine, le sergent de ville, le gendarme, le pape ( !), l’officier avec son sabre, l’homme de la forêt avec son piège, l’homme-poisson, l’homme de la mer, le scaphandrier. Tous ces êtres puissants, magiques, étaient abondamment fournis en chapeaux extraordinaires, en bâtons et grand sac pour engouffrer les enfants.

Dans toutes ces histoires, l’enfant tombe aux mains de ces ogres dévorants, de ces êtres tout-puissants et méchants. Pourquoi punit-on les enfants en leur coupant la « biquette » ou « le robinet » — explication qu’ils se donnent de l’absence de pénis « infligée » aux filles ? Parce qu’ils n’ont pas été sages ou qu’ils ont désobéi. Et la sévérité des adultes envers un enfant bruyant ou agressif dans ses jeux et ses occupations, comme on l’est normalement à cet âge, une sévérité sans fondement logique, augmente inutilement l’angoisse, parce que les grandes personnes sont pour lui ces êtres merveilleux qui, justes, ont toujours raison, et que c’est à leur bon plaisir, semble-t-il, que l’enfant doit d’être fille ou garçon. C’est l’adulte qui fabrique une fille aux dépens d’un être primitivement intact à qui il prélève une partie de son corps qui, sans cette intervention castratrice, serait resté celui d un garçon.

Nous voyons donc que l’angoisse de castration a pour point de départ une interprétation fausse de la réalité ; mais c’est une interprétation à laquelle aucun enfant ne peut échapper, du fait que le danger qu’il invente est motivé par la force magique qu’il prête aux adultes et par son infériorité vraie à leur égard.

Mais cette découverte de la différence des sexes aura pour l’enfant le rôle utile de stimuler son développement. L’enfant refuse la castration dont il se croit menacé, à tort, mais ce refus ne met pas sa sexualité en danger, au contraire.

Uimportant, dans ce conflit, c’est qu’il se passe dans le Moi, conscient. L’enfant est conscient de son malaise, il le refuse sciemment. Il l’interprète comme venant de l’extérieur et sa raison demande à en trouver une cause.

Voilà en quoi consiste 1’ « angoisse » de castration ; elle est à distinguer tout à fait de ce que nous appellerons « complexe » de castration. Le complexe de castration sera un phénomène inconscient17. Nous verrons que contrairement au complexe de castration (phénomène inconscient et lié à l’Œdipe) l’angoisse de castration (phénomène conscient et pré-œdipien) est riche de conséquences heureuses pour la sexualité, dont elle favorise l’épanouissement. Le complexe de castration, au contraire, sera pour l’enfant une source de souffrance, sans autre issue habituelle que l’abandon momentané de ses intérêts sexuels, dans la période de latence. Nous avons vu, cependant, que dans certains cas très heureux, l’enfant peut liquider son Œdipe et le complexe de castration avant la phase de latence.

Lutte contre l’angoisse de castration

Sa conséquence : la naissance du complexe d’œdipe qui déclenche à son tour le complexe de castration

D’après ce que nous avons relaté précédemment, nous pouvons dire que l’angoisse de castration tient à trois facteurs :

La découverte de la différence phallique suivant les sexes.

2° La puissance magique attribuée aux adultes.

Une infériorité générale et vraie devant l’adulte.

Le premier de ces facteurs est le seul immuable, les deux autres peuvent être réduits.

Le second facteur, la puissance maléfique et magique de l’adulte, peut être passé au crible de la raison et dissocié. L’adulte déclaré méchant sera le parent castrateur ; quant à l’autre, l’adulte bon, on cherchera par tous les moyens à provoquer de sa part aide et protection.

Quant au troisième facteur, l’infériorité vraie de l’enfant, celui-ci cherchera à y remédier — soit en la niant consciemment d’une manière catégorique, ce qui subjectivement l’augmente, par la constatadon de la différence entre ce qui est et ce qu on voudrait qui fût — soit en la surmontant par des acquisitions culturelles appréciables. L’avantage de cette dernière attitude est qu’elle confère plus de moyens de séduction pour conquérir l’aide et la protection de l’objet œdipien.

Mais dans cette lutte contre l’angoisse de castration, les attitudes du garçon et de la fille vont être différentes.

Le garçon

Lutte contre l’angoisse de castration. Écueils.

Pour lui, le fait d’être favorisé par la nature18 alors que la « pauvre fille » est dévalorisée, lui rend plus précieux encore son pénis. Le phallus, déjà précédemment investi de libido narcissique, à cause des satisfactions sexuelles que la masturbation apportait, subit un investissement libidinal supplémentaire de l’ordre de la confiance en soi.

Mais comme la sexualité est encore qualitativement sadique, captativo-agressive, les manifestations de triomphe du garçon seront des exagérations des composantes sadiques : jeux bruyants, brutaux à domicile, et, dehors, courses, départ à l’aventure dans les bosquets des environs, recherche de cailloux pour les lancer le plus loin possible (toujours une note agressive et un thème d’aventure), fantasmes belliqueux en jouant au soldat. Dans ses fantasmes, les officiers ont droit de vie ou de mort sur les soldats et les prisonniers.

Cependant l’objet d’amour effectif reste la mère, d’autant plus adorée du garçon qu’il attribue à une faveur spéciale de sa part le fait d’être un garçon. Il veut conquérir son affection tendre et admirative et les moyens dont il dispose sont des moyens agressifs qui, affirmant sa sexualité, doivent selon son optique, rendre sa mère fière de lui — son père aussi secondairement. « Tu avais bien raison de me considérer comme digne d’être un garçon. »

Son infériorité vraie d’enfant lui est moins pénible à supporter lorsque sa mère l’apprécie, et il peut même — grâce à une identification avec son père — se sentir participer de sa puissance magique. Il est un cheval, un lion, un tigre dans ces fantasmes ludiques.

Mais, comme nous l’avons vu, son attachement pour sa mère va aller grandissant, alors que celle-ci se libère de la constante sujétion qui la tenait liée à l’enfant. Sa tendresse, sa bienveillante et maternelle attention continuent cependant à envelopper sentimentalement son fils. Elle stimule en lui la fierté de se faire des amis parmi les petits et les grands, et de se comporter avec eux selon les conventions sociales de son milieu. Elle se montre contente et fière des progrès qu’il réalise dans le domaine de l’endurance physique, des initiatives heureuses, des conquêtes intellectuelles.

Le petit garçon trouve alors, dans le monde extérieur, des objets d’attirance, amitiés, jeux, intérêts auxquels il adhère intellectuellement et affectivement avec enthousiasme. C’est pourquoi, aussi, ses échecs ou ses insatisfactions affectives l’atteignent profondément en intensité.

Toutes ces activités sont animées de la présence de sa mère. De ses relations avec elle dépend la coloration des émois à travers lesquels il prend contact avec de nouveaux objets d’aimance. Cela explique la tristesse des enfants qui sentent leur mère affligée ou fâchée, même quand ils en savent la raison, car ils n’en comprennent pas la valeur affective, et surtout quand la mère, accaparée par ses propres soucis, laisse l’enfant dans la solitude du cœur. Sans que les parents s’en doutent, l’enfant se croit responsable ; la moindre de ses incartades méritant une remontrance prend alors pour lui la valeur d’un crime et son sens moral intime se trouve déformé par des scrupules. Il en est ainsi de sa gaieté par exemple, ou de son indifférence lors d’un deuil qui attriste une famille entière, lorsque lui-même n’avait pas d’aimance captative à l’égard de l’être disparu, ou encore qu’il ne s’était pas identifié à lui. Un chagrin dont il ne partage pas la raison ne peut l’attrister, et pour peu que le disparu lui ait semblé un rival dans l’affection de sa mère, ou un oppresseur, l’enfant ne peut se montrer affecté de sa perte ; au contraire, il se sent libéré d’un grand poids, et il le montre par son comportement. Bien qu’il sache déjà « tricher », c’est-à-dire nier un fait qui lui soit défavorable, l’enfant ne sait pas encore « faire semblant » quand il s’agit d’un fait qui le laisse indifférent. C’est à l’éducation de le lui enseigner, non par malignité hypocrite, mais par respect des sentiments d’autrui. C’est pourquoi des parents soucieux du bien-être de leurs enfants devraient, tout en ne leur cachant pas le fait brut de la mort, respecter l’insouciance qu’ils montrent à son égard, et se réjouir de ce qu’ils n’éprouvent pas encore une douleur qui leur sera bien assez tôt poignante, puisqu’aucun de nous ne peut vivre sans connaître l’abandon intérieur où nous laisse la perte d’un être cher. N’évitons point le contact de la réalité à l’enfant, mais respectons en lui son insensibilité spontanée ou ses moyens de défense naturels quand son attitude ne doit pas entraîner plus tard une souffrance réelle.

Le petit garçon que nous avons laissé confiant en lui, riche de possibilités libidinales intègres, était encore incapable de « jouer avec » d’autres, bien qu’il aimât la compagnie de ses contemporains. Peu à peu il abandonne ses fantasmes et ses jeux solitaires pour des jeux partagés et des histoires qu’il aime à écouter et à raconter. U aime toutes les activités où se mêle le goût du risque, de l’audace, il prend plaisir à se montrer courageux et astucieux.

Il cherche alors la compagnie des autres garçons, de son âge ou plus âgés que lui, et n’aime pas accueillir les petits ni des filles dans le cercle de ses amitiés. Quand les filles veulent se mêler aux jeux des garçons, c’est un tollé : « Non, allez-vous-en les filles » ... « les filles, ça compte pour du beurre », etc. Si un des garçons se montre moins aventureux

3ue les autres, s’il n’aime pas à se targuer de courage, d’en-urance, on le traite de « fille » d’un air méprisant et il devient le souffre-douleur de la bande déchaînée.

Des incidents pénibles pour son amour-propre, des mésaventures (plaies et bosses), des accidents quelquefois, sont la rançon de ses acquisitions viriles. Le garçon les supporte courageusement, fièrement devant papa et les camarades ; heureux de pouvoir pleurer sans honte avec sa mère, qui, sans l’hu-milier, le soigne physiquement tout en minimisant l’importance de l’échec, stimule pour l’avenir son esprit de revanche sur lui-même et sur les autres, en étudiant avec lui les moyens de surmonter les causes de son infériorité.

Le garçon arrive ainsi — naturellement — à maîtriser les vraies difficultés — sans avoir besoin de recourir à la magie des secours imaginaires. « Malin » n’a plus dans son langage le sens péjoratif de « diabolique », mais est au contraire synonyme d’intelligent et de finement rusé pour la bonne cause. Il sublime dans « l’adresse » pragmatique, l’agressivité pulsionnelle brute, grâce à la prévision des conséquences des modalités de son comportement par rapport aux exigences de la réalité. C’est la base du bon sens pratique. Ses exploits, sur le mode ludique symbolique, ou sur le mode culturel, social, scolaire, sont pour lui des détentes euphoriques de ses pulsions sexuelles. Le but hédonique primitif est lui-même sublimé en but sentimental (plaire et faire plaisir). U permet de gagner l’estime des grandes personnes en même temps que sa propre confiance en soi, basée cette fois, non sur des fantasmes de puissance magique, mais sur des valeurs réelles objectives. C’est l’âge chevaleresque.

Ce comportement garçonnier et chevaleresque va entraîner des conséquences affectives importantes. Le garçon va surestimer son pere et il va le jalouser parce que, si celui-ci est normal, il est son rival vis-à-vis de la mère qu’il protège et entretient19. Le garçon va donc essayer de l’emporter sur son père en tâchant de se rendre utile à sa mère par tous les moyens et « apprendre » tout ce qu’il faut pour arriver à faire comme papa, lire, écrire, gagner par ses bonnes notes des sous avec lesquels il achètera un bouquet de fleurs, un cadeau, qu’il rapportera triomphalement à sa mère. Il s’ingéniera à fabriquer de ses mains des objets qui lui feront plaisir. Ainsi se formera l’ébauche de son Sur-Moi, c’est-à-dire, en son for intérieur, de sa « conscience », qui lui indiquera les meilleures choses à faire, celles à éviter, non plus suivant le principe du plaisir direct, mais selon le sens moral qu’il faut avoir, pour être pris en considération par sa mère, pour s’entendre dire par elle « te voilà un vrai petit homme ».

Mais plus le garçon se développe dans le but déclaré de plaire à maman, de devenir comme papa, plus les fantasmes œdipiens deviennent clairs20. Dans ses imaginations, le garçon emmène sa mère en voyage avec lui tout seul, il est au volant de l’auto, il conduit l’avion, il bâtit leur maison, il choisit un métier pour gagner des sous pour elle, elle sera heureuse, ils auront des enfants. Ces fantasmes œdipiens se heurtent constamment à une réalité contraire, l’infériorité d’âge, inexorable. La mère est « à papa ». — « Toi, dit papa, quand tu seras grand, tu auras aussi une femme. » — « Mais c’est maman que je veux. » — « Non, ce n’est pas possible, parce que maman est à moi, et puis elle deviendra vieille comme grand-mère quand toi tu seras assez grand pour devenir un papa. » L’enfant ne peut pas encore admettre la réalité pénible. Puisque maman est à papa, si papa n’était

fjas là, elle ne serait à personne et ils seraient tranquilles tous es deux. D’où les fantasmes belliqueux, agressifs, brutaux, à l’intention de papa, les « on n’a pas besoin de toi, nous deux maman », etc.

Admettons que le père ne se fâche pas et qu’il garde une totale indifférence devant l’attitude et les propos agressifs mythomaniaques de l’enfant.

Eh bien, même dans ce cas, la culpabilité de l’enfant devient croissante, absolument indépendante d’une intervention extérieure : elle n’est due qu’au jonctionnement de l’inconscient.

Car du seul fait que le père est là, adulte qui a des droits sur maman et qu’elle aime, il n’est pas de garçon normal qui

-prouve, sous l’apparence d’un désintérêt affecté, une crainte et une jalousie réelles. Il se dit alors que son père est jaloux (car il projette 21 sur lui ses sentiments), et il se plaint à maman de la sévérité de papa. Gare aux mères qui font le jeu de ces petits Œdipes en blâmant papa de sa sévérité. Elles perdront de leur prestige et elles amorceront des querelles réelles avec le père, qui donneront encore plus de sentiment de culpabilité à l’enfant, car il les a déclenchées (cf. cas de Patrice, p. 202). De plus, en son for intérieur, ce qu’il admire c’est précisément la fermeté et la supériorité de son rival modèle. Si la mère l’attaque et que le père cède à la mère, c’est comme si elle ne permettait à son garçon de devenir « son petit homme » que pour le tenir en tutelle. Les mères qui ne sont pas névrosées et qui laissent à l’homme l’initiative affective, savent bien que si le père est sévère, il n’en aime pas moins son fils. Et si par hasard il ne l’aimait pas ou en était inconsciemment jaloux, ce n’est pas en le lui reprochant qu’elles le feraient changer, au contraire.

Peu à peu une agressivité jalouse va donc se faire jour dans des attitudes manifestement hostiles, des conflits pour tout et rien avec son père, des désobéissances ostensibles destinées à provoquer les réprimandes paternelles, dont l’enfant va se plaindre à sa mère. Cette attitude se retrouve toujours à un moment du développement de tous les garçons.

Si le père est viril, bien portant et sévère, tout en restant juste, le complexe d’Œdipe n’a aucune peine à être tout à fait normal, car l’image du père est « de taille » à supporter l’agressivité inconsciemment violente du garçon, sans donner à celui-ci le besoin de rechercher l’autopunition par sentiment de culpabilité.

Si au contraire le père est un être faible physiquement, trop doux, ou trop sévère, c’est-à-dire moralement faible, il est beaucoup plus difficile au garçon de devenir très viril. Même les succès sur des activités dérivées, légitimes, sont conçues par lui comme des succès coupables, et son Sur-Moi y réagit comme s’ils étaient tels.

Dans une famille normale, où le père est celui qui commande et est lié de tendresse amicale avec la mère, la seule façon d’en sortir pour l’enfant est de renoncer définitivement à l’objet primitif, enjeu de la compétition, et de sublimer les pulsions qui visaient à conquérir sa mère.

C’est au nom de nécessités intérieures que le sujet est contraint d'abandonner la lutte avec son père, ou de sublimer sur d’autres objets la libido primitivement employée dans la fixation affective à la mère. U inceste est libidinalement castrateur. Je vais essayer de le démontrer.

—    En effet, si l’agressivité à l’égard du père arrivait à triompher sur le plan conscient et dans la réalité, le fils ne pourrait plus s’identifier à lui ; or l’enfant a besoin d’investir son père, le possesseur mâle vrai de la mère, de libido passive. Il veut non seulement remplacer, mais imiter son père. Cette double attitude rivale et passive ne s’accorde pratiquement qu’avec une famille « normale », c’est-à-dire sans névrose, où le garçon est autorisé au comportement garçonnier, où les altercations inévitables et nécessaires éclatent avec son père sans interventions maternelles : (« qu’ils se débrouillent entre hommes »). Cela parce que la compétition œdipienne du fils et du père n’est pas réelle par le fait même que la mère a déjà choisi le père. Elle peut alors accorder, sans blâmer le père, des consolations maternelles tendres mais déliées de libido érotique au petit homme qui a besoin d’une affection féminine dans les difficultés de son adaptation sociale. La mère contribuera ainsi à stimuler chez le garçon la formation du Sur-Moi génital vrai. Le garçon renoncera d’autant plus facilement à la rivalité avec son père, qu’il se rendra compte de l'inutilité de son comportement ; l'absence de cette assurance est source d’angoisse. Quoi qu’il fasse, sa mère l’aime en second, sans plus, et lui permet de s’attacher à d’autres objets féminins. Si l’enfant liquide son complexe d’Œdipe, il peut être fier au contraire de tout ce qu’il réussit et qui le fait ressembler à son père, il n’en éprouve plus de sentiment de culpabilité, ce qui favorise l’avènement de sa saine puberté.

—    La compétition du fils avec le père peut alors librement viser à la conquête d’objets de déplacement. Le garçon sublime sa libido génitale, primitivement au service ae la conquête œdipienne, dans les mêmes activités intellectuelles, artistiques, sportives, ou la même carrière que le père, dans l’imitation de son comportement. Il a renoncé aux satisfactions érotiques séductrices, recherche des baisers, des caresses maternelles, des jeux taquins et tendres avec elle, car son infériorité réelle vis-à-vis de l’image paternelle qu’il voudrait égaler réveillerait dans l’inconscient l’angoisse de castration. Mais il peut déplacer sa libido érotique, ses intentions séductrices sur des amies de son père ou des filles qu’il surestime parce qu’elles admirent son père. Ces amitiés amoureuses doivent être platoniques sinon l’angoisse de castration reparaît. La compétition avec le pire ne peut qu’entraîner l’angoisse de castration.

—    Si la compétition œdipienne du fils et du père était réelle, non sublimée, ceci demanderait, d’abord, que le père fût investi d’une forte agressivité consciente. Or ce n’est pas possible dans les familles « normales ». Le fait d’entrer en rivalité réelle avec le père sans que cela s’accompagne d’autopuni-tion, prouve que le fils a trouvé un autre rival œdipien (amant de la mère ou tout autre) auquel il a pu s’identifier, et, d’ailleurs, le triomphe sur son père ne lui accorderait pas

Elus de puissance réelle sur sa mère. Celle-ci ne s’en déro-erait donc pas moins à lui ; et le résultat pratique d’un tel succès apparent serait une culpabilité vis-à-vis du père à cause de l’identification avec son rival vainqueur, sans autre conséquence qu’un accroissement d’angoisse de castration.

—    Admettons que l’agressivité consciente soit possible, et qu’elle triomphe jusqu’à éloigner le père de la mère22. Le sujet ne peut profiter de sa victoire, car il n’a plus moyen de s’identifier au père. Le mécanisme de l’identification au père rival exige en effet que le possesseur mâle de la vraie mère soit un rival heureux. Il y a des garçons qui restent fixés amoureusement à leur mère ; leur comportement est caractérisé par le fait qu’ils ne cherchent à « séduire » activement aucune femme. Si le père est vivant, les deux hommes sont en disputes continuelles, car le fait de n’avoir pu se détacher de sa mère pour aller vers d’autres objets d’amour affectifs et sexuels, prouve que le garçon n’a pas sublimé — dans l’amitié d’égal à égal pour son père — son homosexualité pré-œdipienne. Il est donc inconsciemment déterminé à se « faire battre » par son père dans des altercations qu’il recherche.

Quand le pète n’est plus là et que le garçon se « consacre » à sa mère, ce comportement peut s’accompagner de réelles sublimations sociales, en rapport avec les activités dérivées du refoulement de la sexualité génitale et prégénitale, mais ce garçon ne peut pas se comporter sexuellement et affectivement comme un adulte. Il souffre de sentiments d’infériorité vis-à-vis des hommes qu’il identifie inconsciemment à son père ; il peut être un hypergénital toujours avide de nouvelles partenaires envers lesquelles il n’éprouve aucun attachement réel, mais il se montre impuissant dans les tentatives de coït avec toute femme qu’il aime sentimentalement, car elle est associée dans son inconscient à l’objet incestueux tabou.

La liquidation du complexe d’Œdipe. Écueils

Voilà pourquoi le Sur-Moi, chez le garçon, prend très tôt une grande rigueur23 ; cela est dû à la nécessité, vitale pour la virilité, de refouler les pulsions hétérosexuelles visant à l’éro-tisme phallique dans la « sphère » maternelle.

Mais on ne peut pas encore dire que l’Œdipe est liquidé, si le garçon, renonçant à la fixation érotique à sa mère, conserve le Desoin de rechercher des satisfactions affectives homosexuelles d’ordre passif (séduction du père) ; la moindre de ses activités agressives ou symboliques, associées qu’elles sont aux « choses défendues », s’accompagne alors d’angoisse de castration. Le Sur-Moi parle « comme parlerait le père », auquel le fils est soumis affectivement. Les satisfactions érotiques entraînent de l’angoisse, et la puberté devient dramatique. Le renoncement aux pulsions agressives à l’égard de la mire doit donc s’accompagner du renoncement aux pulsions passives séductrices à l’égard du pire. L’acceptation, pour le garçon, de la supériorité paternelle dans la famille, en même temps que la tension de tous ses efforts pour devenir dans le monde de ses contemporains un « type sympathique » aux autres et leur ins-pircr confiance, signeront ce renoncement. Il sera suivi du désintérêt affectif pour « les choses des grandes personnes », la « chambre » des parents, et de l’intérêt porté à « d’autres » maisons, « d’autres » familles. L’abandon des parents à leur vie d’adultes se fera sans amertume, dans l’attente d’un avenir pour lequel on fait mille projets réalisables, et qu’on prépare par des activités dirigées, scolaires, sociales, ludiques.

Le désintérêt pour les questions sexuelles se fait de soi, sans heurts. L’enfant accepte de ne pas en savoir plus long, et s’il entend d’autres enfants en parler, il écoute et réfléchit sans s’estimer coupable, puis, souvent, il oublie, parce que, dans cette phase de repos érotique qu’est la période de latence, les propos sur les questions sexuelles n’ont plus d’intérêt pour lui. Ceci vient du retrait physiologique de la libido qui caractérise cette période, ou plutôt d’un débit uniforme de courant libidinal, qui trouve entièrement à s’employer dans les activités que le Sur-Moi a mises à sa disposition. Le retrait physiologique de la libido chez l’enfant dure de l’âge de 7-8 ans jusqu’à la puberté.

Si le retrait libidinal physiologique arrive avant que l’enfant n’ait accompli son détachement affectif à l’égard de son père, les acquisitions de la période de latence auront toutes pour objectif de plaire au père, et non de devenir égal à lui, en conquérant sa propre estime et celle des autres. Et le réveil, à la

fmberté, des pulsions agressives libidinales mâles, remettra e garçon dans la situation d’angoisse. C’est l’attitude qualifiée parfois de « complexe de féminité » chez l’homme. Si ce sont les pulsions biologiques normales hétérosexuelles qui, à la puberté, l’emportent sur l’angoisse, il devra alors renoncer à la réussite sur le plan des sublimations de la période de latence, inconsciemment coupables qu’elles sont a l’égard des femmes, puisque l’acquisition de ces sublimations avait eu pour but inconscient d’évincer la mère dans l’attention et l’affection du père. Ou alors, le jeune garçon devra s’interdire toute velléité de développement libidinal dans le sens du comportement rival mâle, aussi bien dans la vie sociale que dans la vie sexuelle, pour, à ce prix, conserver la libre disposition de ses sublimations intellectuelles.

Cette attitude de complexe d'Œdipe tardif « larvé », si on peut dire, est relativement compatible avec la vie sociale dans sa forme actuelle, mais elle s’accompagne d’une assez forte inhibition d’agressivité dans l’inconscient. Elle favorise l’éclosion de névroses au cours de la vie, à l’occasion de faits et de circonstances qui déclenchent une entrée en résonance du complexe de castration encore inconsciemment actif. Telles sont les circonstances où il faut rivaliser normalement avec le père ou des contemporains dans la compétition intellectuelle, culturelle, ou sociale ; c’est la cause inconsciente des angoisses et des échecs aux concours et aux examens, alors que le sujet a les capacités nécessaires pour y être reçu. Si le fils « réussit » dans la vie, pécuniairement parlant, ce ne peut pas être dans les mêmes activités que son père ou dans des activités qu’il approuverait, sinon c’est au prix de sa virilité sexuelle. Le fait de se marier, c’est-à-dire d’afficher socialement la conquête d’une partenaire sexuelle, est aussi source d’angoisse. Et s’il arrive à se marier, il redoute la venue des enfants. Ceux-ci réveillent en lui une telle angoisse qu’il ne peut se comporter « en père » à leur égard. Il est jaloux d’eux. Il veut les « ignorer », sinon les détruire.

Ce comportement est toujours plus ou moins lié au « complexe de féminité » de l’homme, ou plutôt il est empreint d’une attitude inconsciente passive et homosexuelle24, dérivée d’un refoulement de la rivalité œdipienne et non de sa liquidation. Il se rencontre chez des hommes apparemment virils, mais qui dans leur attitude vis-à-vis de leurs enfants, s’ils en ont malgré la pauvreté affective de leur vie génitale hétérosexuelle, se comportent en « possessifs », et non en « oblatifs » ni en « réciprocitaires ». La présence de leurs enfants autour d’eux et sous leur dépendance neutralise leur complexe de castration qui se joue ici sur le mode régressif de la frustration anale. L’éloignement de leurs enfants provoque chez eux l’agressivité, ou une mélancolie accompagnée de sentiments pénibles d’abandon, qui, par projection de leur agressivité vengeresse, peut aller jusqu’au sentiment d’être persécutés par leurs enfants. Ce sont des hommes fortunés qui coupent les vivres à leurs fils, dès qu’ils veulent se créer une situation ailleurs que dans leur orbe. Ce sont encore les pères qui discréditent leurs enfants, leur déniant toute valeur personnelle et toute possibilité de se « débrouiller » sans eux dans la vie. Ces idées étant nécessaires pour neutraliser leur angoisse. En effet, si ces idées étaient rationnelles, et non au service d’un mobile inconscient, la réussite de leurs fils, malgré les obstacles qu’ils essaient souvent de leur opposer eux-mêmes, les rassurerait définitivement, et calmerait leur angoisse. Au contraire, ils paraissent s’estimer directement frustrés, et réagissent comme si la réussite de leurs fils réveillait les sentiments d’envie et d’infériorité contemporaine du complexe de castration. En fait, c’est bien une castration sur le mode anal, une frustration d’objets qui leur appartenaient, et qu’ils avaient investis d’une libido au service de l’aimance ego-possessive du stade archaïque anal, encore en activité dans leur inconscient. Si leurs filles les quittent, ils sont moins profondément atteints, et réagissent par une acceptation désabusée, que compensent assez les qualificatifs agressifs pour ceux qu elles ont suivis.

Uattitude d’homosexualité subliméex, et non refoulée, est l’attitude d’égal sexuel et social à l’égard des individus (parents ou autres) du même sexe que soi. Cela implique / amitié réelle pour les deux parents, basée sur une estime objective, la tendresse s’ils y répondent, en tout cas la même sympathie a priori, vis-à-vis d’eux que vis-à-vis des autres. Cette attitude n’est possible (du point de vue détermination inconsciente), que lorsque le fils a abandonné inconsciemment la poursuite de sa mère comme objet de conquête sur le mode agressif, et de son père comme objet de conquête sur le mode de la séduction passive. Il se permet, en son for intérieur, de n’être pas de l’avis de son père, sans que cela nécessite qu’il cherche à s’en faire punir en affichant inutilement des idées subversives. Il se sent intérieurement libre. Et surtout, il déplace l’intérêt exclusif accordé à son père ou aux hommes de sa famille sur d’autres hommes et garçons, soit qu’en rival il tente de les « battre » — succès scolaires, sportifs, bagarres — soit qu’en disciple il les admire objectivement, en se permettant de les juger.

Il en découle que, vis-à-vis du père, l’infériorité du fils est alors admise tout naturellement, dans ce qu’elle a de réel, exactement comme pour n’importe quel individu, et sans qu’il y ait réveil de rivalité agressive sadique, de sentiments cuisants d’infériorité, de refus de l’admirer si objectivement il le mérite — au contraire.

Au moment de son complexe d’Œdipe, à 6 ans, le garçon est réellement inférieur à son père en force et en moyens de conquêtes ; il doit donc 1 admettre et abandonner, et non pas différer, la lutte pour l’objet d’amour maternel ; c’est-à-aire sublimer son complexe d’Œdipe. Les garçons qui ne liquident pas leur complexe d’Œdipe n’arrivent pas à juger leur père tel qu’il est, avec ses défauts et ses qualités, tout en l’aimant, sans réveiller l’angoisse du Sur-Moi castrateur.

Il est évident que l’enfant, au moment de son entrée en période de latence, ne peut pas posséder une attitude totalement objective, mais il peut avoir abandonné tous sentiments d’injériorité non jondès et toute agressivité pour ses parents. Accepter son infériorité vraie, en ce qu’elle a d’irrémédiable, en luttant pour vaincre toute infériorité dont il puisse, à son âge, triompher ; vivre pour les autres, et, pour soi-même, préparer l’avenir, c’est la seule attitude compatible avec l’avènement d’un mode d’aimance génito-oblatif de la sexualité, chez l’homme comme chez la femme.

Cette liquidation complète du conflit œdipien, qui libère la sexualité du garçon jusque dans l’inconscient, s’accompagne d’un détachement. Ce n’est ni une protestation consciente contre l’un des parents, ou contre les deux, ni une destruction (« brûler ce qu’on a adoré »), c’est aller plus loin dans son développement avec les mêmes énergies libidinales qui ont servi à investir les objets qu’on abandonne, c’est donc « faire son deuil », accepter la mort intérieure d’un passé révolu au nom d’un présent aussi riche que lui, sinon plus, en satisfactions libidinales, et d’un avenir plein de promesses.

Cliniquement, cette liquidation du complexe d’Œdipe se traduit par un comportement social, familial, scolaire et ludique, caractéristique d’une bonne adaptation, par un état « nerveux » normal, sans instabilité, sans angoisses, sans cauchemars ni terreurs nocturnes, et par la disparition complète de toute curiosité, préoccupation et activité sexuelles solitaires. La vie affective du garçon se passe surtout en dehors de la famille. Il n’y a pas de conflits marqués avec le père ni avec la mère.

Le comportement social est marqué par les nombreux investissements — camarades, professeurs — sur qui sont déplacées les pulsions ambivalentes, agressives et passives, précédemment accordées au père — filles, sœurs ae camarades, vis-à-vis desquelles il est heureux de se comporter en petit champion qui se fait admirer.

Les jeux sont désormais collectifs, et si l’enfant s’occupe seul, c’est dans des activités pragmatiques objectives, constructions difficiles, ou dans la lecture d’histoires vraies. Parmi les jeux collectifs, prédominent les jeux à règles compliquées : jeux de guerre où il est toujours galonné, plein d’autorité belliqueuse, avec le droit de vie ou de mort sur ses subordonnés, et sur les prisonniers du camp ennemi ; jeux du gendarme et des voleurs, jeux brutaux, bruyants, et si c’est en plein air, il y a toujours dans les règles au jeu de la course, de la poursuite, de la recherche aventureuse. Les règles comportent des « statuts », l’attribution de grades administratifs, des sanctions pénales. Les filles sont admises à ces jeux, mais toujours pour « doubler » un garçon ; ils se mettent en camp. Des amitiés mixtes s’amorcent et « les filles » sont là pour garder les buts, pour faire le guet, pour jouer l’infirmière. Il traite de lâches ceux qui les attaquent, etc., tandis que lui s’amuse à les intimider, les terroriser puis à les consoler, et à les protéger, à leur donner des bonbons, bref à user de son pouvoir séducteur et conquérant sur le mode d’aimance encore chevaleresque et jaloux, coloré de sadisme infantile jusqu’à la puberté, qui marquera l’avènement de la recherche de relations affectueuses réciproques entre le garçon et les filles.

Le poids de la castration chez le garçon

Nous avons vu comment se comporte devant l’angoisse de castration un garçon chez qui les mécanismes de défense sont respectés.

Nous avons vu au chapitre précédent les interdictions habituelles qu’on fait à la masturbation. Mais disons qu’une réprobation simple de l’onanisme excessif, c’est-à-dire de la sensualité sexuelle, qui ne s’accompagne pas de menaces magiques ou qui n’est pas proférée par 1 adulte aimé (la mère) n’est pas tellement traumatisante. (Peu d’enfants y échappent, les domestiques, les autres enfants se chargent, « à défaut » de la mère, de prévenir l’enfant.)

La véritable mire « castratrice » est celle qui s’oppose en quelque façon à l’affirmation extérieure corporelle ae ce qui caractérise un garçon (culottes à braguette, cheveux courts, sobriété du goût dans son habillement), et en même temps aux manifestations affectives et ludiques qui caractérisent le comportement d’un garçon (audace, force, rudesse affectée, orgueil de son sexe, fierté de réussir des entreprises intellectuelles ou musculaires nouvelles, comportant un certain risque).

Si la mère condamne ou déprécie les activités caractéristiques mâles, par « peur qu’il ne se fasse mal », si elle lui donne constamment en exemple un enfant plus jeune ou plus

Passif : « regarde comme il est sage », si elle soupire de voir enfant grandir : « tu n’es plus mon petit », ou regrette qu’il ne soit pas la fille qu’on avait souhaitée dès avant sa naissance, tout cela venant de la mère, le personnage le plus important de tout son entourage, équivaut pour le garçon à le rendre fautif de la moindre de ses activités dérivées de sa sexualité phallique. C’est implicitement lui dire, alors même que l’interdiction de la masturbation n’a jamais été formulée :

« Je t’aimerais si tu n’avais pas de virilité visible. »

Pour plaire à sa mère, le garçon tente de soumettre sa libido à cette mutilation, le résultat en est une suractivation de son angoisse de castration, puisque le deuxième facteur dont elle dépend25 subit un renforcement.

En un mot, tout ce qui gêne l’enfant dans ses mécanismes naturels de défense contre l’angoisse de castration entraîne des réactions affectives nocives, antisociales, manifestes ou non, caractérisées par le refus de l’effort et de la soumission aux règles communes. Dans la sphère érotique, on assiste à des déplacements régressifs de la libido sur les zones éro-gènes de stades révolus. Il y aura énurésie, appétit capricieux, gloutonnerie dans les meilleures éventualités ; ou, si cette régression érotique inconsciente entraîne la sévérité de l’adulte, des troubles gastro-intestinaux, des tics, qui obligent l’adulte à prendre l’enfant en pitié, à le soigner. La fin justifie les moyens. Le moyen (maladie), désagréable, justifie la fin : « posséder » l’adulte, capter son attention apitoyée, à défaut de son estime admirative. Ce sont des réactions masochiques, pour lesquelles malheureusement on consulte le médecin et non le psychothérapeute. Ce sont pourtant des symptômes névrotiques régressifs. Le médicament soigne l’effet non la cause.

Une telle mère, ou un tel père, quand l’angoisse vient de lui, sont pathogènes et vont à l’encontre de leur rôle parental, qui est « d’élever » l’enfant. Ce sont eux qui obligent 1 enfant à régresser au stade passif, urétral, anal ou oral — avec le comportement affectif concomitant de ces stades révolus.

L’interdiction systématique par la moquerie ou les « raisonnements » des rêveries enfantines de toute-puissance peuvent jouer le même rôle castrateur que des menaces de mutilations sexuelles. Si l’enfant a besoin de s’imaginer puissant pour compenser son infériorité ce n’est pas en lui supprimant artificiellement cette compensation, ou son extériorisation, qu’on l’aidera ; c’est en lui permettant de conquérir dans la réalité de petits triomphes qu’on valorise. La crédulité, d’ailleurs, affectée par les adultes quand ils s’amusent à collaborer activement à l’édification des fantasmes, ou qu’ils jouent sur le plan de la réalité les imaginations mythomaniaques de l’enfant, sont tout autant castratrices (« mariages » simulés lors du complexe d’Œdipe) car l’enfant sera obligé de s’apercevoir un jour qu’on l’a trompé, qu’on se riait de lui. Il perdra la confiance qu’il avait dans les adultes et ne pourra même plus chercher à conquérir leur approbation, qui s’est montrée sans valeur réelle. Négativisme, bouderie, révoltes agressives, inhibition de l’aimance, arriération affective peuvent s’ensuivre.

Plus tard, sur le plan de toutes les activités intellectuelles et sociales, le complexe de castration entrera en jeu ; l’intérêt de l’enfant découle de sa curiosité sexuelle et de son ambition à égaler son père, curiosité et ambition coupables tant que le complexe d’Œdipe n’est pas liquidé.

Dans le domaine scolaire surtout, on verra des inhibitions au travail ; le garçon deviendra incapable de fixer son attention. C’est l’instabilité de l’écolier, si fréquente, et source pour lui de tant de remontrances.

Le calcul, particulièrement, lui paraîtra difficile ; le calcul étant associé dans l’inconscient aux « rapports » (ressemblance, différence, supériorité, égalité, infériorité) — aux problèmes quels qu’ils soient — et Y orthographe associée à « l’observation », grâce à laquelle on « voit » clair. (Cf. dessin n° i, p. 173), sur les rapports entre les mots1.)

L’impossibilité de s’attacher, à l’époque où ils l’intéressaient, aux problèmes des « relations » parentales, de la naissance des enfants, au nom de sentiments de culpabilité, aura entraîné avec le refoulement de la libido qui servait ces curiosités une association inconsciente : attention = curiosité = faute = punition = frustration d’amour de l’objet d’aimance = angoisse. Le Sur-Moi qui se forme alors déclen-

1. Les pages de devoirs de calcul chez un de mes petits malades névro-tiquement inhibé à l’arithmétique sont griffonnées de coutelas et de scènes représentant un bonhomme qui plante un couteau au niveau du sexe chez un personnage plus petit étendu et emmailloté ; or, la première fois que cet enfant me parla de son père, ce fut pour me dire qu’il était toujours occupé à des chiffres quand il était i la maison.

chera, pour éviter le retour de l’angoisse, le mécanisme inconscient de défense : l’inattention, elle-même, à son tour, insurmontable sans angoisse.

Dans ces cas-là, les leçons particulières peuvent — sans rien résoudre — aider l’enfant à acquérir quelques connaissances scolaires, car la situation normale, sociale, de rivalité avec d’autres n’est plus là pour ajouter un élément d’angoisse supplémentaire. Mais chez tous ces enfants on trouvera un puérilisme marqué, une persistance de comportement affectif (agressif ou câlin) infantile, un manque d’indépendance ou au contraire, une indépendance d’instable ou d’agressif insoumis, c’est-à-dire une indépendance qui ne les libère pas et ne leur permet pas de s’attacher à de nouveaux objets d’intérêt affectif, hors de la famille, ou à des activités pragmatiques. Chez tous ces enfants, la masturbation est une « préoccupation », soit qu’ils se cachent pour la pratiquer, soit qu ils résistent à la « tentation ». Leur érotisme fixé sur eux-mêmes, leur affectivité bloquée dans des conflits à l’intérieur de la famille, signent la névrose.

L’infériorité vraie de l’enfant s’accentue, car elle n’est plus seulement celle de tous les enfants vis-à-vis des grandes personnes. Il est moins fort, moins malin que les garçons de son âge et il réagit en les jalousant, ou en les fuyant, ou les deux à la fois. U extériorise ce sentiment selon la seule attitude agressive qui lui reste permise, celle où le risque est le moindre, il devient hâbleur et mythomane. Il se fait méfiant pour rétablir l’équilibre de l’ambivalence inconsciente. Le garçon a peur des autres, il ne peut rivaliser avec eux. Et pour peu que la masturbation lui ait été fortement interdite au nom d’un danger, il présente des phobies et des terreurs nocturnes en contrepartie de son agressivité refoulée et projetée sur les autres. S’il arrive à renoncer complètement à la libido de son sexe, il fuit les enfants de son âge, va avec de plus jeunes, avec lesquels il se comporte en dictateur ou en passif, selon que sa mère le « gâte » ou non, c’est-à-dire lui permet ou non la régression névrotique. Jouant son ambition sur le plan magique sadique anal, il peut « chiper » de l’argent, des objets qui lui paraissent précieux.

Obligatoirement le complexe de castration entrera en jeu chaque fois que l’enfant essaiera de réussir quelque chose dans le domaine des activités viriles ; surtout s’il aime sa mère castratrice, le garçon échouera, se blessera par exemple, ce qui équivaudra symboliquement à prouver à sa mère qu’il est déjà châtré et que point n’est besoin de le punir, comme on l’a fait aux filles. En fait, ses échecs, accompagnés de plaies et bosses, quand le garçon vient s’en plaindre au lieu de les supporter en silence, joueront bien le rôle qu’ils étaient destinés à jouer inconsciemment : punir l’enjant, en augmentant ses sentiments d’infériorité. L’adulte aimé l’humiliera, se moquera de lui : « Je te l’avais bien dit, tu n’avais qu’à ne pas désobéir »,

— ce qui équivaut à un retrait d’amour — ou bien le plaindra outre mesure, le soignera, le dorlotera. Il se servira de cet échec pour faire entrevoir à l’enfant des risques encore plus grands pour l’avenir s’il réitère ses expériences sportives ou batailleuses, alors que la passivité et l’obéissance immobile lui gagneraient l’amour de maman ou de papa, ce qui est pire.

Sexualité comparée de la fille et du garçon au cours des étapes libidinales qui précèdent le stade phallique

Nous avons décrit le développement de la sexualité chez la fille parallèlement à celui du garçon jusqu’au stade phallique. On est autorisé à cette description simultanée parce que, pour les enfants, quel que soit leur sexe, la recherche du plaisir dans les relations libidinales avec la mère et les relations libidinales avec le monde extérieur inanimé sont, au début, les mêmes. Tant que les gonades ne sont pas arrivées à maturité, l’hédonisme libidinal trouve sa fin en lui-même. C’est l’égotisme foncier qui détermine le comportement, car il représente le moyen le plus économique pour le psychisme, d’aboutir à l’assouvissement des pulsions.

On peut dire qu’au stade oral, et au stade anal, le Moi est « neutre » ; n’étant pas encore capable d’objectivité, l’enfant projette sur le monde extérieur ses propres émois, ses propres pulsions, sa propre manière de penser et d’être. L’adulte est conçu comme génitalement indifférencié, parce que l’enfant ne connaît pas encore les caractéristiques morphologiques des sexes.

La fille, cependant, au cours de cette première enfance, dès le stade oral dans sa période active, se fait remarquer par la moindre quantité de pulsions agressives par rapport aux pulsions passives. Je ne crois pas que la fille soit moins douée d’activité pulsionnelle que le garçon, mais nous jugeons extérieurement de l’activité par la traduction que le comportement nous en donne, et dans ce cas, il est certain que le garçon est plus « manifestement » actif que la fille, parce que ses pulsions s’extériorisent davantage, sont épuisées moins rapidement que celles de la fille, dans le cas où elles n’aboutissent pas aussitôt au but hédonique. Pour ce qui est du comportement extérieur, cela se traduit par le fait que la fille se décourage plus vite dans la lutte active, mais cela ne veut pas dire qu’elle abandonne la lutte passive. Que les pulsions passives prédominent, lors de l’aimance ambivalente normale, ou que les pulsions actives soient moins douées d’agressivité, le résultat chez la fille est que son comportement pratique et affectif est, à énergie libidinale correspondante, spécifiquement plus statique que celui du garçon.

Au stade sadique anal, qualifié d’accapareur, le garçon se sert de son agressivité musculaire pour rapter, la fille s’en sert pour capter. (Un seul exemple : le geste naturel pour lancer une balle est la pronation pour le garçon, la supination chez la fille.)

Au stade phallique, caractérisé par l’ambition, le garçon part à la poursuite ae ce qu’il brigue, la fille attend ardemment ce qu’elle désire et chacun des deux met dans cette attitude toute la libido agressive dont il dispose. Dans les mêmes activités et les comportements apparemment semblables, même à l’époque « neutre », si l’on veut, de leur sexualité, la fille se différencie nettement du garçon. La manière même dont les enfants, par exemple, se comportent au guignol est caractéristique de cette différence. On sait que guignol va recevoir des coups, les garçons s’agitent, s’impatientent, crient, trépignent, les filles guettent, s’immobilisent, ne lâchent pas guignol des yeux, elles sont prêtes à dire un mot pour le prévenir, mais elles ne risquent pas de perdre de vue un seul coup de bâton. Plus tard, dans les jeux actifs, avec le sable par exemple, la fille joue à faire des pâtés nombreux ou des moulages de toutes les sortes, et à les orner de coquillages, elle les quitte sans les démolir. Le garçon aime à faire des trous profonds, des montagnes, qu il démolit ensuite avec joie.

A l’âge des jeux sociaux, les filles jouent à la marelle (suivant pas à pas leur caillou et le reprenant), jonglent avec des balles, alors que les garçons jouent à lancer des cailloux au loin, à se courir les uns après les autres, dans les jeux de balle où les règles comportent toujours un simulacre de chasse ou de pugilat.

Cette prédominance en libido passive et en pulsions agressives attractives, qui caractérise l’attitude positive du Moi de la fille, a son corollaire dans la manière par laquelle elle se montre négative. Il y a toujours chez le garçon une fuite en avant ou une résistance agressive, tandis que chez la fille, à moins qu’elle ne soit névrosée, il y a un refus d’avancer, une résistance passive. Dans les fantasmes des femmes, on retrouve les mêmes caractéristiques : elles se « voient » riches, actrices célèbres, etc. ; les garçons s’imaginent « commencer » en bas de l’échelle sociale et par des exploits « devenir » puissants, triomphant de tous leurs rivaux qui leur quémandent des faveurs.

La fille

Lutte contre l’angoisse de castration. Écueils

Au stade phallique, la fille découvre qu’il y a des enfants munis d’un « machin » qu’elle n’a pas. C’est vers 3 ans 1/2. Le garçon ne s’en doute pas encore. Elle commence par nier le fait. Puis elle en est jalouse, mais reste convaincue que ça poussera. La plupart du temps, surtout s’il y a un frère à la maison (plus âgé ou plus jeune), la fille essaie de « voir » ce fameux « machin », de jouer avec celui d’un petit frère. Car voir et jouer avec, c’est déjà un peu « avoir », pour une libido à prédominance passive.

Mais elle se sent défavorisée, et, comme le garçon, impute le fait de sa mutilation sexuelle à la mère. L’envie d’un pénis devient le thème de ses fantasmes masturbatoires phalliques, et selon le mode d’ambition qui la caractérise, elle « attend » avec un espoir ardent que cela pousse.

Il est rare que la fillette ne passe point par une période d’exhibitionnisme, elle soulève ses jupes et elle veut se montrer nue, pour que tous l’admirent. Comme si le fait d’être admirée lui permettait de s’identifier à ceux qui la regardent. S’ils regardent sans s’étonner, c’est qu’il y a quelque chose à « voir », le sexe d’un garçon. Si la fille exhibe « rien », c’est sa manière de « nier qu’elle n’a rien ».

Une fillette de 3 ans, normale, déculottant une poupée que je venais de lui donner, dit d’un air moitié moqueur, moitié méprisant, et en me regardant comme pour me prendre à témoin de ce ridicule : « Elle a pas de bouton », « elle est pas contente ». Puis, tout en la rhabillant, elle décréta quelques instants après, sèchement : « elle est méchante » ; eÛe laissa la poupée dans un coin et me quitta immédiatement.

Cette petite scène montre de façon typique la réaction normale du Moi de la fille à l’angoisse de castration phallique.

Elle commence par essayer de nier l’infériorité en valorisant « le bouton », elle déculotte aussitôt, avant même de la regarder, la poupée, cadeau de la femme-mère. Elle est dépitée et vexée, projette ses sentiments (« elle est méchante ») sur la poupée et les dit bien haut en regardant l’adulte, puis prenant en dédain le cadeau qui réveille le premier facteur d’angoisse de castration — absence de phallus — elle se désintéresse de ce cadeau de femme et elle a soin d’en laisser voir clairement la cause. « Elle est méchante », signifie, aussi, que la poupée est comme les garçons, à ce moment-là, pour elle. (En ce sens que, comme eux, « elle lui rappelle sa douleur ». « Ils sont pas malins, les garçons, ils sont méchants, ils sont pas intéressants ».) Cela, en plus des résonances profondes — culpabilité — qui accompagnent toujours pour la fille l’angoisse de castration phallique (« Elle [l’enfant] est méchante »).

Enfin, se désintéresser du cadeau venant d’une femme, c’est encore montrer que la mère est méchante quand elle lui donne une poupée qui a subi le même sort qu’elle-même, et bien pire.

Mais le complexe de castration chez la fille ne peut pas être entièrement parallèle et inverse de celui du garçon ; car ici c’est une femme qui joue le rôle de rival adulte ; or la castration phallique n’est plus pour la femme une menace (ce qu’elle est pour le garçon) mais un fait.

De ce manque découle une sécurité, c’est que la fille peut sans danger pour sa sexualité s’identifier à « celle qui n’en a pas » ; la « menace » de castration phallique26 ne porte pas.

D’où ces données différentielles importantes, à savoir que :

Si le complexe de castration met en danger la sexualité du garçon, il épanouit au contraire celle de la fille.

Chez le garçon, Yangoisse de castration est une chose « heureuse » qui précède l’Œdipe et l’introduit.

Le complexe de castration, au contraire, s’intrique à l’Œdipe ; il est dangereux et nocif s’il demeure.

Chez la fille, l’angoisse est dangereuse avant l’Œdipe ; elle peut empêcher l’Œdipe de s’installer normalement .

Quand la fille perçoit sa castration phallique, elle investit sa mère d’une recrudescence de libido passive, afin de capter sa tendresse. Elle utilise une plus grande partie de libido agressive sublimée à la conquête des connaissances des grandes personnes. C’est peut-être la raison pour laquelle les filles parlent mieux et ont, plus tôt que les garçons, un vocabulaire plus riche. La fille réagit à la frustration phallique par des mécanismes analogues a ceux qu’elle avait employés au stade anal pour capter la tendresse des adultes.

Mais, pour patiente que soit l’attente, pour propitiatoire passif (ou agressif avec exigence) que soit le comportement de la fille, la mère-fée n’a pas pitié et n’apporte pas le cadeau demandé ; et qui plus est, la fille découvre qu’elle doit y renoncer pour toujours ; les filles n’ auront jamais le pénis, sa mère non plus n’en a jamais eu.

La réalité venant contredire les fantasmes masturbatoires clitoridiens, l’excitation du clitoris n’apporte plus que déceptions : le rappel d’une infériorité sans espoir ; et la masturbation clitoridienne est abandonnée. Mais nous le savons, la libido non satisfaite doit trouver une autre issue.

Le désinvestissement de la %one érogène phallique ne peut se faire che^ la fille sans compensation. En effet, l’abandon de la masturbation clitoridienne s’accompagne d’un déplacement sur le visage et sur le corps entier de l’intérêt autrefois apporté au clitoris. Alors apparaît, très marqué chez la fille, l’amour de la parure, des coiffures, des rubans, des couronnes, des fleurs dans les cheveux, des bijoux dont on se pare pour compenser inconsciemment le phallus abandonné consciemment. C’est d’abord pour « se plaire » à elle-même que la fillette se pare, et c’est bien souvent du point de vue objectif assez peu esthétique, mais elle se trouve belle et se regarde dans le miroir avec admiration.

Ce désir de plaire qui lui apporte des satisfactions d’amour-

f>ropre et lui permet de renoncer aux prérogatives phalliques, a réconcilie en même temps avec le sexe masculin. Elle renonce à trouver les garçons « méchants » parce qu’elle avait envie de les châtrer ou de les faire châtrer par sa mère (en « rapportant ») ; elle reprend confiance en elle et peut alors se cure que les garçons et les papas la feront profiter de leur force. Elle essaie alors de les conquérir et c’est le début de la situation œdipienne, sans rien de conflictuel encore. C’est par envie du pénis que la fille va vers les hommes et pour capter l’admiration de ceux qu’elle estime supérieurs et attrayants pour sa mère27. Sa mère a perdu de son prestige depuis qu’elle la sait châtrée comme elle. Elle n’est plus terrorisante, mais seulement plus capable et plus grande, elle est « une dame », mais la culpabilité intense qu’elle pouvait réveiller dans l’enfant par ses reproches ou ses punitions a perdu son caractère douloureux et angoissant.

Il est de toute importance que la fille fasse « son deuil » de ses fantasmes masturbatoires clitoridiens, de l’ambition du phallus qu’ils cachent, et qu’elle admette définitivement sans amertume de n’avoir pas été un garçon. Sinon, elle

Îjourra bien refouler, au nom des interdits de son Sur-Moi, a sexualité phallique, mais restera toujours un être à sensibilité douloureuse, susceptible, prête à souffrir de sentiments de culpabilité et de sentiments cuisants d’infériorité joints à une ambivalence dans l’affectivité qui ne lui permettra jamais un moment de détente apaisée.

La libido, dont le courant énergétique ne tarit pas, sera obligée de régresser et de réinvestir des positions érogènes et affectives antérieures, d’où certains troubles du caractère, des symptômes pervers ou névrotiques, selon qu’il y aura refoulement ou non de la sexualité.

ha solution heureuse, c’est l’investissement vaginal. La fillette qui appelle spontanément le clitoris son « bouton » (comme beaucoup de fillettes le nomment), qui se souvient des sensations voluptueuses que son excitation lui apportait, a découvert aussi, par envie des seins de sa mère, l’excitation des corpuscules érectiles du mamelon, autres « boutons ». J’ai été témoin bien des fois, en consultations de pédiatrie, de la fréquence de la masturbation du mamelon, tandis que « le docteur » ausculte les filles. Quand la masturbation génitale n’a pas été interdite, au nom de la honte et de la saleté, elle déplace certainement l’envie d’avoir un pénis sur l’envie d’avoir « des gros ventres comme maman » (voir Tote, p. 239)

— pour se plaire à elles-mêmes en étant semblables aux dames, plaire aux papas, et « nourrir » leurs poupées. Il nous est permis de penser que la masturbation mammaire à elle seule peut éveiller une correspondance vaginale qui entraîne la fillette à la découverte du « petit trou dans le cabinet » (voir cas de Denise, p. 243) et au réceptacle vaginal que le sac à main symbolise comme attribut caractéristique.

Dans les cas où la ^one vaginale érogène devient le centre des émois libidinaux de la fillette, accompagnés qu’ils sont des fantasmes œdipiens, on assiste à un développement affectif et culturel épanoui. La fillette continue de plus belle à tenter l’identification à sa mère, puisque plus rien d’irrémédiable, « d’infamant », ne la défavorise physiquement par rapport à elle, sinon son âge. U identification par ambition qui n’est plus colorée de fantasmes phalliques, mais de fantasmes d’ambition féminine devient source de joie et non plus de culpabilité. Si la mère est féminine, elle autorisera l’enfant à l’ac-quisition de toutes les activités qui en feront peu à peu son égale : couture, ménage, musique, danse, chansons, dessin, acquisitions ludiques scolaires, acquisitions sociales de bonne éducation non par brimade, mais pour donner plus de confiance en elle à la petite fille, naturellement timide et toute prête encore, devant un échec, à sentir se réveiller les émois angoissants de la frustration phallique.

Le fait de désinvestir libidinale ment la mère n’est pas encore accompagnée d’agressivité, car il n’y a pas conflit ; la fillette est moins sensibilisée à ce que dit et fait sa mère, qu’à tout ce qui vient de son père, et si la mère n’en montre pas de jalousie réelle, la tendresse, l’admiration profonde et la confiance totale de la fille pour son père ne nuiront pas encore à la docilité correcte et à une affection assez « platonique » qui sont les caractéristiques normales du comportement de la fille de cinq à six ans vis-à-vis de sa mère.

Ainsi sublimées, les pulsions agressives de la fille seront toutes utilisées, et ses pulsions passives mises au service de l'affectivité serviront son désir de plaire et de séduire les adultes forts qui pourront la protéger, et surtout les hommes et les grands garçons, ceux qui ont la puissance que les femmes n’ont pas. Son moyen pour séduire est de flatter son père (selon le mécanisme de projection, elle flatte pour qu’on la flatte). Elle lutte ainsi contre sa mère et contre les garçons. « Papa est bien plus fort qu’eux et papa me préfère, c’est donc que je suis mieux. » Elle devient fière de son sexe.

Les fantasmes ludiques féminins « vaginaux » influencent le jeu avec les poupées. A 3 ans, la fille préférait les poupées petites, nombreuses, vieilles, déchirées28. A 5 ans, elle aime n’avoir qu’une ou deux poupées, souvent autant de poupées qu’il y a d’enfants dans la famille. Elle leur prête les mêmes réactions qu’elle a inconsciemment. En projetant ainsi ses sentiments de culpabilité sur une autre ^qu’elle gronde ou punit parfois très sadiquement), elle se débarrasse des pulsions agressives que son Moi ne peut tolérer. Elle commence ainsi à construire son Sur-Moi qui « parle » comme la mère, mais dont la sévérité n’est que le reflet de l’agressivité intérieure de l’enfanta.

Dans le symbolisme des fantasmes masturbatoires vaginaux il n’est plus question de voleurs, de doigts coupés (voir dessin), mais de bague au doigt, une bague avec un diamant lançant mille feux comme le soleil (symbolisme paternel), et c’est un prince qui la lui donne, parce qu’il lui trouve toutes les qualités d’une princesse, c’est-à-dire d’une « femme » susceptible de devenir reine.

En même temps, la fillette devient de plus en plus coquette avec son père, ou avec un de ses oncles substitut du père, et déclare ouvertement qu’il sera son mari, qu’ils auront des enfants. Malheureusement, la réalité encore est là. La mère n’est pas une mauvaise fée que le prince va confondre, c’est la femme de papa, et la fillette est manifestement inférieure à elle. Le complexe d’Œdipe est moins dramatique chez la fille que chez le garçon, car si l’hostilité vis-à-vis de la mère est grande, elle est plus sourde. Il y a bien des fantasmes où elle « tue » sa mère, où elle « l’écrase », il y a bien des conflits familiaux au cours desquels elle se montre impertinente avec sa mère, et tente de la mettre dans son tort pour la supplanter ouvertement dans l’affection de son père, mais elle s’aperçoit que son père l’en blâme. Et, moins despote que le garçon, à ce stade de rivalité œdipienne, la fille n’est pas douée naturellement d’une agressivité entreprenante prolongée. Elle arrive souvent à renoncer à la rivalité œdipienne avant la période de latence, sans qu’on puisse réellement dire, pour autant, qu’elle a liquidé son complexe d’Œdipe, car elle peut fort bien rester en bonne intelligence avec sa mère, tout en survalorisant son père, un peu comme une amoureuse qui attend29 ardemment la venue de celui qu’elle aime, en se préparant pour l’accueillir.

Le plus souvent, quand le père n’est pas névrosé, et qu’il est naturellement tendre avec sa fille, cela suffit au bonheur de celle-ci, au moins jusqu’à la puberté, et à faciliter ses bons rapports sociaux avec les garçons ses contemporains. C’est à ce moment-là seulement que des conflits œdipiens un peu plus marqués s’annoncent et même alors si le père stimule sa tille à se créer des amitiés parmi les garçons et qu’il n’en soit pas jaloux, la fille passera insensiblement de son père à son substitut aimantiel, le jeune homme. Elle liquidera alors son complexe d’Œdipe, sans jamais pour cela souffrir d’une grande angoisse, car protégée par son père, la fille ne craint plus de négliger les entraves que sa mère pourrait mettre sur le chemin de sa vie sexuelle génitale.

En découvrant le mystère de la naissance, la fillette s’inquiète de la souffrance que cela doit apporter et a peur : voilà la deuxième phase du complexe de castration chez la fille, c’est l’angoisse de castration vaginale ou mieux viscéro-vaginale30.

Si la mère n’est pas névrosée et laisse sa fille s’émanciper normalement, les choses se passent bien. Si la mère au contraire sape la confiance en elle que la fille a besoin d’avoir, l’empêche par exemple de s’habiller à son idée, de choisir les distractions, les occupations culturelles qui s’accordent avec le milieu social de la famille tout en s’accordant avec le sexe de sa fille ; si elle lui fait entrevoir la vie maternelle comme une suite de douleurs (et ce n’est pas si rare), l’amour comme un piège, la vie conjugale comme une suite d’obligations sans joies compensatrices, les sentiments de culpabilité inconscients à l’égard de sa mère amènent la fillette à présenter un complexe de castration vaginale pathologique. Cela se traduira par des fantasmes terrorisants : une bête va la dévorer, un couteau va lui entrer dans le corps, son ventre va être perforé ou va éclater. Une régression libidinale peut s’opérer, mais la fille peut encore lutter contre cette castration vaginale, essentiellement féminine, par le renoncement à son narcissisme féminin normal ou par la projection de son agressivité contre sa mère sur « la fatalité », par la certitude a être laide, pas attirante et de n’avoir pas la possibilité de rivaliser avec les femmes — ce à quoi pourtant, si elle n’est pas masochique, elle ne veut pas renoncer consciemment. Dans les rêves, de telles situations peuvent être symbolisées par l’absence et la chute des dents, des cheveux (la fillette est désarmée devant la mère). Dans les cas les plus favorables, cependant, ceux où il n’y a pas eu une régression trop forte, mais seulement une répression extérieure supportée patiemment sans abandonner la résistance passive, la fillette, au moment où elle sera courtisée, reprendra son développement là où il était resté. La période de latence amène alors un retrait libidinal qui apaise les préoccupations sexuelles érotiques et le Sur-Moi autorise le libre jeu de l’agressivité et de la passivité sans angoisse et sans honte. La sexualité n’est pas considérée comme une horreur, mais comme un mystère réservé à la jeune fille qu’elle se prépare à devenir avec l’aisance et le naturel enjoué d’un être non névrosé1.

Quand, à la puberté, elle apprendra avec fierté par ses règles et par la croissance de ses seins, qu’elle est devenue femme, la rivalité avec la mère se soldera par une conquête

i. Dans une pension religieuse, une petite fille attendait la nouvelle venue d'un petit frère ou d'une petite sœur, la conversation au dortoir s'était engagée sur ce sujet. Une fillette de 10 ans, vive et intelligente, avertie par sa mère des réalités de la conception et de la naissance naturelle par les voies génitales de la mère s'était vu opposer devant toutes les autres un démenti formel d'une jeune religieuse très aimée. Accusée de mensonge pour avoir dit que ses connaissances lui venaient de sa mère, incapable de dire de pareilles horreurs, l'enfant soutenait ses dires et l'incident avait pris des proportions bruyantes dans le pensionnat.

La mère, appelée d'urgence, était venue rechercher son enfant. Celle-ci l'accueillit avec reproche : « Pourquoi m'as-tu dit des choses pas vraies ? »

La mère silencieuse, face à la supérieure gênée et à son enfant révoltée ne savait que répondre.

—    Mais maman qu'est-ce qui est vrai ?

La supérieure alors prit la parole et dit :

—    Votre mère a dit vrai, mon enfant, mais c'est un secret, vos camarades mieux élevées que vous n'ont pas à le savoir.

La fillette alors de se jeter dans les bras de sa mère, et de dire :

—    Alors Sœur un tel ? C'est terrible qu'elle le sache maintenant, j'aurais pas dû lui dire, comme elle a pas le droit d'avoir jamais d’enfant je lui ai fait trop de peine en lui disant comment elle aurait pu en avoir. Oh maman, comment je pourrais la consoler ? Elle sera toujours triste maintenant, elle qui est si gentille. Si elle avait su ça pour les enfants, elle se serait sûrement pas faite bonne sœur et maintenant c'est trop tard !

Et comme la mère et la supérieure, très surprises ne disaient mot, la fillette reprit — ne pensant qu'à cette jeune religieuse :

—    Il faut pas qu'elle me croie, j'aime mieux qu’elle oublie. Oh oui, si j'avais su qu'elle savait pas, je lui aurais pas dit mais les autres filles, elles disaient que c'est dégoûtant de faire des enfants. Dis, maman, c'est pas sale n’est-ce pas ? Tu m'avais dit que c'était beau et la sœur elle a dit que tu as menti.

Là encore, c'est la supérieure qui, fort émue de la scène, consola l'enfant en lui disant :

—    Votre mère a raison, mon enfant, c'est très beau d'être maman.

Et vers la mère elle s’excusait :

—    Toutes les enfants ne sont pas aussi pures que votre petite et bien des parents seraient choqués que leurs enfants soient averties.

de sa liberté de goûts, de vêtements, de sublimations culturelles. Celles-ci, bien souvent, se centreront autour des enfants, et l’enfantement conséquence de « l’amour », ne lui fera plus peur, au contraire.

La prédominance passive de la libido ne permettra pas à la fille de se lancer seule dans la vie sociale. Elle ne peut que se préparer à plaire en utilisant sa libido agressive à imiter toutes les femmes qu’elle voit plaire aux hommes, à mettre en valeur ses qualités de séduction et attendre celui qui viendra et que, dans ses fantasmes romanesques, elle voit sous les traits de tel ou tel qu’elle admire tacitement et ardemment. Cependant, quand il se présentera, elle redoutera de le suivre et se fera mériter et conquérir. Si le garçon est lui-même normal, ils apprendront ensemble le plaisir réciproque de s’épanouir l’un par l’autre, ce sera la période du flirt qui préparera le stade de l’amour génital oblatif.

S’il y a une carence en affection paternelle et en présences mascunnes, la fille peut ou bien sublimer son affectivité sans écho dans un mysticisme actif ou contemplatif, ou bien rester ainsi perpétuellement dans l’attente, et incapable de modifier les événements extérieurs si un homme, substitut du père, ne vient à son secours pour éveiller la belle au bois dormant.

A l’aube même du stade oblatif31, la façon dont l’homme saura lui donner confiance en elle, la posséder sans la brutaliser, achèvera d’investir la zone vaginale par la connaissance de l’orgasme qui l’attachera sensuellement à celui qui le lui aura fait connaître, et affectivement à celui qui lui aura donné un enfant. Elle sera capable intérieurement alors de se détacher inconsciemment de sa mère dont elle sera devenue l’égale ; cependant, alors même qu’elle est parvenue à l’objectivité la plus parfaite dont elle soit capable au stade génital, la fille reste toujours attachée à son père avec une tendresse particulière, et ses activités, quelles qu’elles soient, sont subordonnées à l’approbation et aux encouragements de l’homme qu’elle aime.

Le garçon, au contraire, quand il est jeune, peut, sans aller à rencontre de son développement libidinal normal, s’orienter Hans une voie sociale que sa mère n’approuve pas et supporter la souffrance qu’est pour lui sa désapprobation. A 1 âge adulte, il peut mener une vie sexuelle totalement génitale et oblative sans être approuvé, dans le domaine strictement matériel de son métier, par la femme qu’il aime.

L’œuvre de la femme, c’est essentiellement et uniquement une œuvre commune avec celui qu’elle aime, au stade génital oblatif. L’œuvre de l’homme, c’est celle-là, mais il lui reste encore assez de libido disponible pour l’employer à des activités strictement personnelles, bien au’elles lui servent aussi à se valoriser pour apporter plus de lui-même à l’œuvre commune.

Autrement dit, aux stades les plus achevés que nous connaissions, le mobile affectif de l’homme est « donner de lui » à l’œuvre commune du couple, et le mobile affectif de la femme, c’est « se donner » à cette œuvre.

Le poids de la castration chez la fille

On voit donc que les vrais dangers de la castration chez la fille précèdent le complexe d’Œdipe et même l’empêchent de s’installer normalement.

Deux choses peuvent se produire : soit que l’infériorité phallique de la fille ne soit jamais acceptée par elle, qu’elle ne se réjouisse jamais d’être une fille et qu’elle regrette toujours de n’être pas un garçon ; soit que le mécanisme de défense (investissement narcissique du corps) qui suit la dévalorisation du pénis ne soit pas autorisé (par les adultes — ou par une infériorité physique manifeste qui ne permet pas l’identification à la mère). Cette identification à la mère ou à une femme normale, est indispensable à l’avènement de l’érogé-néité vaginale qui permettra seule l’amorce de la situation œdipienne. Celle-ci alors lèvera les barrières de la frigidité vaginale de la femme, qui est, dans tous les cas que j’ai vus, un non-investissement vaginal, beaucoup plus qu’une impuissance par régression.

Premier écueil : complexe de virilité (insensibilité vaginale)

Dans les cas où la zone érogène vaginale n’a jamais été investie de libido, ce qui arrive quand les mécanismes de défense du Moi contre l’angoisse primaire de castration phallique ont échoué, outre la frigidité vaginale, on observe un comportement captateur qui peut se diriger sur la mère seule — ceci toujours avec un certain degré de masochisme inconscient organique ou moral — sur les deux parents, ou sur le père seul, mais sans essai de rivalité avec la mère au moyen d’armes féminines. Cette lutte se fait alors avec des armes culturelles et intellectuelles qui sonf, dans le milieu social de la fille, l’apanage des garçons. Freud a donné le nom de complexe de virilité au syndrome névrotique qui en découle. C’est une névrose de caractère. Il y a toujours une grande susceptibilité, parfois cachée, une envie agressive pour ceux qui « ont plus » qu’elles, une attitude ambivalente affective vis-à-vis des deux sexes et un désintérêt conscient pour la sexualité génitale, qui se traduit par une frigidité vaginale totale, et selon que le Moi est fort et plus ou moins doué d’une grande possibilité de sublimations, un désinvestissement masturba-toire clitoridien plus ou moins mnrqué. Le clitoris reste investi dans les cas où l’agressivité est interdite, à cause de l’utilisation passive des pulsions vis-à-vis d’adultes sévères ou indifférents.

Le complexe de virilité peut ainsi donner lieu, selon la tolérance du Sur-Moi, pour la masturbation clitoridienne dans l’enfance, et pour l’homosexualité manifeste à la puberté, à des tableaux cliniques différents.

Si le clitoris est demeuré investi de libido, son infériorité morphologique réelle est une occasion constante de souffrance inconsciente, de honte consciente pour la fille à être ce qu’elle est, à être « laide w1. Elle réagit par la négation de l’angoisse, et « la fuite en avant » dans une lutte ambitieuse, rivalise avec les garçons dans les mêmes sports, les mêmes activités, les mêmes études qu’eux. C’est une régression libidinale ou une stagnation libidinale à ce stade, pendant la phase de latence, qui donne à ces femmes le goût des carrières masculines ; à la poussée pubertaire, la libido doit régresser au stade antérieur ou se satisfaire dans des pratiques masturbatoires solitaires ou, mieux, lesbiennes1.

Si le Sur-Moi n’autorise pas la masturbation, on verra à la puberté ces fillettes devenir de plus en plus « honteuses », d’une timidité maladive, phobiques, manquant de confiance en elles au point de ne pouvoir réussir dans aucune des activités où elles se sont montrées douées auparavant, car le moindre échec les rendrait — à cause des sentiments de culpabilité et des sentiments d’infériorité inhérents à l’angoisse de castration phallique — d’une intransigeance inhumaine à l’égard d’elles-mêmes. A cette timidité extrême en public (ou à cette fanfaronnade extrême, ce qui est la même chose pour l’inconscient, la preuve d’une infériorité ressentie), succède dans l’adolescence et l’âge adulte une incapacité à rivaliser avec les autres femmes. Le mécanisme de défense narcissique n’ayant pas eu le droit de jouer (puisque la masturbation phallique avait dû être abandonnée trop tôt dans l’enfance), leur Sur-Moi leur interdit d’utiliser les possibilités de séduction féminine qui les feraient entrer inconsciemment en rivalité avec la mère toute-puissante, magique, castratrice, adorée et abhorrée, dont leur Sur-Moi est devenu l’écho amplifié. De plus, il y a régression aux zones érogènes archaïques, sur lesquelles se joue sur le mode symbolique le refus de la sexualité génitale (constipation, spasmes, troubles gastro-intestinaux, indigestions, vomissements).

Bref, le complexe de castration phallique se joue sur le plan anal et oral par réinvestissement des zones érogènes anciennes. Chaque fois qu’il y a une nouvelle poussée libidinale instinctuelle, à toute sollicitation du monde extérieur (excitations prémenstruelles, rapports sexuels, mariage, enfant) sur le plan des activités organiques et affectives, au lieu d’investir la zone érogène vaginale, la femme réagit névrotiquement par un symptôme fonctionnel négatif au niveau des zones érogènes anciennes : anorexie-constipation-douleurs.

Les sentiments de frustration les plus proches de la frustration phallique ont en effet, chronologiquement et affectivement, leur origine dans l’éducation à la propreté anale et c’est probablement la raison pour laquelle l’inacceptation de leur sexe, inconsciemment ressentie par les femmes frigides, s’associe presque toujours à une constipation opiniâtre, seul symptôme pour lequel elles consultent les médecins. Ceux-ci s étonnent de ce que leurs efforts thérapeutiques restent sans succès. Certains pourtant s’aperçoivent bien que leurs patientes « entretiennent » leur constipation par des purgations intempestives ou la non-observance de leurs ordonnances. Un médecin « brûlé », elles vont en voir un autre, ou changent constamment de remèdes. Cet exhibitionnisme anal, ce souci conctant de leur fonctionnement intestinal leur est nécessaire. C’est un moyen grâce auquel elles se « masturbent » symboliquement la zone érogène anale et soustraient ainsi leur Moi aux intérêts libidinaux génitaux si douloureux pour leur narcissisme. Elles subissent de force et avec dégoût les assauts de leur mari, si elles sont mariées, n’ont d’amants

3ue pour en tirer des avantages matériels — ou se passent élibérément des hommes en jouant de rivalité dans les mêmes carrières qu’eux. Apparemment, ce sont des femmes « normales », inconsciemment ce sont des homosexuelles qui s’ignorent, fortement fixées à l’objet maternel contemporain de leur phase anale, dont elles recherchent l’amour et dont elles ne peuvent supporter l’abandon. Si elles ont des enfants, elles sont des « mères » dites « exemplaires », cornéliennes, qui « sacrifient tout » (c’est-à-dire leur vie génitale, donc les hommes et le bonheur de ceux-ci) à ces enfants, comme elles sacrifient leur sexualité. Mais malheur à ceux qui s’attacheront à ces enfants, ou à eux-mêmes si leur développement les détache d’elles, car c’est une nouvelle frustration qu’elles

subiront dans la perte de leur amour possessif de ces enfants.

Chez ces femmes, la fixation ambivalente homosexuelle à la mère, ne permet pas d’agressivité libre à l’égard de leur fille (« comme si cette fille était leur mère »), tant que celle-ci n’a pas effectué son développement sexuel. Au moment où leurs filles se dirigent vers les hommes, ces mères réagissent par la projection sur leurs filles de leurs propres sentiments agressifs, éprouvés à l’égard de leur mère lors de leur stade anal, et de leurs sentiments de culpabilité contemporaine. Elles souffrent beaucoup moins de jalousie, comme certains le croient, que de peine, de peur. Si ces filles disparaissent de leur entourage, l’agressivité de la mère qui n’a plus d’objet se retourne contre elle-même sous la forme de mélancolie, de sentiments d’abandon, pour neutraliser le besoin de punition inconsciemment solidaire d’une frustration libidinale.

Pour leurs garçons, elles sont plus fibres de leur affectivité, et peuvent exprimer leur agressivité contre eux sans craindre qu elle se retourne ensuite contre elles-mêmes. Elles aiment à les taquiner quand ils sont petits : les termes qu’elles emploient pour les gronder ou les injurier sont généralement, et même dans les milieux de bonne éducation, empruntés au vocabulaire sadique anal : « porc, cochon, dégoûtant, répugnant ». Elles aiment à les menacer de dangers imaginaires, ae l’ordre de la castration : « tu seras mal ?de » — « tu vas te tuer », pour n’importe quelle initiative qae prend le jeune garçon. Au cas où il leur échappe, elles ont, au sentiment d’être frustrées, la compensation de vouer officiellement, aux femmes qu’ils ont suivies, une hostilité manifeste qui les préserve du retour sur elles-mêmes de la pulsion agressive, comme cela se produit pour le cas des filles.

Tout ceci concerne les modalités de virilité, qui ont pour point de départ une stagnation affective de la fille par fixation aux deux parents (inconsciemment considérés comme également phalliques ) ou à la mère seule.

Si la fille est fixée affectivement à son père seul, sans qu’elle ait jamais investi libidinalement la zone érogène vaginale, elle ne peut lutter, par un narcissisme général du visage et du corps entier, contre l’angoisse de castration phallique. Le complexe de virilité est alors extrêmement fort, la fille présente une affectivité infantile ambivalente avec un caractère bon enfant et garçonnier, mais un violent Sur-Moi qui interdit chez elle les moindres tentatives d’identification à sa mère et de séduction féminine à l’égard du père (car pour l’inconscient, cela représente l’acceptation de son sexe) : et c’est avec une aimance ego-possessive qu’elle brigue le phallus pour elle-même, et tente alors de s’identifier aux garçons. C’est à la puberté l’attitude du complexe d’Œdipe inversé, et l’on voit alors la rivalité sexuelle se jouer affectivement exactement comme si la fille était un garçon vivant son complexe d’Œdipe. Elle fuit les femmes, se rapproche des hommes pour tenter de s’identifier à eux, mais son agressivité inconsciente lui donne un comportement castrateur à leur égard qui les éloigne d’elle. Elle est vouée à la solitude (cf. cas de Monique, p. 271).

U semble que cela n’arrive qu’en cas de fortes fixations prégénitales anales à une mère névrosée, virilisée elle-même, et demande en outre que le père, lui-même inachevé sexuellement et incapable d’aimance génitale, favorise dans sa fille l’éclosion de qualités viriles. A moins d’infirmité physique objectivement pénible pour le narcissisme de la fille, une telle névrose de caractère est toujours en rapport avec une névrose familiale.

En tout cas, si des dispositions naturelles aux sublimations intellectuelles ou musculaires servent son Moi, elle peut arriver à une réussite sociale appréciable, mais elle souffre perpétuellement d’angoisse et de sentiments d’infériorité, découlant de l’angoisse de castration phallique. Cela même dans le cas où il y a réussite culturelle et sexuelle (possession sado-maso-chiste d’une femme faible ou d’un homme inférieur à elle qu’elle entretient), peut-être même surtout dans ce cas, car la culpabilité inconsciente vis-à-vis des hommes, qui résulte de son envie à jamais insatisfaite de les égaler réellement sur tous les plans, réveille constamment une angoisse à forme de jalousie morbide vis-à-vis de ses objets d’amour.

Je sais bien que, dans ce cas, beaucoup de médecins et même les femmes intéressées pensent qu’il y a un appoint organique hormonal. C’est possible, mais on a vu des traitements psychanalytiques de ces êtres affectivement hybrides, donner des résultats absolument remarquables. Il faut dire que le complexe de virilité est peut-être un des mobiles les plus puissants pour la femme à commencer me psychanalyse, car à ses yeux, il s’agit d’un nouveau moyen de puissance phallique (pénétration) pour lequel elle accepte courageusement ce qui lui semble une opération sadique et magique.

Si le Moi n’a pas de dispositions pour de fortes compensations intellectuelles ou culturelles ni dans l’ordre de l’adresse manuelle ou musculaire, le complexe de virilité prend un aspect moins apparent. La fille, incapable de s’identifier aux garçons, présente des troubles du caractère de l’ordre de l’inhibition de l’activité ou de l’affectivité, avec un retour de l’inconscient au stade anal, des pulsions passives au service de l’aimance captatrice et jalouse, et des pulsions agressives entièrement employées par le Sur-Moi à sadiser le Moi masochique. Le comportement est toujours infantile, et les relations sociales sont un tissu de brouilles agressives, de réconciliations tendres, sans jamais rien d’objectif ni dans les griefs, ni dans les attirances, qui jouent de la même manière à l’égard des hommes qu’à l’égard des femmes.

On voit donc que si la fille ne liquide pas l’angoisse de castration phallique, si elle se voit « contrainte » à accepter, ou plutôt à subir, son sexe comme une brimade, cela laissera dans son affectivité une blessure toujours ouverte, que ravivera la moindre infériorité réelle dans la vie. L’angoisse de castration phallique, accompagnée de sentiments de culpabilité, se déclenchera inévitablement dans toutes les occasions où elle se sera montrée « naturelle », puisque cela fera entrer une résonance des sentiments de culpabilité par rapport à des ambitions féminines qu’elle ne partage pas.

Si, au contraire, elle liquide l’angoisse de castration phallique, grâce au réinvestissement narcissique féminin et à la découverte de la masturbation vaginale, elle pourra continuer à s’identifier à sa mère, et l’ambition affective caractéristique de cet âge servira des fantasmes vaginaux, en accord avec le développement normal de la sexualité féminine. Ainsi elle pourra abandonner ce qu’il y a eu d’exagérément passif — peut-être masochique à titre propitiatoire — surajouté à sa passivité naturelle dans son comportement vis-à-vis des adultes.

Second écueil : la frigidité par infantilisme affectif

Une fois acceptée sa féminité, grâce, avons-nous dit, au mécanisme de défense qui consiste à réinvestir de libido narcissique la totalité de la personne, un second écueil se présente pour la fille. C’est que ce retrait narcissique n’entrave l’investissement de la %one érogène vaginale, soit que la masturbation ait entraîné des remontrances sévères des adultes, soit que le père soit absent de la famille (mort ou divorcé) ou se désintéresse de ses enfants.

La fille, dont les pulsions agressives ont peu de forces dynamiques, ne trouvera jamais alors — quels que soient les essais de séduire — le moyen de capter l’attention des hommes. Etant à ce moment normalement « fermée » à la mère, elle peut rester toujours dans une attitude narcissique, affectivement et culturellement infantile. Mais la cause en est peut-être une insuffisance de construction du Moi à la période sadique anale par carence éducative, ou trop grande sévérité éducatrice, ces deux éventualités interdisant à la fille le déplacement des affects libidinaux excrémentiels et musculaires sur des activités culturelles qui l’eussent identifiée à la mère32.

On peut se demander si le réinvestissement narcissique du visage et du corps, mécanisme de défense qui accompagne la liquidation de l’angoisse de castration phallique, ne passe pas par une régression globale de la libido au stade oral. J’ai rencontré deux fois la croyance, chez les enfants, que les fils étaient les enfants des papas, les filles des enfants des mamans. Ce retour au narcissisme infantile est peut-être pour la fille un moyen de participer de la puissance phallique du père sur le mode oral passif (du point de vue affectif) comme le nourrisson féminin participait de la mère. Ce ne serait pas le résultat de l’agressivité d’un conflit œdipien (qui n’a pas encore existé), mais un désinvestissement total ae la mère par négation libidinale vraie inconsciente : impossibilité de continuer l’identification à un être qui a déçu, dévalorisation ou négation de toutes les acquisitions du Moi dérivées de l’aimance qui avait eu la mère pour centre.

Cette possibilité de changer de schéma d’identification expliquerait peut-être aussi la moins grande objectivité naturelle de la femme, alors que les filles ont cependant, lors du stade anal et des premières acquisitions scolaires de 5 à 7 ans, montré un esprit réaliste et positif généralement bien supérieur à celui de leurs contemporains garçons, ce que savent très bien les professeurs d’écoles mixtes. Ceci expliquerait encore pourquoi le Moi des femmes est la plupart du temps plus faible que celui des hommes et contribuerait à expliquer aussi pourquoi leur Sur-Moi est rudimentaire (sauf les cas de névroses)33. D’où la grande facilité avec laquelle les femmes s’adaptent à l’âge adulte à un milieu bien différent de celui qui a été jusque-là le leur, et, sans souffrir, arrivent à s’identifier à l’image à laquelle celui qu’elles aiment leur demande de ressembler. Cela expliquerait les dons naturels nombreux pour les langues vivantes, le chant, le théâtre, la danse, que montrent plus ou moins toutes les jeunes femmes.

Si dans cette attitude narcissique, qui doit être normalement un stade du développement libidinal, la fillette ne trouve pas un père (Pygmalion) pour la former et en faire une femme, s’il y a carence d’affectivité masculine dans l’entourage immédiat de l’enfant, ou si la mère est très névrosée et dénigre le père, la fillette qui a renoncé à sa mère parce qu’elle ne peut plus l’investir hbidinalement retourne à l'autisme, en attendant mieux. Ce serait l’explication du mysticisme exclusif à la puberté avec absence des fantasmes romanesques normaux.

Dans ce cas, la içpne vaginale est sensibilisée, mais peut aussi ne point être éveillée, en tout cas, elle n’est pas sensibilisée électivement, et des femmes qui pourraient devenir tout à fait normales sexuellement si, au point de vue affectif, elles trouvaient l’homme qui s’occuperait à les former, restent frigides ou demi-frigides toute leur vie, avec les nombreux troubles fonctionnels psychopathologiques au moment des sollicitations libidinales instinctuelles, règles, période préméno-pausique, ménopause. On voit d’ailleurs apparaître après la défloration ou le premier enfant, des troubles de la série colitique chez des femmes qui ne les connaissaient pas auparavant. Ils sont sans doute la conséquence de progrès de la sexualité féminine coupable aux yeux du Sur-Moi du partenaire sexuel. En effet, nombreux sont les hommes qui préfèrent que leurs légitimes épouses soient ou affectent d’être frigides. Ce sont ceux qui libidinalement sont arrêtés à l’orée du stade phallique. Ces conflits entre la sensibilité féminine normale qui demande à s’installer et les interdictions de l’éthique conjugale d’un partenaire « demeuré », réveillent inconsciemment, par régression, les conflits de la période sadique et les sentiments d’infériorité de l’angoisse de castration phallique.

Si ces femmes restent vierges, les troubles névrotiques n’apparaissent qu’à la ménopause et sur un mode dérivé de la sémiologie onirique de la frustration orale : angoisse de solitude, angoisse de manquer de quelque chose, angoisse de perdre leurs moyens de défense narcissique34, angoisse qui provoque une recrudescence de coquetterie puérile, sur le mode infantile des ornements nombreux hétéroclites et souvent inesthétiques. Au cas où le Moi n’avait à sa disposition que des sublimations culturelles exigeant une santé

physique parfaite, ces « vieilles filles »35 présentent des troubles

psycho-nevrotiques de la série hallucinatoire ou onirique.

Au contraire, si chez une de ces narcisses secondaires infantiles, le premier partenaire sexuel est un homme plus âgé qu’elle, choisi sur le modèle d’un père, et qu’il soit au stade génital, la femme peut faire sa fixation œdipienne sur lui, et seulement à ce moment entrer dans les conflits avec sa beLle-mère et sa mère, ou faire des scènes de jalousie à son mari à propos d’anciennes maîtresses. Son vrai père n’intervenant pas pour elle affectivement autrement qu’en qualité de satellite de sa mère à peine investi de libido. Ce n’est qu’après cette période conflictuelle, et si elle renonce à l’égotisme pour accepter la « participation » dans l’aimance génitale, qu’elle peut parvenir à l’oblativité qui caractérise le stade génital.

On voit en somme que le développement de la sexualité féminine diffère énormément de celui de la sexualité masculine, à partir du stade phallique. Le Sur-Moi de l’homme se forme pour liquider le complexe d’Œdipe et le complexe de castration intriqués. Il a pour but d’éviter au Moi le retour de l’angoisse de castration qui serait déclenchée par l’intrication de l’agressivité et de la passivité érotique et affective vis-à-vis ae l’objet d’amour, ambivalence qui ne permettrait ni l’automatisme physiologique du coït, ni l’attitude mâle sociale dans la vie. De plus, le garçon est défavorisé par rapport à la fille, en ce sens que dans les familles où l’on interdit la masturbation phallique trop tôt, il n’a plus à sa disposition de zone érogène à investir et ne peut que régresser à ces stades archaïques cas-trateurs pour sa virilité.

Le renoncement à l’érotisme génital dans l’ambiance affective œdipienne, que représente donc souvent pour les garçons l’adaptation sociale avant la puberté, explique la fréquence des symptômes névrotiques et des troubles du caractère chez eux. Le dynamisme de leurs pulsions agressives donne à leur attitude de révolte contre l’angoisse de castration un retentissement familial scolaire et social.

Au contraire, la fille a des moyens occultes de lutter, l’inhibition, la résistance passive ; et si elle lutte avec les réactions névrotiques d’un complexe de virilité au service d’un Moi puissant, elle ne montre jamais de troubles sociaux ou du caractère avant la puberté. Son agressivité intellectuelle et culturelle lui vaut même, alors (avant qu’elle n’ait atteint l’âge nubile) l’admiration des adultes et aes satisfactions triomphantes d’amour-propre sur ses contemporaines, dont la phase de latence se passe dans une active passivité, ou plutôt dans une activité féminine, qui paraît moins brillante et l’est parfois au point de vue strictement scolaire, que ne l’est celle de la fille masculinisée névrotiquement. C’est sans doute ce qui explique qu’en consultation nous ayons une proportion de sept consultants garçons pour une fille ! alors que plus tard la psychopathologie des femmes est bien plus fournie que celle des nommes (frigidité, constipation, migraines, etc. ;.

On peut alors se demander si le Sur-Moi n’est pas en définitive un mécanisme de défense dû tout de même à un reste latent d’angoisse de castration sexuelle chez un individu qui n’aurait pas tout à fait liquidé, inconsciemment, ses conflits prégénitaux.

La sévérité du Sur-Moi chez la fille qui n’a pas investi la zone érogène vaginale par non-liquidation d’angoisse de castration phallique, comparée à l’absence du Sur-Moi de la fille qui l’a liquidée, mais qui reste infantile affectivement jusqu’au jour où elle vivra son complexe d’Œdipe ou sa ménopause, et n’a donc pas connu l’angoisse de castration vaginale, sont des faits cliniques qui sembleraient appuyer cette hypothèse.

Il n’est pas exclu que chez un être adulte au point de vue libidinal, c’est-à-dire parvenu au stade génital oblatif dominant, le Sur-Moi soit rudimentaire ou même absent, et les énergies libidinales toutes au service d’un Moi motivé dans sa conduite par l’attraction d’un Idéal dont l’axe campé aux sources de son génie sexuel n’est pas brisable.

Mais un tel être, s’il existe, n’a probablement jamais été étudié par les psychanalystes, car son absence d’égotisme lui fait accepter de ne point résoudre les problèmes humainement insolubles, sans tomber pour autant dans la névrose.