L’univers du personnel
I. Le matériau humain
Si l’on examine la fonction des institutions totalitaires, il semble que bon nombre d’entre elles n’aient d’autre but que d’assurer, comme de simples magasins, la mise en dépôt de leurs pensionnaires mais, ainsi que nous l’avons déjà indiqué elles se veulent, pour le public, des organisations rationnelles conçues selon un plan concerté et soucieuses de tous les détails ; en somme, des machines bien huilées vouées à des fins officiellement affichées et non moins officiellement approuvées. Nous avons également noté que l’un des objectifs officiels les plus fréquemment invoqués est la rééducation des reclus en fonction de quelque norme idéale. Cette contradiction entre ce que font effectivement les institutions totalitaires et ce qu’elles sont censées faire selon les déclarations des responsables constitue l’arrière-plan sur lequel s’inscrit l’activité quotidienne du personnel d’encadrement.
L’homme comme chose
Dans ce contexte, il faut sans doute souligner d’abord que le travail du personnel, et par là son univers, n’ont d’autre objet que la personne humaine. Ce « travail sur l’homme » n’entre ni dans le cadre du « travail sur le personnel » ni dans celui des relations de service. La tâche du personnel d’encadrement n’est pas d’effectuer un service mais de travailler sur des objets, des produits, à cela près que ces objets, ces produits, sont des hommes.
En tant que matériau, les hommes peuvent revêtir en quelque sorte les mêmes caractéristiques que des objets inanimés. Les chirurgiens préfèrent opérer des malades minces plutôt que des gros, parce que sur les gros les instruments glissent et qu’il faut commencer par trancher des tissus superflus. Dans les hôpitaux psychiatriques les services de la morgue préfèrent les cadavres de femmes minces à ceux d’hommes corpulents car les « macchabées » pesants sont difficiles à remuer et qu’il est malaisé d’enfiler des vestons d’hommes sur des membres raidis. De même, les bévues commises dans le maniement des objets, aussi bien animés qu’inanimés, peuvent laisser des traces révélatrices. Et, exactement comme un article usiné à la chaîne doit être accompagné d’une fiche-témoin portant indication des opérations exécutées, du nom de l’exécutant, de ce qui reste à faire et de l’identité des derniers responsables, un objet humain qui circule à travers l’organisation d’un hôpital psychiatrique par exemple, doit être accompagné d’une série de renseignements qui donnent le détail de ce qui a été fait au patient, de ce qu’il a fait lui-même, et le nom du dernier responsable qui l’a pris en charge. Il n’est pas jusqu’à la présence ou l’absence de tel malade à tel repas, ou au cours de telle nuit qui ne doive être enregistrée pour permettre la mise à jour du compte des charges et des factures. Tout au long de la carrière du reclus, depuis le bureau des entrées jusqu’au coin de terre où on l’ensevelit, son dossier se grossira des notes officielles rédigées par le personnel des différents services où il a séjourné quelque temps, et longtemps après sa disparition physique ses traces étiquetées survivront, entités susceptibles d’investigations nouvelles, dans le système bureaucratique de l’hôpital.
L’homme comme fin
Lorsque l’on veut faire de l’homme un usage continu, certaines précautions s’imposent, en raison des caractéristiques physiologiques de l’organisme. Mais il en est de même des objets inanimés : la température d’un entrepôt doit être maintenue à un niveau constant quel qu’en soit le matériel – choses ou gens – qui y est entreposé. De même que le travail dans les mines d’étain, les fabriques de peinture ou les ateliers d’usines chimiques comporte certains risques spécifiques pour le personnel, il existe également (du moins le personnel en est-il persuadé) des risques professionnels dans l’accomplissement de certaines besognes sur l’homme. Dans les hôpitaux psychiatriques, les employés croient que les malades peuvent « sans raison » se jeter sur un membre du service et le blesser. Certains infirmiers pensent qu’un contact prolongé avec les malades mentaux peut avoir des effets de contagion. Dans les sanatoriums et les léproseries, le personnel se sent tout particulièrement et constamment exposé à de graves maladies.
En dépit des ressemblances qui existent entre le travail sur l’homme et le travail sur l’objet inanimé, les caractères essentiels qui déterminent l’univers professionnel du personnel découlent des aspects spécifiques de l’homme considéré comme matériau sur lequel on agit. Selon les principes moraux répandus dans la société qui entoure l’institution totalitaire, la personne est presque toujours considérée comme une fin en soi. Nous pensons constamment dans ces conditions que certains types de démarches, techniquement superflues, doivent être observés dans la manipulation du matériau humain. Ce respect de ce que nous appelons les principes d’humanité fait, par définition, partie de la « responsabilité » de l’institution et c’est là une des garanties que l’institution est censée assurer au reclus en échange de sa liberté. Le personnel des établissements pénitentiaires doit surveiller les candidats au suicide, faire échec à leurs plans et leur procurer tous les soins médicaux nécessaires, même si cela doit entraîner l’ajournement de leur exécution. On a parfois signalé des faits de ce genre dans les camps de concentration nazis, où certains déportés recevaient des soins, bien qu’on les destinât, à brève échéance, à la chambre à gaz.
Une seconde particularité doit être prise en compte dans la définition de l’univers professionnel du personnel : le fait que le reclus occupe une certaine position dans le monde extérieur et y possède certaines relations. Cette caractéristique a un rapport évident avec l’exigence déjà mentionnée pour l’institution de respecter certains des droits du reclus en tant que personne. Même dans le cas d’un malade mental totalement pris en charge par l’institution et quasiment privé de tous ses droits civils, un énorme travail de paperasserie sera nécessaire. En effet, les droits dont on prive le malade sont en général transmis à un parent, un tuteur ou même à l’économe de l’hôpital, qui devient ainsi le représentant légal dont l’autorisation est nécessaire pour le règlement des nombreuses questions extérieures à l’institution : prestations de sécurité sociale, impôts sur le revenu, gestion des biens, primes d’assurances, pensions de vieillesse, coupons de rentes, honoraires dentaires, obligations légales contractées avant la prise en charge, communication des dossiers psychiatriques à des compagnies d’assurances ou à des hommes de loi, visites autres que familiales, etc. C’est à l’institution qu’il incombe de s’occuper de toutes ces questions, ne serait-ce que pour transmettre les décisions à ceux qui sont investis du pouvoir légal de les exécuter.
Si le personnel garde conscience de l’obligation où il se trouve de respecter ainsi les règles et les droits des reclus, ce n’est pas seulement par le jeu de ses coordonnées internes : la société dispose aussi à cet effet d’un certain nombre de chiens de garde et c’est souvent la famille du reclus ou même le « matériel de travail » lui-même qui détient ce rôle. Il est des infirmiers d’hôpitaux psychiatriques qui préfèrent travailler dans les salles de gâteux parce qu’on y perd moins de temps à faire face aux requêtes des malades que dans les salles dites meilleures dont les occupants qui ont un bon contact sont plus exigeants. Il existe même des expressions consacrées – comme le terme de « requin » en usage dans la marine – qu’utilise le personnel pour qualifier ceux qui demandent à être traités « dans les règles ». La famille et les autres censeurs posent un problème particulier car si l’on peut faire entendre au reclus qu’on lui fera payer un certain prix les revendications qu’il formule lui-même, les tiers se laissent en général moins facilement convaincre et remuent ciel et terre pour présenter, dans l’intérêt de celui-ci, des requêtes qu’il ne saurait formuler sans rougir.
Le maniement du matériel humain
La multiplicité des cas dans lesquels il faut considérer le reclus comme une fin en soi et la multitude des reclus mettent obligatoirement le personnel en présence de dilemmes classiques pour quiconque a la responsabilité d’un groupe d’hommes. Du fait que le fonctionnement d’une institution totalitaire ressemble quelque peu à celui d’un État, son personnel subit des épreuves qui ne sont pas sans rappeler celles qui assaillent les gouvernants.
Prenons le cas d’un reclus sans famille : la conviction qu’il faut, dans son intérêt, respecter certaines règles peut imposer la nécessité d’en violer d’autres, ce qui exige un difficile dosage des fins poursuivies. Ainsi, pour empêcher un reclus de se suicider, le personnel peut juger nécessaire de le placer sous surveillance constante, voire de l’attacher à une chaise dans une petite pièce fermée à clé. Pour empêcher un malade mental d’écorcher des plaies à vif et lui éviter le déroulement sans fin du cycle guérison-aggravation, le personnel peut être amené à lui ôter la liberté de ses mains. Un malade qui refuse de manger peut se voir infliger l’humiliation de l’alimentation par gavage ; enfin, si l’on veut, dans les sanatoriums, donner aux malades une chance de guérir, il faut leur enlever la possibilité de s’amuser comme ils l’entendent171.
Il peut aussi arriver que les règles dont un reclus s’estime en droit d’attendre le respect soient en conflit avec celles qu’un autre souhaiterait voir appliquées. Ainsi, dans les hôpitaux psychiatriques, si on laisse la grille du parc ouverte à l’intention de ceux qui ont l’autorisation conditionnelle de sortir en ville172, il faut alors enfermer les patients que l’on aurait pu autrement laisser sortir en toute tranquillité dans le parc ; de même, si l’on y installe une cantine ou une boîte à lettres, il faudra refuser l’accès du parc aux malades qui sont au régime ou à ceux qui écrivent des lettres de menace ou des billets obscènes.
L’obligation faite au personnel d’observer certaines règles humanitaires dans la manière de traiter les reclus pose en elle-même des problèmes, mais le conflit permanent qui oppose d’une part ces préoccupations humanitaires et de l’autre l’efficacité de l’institution débouche sur un autre ordre de difficultés caractéristiques. Pour prendre un seul exemple, les biens personnels d’un individu constituent une part importante de la base matérielle sur laquelle il construit sa personnalité, mais il semble que le personnel ait d’autant plus de facilité pour s’occuper d’un reclus que celui-ci a atteint un stade de dépossession plus avancé ; si les chambres des hôpitaux psychiatriques peuvent s’adapter avec une remarquable souplesse aux variations quotidiennes de l’effectif des malades, c’est qu’entrants et sortants n’ont aucun bien personnel – si ce n’est leur propre personne – et ne disposent pas du droit de choisir leur place. En outre, la facilité avec laquelle s’effectuent les opérations d’entretien des effets s’explique par le fait que tous les vêtements sales sont entassés sans distinction dans un même ballot, et que les vêtements nettoyés sont distribués sans considération particulière de propriété, en fonction simplement des correspondances approximatives de tailles. De même, si l’on veut s’assurer rapidement que les malades qui sortent dans le parc sont chaudement vêtus, il n’est de meilleur procédé que de placer à la porte de la salle un tas de vestes que l’on distribue aux malades lorsqu’ils passent devant, sans leur laisser le choix de décider s’ils doivent ou non en prendre une et laquelle ; et l’on exige pour les mêmes raisons de santé qu’ils restituent bon gré mal gré ces vêtements « collectifs » à leur retour.
La coupe d’un vêtement peut être déterminée par des considérations utilitaires et non d’esthétique, comme le montre cette publicité commerciale :
« Combinaison gaie, robuste, fermeture par boutons-pression, d’une seule pièce, spécialement conçue et expérimentée par des établissements pour malades mentaux et arriérés. Contrarie les instincts d’exhibition. Très résistante, s’enfile par-dessus la tête, dispense de soutien-gorge et de tout autre sous-vêtement. Boutons-pression à l’entre-jambes pour faciliter la satisfaction des besoins intimes. Modèles imprimés de jolis dessins ou en deux couleurs. Encolure ronde, en V ou carrée. Ne se repasse pas »173.
De même qu’en certaines circonstances les biens personnels contrarient la bonne marche des opérations qui se déroulent à l’intérieur de l’institution et, peuvent pour cette raison être supprimés, certaines parties du corps humain peuvent aussi faire obstacle à une gestion efficace et il arrive que l’on doive opter pour l’efficacité. Pour que les reclus aient toujours la tête propre et soient aisément reconnaissables, l’efficacité commande de leur raser complètement le crâne, leur présentation dût-elle en souffrir. Dans le même ordre d’idées, certains hôpitaux psychiatriques ont jugé utile d’arracher les dents aux sujets qui mordent, de faire subir l’hysterectomie aux femmes qui recherchent trop la compagnie des hommes et de lobotomiser les sujets manifestant une agressivité chronique. C’est la même contradiction entre les intérêts de l’institution et ceux de la personne humaine que l’on retrouve dans la pratique de la flagellation à bord des navires de guerre.
« L’un des arguments avancés par les officiers de marine en faveur du châtiment corporel est le suivant : il est infligé en un rien de temps, et une fois la chemise réajustée sur le dos du prisonnier, tout est terminé, tandis qu’un autre châtiment entraînerait sans aucun doute une perte de temps, et des ennuis considérables et donnerait en outre au marin une idée injustifiée de son importance »174.
Le travail sur la personne humaine se différencie donc des autres types d’activité, et cela, en raison de la diversité complexe des relations et des positions sociales que chaque reclus importe avec lui dans l’institution ainsi que de la nécessité de respecter, par égard pour lui, certaines règles d’humanité. Une autre différence réside dans le fait que les reclus ont le droit de sortir des limites de l’établissement pour faire des visites : les institutions étant en partie responsables de ce dont ils peuvent se rendre coupables à l’extérieur, on comprend que bon nombre d’entre elles voient d’un œil peu favorable ce genre de sorties. La possibilité de disposer des objets humains par la menace, les récompenses ou la persuasion, à recevoir des directives et à les exécuter d’eux-mêmes sans qu’on ait à s’en occuper constitue une nouvelle différence, la plus importante peut-être, entre le travail sur l’homme et les autres formes d’activité. La durée de la période pendant laquelle on peut laisser en toute quiétude sans surveillance ce type d’« objet » accomplir les actions dont on lui a préalablement tracé les lignes directrices est évidemment très variable, mais l’organisation des quartiers les plus « bas » des hôpitaux psychiatriques nous montre que, même dans le cas-limite des schizophrènes catatoniques, on peut accorder aux malades une large confiance. Il n’y a guère que les installations électroniques les plus perfectionnées pour présenter des aptitudes semblables.
Si les matériaux humains sont incapables de se montrer aussi résistants que les objets inanimés, ils peuvent par contre percevoir et comprendre les plans du personnel et par là le gêner avec plus d’efficacité que ne le peuvent les matériaux inanimés, incapables de déjouer des plans par des manœuvres délibérées et intelligentes (bien qu’il nous arrive parfois de réagir à leur égard comme s’ils possédaient cette vertu). C’est pourquoi, dans les prisons ou dans les « meilleurs » quartiers des hôpitaux psychiatriques, les surveillants doivent être prêts à faire face à des tentatives concertées d’évasion, surveiller constamment ceux qui cherchent à les « coincer » ou à les mettre en difficulté par les moyens les plus divers. Même si le gardien sait que le reclus agit ainsi simplement pour rehausser sa dignité ou chasser son ennui, son anxiété n’en est pas moins vive175. Même le malade mental le plus vieux et le plus faible possède un pouvoir terrible en la matière : il lui suffit par exemple de serrer les poings dans les poches de son pantalon pour rendre remarquablement difficile la tâche de l’infirmier chargé de le déshabiller. C’est une des raisons pour lesquelles le personnel cache au reclus les décisions qui le concernent, car informé de ces projets et des désagréments qui risquent d’en résulter, celui-ci pourrait délibérément en contrarier l’exécution. C’est ainsi par exemple qu’on raconte des histoires réconfortantes aux malades mentaux que l’on prépare à l’électro-choc et que l’on s’arrange même parfois pour qu’ils ne voient pas la salle dans laquelle le traitement doit leur être administré.
Les pièges de la compassion
Une troisième différence importante entre les matériaux humains et les autres objets pose elle aussi des problèmes spécifiques : quelle que soit la distance que le personnel essaie de mettre entre lui et ces « matériaux » ceux-ci peuvent faire naître des sentiments de camaraderie, voire d’amitié. Il existe un danger permanent que le reclus prenne une apparence humaine. Le personnel compatissant souffrira lorsqu’il lui faudra le soumettre à un traitement rigoureux (c’est pourquoi les officiers prétendent garder leurs distances à l’égard de leurs hommes). D’autre part, si un reclus viole le règlement, le personnel aura d’autant plus tendance à considérer ce fait comme un coup porté à son propre système de valeurs qu’il en considère l’auteur comme un être humain : parce qu’il attend d’une créature raisonnable une réaction « raisonnable », le personnel ressent comme une offense ou une provocation qui excite sa colère tout manquement du reclus aux réactions qu’on attend de lui.
L’aptitude des reclus à devenir objets de sollicitude de la part du personnel s’intègre parfois dans une sorte de système de réactions en chaîne. Au départ, l’employé se retire à une telle distance des reclus qu’il lui est impossible de prendre conscience des privations massives et des perturbations dont ils peuvent souffrir du fait de leur présence dans l’institution, puis il ne voit pas de contre-indication à se rapprocher affectivement de certains d’entre eux. Ce rapprochement cependant le rend vulnérable : s’il peut dès lors souffrir de ce que fait le reclus, ou des peines qu’il éprouve, il en vient à constituer une menace pour l’équilibre des rapports fondé sur le maintien d’une certaine distance entre ses collègues et les reclus. Par réaction, l’individu « suspect » de compassion peut se sentir « mis à l’index » et se réfugier dans un travail de bureau, un travail d’« administration » (committee work) ou toute autre tâche de routine, limitée au champ d’activité quotidien du personnel. Une fois écartés les dangers des contacts avec les reclus, il cesse peu à peu de croire à la nécessité de la prudence et le cycle reprend.
Il suffit d’ajouter à l’obligation où se trouve le personnel de respecter certaines règles d’humanité le fait qu’il peut en venir à considérer les reclus comme des êtres raisonnables et responsables, capables de susciter des contacts affectifs, pour avoir une juste représentation de certaines des difficultés propres au travail sur l’homme. Dans les hôpitaux psychiatriques, il se trouve toujours des malades pour commettre des actes pitoyables qui vont de toute évidence à l’encontre de leur intérêt. Ils boivent de l’eau qu’ils ont d’abord eux-mêmes polluée, ils se gavent, à l’occasion du Thanks giving day ou de Noël, à tel point qu’en ces circonstances on voit inévitablement se déclarer parmi eux des cas d’ulcères hémorragiques et d’occlusions œsophagiennes ; ils se précipitent tête en avant contre les murs, arrachent leurs agrafes après une intervention chirurgicale bénigne, jettent dans les toilettes les fausses dents sans lesquelles il leur est impossible de manger et dont il leur faudra attendre des mois le remplacement et mettent en miettes les lunettes sans lesquelles ils ne peuvent plus voir. En s’efforçant d’empêcher ces actes aussi manifestement auto-destructeurs, les membres du personnel se trouvent parfois placés dans l’obligation de rudoyer les malades ; ils apparaissent ainsi sous les traits d’individus impitoyables et durs alors même qu’ils travaillent à empêcher des gens de commettre sur leur propre personne des actes qu’aucun homme ne devrait, selon eux, commettre sur un autre. On comprend qu’en de telles circonstances il soit particulièrement difficile pour le personnel de rester maître de ses sentiments.
II. L’idéologie officielle des institutions totalitaires
La logique de la réinterprétation
L’emploi du temps du personnel est réglé en fonction des exigences spécifiques du travail sur l’homme, qui lui-même se déroule dans un climat moral très particulier. C’est le personnel qui doit faire face à l’hostilité et aux récriminations des reclus et, en général, il n’a rien d’autre à opposer que les arguments qui définissent l’optique de l’institution.
Les buts déclarés des institutions totalitaires sont peu nombreux : objectifs économiques, éducation, instruction, traitement médical ou psychiatrique, purification religieuse, défense de la société contre la corruption ou – pour reprendre les termes d’une étude sur les prisons – « neutralisation, sanction, prévention, guérison »176. Il est facile de voir combien les institutions totalitaires sont loin d’atteindre ces buts officiels. Mais on voit moins aisément que chacun de ces buts, chacune de ces assignations, est comme une clef précieuse qui donne accès à la signification de l’institution, un langage de référence auquel le personnel, et parfois même le reclus ont recours pour expliquer toutes les failles de l’action. Ainsi, si l’on a recours à un cadre de référence médical, ce n’est pas uniquement pour déterminer l’opportunité de tel médicament et en motiver le choix. C’est que cette perspective se prête à justifier toutes sortes de décisions, depuis la fixation de l’heure des repas jusqu’à la façon de plier le linge. Chacun de ces buts officiels permet le développement d’une doctrine qui a ses martyrs et ses inquisiteurs et l’on ne veut pas qu’il y ait au sein de l’institution un moyen naturel de freiner la liberté d’interprétation abusive qui en résulte. Toute institution doit non seulement tendre à atteindre les buts qu’elle s’est donnés, mais aussi à se protéger contre l’espèce de tyrannie qu’implique la polarisation sur ces buts afin que l’exercice de l’autorité ne tourne pas à la chasse aux sorcières. La hantise de la « sécurité » qui sévit dans les prisons et les actions que le personnel commet en son nom témoignent de ces dangers. Paradoxalement, il n’est pas de lieu où, plus que dans les institutions totalitaires, pourtant peu « intellectuelles », les recherches de vocabulaire et d’expression verbale soient, depuis quelque temps du moins, l’objet d’un intérêt plus fébrile.
Le schéma interprétatif de l’institution totalitaire commence à s’appliquer automatiquement dès l’entrée : le personnel part en effet du principe que tout entrant est, – du fait même de son entrée – une de ces personnes pour lesquelles l’institution a été spécifiquement créée. L’interné d’une prison politique ne peut être qu’un traître, dans une prison civile c’est obligatoirement un délinquant, dans un hôpital psychiatrique ce ne peut être qu’un malade : s’il n’était ni traître, ni délinquant, ni malade, pourquoi serait-il là ?
Cette identification automatique du reclus n’est pas seulement un moyen pratique de lui donner un nom, elle constitue l’un des facteurs essentiels de contrôle social :
« La culture du surveillant vise essentiellement au contrôle des malades, qu’il faut assurer indépendamment de leur bien-être. Cela se manifeste particulièrement dans l’attention que l’on porte à leurs requêtes ou à leurs désirs : tout ce qu’ils expriment est retenu comme preuve de leur désordre mental, que ce soit fondé ou non, quel que soit le calme ou la politesse avec lesquels ils le formulent. Les surveillants ne reconnaissent jamais l’existence du normal dans un milieu où l’anormal est de règle. Lorsque ce comportement est rapporté aux médecins, ceux-ci confirment la plupart du temps l’opinion des surveillants. Ainsi, les médecins eux-mêmes contribuent à accréditer l’idée que ce qui compte surtout, lorsque l’on a affaire à des malades mentaux, c’est d’en assurer la surveillance »177
Lorsqu’il est permis aux reclus d’avoir un contact direct avec le personnel, il se réduit souvent de la part du reclus à une série de requêtes ou de vigoureuses « prises à partie » devant lesquelles le personnel essaie de justifier le traitement restrictif en vigueur dans l’institution. C’est sur ce mode en général que s’établissent les interrelations entre les malades et le personnel dans les hôpitaux psychiatriques. Parce qu’il doit surveiller le reclus et défendre l’institution au nom des buts qu’elle proclame, le personnel a recours à ce genre d’identification indifférenciée des reclus qui lui rend cette conduite possible. Le problème du personnel est alors de trouver un crime qui soit adapté au châtiment.
En outre, les faveurs et punitions distribuées par le personnel s’expriment souvent dans un langage qui reflète les objectifs que l’institution veut légitimer. C’est ainsi que dans les prisons on qualifie la mise en cellule de « méditation constructive ». Les reclus, tout comme le personnel subalterne, auront la tâche délicate de traduire ces tournures idéologiques dans la langue claire du système des privilèges et vice-versa, témoin cette analyse de Belknap sur la manière de punir un malade mental qui a enfreint le règlement.
« Habituellement, dans un cas de ce genre, ces manquements que sont l’impudence, l’insubordination ou la familiarité excessive deviennent, traduits en termes plus ou moins professionnels, « dérangement mental » ou « surexcitation » et sont présentés par les surveillants au médecin sous forme de rapport médical sur l’état du malade. Le médecin doit alors officiellement annuler ou modifier les privilèges dont jouit le malade dans le quartier ou décider son transfert dans un autre quartier d’où ce malade devra recommencer toute sa progression à partir du niveau le plus bas. Un « bon » docteur, dans l’esprit des surveillants, est celui qui ne pose pas trop de questions sur ces transpositions du vocabulaire médical »178
Certaines actions, qui n’ont pourtant pas de rapports évidents ou habituels avec la discipline, peuvent aussi être envisagées dans la perspective de l’institution. Ainsi Orwell raconte qu’à l’école où il était pensionnaire, l’incontinence d’urine passait pour un signe de saleté et de méchanceté179 et que l’on y considérait des anomalies d’ordre encore plus nettement physique avec le même état d’esprit.
« J’avais les bronches en mauvais état et une lésion à un poumon qui ne fut décelée que bien des années plus tard. Cela ne me valait pas seulement d’être affligé d’une toux chronique : lorsqu’il me fallait courir, c’était pour moi un vrai supplice. À cette époque, pourtant, le diagnostic porté sur un asthmatique ou sur un « malade des bronches », comme on disait, en faisait soit un malade imaginaire, soit un taré moral dont le déséquilibre venait d’un excès de nourriture. « Quand tu respires, on dirait un vrai soufflet, me disait, réprobateur, Sim (le directeur) qui se tenait derrière ma chaise… Tu es toujours en train de te bourrer de nourriture : voilà ce que cela donne… »180.
Les camps chinois de « lavage de cerveau » sont réputés pour avoir développé à l’extrême ce processus interprétatif en faisant des événements quotidiens et anodins puisés dans le passé du prisonnier autant de manifestations d’une action contre-révolutionnaire181.
Il est certes possible d’envisager les désordres mentaux selon une optique psychiatrique et de voir dans le crime ou l’action contre-révolutionnaire les effets du milieu ; dans ces deux cas, le coupable se trouve libéré de toute responsabilité morale à l’égard de ses actes. Cependant, les institutions totalitaires peuvent difficilement accorder un grand poids à ce type particulier de déterminisme. Il faut faire en sorte que les reclus puissent assumer de façon acceptable l’autonomie de leur comportement sans pour cela causer d’ennuis. Pour atteindre ce but, on doit voir dans le comportement du reclus – conforme ou non à ce que l’on souhaiterait – l’expression de sa volonté personnelle et de son caractère et admettre qu’il peut lui-même les contrôler. Bref, l’optique de chaque institution renferme sa propre morale et au niveau de chacune d’elles on peut suivre, en miniature, la genèse de quelque chose qui s’apparente à une conception fonctionnaliste de la vie morale.
La construction d’une nature
La traduction de la conduite du reclus en termes moraux conformes à la perspective officielle de l’institution implique nécessairement d’importantes présuppositions sur la nature de l’homme en général. Compte tenu des reclus dont il a la charge et de la manière dont il doit se conduire à leur égard, le personnel tend à élaborer une sorte de théorie de la nature humaine. Implicitement contenue dans l’optique de l’institution, cette théorie rationalise l’activité, offre un moyen subtil de maintenir une certaine distance vis-à-vis des reclus, donne de ces derniers une image stéréotypée et justifie le traitement qui leur est dispensé182. Cette théorie enveloppe en général tout ce que les reclus peuvent faire, de « bien » ou de « mal », toutes les formes d’action subversive, la valeur éducatrice des faveurs et des punitions et la différence d’essence qui sépare personnel et reclus. Dans l’armée, les officiers ont leur théorie sur les rapports qui existent entre la discipline et l’obéissance des hommes au feu, les qualités particulières des hommes, leur « point de rupture » et la différence qu’il y a entre un homme mentalement atteint et un simulateur. En même temps, on leur inculque une conception particulière de leur propre nature, comme l’atteste un ancien officier dans cette énumération des qualités morales que l’on compte trouver chez un officier :
« Même si la plus grande partie de l’entraînement avait pour but de développer la résistance physique, on n’en croyait pas moins dur comme fer qu’un officier, solide ou non, devait toujours avoir assez de cran (ou de « tripes ») pour ne jamais admettre son insuffisance physique et tenir jusqu’à ce qu’il tombe, terrassé par une syncope ou par la mort. Cette croyance très révélatrice relevait d’un esprit mystique, tant par sa nature que par son intensité. Un jour, après avoir « crapahuté », deux ou trois officiers sortirent des rangs, se plaignant d’avoir des ampoules ou quelque autre légère indisposition. L’instructeur-chef, pourtant plein de délicatesse et de complaisance pour sa propre personne, les prit très rudement à partie. C’est très simple, dit-il, un officier ne peut pas tomber, et il ne tombe pas. À défaut d’autre chose, la seule force de sa volonté doit le faire marcher, sans arrêt, c’est une affaire de « tripes ». Cette argumentation suppose implicitement que l’officier appartient à une caste supérieure puisque, dans les autres rangs, les hommes pouvaient se permettre de tomber, et tombaient effectivement, bien qu’ils fussent souvent plus résistants. Plus tard, je découvris chez les officiers l’idée qu’il leur était possible d’accomplir des exploits physiques ou de supporter de grandes difficultés sans avoir à s’y préparer comme le simple soldat. Les officiers par exemple étaient purement et simplement dispensés d’entraînement physique : ils n’en avaient pas besoin, c’étaient des officiers, ils tiendraient jusqu’au bout, fussent-ils venus au champ de bataille tout droit du sanatorium ou du « bordel »183.
Dans les prisons, c’est à propos du crime que s’affrontent la théorie psychiatrique et celle de l’indigence morale. Les couvents élaborent des théories sur l’âme, sa faiblesse, sa force et les moyens de combattre ses défauts. Les hôpitaux psychiatriques occupent dans cet ensemble une place de choix, car les responsables s’instituent ouvertement spécialistes de la nature humaine et fondent leurs diagnostics et leurs prescriptions sur la connaissance qu’ils prétendent en avoir. C’est pourquoi on trouve dans les manuels classiques de psychiatrie des chapitres sur la « psychodynamique » et la « psychopathologie » qui contiennent de merveilleuses formules, explicites à souhait, sur la « nature » de la nature humaine184.
Dans beaucoup d’institutions totalitaires, la théorie de la nature humaine fait une large part à la croyance que, si l’on peut amener le nouvel arrivant à manifester d’emblée la plus grande déférence envers le personnel, il sera par la suite facile à manœuvrer, car en soumettant l’individu à ces exigences initiales, on brise en quelque sorte sa « résistance » ou son « caractère » : c’est l’une des raisons d’être de ces épreuves de force et de ces séances de « bienvenue » que nous avons précédemment décrites. Il va de soi que s’il parvient à entraîner l’adhésion de reclus à de semblables théories sur la nature humaine, le personnel se trouve confirmé dans ses opinions. De récentes études sur le comportement des militaires américains capturés pendant la guerre de Corée l’attestent. Une opinion très répandue aux États-Unis veut qu’un homme qui a été amené une fois au « point de rupture » soit par la suite incapable de manifester la moindre résistance en quelque circonstance que ce soit. C’est sans doute cette conception de la nature humaine, renforcée au cours de la période d’entraînement par les mises en garde répétées contre la moindre faiblesse, qui déterminait certains prisonniers à abandonner tout esprit de résistance dès qu’on leur avait arraché un aveu sans importance185.
La réinterprétation du travail
Une théorie de la nature humaine ne représente évidemment qu’un des aspects du schéma interprétatif proposé par l’institution totalitaire. Les perspectives que commande cette institution s’étendent aussi au domaine du travail. Dans la vie courante, les motivations ordinaires du travailleur sont le salaire, le profit ou le prestige et par conséquent l’élimination de ces mobiles retranche du même coup certaines justifications de l’action qu’il faut remplacer. Dans les hôpitaux psychiatriques, on parle officiellement de « thérapie industrielle » (industrial therapy) ou d’« ergothérapie », (work therapy)186 on confie aux malades certaines besognes, généralement humbles : ramassage des feuilles dans la cour, service de la table, travaux de blanchisserie, lessivage de parquets… La nature de ces tâches peut varier selon les besoins des établissements, mais la justification que l’on présente au malade est invariable : il s’agit toujours de travaux qui doivent l’aider à réapprendre à vivre en société et l’aptitude et le zèle dont il fera preuve dans leur exécution seront interprétés comme une preuve diagnostique d’amélioration187. Le malade peut lui-même voir le travail sous ce jour. Les institutions religieuses proposent, selon un processus identique, une autre définition du travail, ainsi qu’en témoigne cette sœur de l’ordre des Pauvres Clarisses :
« Voilà un autre merveilleux bienfait de la vie soumise. Nul ne peut prétendre faire une tâche plus importante que vous, dès lors que vous obéissez. Dieu ne fait pas de différence entre un balai, une plume ou une aiguille. La seule et infinie différence, au regard de Dieu, des Sœurs et du monde entier, tient à l’obéissance de la main qui manie ces objets et à l’amour que porte en son cœur la sœur qui les tient »188
« Il faut bien que, dans le monde, les gens se plient à des lois édictées par l’homme et aux menues interdictions de tous les jours. Les sœurs des ordres contemplatifs choisissent librement d’obéir à une règle monastique inspirée par Dieu. La dactylo à sa machine peut taper pour l’amour exclusif des dollars, en rêvant de pouvoir s’arrêter, la Pauvre Clarisse commise au balayage du cloître se donne à sa tâche pour l’amour de Dieu et, à ce moment-là, elle préfère le nettoyage à toute autre occupation que lui offrirait le monde »189.
Bien qu’il soit possible de voir s’affirmer dans certains établissements commerciaux des mobiles à caractère institutionnel très marqué190 – recherche du profit, de l’économie, par exemple – ces mobiles et les structures auxquelles ils se réfèrent peuvent cependant avoir pour fonction de limiter les autres formes d’interprétation. Malgré tout, lorsque la logique qui prévaut dans la société ordinaire ne peut plus être évoquée, le champ est dangereusement ouvert à toutes sortes d’interprétations divagantes et excessives et, pour finir, à de nouvelles formes de tyrannie.
Les reclus sont généralement traités selon des règles adaptées aux buts idéaux et aux fonctions de l’établissement : d’où la nécessité de services techniques travaillant dans un but humanitaire. Le plus souvent, ces services sont confiés à des spécialistes venus du dehors, ne serait-ce que pour éviter à la direction d’avoir à faire sortir les reclus des limites de l’institution pour des nécessités de service (il n’est pas recommandé de « faire sortir des moines, car ce n’est pas sain pour leur âme »191). Les étrangers attachés à l’établissement sur ces bases sont presque toujours déçus. Ils sentent qu’il leur est impossible d’accomplir en ces lieux les tâches pour lesquelles on les a appelés et qu’on les « exploite » pour donner plus de poids encore, par leur sanction professionnelle, au système des privilèges. Il semble que le mécontentement soit sur ce point unanime192. On trouve dans les annales de bon nombre d’hôpitaux psychiatriques une suite de témoignages de psychiatres mécontents qui menacent de partir afin de pouvoir faire de la psychothérapie. Il arrive souvent que la direction de l’hôpital crée, avec de gros moyens, un service psychiatrique spécialisé, groupe de psychothérapie, de psychodrame ou d’art-thérapie ; puis peu à peu l’intérêt se porte ailleurs et le spécialiste en place découvre que, progressivement, sa spécialité s’est transformée en une sorte de travail de relations publiques, sa thérapie ne recevant de marque de soutien que lorsque des visiteurs sont reçus à l’institution et que l’administration se met en tête de montrer à quel point l’équipement est moderne et complet.
Les spécialistes ne sont naturellement pas les seuls membres du personnel à qui les buts officiels de l’institution posent des problèmes. Ceux qui sont en contact permanent avec les reclus sentent eux aussi qu’ils sont placés devant une tâche contradictoire puisqu’il leur faut réduire les reclus à l’obéissance tout en donnant l’impression de respecter les principes d’humanité et atteindre les objectifs rationnels de l’institution.
171 Cf. Roth, « What Is an Activity », op. cit., p. 54-56.
172 Les « Patients with town parole » ou « town parole patients », malades autorisés à sortir en ville sont différents, dans les hôpitaux psychiatriques américains, des « ground parole patients » : malades autorisés à se déplacer dans les seules limites de l’hôpital. Lorsque les distinctions entre ces deux groupes n’est pas explicite (parole patients ou patients with parole status), on emploiera ici, en fonction du contexte, les expressions de « malades en liberté conditionnelle » ou de « malades à statut spécial ». L’emploi courant de ces expressions livre une indication précieuse car un pareil usage de « parole » a son origine dans le vocabulaire des prisons et procure ainsi un indice des rapports qui existent entre ces deux « institutions totalitaires ». (N. d. T.).
173 Annonce publicitaire parue dans Mental Hospital, VI, 1955, p. 20.
174 Cf. Melville, op. cit., p. 139.
175 On trouvera des précisions sur les grandes difficultés du rôle de gardien dans Mc Corkle et Korn, op. cit., p. 93-94, et dans Gresham et Sykes, « The Corruption of Authority an Rehabilitation », Social Forces, XXXIV, 1956, p. 257-62.
176 Cf. D. Cressey, « Achievement of an Unstated Organization Goal : An Observation on Prisons », Pacific Sociological Review, I, 1958, p. 43.
177 Cf. J. Bateman et H. Dunham, « The State Mental Hospital as a Specialized Community of Experience », American Journal of Psychiatry, CV, 1948-49, p. 446.
178 Cf. Belknap, op. cit., p. 170.
179 Cf. Orwell, op. cit., 506-9.
180 Ibid., p. 521.
181 Cf. R. Lifton, « Thought Reform of Western Civilians in Chinese Communist Prisons », Psychiatry, XIX, 1956, particulièrement p. 182-184.
182 Extrait du compte rendu fait par Everett C. Hugues, de l’ouvrage de Leopold Von Wiese, Spätlese, American Journal of Sociology, LXI, 1955, p. 182. Le terme anthropologique d’ethnopsychiatry couramment employé recouvre un ensemble identique, mais l’unité à laquelle il s’applique est une culture, et non une institution. Ajoutons que les reclus se forment eux aussi une théorie de la nature humaine, pour une part en prenant à leur compte celle du personnel, pour une part en élaborant leur propre théorie contre le personnel. Voir à ce propos, dans Mc Cleery op. cit., p. 14-15, la description pleine d’intérêt de l’évolution du concept de « rat » chez les prisonniers.
183 Cf. S. Raven, « Perish by the Sword », Encounter, XII, mai 1959, p. 38-39.
184 Le caractère envahissant de la théorie de la nature humaine que l’on professe dans toute institution est généralement très bien exprimé dans les hôpitaux psychiatriques d’avant-garde. Ces théories, qui devaient à l’origine s’appliquer aux reclus, y sont de plus en plus appliqués également au personnel à tel point que le personnel subalterne doit y sacrifier au cours de séances de psychothérapie collective et le personnel supérieur au cours de séance de psychanalyse individuelle. On tend même à faire appel à des médecins sociologues consultants qui s’occupent de l’institution dans son ensemble.
185 Voir l’article très utile d’Albert Biderman, « Social-Psychological Needs and Involuntary Behavior as Illustrated by Compliance in Interrogation » Sociometry, XXIII, 1960, p. 120-47.
186 Industrial therapy ; work therapy : aux États-Unis, on réserve généralement l’expression d’occupational therapy (cf. troisième étude, p. 1, infra) aux travaux effectués dans des ateliers spécialisés, sous la surveillance de représentants qualifiés du personnel, moniteurs ou surveillants spécialisés. Les tâches proposées (fabrication d’objets en raphia, poteries, articles de maroquinerie, etc.) n’ont pas d’utilisation directe au sein de l’hôpital. Le mot « ergo-thérapie » (work-therapy) est pris ici comme un euphémisme pour désigner la transposition des vertus « resocialisantes » prêtées à ces tâches, aux travaux utiles au fonctionnement quotidien de l’établissement, comme le ramassage des feuilles mortes, la tonte du gazon, le nettoyage des parquets, le lavage de la vaisselle, etc. Certaines de ces tâches rappellent l’organisation « industrielle » du travail (équipe de malades employés à la buanderie, à l’atelier de réparation de chaussures, aux services généraux de l’hôpital, etc.) d’où l’expression d’industrial therapy. (N. d. T.).
187 On aurait grand tort d’envisager ces « thérapies » dans une perspective trop désabusée. Un travail comme celui qui se fait à la blanchisserie ou à la cordonnerie a son rythme propre et se fait sous la direction d’individus qui ont plus d’affinités avec leur métier qu’avec l’hôpital ; aussi le temps consacré à ces besognes se déroule-t-il souvent beaucoup plus agréablement que celui que l’on passe dans un quartier sombre et silencieux. Bien plus, l’idée d’occuper les malades à un travail « utile » est apparemment si prisée dans notre société que l’on conserve des activités comme la réparation des chaussures ou la confection des matelas, au moins pendant quelque temps, bien qu’elles coûtent vraiment à l’institution.
188 Cf. Sœur Marie Francis, Clarisse, A Right to Be Merry, New York, Sheed and Ward, 1956, p. 108.
189 Ibid., p. 99. Le fait de donner à la pauvreté un sens différent qui en modifie la nature fait évidemment partie de la stratégie fondamentale de la vie religieuse. L’idéal de la simplicité Spartiate a également inspiré les groupes politiques de gauche et les groupes militaires. Plus couramment, on voit les beatniks donner aux signes de la pauvreté une signification particulière.
190 Cet effort d’interprétation en surface et en profondeur est bien dépeint dans le roman de Bernard Malamud consacré aux problèmes de gestion d’une petite épicerie, The Assistant, New York, New American Library, 1958.
191 Cf. The Holy Rule of Saint Benedict, ch. 66.
192 Cf. Harvey Powelson et Reinhard B. Bendix, « Psychiatry in Prison », Psychiatry, XIV, 1951, p. 73-86 et Waldo W. Burchard, « Role Conflict of Military Caplains », American Sociology Review, XIX, 1954, p. 528-35.