Analyse de l’enfant en période de latence16 (1958)

Le sujet à débattre est le traitement de l’enfant en période de latence et j’ai été invité à parler du Traitement psychanalytique, tandis qu’en regard, l’un de mes collègues était convié à prendre pour thème la Psychothérapie individuelle. Je m’attends à ce que nous commencions par la même question : comment établir une différence entre les deux ? En ce qui me concerne, je n’en suis pas capable. Pour moi, la question est la suivante : le thérapeute a-t-il eu une formation psychanalytique ou non ?

Au lieu de mettre nos sujets en contraste l’un par rapport à l’autre, il serait peut-être plus profitable de les distinguer de la psychiatrie infantile. Dans ma pratique, j’ai traité des milliers d’enfants de cet âge au moyen de la psychiatrie infantile. J’en ai soigné quelques centaines (en tant qu’analyste) par la psychothérapie individuelle. J’ai vu aussi, en psychanalyse, un certain nombre d’enfants de cet âge (plus de douze et moins de vingt). Les limites sont si floues qu’il ne m’est pas possible d’être précis.

Donc, pour moi, ce débat est plutôt un débat entre confrères accomplissant le même travail, mais préparés à ce travail par des méthodes de formation différentes. Il ne convient pas de discuter ici des modes de formation, bien que certains, on l’admettra, soient moins adéquats que d’autres.

Je ne suis pas surpris quand les recherches font apparaître que la psychothérapie et l’analyse d’enfants se ressemblent dans leurs comptes rendus, quelle que soit l’école à laquelle le thérapeute appartient. Si le tempérament du thérapeute convient, s’il est capable d’être objectif et de s’intéresser aux besoins de l’enfant, la thérapie s’adaptera alors aux besoins du cas, au fur et à mesure que ceux-ci se révéleront au cours du traitement.

Dans cette conférence, je crois que nous pouvons laisser de côté les thérapies fondées sur diverses positions qui diffèrent des nôtres et dont les suivantes pourraient être citées à titre d’exemple : thérapies éducatives, moralisatrices, persuasives, punitives, magiques, physiques.

Afin d’être clair, il me faut répéter que j’ai le sentiment qu’il n’est pas nécessaire d’opposer psychanalyse et psychothérapie individuelle. Ces termes peuvent recouvrir la même chose et il en est souvent ainsi.

Formé à la discipline psychanalytique, il me revient de parler comme tel et il me faut donc évoquer très brièvement la nature de la psychanalyse. Je parlerai ensuite du traitement de l’enfant au cours de la période de latence.

Nature de la psychanalyse

Il suffira, dans le cadre de cette conférence, de rappeler quelques principes généraux. La psychanalyse des enfants ne diffère pas de celle des adultes. La base de toute psychanalyse est une théorie complexe du développement affectif du nourrisson et de l’enfant, cette théorie dont Freud est à l’origine et qui ne cesse d’être élargie, enrichie et amendée.

Au cours des vingt ou trente dernières années, les progrès dans la compréhension du développement affectif de l’individu ont été si rapides qu’il est difficile à quiconque n’est pas spécialiste de ces questions de se mettre à jour par une étude des travaux spécialisés.

La théorie admet en postulat qu’il existe chez l’individu une tendance génétique au développement affectif aussi bien qu’à la croissance physique. Elle suppose une continuité à partir de la naissance (ou juste avant), un développement progressif de l’organisation et de la force du moi et l’acceptation progressive, par l’individu, de la vie instinctuelle personnelle et aussi de la responsabilité de ses conséquences, réelles et imaginaires.

Freud a établi l’importance de l’inconscient refoulé et, dans son étude des psychonévroses, il est parvenu à un point central, certainement le plus difficile à admettre par tous, celui qu’il a appelé le complexe d’Œdipe et sa complication inhérente que constitue l’angoisse de castration. Il a attiré l’attention sur la vie instinctuelle du petit de l’homme et sur le fait que c’est par rapport à cette vie instinctuelle en même temps qu’au fantasme total de l’instinct que surgissent les difficultés principales chez les individus sains, c’est-à-dire chez les enfants qui ont traversé les premiers stades essentiels du développement affectif sans trop de distorsions. On peut donc dire de la psychonévrose qu’elle est la preuve du poids de l’ambivalence dans les relations entre personnes « totales » relativement normales.

Peu à peu, comme on le sait, l’étude de l’enfant conduisit à définir les stades du développement du nourrisson et de l’enfant antérieurs au complexe d’Œdipe, les racines prégénitales de la génitalité. En fin de compte, le moi devint sujet d’étude et c’est ainsi que les analystes commencèrent, enfin, à observer le « self » du nourrisson, du nourrisson en tant que personne dépendant d’une autre.

Mélanie Klein nous a permis (entre autres choses) d’étudier un stade d’une importance vitale dans la relation entre l’enfant et la mère, celui auquel une capacité de sollicitude est atteinte. Elle a également attiré l’attention sur les mécanismes qui caractérisent la toute première enfance, période pendant laquelle l’objet, ou le sujet lui-même, est clivé de telle sorte que l’ambivalence est évitée. Anna Freud a aidé à clarifier les mécanismes de défense du moi. Les travaux de différents analystes, principalement des Américains, nous ont amenés à l’étude non seulement des mécanismes caractéristiques de la toute première enfance, mais aussi à celle du jeune enfant, de l’enfant en tant que personne dépendant des soins maternels. J’ai, moi-même, joué un certain rôle dans l’effort mené pour tenter de définir les phases les plus primitives au cours desquelles le nourrisson est fusionné avec la mère, émerge de cette fusion (par un mécanisme complexe et précaire) et doit, par conséquent, affronter les relations objectales qui ne font pas partie du « self ».

Toute cette évolution rend l’étude de la psychanalyse passionnante et d’une très grande importance pour celui qui étudie les troubles mentaux et leur prévention.

Diagnostic

On ne peut décrire la psychanalyse comme traitement sans parler du diagnostic. La situation psychanalytique classique a rapport au diagnostic des psychonévroses et l’on pourrait se contenter d’aborder ce sujet, assez vaste, en fait, pour de nombreuses conférences. Mais ce qu’on attend de nous maintenant, c’est de définir en quelques mots la psychanalyse en général, quel que soit le diagnostic, y compris celui de la normalité. Bien que le sujet ne puisse être abordé ici, il faut insister sur le fait qu’il existe de très grandes différences dans la technique de la psychanalyse, selon que l’enfant est névrosé, psychotique ou antisocial.

Pour compléter cela, j’ajouterai que la différence entre l’enfant et l’adulte vient de ce que l’enfant joue plus souvent qu’il ne parle, mais cette différence a peu d’importance et, en fait, quelques adultes dessinent ou jouent.

Le transfert

L’une des caractéristiques de l’analyse, c’est que l’analyste ne gaspille pas le matériel qui se présente à l’analyse en fonction de la relation affective qui s’établit entre le patient et lui. Ce matériel a une valeur car, dans le transfert inconscient, apparaissent des aperçus du schéma personnel de la vie affective du patient ou de la réalité psychique. L’analyste apprend à détecter ces phénomènes de transfert inconscients. Utilisant les indices fournis par le patient, il peut, au cours de chaque séance, interpréter ce qui est exactement prêt à être accepté consciemment. Le travail le plus fructueux est celui qui est accompli en fonction du transfert.

Notre débat, ici, pourrait utilement viser à décrire le transfert tel qu’il apparaît, d’une façon caractéristique, au cours de la période de latence.

La technique psychanalytique adaptée a l’enfant pendant cette période

Il nous faut maintenant étudier les particularités de la psychanalyse lorsque cette forme de traitement est adaptée à l’âge considéré. On admet généralement que, pour l’analyste, surtout pour le débutant, le groupe d’âge qui apporte le plus de satisfaction est le premier groupe, qui comprend les enfants de deux, trois ou quatre ans. Après la disparition du complexe d’Œdipe, des défenses formidables se développent.

Nature de la période de latence

Nous ne sommes pas encore certains de ce qui constitue cette période. Du point de vue biologique, il semblerait nécessaire de supposer que durant ces quelques années (de six à dix ans) le développement des instincts cesse, si bien que, pendant ce temps, l’enfant ne possède qu’une vie instinctuelle fondée sur ce qui a été établi durant la période précédente. À la puberté, des modifications recommenceront à intervenir et l’enfant aura alors besoin de s’organiser à nouveau contre un état de choses changeant. Il sera sur le qui-vive pour lutter contre des angoisses nouvelles et heureux de jouir d’expériences et de satisfactions également nouvelles et de nouveaux degrés dans la satisfaction.

Quoi qu’on puisse dire, par ailleurs, de la période de latence, il semble assez clair que nous' avons affaire à des défenses importantes, qui s’organisent et se maintiennent. Sur ce point, les deux auteurs principaux, Mélanie Klein et Anna Freud, se trouvent d’accord. Dans La Psychanalyse des Enfants (1932)17, Mélanie Klein commence le chapitre sur l’analyse de l’enfant en période de latence en parlant en ces termes des difficultés particulières de cette période : « À la différence du tout jeune enfant, dont la vive imagination et l’angoisse intense nous livrent plus aisément accès à l’inconscient, il n’a qu’une vie imaginative très restreinte en raison des fortes tendances au refoulement caractéristiques de cet âge. Par ailleurs, son moi n’ayant pas encore atteint un développement comparable à celui de l’adulte, il n’a ni conscience d’être malade, ni désir de guérir, de sorte qu’il lui manque à la fois un motif d’entreprendre l’analyse et le soutien nécessaire à sa poursuite. »

Anna Freud, dans le premier chapitre du Traitement psychanalytique des enfants (1946), aborde la question d’une phase d’introduction nécessaire à l’analyse des enfants. D’après les exemples donnés, on peut voir qu’elle parle surtout, mais pas exclusivement, d’enfants en période de latence.

Si on lit ces deux ouvrages, chacun d’une richesse infinie et témoignant d’une expérience clinique que nous pouvons envier, on peut y trouver soit des ressemblances, soit des différences. Il est certain que les ressemblances existent : elles ont pour thème une modification de la technique, qui apparaît nécessaire pour l’enfant en période de latence. Quant aux différences, il apparaît d’une façon moins évidente que beaucoup d’entre elles ont trait au diagnostic.

Restent les autres, et ce sont elles que nous désirons étudier. Immédiatement, nous remarquons que Mélanie Klein trouve bon d’interpréter les conflits inconscients et les phénomènes du transfert au moment où ils se présentent, et d’établir une relation avec l’enfant fondée sur l’aide apportée par ces interprétations. Anna Freud, par contre, vise à édifier une relation avec l’enfant à un niveau conscient ; elle décrit comment elle en vient peu à peu au travail de l’analyse avec la coopération consciente du patient. La différence est en grande partie affaire de coopération consciente ou inconsciente.

On pourrait exagérer ces différences, bien qu’elles soient très réelles dans certains cas. Selon moi, plus vite l’analyste interprète l’inconscient, mieux cela vaut ; cela oriente l’enfant vers le traitement analytique. Il ne fait pas de doute que dès que l’enfant ressent un soulagement, c’est signe pour lui qu’il y a quelque chose à tirer de l’analyse. D’un autre côté, il est possible de perdre quelques patients en période de latence, du fait qu’on n’aura pas acquis leur coopération consciente dans les premiers stades. Certes, on pourrait s’en remettre aux parents pour amener l’enfant à une compréhension intellectuelle de la nécessité du traitement et échapper ainsi à la responsabilité de la phase d’introduction dans l’analyse de l’enfant. Mais cette compréhension sera très différente suivant la manière de procéder des parents ou des tuteurs de l’enfant pour lui expliquer ce qu’il peut attendre de la séance quotidienne de traitement. Anna Freud prend délibérément sur elle la tâche d’expliquer à l’enfant ce qui se passe et Mélanie Klein laisse ce soin à ceux qui élèvent l’enfant, car elle espère pouvoir se passer d’explications à un niveau conscient en s’assurant rapidement de la coopération inconsciente, c’est-à-dire la coopération fondée sur le travail de l’analyse.

Il nous faut manier la situation selon chaque cas que nous traitons. Avec des enfants très intelligents, il est nécessaire de parler à leur intelligence, de la nourrir. Quelquefois, le cas se complique lorsque nous travaillons avec un enfant qui éprouve le sentiment que quelque chose se passe, tout en n’ayant pas la compréhension intellectuelle de ce que cela signifie. En tout cas, il serait regrettable de gaspiller la compréhension intellectuelle de l’enfant, qui peut s’avérer une alliée très puissante, bien que, naturellement, les processus intellectuels puissent, dans certains cas, être utilisés comme défense – ce qui rend l’analyse plus difficile.

Dans une certaine mesure, c’est encore de diagnostic qu’il s’agit ici. Lorsque nous avons affaire à une angoisse d’intensité psychotique, le besoin d’être aidé est très grand et l’aide doit être apportée immédiatement. Pourtant, même dans ce cas, il est possible de satisfaire l’intellect. Je pense en ce moment à un garçon de dix ans. Au moment où j’entrais dans la pièce pour le rencontrer pour la première fois, il disait à sa mère : « Mais tu ne comprends pas. Ce n’est pas du cauchemar que j’ai peur. Ce qui ne va pas, c’est que j’ai des cauchemars tout éveillé. » Par ces quelques mots, il donnait une description exacte de sa maladie et il me fut possible de partir de là, travaillant à la fois avec son intellect qui était très fin et donnant des interprétations à tous les niveaux, y compris les plus profonds.

En essayant de faire le départ entre les différentes opinions qui s’expriment et celles qui me sont personnelles, je m’aperçois que je souhaite citer le passage suivant de Berta Bornstein, extrait de son article : « À propos de la période de latence » (1951). Elle écrit : « Du point de vue de la capacité intellectuelle de l’enfant en période de latence, on pourrait s’attendre à ce qu’il associe librement. Les facteurs responsables qui le rendent incapable de le faire créent une limitation générale de l’analyse infantile. Il y a plusieurs raisons à cette incapacité ; la plupart sont bien connues et je n’en ajouterai qu’une, sur laquelle l’accent n’a pas encore été mis : l’association libre est vécue par l’enfant comme une menace particulière pour l’organisation de son moi. » (C’est moi qui souligne).

Je trouve que cette façon d’envisager la période de latence nous aide beaucoup. Je n’ai pas le temps de parler ici de la division, selon Berta Bomstein, de la période de latence en plusieurs phases. D’une façon générale, cependant, lorsque nous traitons des enfants de cet âge, il paraît important que nous nous rendions compte qu’ils sont parvenus à la santé mentale et qu’ils sont sortis du processus primaire. On ne doit pas porter atteinte à la réussite de leur moi. Ce même article se termine par les mots suivants – « Pendant l’analyse au cours de la période de latence, il faut prendre le plus grand soin de renforcer les structures faibles et de modifier celles qui contrecarrent un développement normal. Le choix du matériel à interpréter et la façon d’interpréter elle-même doivent s’adapter à ces buts. » C’est pour cette raison que nous coopérons avec l’enfant dans toutes sortes d’activités, rassemblant, en même temps, du matériel pour l’interprétation qui amènera le changement.

Berta Bomstein se réfère aussi à 1’ « idéal de la latence » selon Freud (1905 a), c’est-à-dire le succès de la mise à l’écart des exigences instinctuelles.

Je pense à un cahier que je possède. Chaque page de ce cahier représente un travail très constructif effectué par une petite fille en période de latence. C’était l’un de ces cas difficiles car l’on peut dire qu’elle présentait pour seul symptôme, ou presque, de mouiller son lit. Derrière cela, il y avait un trouble du caractère qui ne se rattachait que trop bien au propre refoulement homosexuel de la mère. Lorsqu’on examine ce cahier, sa caractéristique est qu’il se compose principalement de tableaux très bien construits, coloriés au pastel. Pour moi, l’analyse fut extrêmement ennuyeuse. La petite fille semblait m’éliminer. Au milieu de la cinquantaine de dessins, il n’y en avait que deux ou trois qui perdaient la caractéristique de la défense organisée. Ces deux ou trois dessins témoignaient de toutes sortes d’effondrement : désordre, confusion, désintégration. Dans l’un d’eux, un objet ressemblant à un sein était découpé avec des ciseaux et gisait à part, entre les feuilles. Il y avait là le sadisme oral, l’incontinence et aussi le fantasme de l’incontinence. Si l’enfant avait eu trois ans, il aurait été beaucoup plus facile de toucher en elle l’enfant incontinent ou désintégré. Mais parce qu’elle était en période de latence, je dus me contenter d’aborder Y illustration de sa folie cachée. Alors qu’un petit enfant est souvent « fou » et pourtant bien portant, parce qu’il est sous l’autorité naturelle de ceux qui le soignent, un enfant en période de latence qui est « fou » est très gravement malade et requiert des soins.

J’apporte ici ma contribution au thème admis selon lequel la période de latence est celle où le moi prend, pour ainsi dire, possession de son domaine. Lorsqu’il est bien portant, l’enfant qui traverse cette période n’est pas forcé d’accéder aux exigences du ça, bien que les pulsions du ça gardent leur force et apparaissent sous toutes sortes d’expressions indirectes.

Parmi tout ce que l’on pourrait dire, je choisis de souligner ici quelques points :

1° En un sens, l’enfant est seul, bien qu’il ait besoin de se trouver avec d’autres enfants au même stade d’évolution. Les relations entre enfants bien portants en cours de latence peuvent être intimes pendant de longues périodes sans se sexualiser d’une façon manifeste. Le symbolisme sexuel est maintenu. Les éléments sexuels manifestes chez les enfants carencés troublent le jeu et la relation au moi (ego-relatedness).

2° Pendant cette période, l’enfant est prêt à introjecter, mais non à incorporer, prêt à absorber des éléments entiers de personnes choisies, mais il n’est pas prêt à manger ou à être mangé, ou encore à fusionner dans une relation intime impliquant l’instinct.

3° Il est spécialiste du déploiement de phénomènes internes sans pour autant qu’il s’implique directement dans la vie complète. La persistance de la période de latence peut se manifester chez un adulte s’il réalise l’accomplissement du moi aux dépens de la liberté du ça.

4° La santé mentale est essentielle en période de latence et l’enfant qui, au cours de cette phase, ne peut conserver cette santé est cliniquement très malade. L’organisation du moi transmet la pulsion, qui est transmise, en partie, dans les périodes antérieures et au cours des périodes ultérieures par la poussée instinctuelle.

À quel moment interpréter ?

Je pense que le plus tôt est le mieux, c’est-à-dire le moment le plus proche de celui auquel le matériel fait apparaître clairement ce qu’il faut interpréter. Je suis cependant économe de mes interprétations et si je ne suis pas certain du choix du matériel à interpréter, je n’hésite pas à gagner du temps. En gagnant du temps, je me trouve impliqué dans une phase préparatoire, une phase d’introduction : je joue, je construis avec l’enfant ou je suis tout simplement effacé, je ne sers à rien. Pourtant, je ne veux m’occuper que d’une seule chose, la recherche de l’indice qu’ rendra possible l’interprétation appropriée au moment, celle qui apportera un changement de ton dans le transfert inconscient.

Cette proposition pourrait peut-être être admise par tous. Quelques analystes sont plus rapides que d’autres à trouver l’indice, mais, dans ce travail, il y a place pour ceux qui sont rapides et pour ceux qui sont lents. Ce qui importe pour le patient, ce n’est pas tant l’exactitude de l’interprétation que la volonté de l’analyste à lui venir en aide, son aptitude à s’identifier au patient, à croire par conséquent à ce qui lui est nécessaire et à satisfaire ce besoin dès qu’il est indiqué verbalement ou dans un langage non verbal ou pré-verbal.

La fin du traitement

Je vous demanderai enfin de porter votre attention sur la terminaison de l’analyse. Bien entendu, il est toujours nécessaire de penser en fonction du cas individuel et du diagnostic, mais il nous est possible quand même d’avancer certains éléments d’une portée générale. Dans l’analyse des petits enfants, l’analyste est considérablement aidé par les changements immenses qui surviennent naturellement chez l’enfant âgé de cinq, six ou sept ans. Lorsque cette analyse se termine, ces changements sont en cours, ce que le succès de l’analyse facilite sans aucun doute. Ainsi, toute amélioration due à l’analyse est exagérée par le cours naturel des événements. En ce qui concerne plus particulièrement la socialisation de l’enfant, ceux qui en ont la charge sont souvent satisfaits du résultat car l’enfant perd le caractère sauvage et la versatilité de la période de pré-latence et devient plus heureux en groupe.

L’analyse en période de latence tend, au contraire, à se terminer à une période très difficile et il serait intéressant de discuter de cette question. Habituellement, l’analyse se termine lorsque l’enfant a onze ou douze ans, alors que les complications de la pré-puberté et de la puberté apparaissent. Il serait peut-être bon de planifier les analyses afin qu’elles se terminent avant l’éveil de la puberté, ou qu’elles se poursuivent pendant les premières années de la nouvelle évolution. Dans ce dernier cas, certains analystes verraient leurs patients à des intervalles relativement peu fréquents, ils garderaient le contact avec eux, tout en s’attendant à ce qu’on puisse avoir besoin d’eux cinq fois par semaine pendant certaines périodes de la puberté. Mis à part les changements réels de la puberté, des incidents, des amitiés traumatisantes, de grandes passions, des séductions, des angoisses liées à la masturbation peuvent très bien survenir, ce qui conduira à l’exacerbation des défenses ou à une angoisse franche.

La question se pose : quelle est la place d’une analyse qui se limiterait à la période de latence, par exemple de six à dix ans ? Dans quelle mesure l’analyste peut-il être assuré de connaître l’enfant pendant cette période de calme relatif au sein du monde instinc-tuel ? Dans quelle mesure peut-il, à partir de ce qui se passe dans l’analyse, déduire ce que l’enfant était à trois ans, ou prédire ce qu’il sera à treize ? Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à ces questions. Personnellement, je sais qu’il m’est arrivé de me tromper ; j’ai quelquefois émis un pronostic trop favorable, quelquefois pas suffisamment favorable. Il est sans doute plus facile de savoir-que faire lorsque l’enfant est malade, car la maladie est évidente et occupe le premier plan, et tant qu’elle subsiste le traitement n’est pas considéré comme terminé. Lorsque l’enfant est relativement bien portant, ce n’est pas à la légère qu’on peut prendre la décision de le faire analyser, au cours de cette période de latence.

Un seul analyste ne peut avoir rencontré suffisamment de cas pour couvrir toutes les possibilités. Il est donc nécessaire que nous mettions nos expériences en commun sans avoir peur d’émettre des hypothèses, même si elles doivent paraître stupides lorsqu’elles seront étudiées en groupe. Chaque analyste se forme une expérience très spécialisée, riche sans aucun doute ; toutefois, il est indispensable qu’elle soit reliée à celle de ses confrères qui font le même travail avec d’autres enfants.

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16 Exposé présenté au XIVᵉ Congrès International de Psychiatrie Infantile, Lisbonne, juin 1958. Première publication dans À Criança Portuguesa, 17, pp. 219 à 229.

17 Trad. franç – P.U.F., p. 70.