Conclusion

On a l’habitude de définir la psychiatrie comme une spécialité médicale qui s’intéresse à l’étude, au diagnostic et au traitement de la maladie mentale. Cette définition est fallacieuse et fausse. La maladie mentale est un mythe. Les psychiatres ne s’intéressent pas plus à la maladie mentale qu’à son traitement. Dans la pratique, ils ont affaire à des problèmes personnels, sociaux et éthiques de l’existence.

J’ai dit que de nos jours l’idée que quelqu’un « a une maladie mentale » est, sur le plan scientifique, paralysante. Elle fournit un support professionnel à la rationalisation populaire qui veut que les problèmes de l’existence, ressentis et exprimés en termes de prétendus symptômes psychiatriques, soient fondamentalement semblables aux maladies corporelles. En outre, le concept de maladie mentale sape le principe de responsabilité personnelle sur lequel reposent toutes les institutions libres. Pour l’individu, la notion de maladie mentale l’empêche d’adopter une attitude critique vis-à-vis de ses conflits, que cachent et révèlent à la fois ses symptômes. Pour la société, elle empêche de considérer l’individu comme une personne responsable et invite, en revanche, à le traiter comme un patient irresponsable.

Bien que des forces institutionnelles puissantes aident de tout leur poids à conserver, par tradition, les problèmes psychiatriques à l’intérieur du cadre conceptuel de la médecine, le défi moral et scientifique est clair : nous devons réexaminer et redéfinir le problème de la « maladie mentale » de façon à l’enserrer dans une science de l’homme moralement explicite. Ce qui exigerait, bien sûr, une révision radicale de nos idées sur la « psychopathologie » et sur la « psychothérapie » – la première devant être conçue en termes d’utilisation des signes, d’obéissance à une règle, et de jeu ; la seconde, en termes de relations humaines et d’arrangements sociaux favorisant certains types d’apprentissage et de valeurs.

Le comportement humain est donc fondamentalement un comportement moral. Le décrire et le modifier est une tentative vouée à l’échec si l’on n’affronte pas les problèmes des valeurs éthiques. De ce fait, aussi longtemps que les dimensions morales des théories et des thérapies psychiatriques demeureront cachées et ne seront pas explicitées, leur valeur scientifique restera sérieusement limitée. Dans la théorie de la conduite personnelle que j’aie proposée – et dans la théorie de la psychothérapie où elle est implicitement comprise – j’ai tenté de corriger ce défaut en énonçant les dimensions morales des comportements humains qui se manifestent dans des contextes psychiatriques.