Formation réactionnelle

= D. : Reaktionsbildung. – En. : réaction-formation. – Es. : formación reactiva. – I. : formazione reattiva. – P. : formação reativa ou de reação.

● Attitude ou habitus psychologique de sens opposé à un désir refoulé, et constitué en réaction contre celui-ci (pudeur s’opposant à des tendances exhibitionnistes par exemple).

En termes économiques, la formation réactionnelle est un contre-investissement d’un élément conscient, de force égale et de direction opposée à l’investissement inconscient.

Les formations réactionnelles peuvent être très localisées et se manifester par un comportement particulier, ou généralisées jusqu’à constituer des traits de caractère plus ou moins intégrés à l’ensemble de la personnalité.

Du point de vue clinique, les formations réactionnelles prennent valeur symptomatique dans ce qu’elles offrent de rigide, de forcé, de compulsionnel, par leurs échecs accidentels, par le fait qu’elles aboutissent parfois directement à un résultat opposé à celui qui est consciemment visé (summum jus Bumma injuria).

◼ Dès les premières descriptions qu’il donne de la névrose obsessionnelle, Freud met en évidence un mécanisme psychique particulier qui consiste à lutter directement contre la représentation pénible en la remplaçant par un « symptôme primaire de défense » ou « contre-symptôme » consistant en des traits de personnalité – scrupulosité, pudeur, défiance de soi – qui sont en contradiction avec l’activité sexuelle infantile à laquelle s’était d’abord livré le sujet pendant une première période dite « d’immoralité infantile ». Il s’agit là d’une « défense réussie », dans la mesure où les éléments en jeu' dans le conflit, la représentation sexuelle aussi bien que le « reproche » qu’elle suscite, sont globalement exclus de la conscience au profit de vertus morales poussées à l’extrême (1).

Par la suite, la psychanalyse ne fera que confirmer, dans le tableau clinique de la névrose obsessionnelle, l’importance de telles défenses dont la dénomination de « réactionnelles » vient souligner le fait qu’elles sont directement en opposition avec la réalisation du désir, tant par leur signification que du point de vue économico-dynamique.

Dans la névrose obsessionnelle, les formations réactionnelles prennent la forme de traits de caractère, d’altérations* du moi qui constituent des dispositifs de défense où la singularité des représentations et des fantasmes impliqués dans le conflit disparaît : ainsi tel sujet fera preuve, en général, de pitié envers les êtres vivants, alors que son agressivité inconsciente vise telles personnes particulières. La formation réactionnelle constitue un contre-investissement permanent. « Le sujet qui a élaboré des formations réactionnelles ne développe pas certains mécanismes de défense à employer quand un danger pulsionnel menace ; il a changé la structure de sa personnalité comme si ce danger était toujours présent, pour être prêt quel que soit le moment où ce danger se présente » (2). Les formations réactionnelles sont particulièrement manifestes dans le « caractère anal » (voir : Névrose de caractère).

Le mécanisme de la formation réactionnelle n’est pas spécifique de la structure obsessionnelle. Il se retrouve notamment dans l’hystérie mais « … il faut souligner qu’à la différence de ce qui se passe dans la névrose obsessionnelle, ces formations réactionnelles ne présentent pas [alors] la généralité de traits de caractère, mais se limitent à des relations tout à fait électives. Par exemple la femme hystérique qui traite ses enfants, qu’au fond elle hait, avec une tendresse excessive, n’en devient pas pour autant plus aimante, dans l’ensemble, que d’autres femmes, ni même plus tendre pour d’autres enfants » (3 a).

Le terme même de formation réactionnelle invite à un rapprochement avec d’autres modes de formation de symptôme* : formation substitutive* et formation de compromis*. Théoriquement, la distinction est facile à établir : alors que dans la formation de compromis on peut toujours retrouver la satisfaction du désir refoulé conjuguée à l’action de la défense (dans une obsession par exemple), dans la formation réactionnelle seule apparaîtrait, et de façon particulièrement manifeste, l’opposition à la pulsion (attitude de propreté extrême masquant complètement le jeu de l’érotisme anal, par exemple). Mais ce sont là plutôt des modèles de mécanisme. En fait, dans une formation réactionnelle donnée, on peut repérer l’action de la pulsion contre laquelle le sujet se défend : d’une part celle-ci fait brusquement irruption, soit à certains moments soit dans certains secteurs de l’activité du sujet, et ce sont précisément ces échecs flagrants, contrastant avec la rigidité de l’attitude exhibée par le sujet, qui permettent d’accorder à tel trait de personnalité sa valeur symptomatique ; d’autre part, dans l’exercice même de la vertu qu’il affiche, le sujet, poussant ses actes jusqu’à leurs conséquences dernières, n’est pas sans satisfaire la pulsion antagoniste qui finit par infiltrer tout le système défensif. La ménagère éprise de propreté ne centre-t-elle pas son existence sur la poussière et la saleté ? Le juriste qui pousse à l’extrême et de façon vétilleuse son souci d’équité peut se montrer par là même systématiquement indifférent aux problèmes réels que lui pose la défense de ceux qui ont recours à lui, et satisfaire ainsi, sous le masque de la vertu, ses tendances sadiques…

En allant plus loin, on peut insister encore davantage sur le rapport entre la pulsion et la formation réactionnelle et voir dans celle-ci une expression quasi directe du conflit entre deux motions pulsionnelles opposées, conflit ambivalentiel dans sa racine : « … l’une des deux motions qui s’affrontent, en règle générale la motion tendre, se voit énormément renforcée, cependant que l’autre disparaît » (3 b). La formation réactionnelle pourrait alors être définie comme une utilisation par le moi de l’opposition inhérente à l’ambivalence* pulsionnelle.

Peut-on étendre la notion au-delà du domaine franchement pathologique ? Freud, lorsqu’il introduit le terme dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité (Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905) fait état du rôle que jouent les formations réactionnelles dans le développement de tout individu humain en tant qu’elles s’édifient au cours de la période de latence : « … les excitations sexuelles éveillent des contre-forces (motions réactionnelles) qui, pour pouvoir réprimer efficacement ce déplaisir [résultant de l’activité sexuelle] établissent les digues psychiques […] : dégoût, pudeur, moralité » (4 a). Dans cette mesure, Freud a souligné le rôle que jouait le processus de formation réactionnelle, à côté de la sublimation, dans l’édification des caractères et des vertus humaines (4 b). Lorsque sera introduite la notion de surmoi*, une part importante, dans sa genèse, sera attribuée au mécanisme de formation réactionnelle (5).

(1) Cf. Freud (S.). Weilere Bemerkungen über die Abwehr-Neuropiychosen, 1896. G.W., I, 386-7 ; S.E., III, 169-70. – Cf. aussi : Aus den Anfängen der Psychoanalyte, 1887-1902. Ail., 159-60 ; Angl., 148-50 ; Fr., 132-3.

(2) Fenichel (O.). The Psychoanalylic Theory of Neurosis, Norton, New York, 1945. Angl., 151 ; Fr., P.U.F., 1953, 187.

(3) Freud (S.). Hemmung, Symptom und Angst, 1926. – a) G.W., XIV, 190 ; S.E., XX, 158 ; Fr., 86. – b) G.W., XIV, 130 ; S.E., XX, 102 ; Fr., 20.

(4) Freud (S.), a) G.W., V, 79 ; S.E., VII, 178 ; Fr., 71. – 6 ; Cf. G.W., V, 140-1 ; S.E., VII, 238-9 ; Fr., 156-7.

(5) Cf. Freud (S.). Das Ich und das Es, 1923. Cf. G.W., XIII, 262-3 ; S.E., XIX, 34-5 ; Fr., 189-90.