Relation d’objet
= D. : Objektbeziehung. – En. : object-relationship ou object-relation. – Es. : relación de objeto ou objetal. – I. : relazione oggetuale. – P. : relação de objeto ou objetal.
● Terme très couramment employé dans la psychanalyse contemporaine pour désigner le mode de relation du sujet avec son monde, relation qui est le résultat complexe et total d’une certaine organisation de la personnalité, d’une appréhension plus ou moins fantasmatique des objets et de tels types privilégiés de défense.
On parlera des relations d’objet d’un sujet donné, mais aussi de types de relations d’objet se référant soit à des moments évolutifs (exemple : relation d’objet orale), soit à la psychopathologie (exemple : relation d’objet mélancolique).
◼ Le terme de relation d’objet se rencontre occasionnellement sous la plume de Freud (1) ; s’il est donc inexact de dire, comme on l’a fait, que Freud l’ignore, on peut assurément avancer qu’il ne fait pas partie de son appareil conceptuel.
Mais, depuis les années 30, la notion de relation d’objet a pris une importance croissante dans la littérature psychanalytique au point de constituer aujourd’hui pour beaucoup d’auteurs la référence théorique majeure. Comme l’a souvent souligné D. Lagache, cette évolution s’inscrit dans un mouvement des idées qui n’est pas propre à la psychanalyse et qui conduit à ne plus considérer l’organisme à l’état isolé, mais dans une interaction avec l’entourage (2). M. Balint a soutenu l’idée qu’il existait un écart en psychanalyse entre une technique fondée sur la communication, sur les relations de personne à personne, et une théorie qui restait, selon une expression due à Rickman, une one-body psychology. Pour Balint, qui demandait dès 1935 qu’il fût prêté plus d’attention au développement des relations d’objet, tous les termes et concepts psychanalytiques – à l’exception d' « objet » et de « relation d’objet » – se référeraient à l’individu seul (3). De même, R. Spitz note que, mis à part un passage des Trois essais sur la théorie de la sexualité (Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905) où il est question des relations mutuelles entre mère et enfant, Freud traite de l’objet libidinal du seul point de vue du sujet (investissements, choix de l’objet) (4).
La promotion de la notion de relation d’objet a conduit à un changement de perspective à la fois dans les domaines clinique, technique et génétique. Nous ne pouvons ici, même sommairement, établir le bilan d’une telle évolution. Nous nous limiterons, d’une part, à des remarques terminologiques, d’autre part à des indications destinées à définir dans ses grandes lignes l’usage actuel de la notion de relation d’objet, ceci par rapport à Freud.
I. – L’expression « relation d’objet » peut dérouter le lecteur qui n’est pas familiarisé avec les textes psychanalytiques. Objet y est à prendre dans le sens spécifique qu’il a en psychanalyse dans des expressions comme « choix d’objet », « amour d’objet ». On sait qu’une personne en tant qu’elle est visée par les pulsions est qualifiée d’objet ; il n’y a rien là de péjoratif, rien en particulier qui implique que la qualité de sujet soit de ce fait refusée à la personne en question.
Relation est à prendre au sens fort : il s’agit en fait d’une interrelation, c’est-à-dire non seulement de la façon dont le sujet constitue ses objets, mais aussi de la façon dont ceux-ci modèlent son activité. Dans une conception comme celle de Melanie Klein, cette idée voit sa signification renforcée : les objets – projetés, introjectés – exercent littéralement une action (persécutrice, rassurante, etc.) sur le sujet (voir : « Bon » objet, « mauvais » objet).
Le d' (là où on pourrait s’attendre à un à l') vient marquer cette interrelation. En effet, parler de relation à l’objet ou aux objets impliquerait que ceux-ci préexistent à la relation du sujet avec eux, et, symétriquement, que le sujet est déjà constitué.
II. – Comment situer la théorie freudienne par rapport à la notion contemporaine de la relation d’objet ?
On sait que Freud, dans un souci d’analyse du concept de pulsion, a distingué la source*, l’objet*, et le but*. La source est la zone ou l’appareil somatique qui est le siège de l’excitation sexuelle ; son importance aux yeux de Freud est attestée par le fait que les différents stades de l’évolution libidinale sont désignés du nom de la zone érogène prévalente. Quant au but et à l’objet, Freud a maintenu tout au long de son œuvre leur distinction. C’est ainsi qu’il étudie en des chapitres distincts des Trois essais les déviations quant au but (sadisme par exemple) et les déviations quant à l’objet (homosexualité par exemple). De même, dans Pulsions et destins des pulsions (Triebe und Triebschicksale, 1915), on trouve une différence entre les transformations de la pulsion liées à des modifications du but et celles où le processus concerne essentiellement l’objet.
Une telle distinction s’appuie notamment sur l’idée que le but pulsionnel est déterminé par le type de pulsion partielle en cause, et, en dernière analyse, par la source somatique. Par exemple, l’incorporation est le mode d’activité propre de la pulsion orale ; elle est susceptible d’être déplacée sur d’autres appareils que la bouche, d’être renversée en son contraire (dévorer – être dévoré), d’être sublimée, etc., mais sa plasticité reste relative. Quant à l’objet, Freud souligne souvent ce qu’on appelle sa contingence, terme qui connote deux idées rigoureusement complémentaires l’une de l’autre :
a) L’objet ne se voit pas imposer d’autre condition que celle d’être un moyen de procurer la satisfaction. En ce sens, il est relativement interchangeable. Par exemple, au stade oral, tout objet sera considéré selon son aptitude à être incorporé ;
b) L’objet peut se trouver spécifié dans l’histoire du sujet de telle sorte que seul un objet précis ou son substitut, dans lequel se retrouvent les caractères électifs de l’original, sont aptes à procurer la satisfaction ; en ce sens les traits de l’objet sont éminemment singuliers.
On conçoit que Freud puisse affirmer conjointement que l’objet est « ce qu’il y a de plus variable dans la pulsion » (5 a) et que « … trouver l’objet c’est, au fond, le retrouver » (6).
La distinction entre source, objet et but, qui sert à Freud de cadre de référence, perd son apparente rigidité quand il envisage la vie pulsionnelle.
Dire qu’à un stade donné, le fonctionnement de tel appareil somatique (bouche) détermine un mode de relation avec l’objet (incorporation), c’est en fait reconnaître à ce fonctionnement un rôle de prototype : toutes les autres activités du sujet – somatiques ou non – pourront alors être imprégnées de significations orales. De même, entre l’objet et le but, il existe de nombreuses relations. Les modifications du but pulsionnel apparaissent comme déterminées par une dialectique où l’objet joue son rôle ; dans les cas notamment du sado-masochisme et du voyeurisme – exhibitionnisme : « … retournement sur la personne propre [changement d’objet] et retournement de l’activité en passivité [changement de but] se rejoignent ou se confondent » (5 b). La sublimation* fournirait un autre exemple de cette corrélation entre l’objet et le but.
Enfin Freud a envisagé dans leur ensemble des types de caractère et de relation à l’objet (7), et a su décrire dans ses travaux cliniques comment une même problématique pouvait se retrouver dans les activités apparemment bien différentes d’un même individu.
III. – On peut alors se demander ce qu’apporte de nouveau la conception postfreudienne de la relation d’objet. Il est difficile de répondre à une telle question car les conceptions des auteurs qui se réfèrent à cette notion sont très diverses et il serait artificiel d’en dégager les dénominateurs communs. Nous nous limiterons aux remarques suivantes :
1) L’usage contemporain de la relation d’objet, sans impliquer à proprement parler une révision de la théorie freudienne de la pulsion, en a modifié l’équilibre.
La source, en tant que substrat organique, passe franchement au second plan ; sa valeur de simple prototype, déjà reconnue par Freud, s’accentue. Le but, en conséquence, apparaît moins comme la satisfaction sexuelle d’une zone érogène déterminée : sa notion même s’efface par rapport à celle de relation. Ce qui devient le centre de l’intérêt dans « la relation d’objet orale » par exemple, ce sont les avatars de l’incorporation et la façon dont elle se retrouve comme signification et comme fantasme prévalent au sein de toutes les relations du sujet au monde. Quant au statut de l’objet, il semble que bien des analystes contemporains n’admettraient ni son caractère extrêmement variable eu égard à la satisfaction cherchée, ni son unicité en tant qu’il est inscrit dans l’histoire propre du sujet : ils s’orienteraient plutôt vers une conception d’un objet typique pour chaque mode de relation (on parle d’objet oral, anal, etc.).
2) Cette recherche du typique va plus loin. Dans telle modalité de le relation d’objet en effet, ce n’est pas seulement la vie pulsionnelle qui est envisagée, mais les mécanismes de défense correspondants, le degré de développement et la structure du moi, etc., en tant que ceux-ci sont également spécifiques de telle relation (α). Ainsi la notion de relation d’objet se présente-t-elle à la fois comme une notion englobante (« holistique ») et typifiante de l’évolution de la personnalité.
Notons à ce propos que le terme de stade tend à s’effacer au profit de celui de relation d’objet. Un tel changement d’accent permet de concevoir que, chez un sujet donné, se combinent ou alternent plusieurs types de relations d’objet. Au contraire, il y aurait eu contradiction dans les termes à invoquer la coexistence de plusieurs stades.
3) Dans la mesure où la notion de relation d’objet par définition met l’accent sur la vie relationnelle du sujet, elle risque de conduire certains auteurs à tenir pour principalement déterminantes les relations réelles avec l’entourage. C’est là une déviation que refuserait tout psychanalyste pour qui la relation d’objet doit être étudiée essentiellement au niveau fantasmatique, étant bien entendu que les fantasmes peuvent venir modifier l’appréhension du réel et les actions qui s’y rapportent.
▲ (α) Certes, Freud reconnaissait d’autres lignes évolutives que celle des stades libidinaux ; mais il n’a pas vraiment traité le problème de leur correspondance, ou plutôt il a laissé ouverte la possibilité d’un décalage entre elles (voir : Stade).
(1) Cf. par exemple : Freud (S.). Trauer und Melancholie, 1917. G.W., X, 435 ; S.E., XIV, 249 ; Fr., 202.
(2) Cf. Lagache (D.). La psychanalyse. Évolution, tendances et problèmes actuels, in Cahiers d’actualité et de synthèse de l’Encyclopédie française permanente. Supplément au vol. VIII, 23-34.
(3) Cf. Balint (M.). Critical Notes on the Theory of the Pregenital Organisations of the Libido. 1935, passim. Et Changing Therapeutical Aims and Techniques in Psycho-Analysis. 1949. In Primary Love and psychoanalytic technique, Hogarth Press, London, 1952.
(4) Cf. Spitz (R. A.). La première année de la vie de l’enfant. – Genèse des premières relations objectales, P.U.F., Paris, 1958.
(5) Freud (S.), a) G.W., X, 215 ; S.E., XIV, 122 ; Fr., 35. – b) G.W., X, 220 ; S.E., XIV, 127 ; Fr., 44.
(6) Freud (S.l. Drei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 1905. G.W., V, 123 ; S.E., VII, 222 : Fr., 132.
(7) Cf. par exemple : Freud (S.). Charakter und Analerotik, 1908. G.W., VII, 203-9 ; S.E., IX, 169-75.