Index des contes, fables et mythes
A
À l’est du soleil et à l’ouest de la lune : 65, 363, 364.
Ali Baba et les Quarante Voleurs (Les Mille et une
Nuits) : 155.
Anciennes Chroniques de Perceforest : 290 (note), 294-295.
B
Barbe-Bleue, La, de Ch. Perrault : 25, 347 (note), 366-370, 371, 374, 375.
Belle au Bois Dormant, La : 182. 188, 191, 230, 283-295, 341, 342, 347 (note), 356, 378 ; de Charles Perrault : 287-289 ; des frères Grimm : 289-294.
Belle et la Bête, La : 57, 66, 89, 98 (note), 170, 251,
347-350, 362, 371-378.
Beowulf, mythe de — : 57.
Bible : 72-74, 102,228, 292, 297, 298-299.
Blanche-Neige : 20, 28. 99, 132, 150, 152, 168, 182, 188, 189, 191, 246-247, 249, 251, 252-270, 273, 274, 276, 279, 284, 291, 293, 338. 341, 342, 343, 347 (note), 378.
Blanche-Neige et Rose-Rouge, de Grimm : 351.
Blanche-Neige et les Sept Nains : 252.
Boucles d’or et les trois ours : 271-282.
Brunhild, mythe de — : 57.
C
Cendrillon : 20, 32. 57, 77-78, 86, 89, 99, 138, 139, 141, 150, 167 (note), 168, 170, 188, 190, 191, 197,200, 234, 251, 296-340, 341, 342, 343. 347 (note), 375, 376, 378 : de Charles Perrault : 312-316, 324-326 ; de Grimm : 313-316, 321-324.
Chat botté, Le : 21, 100.
Chatte des Cendres, La, de Basile : 304 306, 310, 321.
Cigale et la Fourmi, La, d’Ésope : 60-61. 62.
Cochon enchanté, Le : 362-366, 367.
Corbeau, Le, de Grimm : 236 (note), 238 (note), 344-345,
348-349.
Cupidon et Psyché, d’Apulée : 285, 358-362, 363, 364, 374, 375, 377.
D
Deux enfants du roi, Les, de Grimm : 345.
Deux Frères, Les, de Grimm : 104, 126, 127, 128-129, 131.
E
Enfant de Marie, L' —, de Grimm : 25-26, 371.
Esprit dans la bouteille, L’—, de Grimm : 57, 100.
F
Fecunda Ratis, d’E. de Liège : 216 (note).
Fiancé brigand, Le, de Grimm : 369.
Frérot et Sœurette, de Grimm : 108-113, 123, 131, 132, 190, 228, 297, 305 (note).
G
Gardeuse d’oies. La, de Grimm : 178-186, 188.
H
Hans, mon hérisson, de Grimm : 97, 98, 170.
Hardi petit tailleur, Le, de Grimm : 103 (note), 169. Hercule, mythe d’ — : 37, 49. 57, 59.
Histoire d’un qui s’en alla pour apprendre le tremblement, de Grimm : 57, 345-347.
I
lskander, cycle d' — : 189.
J
Jack, cycle de - : 57, 234, 235, 284.
Jack et la perche à haricots : 47, 81, 191, 234-235, 238-245, 246, 378.
Jack fait des qffaires : 235-238, 240, 242 (note), 244, 345.
Jack le tueur de géants : 40, 47, 89.
Jeannot et Margot, de Grimm : 22, 25, 27-28, 29, 57-58, 85, 86, 132, 152, 188, 190-191, 196, 197, 205-213, 214, 217-218, 219, 220, 228, 254, 259, 260, 261, 269, 274 (note), 378.
Jeune Esclave, La, de Basile : 253 (note).
Jonas, mythe de - : 73-74, 228.
L
Linge aux trois taches de sang, Le : 182.
Little Red Hood voir : Petit Chaperon Rouge, Le.
M
Mala Madré, La : 305-306 (note).
Mille et une Nuits, Les : 25, 42, 114, 117, 118-121.
Mr Fox : 367.
N
Niobé, mythe de — : 57.
O
Œdipe, mythe d’ - : 37, 54-56, 169, 246-251.
Oie d’or, L’- , de Grimm : 100, 237 (note).
Oiseau Bleu, L'-,de M. Maeterlinck : 187-188.
Oiseau d’Ourdi, L’-, de Grimm : 367, 368, 369.
P
Pâris, mythe de — : 54.
Pauvre et le riche. Le, de Grimm : 26.
Pêcheur et le Génie, Le (Les Mille et une Nuits) : 42-49, 77, 85-86 (note).
Petit Chaperon Rouge, Le : 24-25, 32, 35, 57, 85, 92-93, 104. 111 (note), 214-233, 234, 258, 273-274 (note), 299, 300, 312, 347 (note), 378 ; de Charles Perrault : 214-217 ; de Grimm : 217-223.
Petite Fiancée, La, de H. C. Andersen : 54, 141. Petite locomotive qui pouvait, La, de W. Piper : 171-172, 183-184.
Puits du bout du monde. Le : 352.
R
Ragazza di Latte e Sangue, La : 252 (note).
Raiponce, de Grimm : 28-29, 81, 150, 151, 172-173, 188, 192-193, 251.
Râmânaya, poème sanscrit : 37.
Rashin Coatie : 313, 319-320, 330.
Reine des Abeilles, La, de Grimm : 105-107, 108. Reine des Neiges, La, de H. C. Andersen : 54.
Riquet à la houppe, de Ch. Perrault : 372 (note). Robinson Suisse, Le, de J. D. Wyss : 172, 173. Roi-Grenouille, Le, de Grimm : 66, 87, 137, 155-156, 290,352-358.
Rose de Bruyère : 293.
Roswal and Lilian : 180.
S
Sept corbeaux, Les, de Grimm : 24 (note), 97, 98. Sindbad le Marin et Sindbad le Portefaix (Les mille et une Nuits) : 114-117, 118, 126.
Soleil, la Lune et Talia, Le, de Basile : 285-288.
T
Tambour, Le, de Grimm : 345, 351.
Tantale, mythe de — : 247-250.
Thésée, mythe de — : 57.
Tootle, la petite locomotive, de G. Crampton : 231, 232. Trois Langages, Les, de Grimm : 131-137, 138, 140, 142, 244, 283.
Trois Petits Cochons, Les : 59-63.
Trois Plumes, Les, de Grimm : 19, 138, 141, 142-147, 170, 234, 270, 283, 356.
Trois Vœux, Les : 98-99.
V
Vaillant petit soldat de plomb, Le, de H. C. Andersen :
54, 57.
Vieillard rajeuni, Le, de Grimm : 26.
Vilain petit canard. Le, de H. C. Andersen : 57, 140-141.
Un exemple illustrera très bien cet aspect des contes de fées. Dans l’histoire des frères Grimm « Les Sept Corbeaux », sept frères vont puiser de l’eau dans une cruche pour le baptême de leur petite sœur. Ils perdent la cruche, et sont transformés en corbeaux. La cérémonie du baptême annonce le début d’une existence chrétienne. On peut considérer que les sept frères représentent ce qui a dû disparaître pour laisser la place à la chrétienté. S’il en est ainsi, ils symbolisent le monde païen, préchrétien, où les sept planètes représentaient les dieux du ciel. La petite fille qui vient de naître est alors la nouvelle religion qui ne peut se propager que si les anciennes croyances ne gênent pas son développement. La chrétienté (la sœur) ayant vu le jour, les frères, qui représentent le paganisme, sont relégués dans l’ombre. Mais, en tant que corbeaux, ils vivent au sein d’une montagne, à l’autre bout du monde, ce qui laisse supposer qu’ils continuent de vivre dans un monde souterrain, subconscient. Ils ne retrouvent leur apparence humaine que lorsque leur petite sœur sacrifie l’un de ses doigts, ce qui est conforme à l’idée chrétienne que seuls ont accès au ciel ceux qui sont prêts, s’il le faut, à sacrifier la partie de leur corps qui les empêche d’atteindre la perfection. La nouvelle religion, le christianisme, peut libérer même ceux qui se sont attardés dans le paganisme.
On trouvera dans les notes, à la fin du livre, les références des contes qui auront été cités au cours de mon exposé.
Enfant au front pur, sans nuages
et aux yeux pleins de rêves et de merveilles !
Malgré la fugacité du temps et la demi-vie qui nous séparent toi et moi,
je suis sûr que ton bon sourire accueillera le cadeau d’amour qu’est ce conte de fées.
C. L. Dodgson (Lewis Carroll), dans De l’autre côté du miroir.
Un exemple montrera combien il peut être bouleversant pour l’enfant de penser que, à son insu, des forces puissantes s’agitent en lui. Il s’agit d’un garçon de sept ans à qui ses parents essayaient d’expliquer que ses émotions l’avaient détourné vers des actions qui étaient, réprouvées par le père et la mère aussi bien que par l’enfant lui-même. L’enfant réagit ainsi : « Vous voulez dire que j’ai dans mon corps une machine qui n’arrête pas de faire tic tac et qui peut exploser d’un moment à l’autre ? » À partir de ce jour-là, et pendant un certain temps, le petit garçon fut terrorisé à l’idée qu’il vivait perpétuellement sous la menace d’une autodestruction.
Eliade, dont les idées, en l’occurrence, ont été influencées par Saintyves, écrit : « Il est impossible de nier que les épreuves et les aventures des héros et des héroïnes des contes de fées soient presque toujours traduites en termes initiatiques. Ceci me paraît de la plus grande importance : depuis l’époque — si difficile à déterminer — où les contes de fées ont pris forme en tant que tels, les hommes, qu’ils soient primitifs ou civilisés, les ont écoutés avec un plaisir qui permettait une répétition infinie. Cela revient à dire que les scénarios initiatiques — même camouflés comme ils le sont dans les contes de fées — sont l’expression d’un psychodrame qui répond chez l’être humain à un besoin profond. Tout homme désire vivre certaines situations périlleuses, affronter des épreuves exceptionnelles, faire son chemin dans l’autre monde, et il peut connaître tout cela, au niveau de sa vie imaginative, en écoutant ou en lisant des contes de fées9. »
Michaël Polanyi a écrit : « L’acte de connaître suppose une approbation, un coefficient personnel qui donnent forme à toute connaissance factuelle. » Si les plus grands savants doivent s’appuyer sur un degré considérable de « connaissance personnelle », il paraît évident que les enfants ne peuvent acquérir une connaissance qui ait pour eux une véritable signification s’ils n’ont pas commencé par lui donner forme en faisant intervenir leur coefficient personnel20.
Ici encore, les contes de fées peuvent être comparés aux rêves, mais avec la plus grande prudence, et certaines précisions ; le rêve, en effet, est l’expression la plus personnelle de l’inconscient et de l’expérience d’un individu en particulier, tandis que le conte de fées est la forme imaginaire que des problèmes plus ou moins universels ont pris à mesure que l’histoire se transmettait de génération en génération.
Tout rêve qui va au delà de la satisfaction directe d’un désir imaginaire ne peut pratiquement jamais être compris du premier coup. Les rêves qui résultent de processus internes complexes doivent être longtemps ruminés avant que l’on puisse atteindre leur sens caché. Il faut reprendre fréquemment et tout à loisir la contemplation de tous les éléments du rêve ; il faut arranger ces éléments dans un ordre différent de celui qui s’imposait au départ ; il faut faire varier l’importance qu’on leur accorde ; il faut tout cela, et bien d’autres choses encore, avant de pouvoir attribuer une signification profonde à ce qui, au début, semblait dénué de sens, ou tout à fait simple. Si on revient sans relâche sur le même matériel, sur des traits qui, pendant un
certain temps, pouvaient sembler simplement amusants, absurdes, impossibles, et de toute façon incompréhensibles, on finit à la longue par trouver des indices importants qui permettent de saisir tout l’objet du rêve. Le plus souvent, pour pouvoir tirer du rêve toute sa signification profonde, il faut faire appel à d’autres matériaux imaginatifs qui enrichissent sa compréhension. C’est ainsi que Freud dut avoir recours aux contes de fées pour élucider les rêves de l’Homme aux loups21.
Les associations libres, en psychanalyse, sont l’une des méthodes qui permettent d’obtenir des indices supplémentaires menant à la signification de tel ou tel détail. Dans les contes de fées, également, les associations de l’enfant lui permettent de tirer de l’histoire toute son importance personnelle. On peut ajouter ici que d’autres contes de fées entendus par l’enfant peuvent fournir à son imagination des matériaux supplémentaires qui, à leur tour, auront une signification plus riche.
Le thème des parents qui, désirant trop vivement un enfant, sont punis en donnant le jour à un monstre moitié être humain moitié animal, est très ancien et très répandu. C’est ainsi qu’il est le sujet d’un conte turc où Salomon rend à un enfant son apparence humaine. Dans ces histoires, si les parents traitent bien leur enfant anormal et avec une grande patience, il finit par prendre l’apparence d’un être humain séduisant.
La sagesse psychologique de ces contes est remarquable : si les parents contrôlent mal leurs émotions, ils font de leur enfant un raté. Dans les contes de fées et dans les rêves, la malformation physique prend la place d’un mauvais développement psychologique. Dans ces histoires, la partie supérieure du corps, y compris la tête, est d’ordinaire celle d’un animal, tandis que la partie inférieure est celle d’un humain normal. Cela indique que c’est dans la tête de l’enfant que les choses vont mal (c’est-à-dire dans son esprit — et non dans son corps). Ces histoires disent aussi que les dommages causés à l’enfant par des sentiments négatifs peuvent être corrigés si ses parents sont suffisamment patients et s’ils ne cessent de l’entourer de sentiments positifs. Les enfants de parents colériques se comportent souvent comme des hérissons ou des porcs-épics : ils semblent bardés d’épines ; l’image de l’enfant qui est en partie hérisson est donc tout à fait appropriée.
Certains contes de mise en garde disent : « Ne concevez pas les enfants dans la colère ; ne les accueillez pas dans la colère et n’attendez pas avec impatience leur venue. » Mais, comme tous les bons contes de fées, ces histoires indiquent également les remèdes convenables, et ces prescriptions sont en accord avec les meilleures idées de la psychologie d’aujourd’hui.
Cette conclusion est caractéristique du thème du fiancé moitié homme moitié bête et sera développée plus loin à propos du conte « La Belle et la Bête » (p. 349).
Donner aux processus intérieurs des noms distincts — le ça, le moi et le surmoi — c’est faire d’eux des entités dont chacune a ses tendances propres. Si nous considérons les associations affectives que ces termes de psychanalyse ont pour la plupart des personnes qui s’en servent, nous commençons à voir que ces abstractions ne sont pas tellement différentes des personnifications des contes de fées. Quand nous parlons du ça asocial et irrationnel qui bouscule le faible moi, ou du moi qui obéit aux ordres du surmoi, ces images scientifiques sont très proches des allégories des contes de fées. Dans ces derniers, l’enfant pauvre et faible affronte la puissante sorcière qui ne connaît que ses propres désirs et leur obéit, sans se soucier des conséquences. Quand l’humble artisan du conte des frères Grimm « Le Hardi Petit Tailleur » s’arrange pour vaincre deux énormes géants en les amenant à se battre l’un contre l’autre, n’agit-il pas comme le fait le faible moi en opposant le ça et le surmoi, ce qui lui permet, en neutralisant leurs énergies opposées, d’obtenir la maîtrise rationnelle de ces deux forces irrationnelles ?
L’homme moderne éviterait bien des erreurs dans la compréhension du mécanisme de son esprit s’il ne perdait pas de vue que ces concepts abstraits ne sont rien d’autre que des leviers pratiques qui permettent de manipuler des idées qui, sans de telles extériorisations, ne seraient que très difficilement compréhensibles. Évidemment, dans la réalité, il n’existe pas de séparation entre ces catégories, de même qu’il n’y a pas de coupure entre le corps et l’esprit.
Une comparaison entre « Frérot et Sœurette » et « Le Pêcheur et le Génie » montrera que l’enfant ne peut accéder à toute la richesse des contes de fées qu’en en entendant un grand nombre et en les assimilant tour à tour. Le génie, emporté par les pressions du ça, veut tuer son sauveur ; il s’ensuit qu’il se retrouve à jamais prisonnier du vase. « Frérot et Sœurette », au contraire, raconte qu’il est très bénéfique de pouvoir contrôler les pressions du ça. Même si on n’y parvient pas tout à fait, ce qui est le cas de l’enfant, un contrôle même limité du ça permet un haut degré d’humanisation, ainsi que le symbolise l’atténuation de sa sauvagerie animale, à travers la panthère, le loup et le faon.
Dans les termes du conte de fées, la chasse ne doit pas être comprise comme un massacre inutile ; elle symbolise plutôt une vie proche de la nature et accordée à elle ; une vie dans la ligne de notre être le plus primitif. Dans de nombreux contes de fées, les chasseurs sont des hommes qui ont bon cœur et qui ne demandent qu’à aider, comme dans « Le Petit Chaperon rouge ». Néanmoins, le fait que le roi est allé à la chasse signifie qu’il a cédé à ses tendances les plus primitives.
Le recueil de contes de fées connu sous l’appellation des « Mille et Une Nuits », ou, dans la traduction anglaise de Burton, The Arabian Nights’ Entertainments, est d’origine indienne et persane et remonte au Xe siècle. Le nombre « 1001 » ne doit pas être pris au sens propre. Au contraire, « mille », en Arabie, signifie « innombrable » et 1001 évoque un nombre infini. Plus tard, des compilateurs et des traducteurs ont pris très au sérieux ce nombre et, en subdivisant les contes et en en ajoutant d’autres, ils ont composé des recueils contenant le nombre de nuits fatidique 30.
L’histoire biblique de Joseph et de Putiphar, qui est située dans un cadre égyptien, remonte sans doute à ce passage de l’ancien conte.
C’est cette image très ancienne qu’évoque Dante au début de la Divine comédie : « Au milieu du voyage de notre vie, je me retrouvai dans une sombre forêt où j’avais perdu mon chemin. » Là, il trouve, lui aussi, un sauveur « magique », Virgile, qui lui propose de le guider au cours de ses célèbres pérégrinations. Virgile lui fait d’abord traverser l’enfer, puis le purgatoire, et enfin, au terme du voyage, le paradis.
L’identité des jumeaux est sans cesse soulignée, quoique de façon symbolique. Par exemple, ils rencontrent, chacun de son côté, un lièvre, un renard, un loup,
un ours et, pour finir, un lion. Ils épargnent leur vie et, en échange, chaque animal leur offre une paire de petits de son espèce qui deviendront leurs fidèles compagnons. Les animaux œuvrent ensemble et, à plusieurs reprises, sauvent leurs maîtres de graves dangers. Cela nous montre une fois de plus, à la façon des contes de fées, que si l’on veut réussir sa vie il faut que les différents aspects de la personnalité — symbolisés ici par ce qui différencie le lièvre, le renard, le loup, l’ours et le lion — travaillent ensemble et soient intégrés.
Tout se passe comme si le précepte freudien qui veut que l’essence de l’évolution vers une humanité supérieure consiste « à trouver le moi là où se trouvait le ça » était transformé en son contraire : « Là où se trouvait le ça, il ne doit rien en rester. » Mais Freud voulait dire clairement que seul le ça peut fournir au moi l’énergie qui lui permet de modeler les tendances inconscientes et de se servir d’elles d’une façon constructive. Bien que des théories psychanalytiques plus récentes avancent que le moi est, lui aussi, pourvu dés la naissance de sa propre énergie, le moi qui, par surcroît, ne pourrait pas faire appel aux sources énergétiques beaucoup plus importantes du ça ne pourrait être que très faible. En outre, le moi qui serait obligé de dépenser sa quantité limitée d’énergie pour réprimer l'énergie du ça serait doublement appauvri.
Comme les parents se fondent souvent sur les épisodes violents et effrayants des contes de fées pour les interdire à leurs enfants, il n’est pas inutile de citer une étude expérimentale qui a été pratiquée sur des enfants d’âge scolaire ; cette enquête prouve que l’enfant doué d’une vie imaginative riche (qui peut être stimulée, entre autres, par les contes de fées) réagit avec un bas niveau de comportement agressif quand on lui présente un matériel de nature agressive (en l’occurrence, un film de violence). Lorsqu’il n’était pas encouragé à avoir des fantasmes agressifs on n’observait aucune diminution de son comportement agressif. (Ephraïm Biblow, « Jeu imaginatif et comportement agressif », in Jerome L. Singer, The child’s world of make-Believe, New York, Academic Press, 1973.)
Comme les contes de fées stimulent fortement la vie imaginative de l'enfant, il peut être intéressant de citer les deux dernières phrases qui concluent cette enquête : « L’enfant peu imaginatif, d’après ce qui a été observé pendant ses activités de jeu, se présentait comme principalement orienté vers la motricité ; il se montrait beaucoup plus actif que réfléchi. L’enfant très imaginatif et créatif tendait à être plus agressif par le verbe que par l’action physique. »
Raconter à une enfant l’histoire de Cendrillon en la laissant s’imaginer dans le rôle de l’héroïne et utiliser le conte pour bâtir le fantasme de sa propre délivrance, c’est tout autre chose que de lui faire vivre ce fantasme dans la réalité. C’est, d’une part, encourager l’espoir, et, d’autre part, préparer des désillusions.
Un père, au lieu de raconter des contes de fées à sa petite fille, décida un jour, poussé par ses propres besoins affectifs et pour échapper par le fantasme à ses difficultés conjugales, qu’il avait des histoires bien plus intéressantes à lui présenter. Chaque soir, il broda pour sa fille un fantasme sur le thème de Cendrillon. C’était lui, le prince charmant qui devinait à travers ses haillons et malgré les cendres qu’elle était la plus belle fille du monde et qui allait lui assurer une vie de princesse de conte de fées. Le père ne lui présentait pas l’histoire comme un conte de fées, mais comme s’il s’agissait de quelque chose qui se passait entre eux dans la réalité et comme la promesse solide de ce qui arriverait dans l’avenir. Il ne comprenait pas qu’en dépeignant à sa fille sa propre condition sous le jour de celle de Cendrillon il faisait de sa mère, sa femme, une mégère capable de la trahir. Comme ce n’était pas un prince de conte de fées, dans un pays imaginaire, mais lui, son père, qui choisissait Cendrillon pour sa bien-aimée, ces récits nocturnes fixaient la petite fille dans sa situation œdipienne vis-à-vis de son père.
Cet homme mettait certainement tous ses espoirs en sa fille, mais d’une façon radicalement irréaliste. Il en résulta que, à mesure qu’elle grandissait, la fillette tirait tant de satisfactions de ses voyages nocturnes avec son père qu’elle ne voulut pas abandonner ses fantasmes pour prendre contact avec la réalité. Pour cette raison, et d’autres qui lui étaient liées, elle ne se comporta pas en accord avec son âge. Un psychiatre l’examina et diagnostiqua qu’elle avait perdu tout contact avec la réalité. En fait, elle n’avait pas « perdu » contact avec la réalité, mais avait refusé de l’établir, pour protéger son monde imaginaire. Elle n’avait aucune envie d’entrer en rapport avec le monde quotidien, puisque le comportement de son père lui indiquait qu’il ne le désirait pas et que, de son côté, elle n’en avait pas besoin. À force de vivre à longueur de journée avec ses fantasmes, elle sombra dans la schizophrénie.
Son histoire illustre la différence qui existe entre le fantasme situé dans un pays imaginaire et les prédictions, fondées sur des bases fausses, concernant ce qui est censé se passer un jour dans la réalité quotidienne. Les promesses des contes de fées sont une chose ; les espoirs que nous entretenons pour nos enfants en sont une autre, et nous devons les laisser enracinés dans la réalité. Il faut savoir que les frustrations de l’enfant, les difficultés qu’il doit vaincre ne sont pas plus redoutables que ce que nous devons tous affronter dans des circonstances normales. Mais parce que, dans l’esprit de l’enfant, ces difficultés sont les plus grandes que l’on puisse imaginer, il a besoin d’être encouragé par des fantasmes où le héros, avec lequel il peut s’identifier, parvient à sortir avec succès de situations incroyablement difficiles.
On se rendra compte de l’importance de ces trois gouttes de sang quand on saura qu’une version allemande de ce conte, trouvée en Lorraine, est intitulée « Le Linge aux trois taches de sang ». Dans une version française, le présent chargé de puissance magique est une pomme d’or, ce qui rappelle la pomme donnée à Ève au paradis, symbole de la connaissance sexuelle44.
« Riding hood » : capuchon, pèlerine. (N. d. T.)
Il est intéressant de noter que c’est la version de Perrault qu’Andrew Lang a publiée dans son Blue Fairy Book. L’histoire de Perrault se termine sur le triomphe du loup ; le conte est ainsi privé de la délivrance, de la guérison et du réconfort ; ce n’est pas un conte de fées (et ça ne l’était pas dans l’esprit de Perrault), mais une histoire de mise en garde qui menace délibérément l’enfant avec une conclusion qui le laisse sur son angoisse. Il est curieux que Lang lui-même, malgré ses sévères critiques, ait préféré reproduire la version de Perrault. Il faut croire que bien des adultes préfèrent inciter l’enfant à se bien conduire en lui faisant peur plutôt que de soulager ses angoisses, comme réussit à le faire le vrai conte de fées.
Quand Perrault publia son recueil de contes, en 1697, « Le Petit Chaperon Rouge » avait déjà un passé dont certains éléments remontaient très loin dans le temps. Nous avons le mythe de Chronos qui avale ses enfants ; ceux-ci ressortent miraculeusement indemnes de son ventre où une lourde pierre les remplace. Nous avons une histoire en latin de 1023 (d’Egbert de Liège, intitulée Fecunda Ratis) où est découverte une petite fille qui vit avec des loups ; l’enfant porte un vêtement rouge qui a beaucoup d’importance pour elle (certains commentateurs disent qu’il s’agissait d’un bonnet). Ainsi donc, plus de six siècles avant Perrault, nous trouvons quelques éléments essentiels du « Petit Chaperon Rouge » : une petite fille au bonnet rouge, la présence du loup, un enfant avalé vivant et qui se retrouve indemne, et une pierre qui prend la place de l’enfant.
Il existe d’autres versions françaises du « Petit Chaperon Rouge » mais nous ignorons quelle fut celle qui influença Perrault lorsqu’il reprit l’histoire. Dans certaines de ces variantes, le loup fait manger au Petit Chaperon Rouge de la chair de sa grand-mère et lui fait boire de son sang, malgré des voix qui lui conseillent de n’en rien faire54. Si l’une de ces histoires fut à l’origine du conte de Perrault, on comprendra aisément pourquoi il élimina ces vulgarités en raison de leur invraisemblance, son livre étant destiné à l’usage de la cour de Versailles... Non seulement Perrault enjolivait ses histoires, mais il les traitait avec une certaine affectation, jusqu’à prétendre qu’elles avaient été écrites par son fils, alors âgé de dix ans, qui dédicaça le recueil à une princesse. Dans ses à-propos, et dans les moralités qui suivent ses contes, Perrault s’exprime comme si, par-dessus la tête des enfants, il faisait des clins d’œil aux adultes.
Le recueil de contes des frères Grimm qui contenait « Le Petit Chaperon Rouge » a eu sa première édition en 1812, plus d’un siècle après la publication de la version de Charles Perrault.
Deux versions françaises, très différentes de celle de Perrault, montrent encore plus clairement que le Petit Chaperon Rouge choisit de suivre le chemin du plaisir, ou tout au moins celui de la facilité, bien que son attention ait été attirée sur le chemin du devoir. Dans ces versions, la petite fille rencontre le loup à une croisée des chemins, c’est-à-dire en un lieu où il faut prendre des décisions importantes : quel chemin faut-il suivre ? Le loup demande : « Quel chemin veux-tu prendre ? Celui des aiguilles, ou celui des épingles ? » Le Petit Chaperon Rouge choisit celui des épingles parce que, ainsi que l’explique l’une des versions, il est plus facile d’attacher les choses avec des épingles que de les coudre avec l’aiguille 5 !. À une époque où la couture était une tâche difficile que devaient traditionnellement accomplir les jeunes filles, le choix du Petit Chaperon Rouge montrait clairement qu’elle se comportait selon le principe de plaisir alors que la situation exigeait qu’elle se conformât au principe de réalité.
Il n’y a pas tellement longtemps, dans certaines civilisations agricoles, quand la mère mourait, la fille aînée prenait sa place à tous les égards.
Dans d’autres versions, le père du Petit Chaperon Rouge entre en scène pour couper la tête du loup et sauver ainsi le Petit Chaperon Rouge et sa grand-mère S8. C’est sans doute parce qu’il est le père de la petite fille qu’il coupe la tête du loup au lieu de lui ouvrir le ventre. L’image d’un père manipulant un ventre où se trouverait momentanément sa fille aurait évoqué d’une façon trop gênante des relations sexuelles incestueuses.
La seconde version des frères Grimm montre bien que cette interprétation est justifiée. Elle raconte comment, au cours d'une autre visite, la grand-mère a protégé la petite fille contre le loup et réussi à l’éliminer. C’est bien ainsi qu’une (grand-) mère est supposée agir ; si elle le fait, ni la (grand-)mère ni l’enfant n’ont à redouter le loup, si intelligent soit-il.
Dans « Le Corbeau », par exemple, un conte des frères Grimm, une princesse changée en corbeau ne peut être délivrée de son enchantement que si le héros l’attend le lendemain sans s’abandonner au sommeil. Le corbeau lui dit que pour ne pas s’endormir il ne doit rien boire et ne rien manger de ce qu’une vieille femme lui offrira. Il le promet, mais, pendant trois jours consécutifs, il se laisse tenter par la vieille, consomme ce qu’elle lui apporte et s’endort au moment où la princesse-corbeau vient à lui. Dans ce conte, c’est la jalousie d’une vieille femme et l’avidité d’un jeune homme égoïste qui expliquent qu’il s’endorme au lieu de rester éveillé pour accueillir sa bien-aimée.
Il existe de nombreux contes de fées où une princesse qui est incapable de se dérider est donnée à l’homme qui réussit à la faire rire, c’est-à-dire à la libérer sur le plan affectif. Le héros y réussit le plus souvent en ridiculisant des personnages qui commandent le respect. Par exemple, dans le conte des frères Grimm « L’Oie d’or », le plus jeune des trois frères, Le Bêta, reçoit une oie aux plumes d’or d’un vieux gnome envers lequel il s’était montré charitable. Par cupidité, certaines personnes essayent d’arracher une plume et, aussitôt, restent attachées à l’oie ou les unes aux autres. Finalement, le curé et le sacristain s’agglutinent au groupe, eux aussi, et doivent suivre en courant le Bêta et son oie. Ils paraissent si ridicules qu’en voyant cette procession la princesse éclate de rire.
« Le Corbeau » peut servir de terme de comparaison pour appuyer l’idée que le contrôle de soi qui pourrait permettre par trois fois au héros de vaincre ses tendances instinctives serait la preuve de sa maturité sexuelle, alors que l’absence de contrôle qu’il manifeste montre une immaturité qui l’empêche de posséder la femme qu’il aime. Contrairement à Jack, le héros du « Corbeau », au lieu de contrôler son envie de manger et de boire, ce qui lui permettrait de se tenir éveillé, succombe trois fois à la tentation en croyant la vieille femme qui lui dit : « Une fois n’est pas coutume » — autrement dit, « ça ne compte pas » — et prouve ainsi son immaturité morale. Ainsi, il perd la princesse. Il finira par l’obtenir après avoir fait ses preuves au cours de nombreuses pérégrinations.
Combien différent est le comportement du héros de « Jack fait des affaires » qui fait confiance en sa force nouvellement acquise. Il ne se cache pas et ne s’empare pas des choses par la ruse ; au contraire, quand il se trouve dans une situation critique, que ce soit avec son père, ses rivaux ou les fauves, il utilise ouvertement, pour gagner sa cause, le pouvoir de son bâton.
Sur un certain plan, le fait de grimper à la perche ne symbolise pas seulement le pouvoir « magique » qui permet au phallus de se dresser, mais aussi les sentiments qu’éprouve le petit garçon à l’égard de la masturbation. L’enfant qui se masturbe craint, s’il est découvert, de subir de terribles châtiments, ce qui est symbolisé dans le conte par l’ogre qui est prêt à tuer Jack lorsqu’il découvre qu’il est monté jusqu’à lui. Mais l’enfant a également l’impression qu’en se masturbant il « vole » une partie des pouvoirs de son père. L'enfant qui, au niveau de l’inconscient, saisit cette signification de l’histoire est rassuré de savoir que les angoisses qu’il éprouve au sujet de la masturbation sont injustifiées. Son incursion « phallique » dans le monde des ogres-géants adultes, loin de le conduire à sa destruction, lui vaut des avantages durables.
Un autre exemple montre comment le conte de fées permet à l’enfant de comprendre et d’être aidé à un niveau inconscient lorsqu’il écoute l’histoire. Le conte de fées traduit en images ce qui se passe dans le préconscient et dans l’inconscient de l’enfant ; sa sexualité naissante paraît être un miracle qui a lieu dans l’obscurité de la nuit ou dans ses rêves. Le fait de grimper à la perche, et ce que cela symbolise, crée le sentiment angoissant qu’à la fin de cette expérience, il sera détruit pour son audace. L’enfant craint que son désir de devenir sexuellement actif revienne à voler le pouvoir et les prérogatives paternels, et il estime qu’il doit donc le faire en se cachant, pour que les adultes ne puissent pas voir ce qui se passe. L’histoire, en donnant corps à ces angoisses, affirme à l’enfant que tout se terminera bien.
Le conte de fées a parfaitement compris que l’enfant ne peut pas s’empêcher d’être exposé aux épreuves œdipiennes, et c’est pourquoi il n’est pas puni quand il agit sous leur influence. Mais les parents qui se laissent aller à reporter sur l’enfant leurs propres problèmes oedipiens en souffrent gravement.
Une version italienne, par exemple, s’intitule La Ragazza di Latte e Sangue (« La Fille de lait et de sang ») ; ce titre s’explique par le fait que, dans de nombreuses versions italiennes, les trois gouttes de sang versées par la reine ne tombent pas sur la neige, qui est bien sûr très rare sur la plus grande partie du territoire, mais sur du lait, du marbre blanc ou même du fromage blanc.
Certains éléments de l’une des plus anciennes versions inspirées par le thème de Blanche-Neige se trouvent dans un conte de Basile, « La Jeune Esclave » ; ils montrent clairement que c’est par jalousie que la (belle-) mère persécute la jeune fille. La cause de cette jalousie n’est pas seulement la beauté de l’héroïne, qui s’appelle Lisa, mais plutôt l’amour réel ou imaginaire qu’éprouve le mari de la (belle-) mère pour l'enfant. Lisa tombe inanimée quand un peigne vient se planter dans ses cheveux ; comme Blanche-Neige, elle est placée dans un cercueil de verre où elle continue de grandir et qui augmente de taille en même temps qu’elle. Elle reste sept ans enfermée dans le cercueil, après quoi son oncle s’en va. Cet oncle, qui est en réalité son père adoptif, est le seul père qu’elle ait jamais eu, sa mère ayant été magiquement engrossée par une feuille de rose qu’elle avait avalée. L’épouse de l’oncle, folle de jalousie, parce qu’elle est persuadée que Lisa lui vole l’amour de son mari, secoue le cercueil et fait tomber le corps de Lisa ; le peigne s’échappe des cheveux et la jeune fille se réveille. La (belle-) mère jalouse fait d’elle son esclave ; d’où le titre de l’histoire. À la fin, l’oncle découvre que la jeune esclave n’est autre que Lisa. Il la rétablit dans ses droits et chasse sa femme qui, par jalousie, a failli tuer Lisa64.
En donnant à chaque nain un nom et une personnalité distincts (dans le conte de fées ils sont identiques) le film de Walt Disney et la littérature qu’il a inspirée gênent sérieusement la compréhension inconsciente de ce que les nains symbolisent : une forme immature et pré-individuelle d’existence que Blanche-Neige doit transcender. Ces additions inconsidérées, tout en semblant augmenter l’intérêt humain des contes, sont en réalité capables de le détruire en empêchant d’appréhender correctement le sens profond de l’histoire. Les poètes comprennent la signification des personnages des contes de fées beaucoup mieux que les cinéastes, ainsi que ceux qui se laissent guider par les poètes en répétant leurs histoires. La version poétique de Blanche-Neige écrite par Anne Sexton évoque la nature phallique des nains qu’elle qualifie de « petits hot-dogs67 ».
Dans d’autres versions, selon les coutumes de l’époque ou du lieu, Blanche-Neige ne se laisse pas tenter par des lacets de corset, mais par une blouse ou un manteau que la reine serre sur elle à l’en étouffer.
Cette période d’inertie permet de mieux expliquer le nom de Blanche-Neige qui ne met en valeur que l’une des trois couleurs qui composent sa beauté. Le blanc symbolise souvent la pureté, l’innocence, l’ordre spirituel. Mais en ajoutant au blanc la notion de neige, on symbolise également l’inertie : quand la neige couvre la terre, toute vie semble s’arrêter, comme semble arrêtée la vie de Blanche-Neige quand elle est étendue dans son cercueil. Donc, en mangeant la pomme, elle commettait un acte prématuré ; elle était allée au delà d'elle-même. Le conte nous donne cet avertissement : « Si on expérimente trop tôt la sexualité, on n’obtient rien de bon. » Mais après une longue période d’inertie, la jeune fille peut guérir totalement de ses expériences sexuelles prématurés et donc destructives.
Bruno Bettelheim pense qu’Eleanor Muir a joué sur le double sens du mot anglais « vixen », qui signifie à la fois « renarde » et « mégère », sans que l’on puisse savoir s’il s’agit d’un acte volontaire ou d’un lapsus « freudien ». (N. d. T.)
Dans certaines versions modernes, plus ou moins fantaisistes, de « Boucles d’Or », on nous raconte que l’héroïne s’est perdue dans la forêt parce que sa mère l’avait envoyée faire des courses. Cette adaptation rappelle « Le Petit Chaperon Rouge », qui, elle aussi, avait été envoyée dans la forêt par sa mère pour faire une commission ; mais elle ne s’était pas perdue ; elle s’était laissé tenter par les fleurs, et s’était écartée du sentier, de sorte qu’elle était en grande partie responsable de ce qui
devait lui arriver. Par ailleurs, si Blanche-Neige, Jeannot et Margot s’étaient perdus, ce n’était pas de leur faute, mais de celle de leurs parents. L’enfant, même jeune, sait qu’on ne se perd pas sans raison dans les bois ; c’est pourquoi tous les vrais contes de fées expliquent pourquoi l’enfant s’est perdu. Comme je l’ai déjà dit, le fait de se perdre dans une forêt est le symbole de la nécessité de se trouver soi-même. Cette interprétation est sérieusement compromise si tout se passe par hasard.
Erikson a écrit que ces expériences détermineront pour toute notre vie notre attitude de confiance ou de méfiance vis-à-vis de chaque événement qui se présente — attitude fondamentale qui influence forcément le cours de ces événements et l’impact qu’ils auront sur nous69.
À cette époque, le thème de la Belle au Bois Dormant était déjà fort ancien, comme l’attestent des versions françaises et catalanes qui se situent entre le xrvc et le
xvie siècle et qui ont pu servir de modèle à Basile, à moins qu’il ne se soit appuyé sur des contes populaires de son propre temps qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous72.
Comme les enfants de Talia se nomment le Soleil et la Lune, il est fort possible que Basile ait été influencé par l’histoire de Léto, l’une des nombreuses femmes aimées de Zeus qui lui donna deux enfants : Apollon et Artémis, le dieu du Soleil et la déesse de la Lune. Comme Héra, l’épouse de Zeus, était jalouse de ses rivales, on peut supposer que la reine du conte est un rappel lointain de Héra et de ses jalousies.
La plupart des contes de fées du monde occidental ont, à une certaine époque, comporté des éléments chrétiens, à tel point que leurs sous-entendus religieux pourraient faire l’objet d’un autre livre. Dans le conte qui nous occupe, Talia, qui ne sait pas qu’elle a eu des rapports sexuels avec le roi, et qui ne sait pas davantage qu’elle a été fertilisée, a donc conçu sans plaisir et sans péché, comme la vierge Marie.
Perrault, pour amuser ses lecteurs courtisans, tourne en dérision les contes qu’il écrit. Par exemple, il précise que la reine-ogresse veut se faire servir les enfants « à la sauce Robert ». Il introduit ainsi dans ses histoires des détails qui n’ont rien à voir avec les caractéristiques des contes de fées. Il raconte aussi que la Belle au Bois Dormant, à son réveil, portait une robe démodée : « Elle était habillée comme ma mère-grand... et avait un collet monté ; elle n’en était pas moins belle. » Comme si les héros de contes de fées ne vivaient pas dans un monde où la mode ne change pas.
En mélangeant indifféremment la rationalité terre à terre de ces remarques et l’imagination propre aux contes de fées, Perrault dévalue considérablement son œuvre. Les détails de la robe, par exemple, détruisent la notion de temps mythique, allégorique et psychologique qui est suggérée par les cent années de sommeil : il en fait un temps chronologique précis. Son histoire n’y gagne qu’un aspect frivole, contrairement aux légendes qui racontent l’histoire de saints qui, s'éveillant d’un sommeil centenaire, constatent que le monde a changé et tombent aussitôt en poussière. En ajoutant ces détails qu’il veut amusants, Perrault annihilait le sentiment d’intemporalité qui est un élément important de l’efficacité des contes de fées.
Dans les « Anciennes Chroniques de Perceforest » du xrve siècle (publiées pour la première fois en France en 1528), trois déesses sont invitées au baptême de Zellan-dine. Lucina lui confère la santé ; Thémis, fâchée de ne pas avoir trouvé de couteau à côté de son assiette, prédit qu’elle se plantera dans le doigt une écharde de quenouille et elle la condamne à dormir jusqu’à ce qu’elle soit enlevée. Vénus, la troisième déesse, promet de s’arranger pour qu’elle soit délivrée de son sommeil. Dans l’histoire de Perrault, sept fées sont invitées, et une autre ne l’est pas qui jette le fameux sort. Dans celle des frères Grimm, il y a douze bonnes fées et une méchante.
On lit toutefois dans Littré : « La quenouille était plus souvent qu’aujourd’hui dans les mains des femmes : de là on dit en plusieurs occasions « lance » pour signifier un homme et « quenouille » pour marquer une femme. » (N. d. T.)
Le nom allemand de la jeune fille, qui est aussi le titre du conte des Grimm, Dornrôschen (« Rose d’épine ») insiste à la fois sur la haie d’épines et la (haie de)
rose. La forme diminutive de « rose », dans le nom allemand, souligne l’immaturité de la jeune fille, qui doit être protégée par le mur d’épines.
On sait qu’il existait en Egypte, à partir du me siècle avant J.-C., des pantoufles artistement ouvragées dans les matières les plus rares. Dans un décret de l’empereur romain Dioclétien, datant de 301 avant J.-C., est fixé le prix maximal de diffé rentes sortes de chaussures, y compris des pantoufles pour femmes, faites du plus beau cuir de Babylone, teint en pourpre ou en écarlate, et ornées d’or75.
Dans un conte du type « Frérot et Sœurette », La Mala Madré, les enfants tuent leur méchante mère, conseillés par leur préceptrice, et, comme dans l’histoire de
Basile, ils demandent à leur père de l’épouser 81. Ce conte, comme celui de Basile, est d’origine sud-italienne, ce qui permet de supposer que l’un a servi de modèle à l’autre.
Le mot français « Cendrillon » comme le mot allemand « Aschenputtel », qui servent de titre aux deux versions, insistent sur le fait que l’héroïne vit parmi les cendres. Il est regrettable que « Cendrillon » ait été traduit trop facilement en anglais par « Cinderella ». C’est « ash », et non « cinder » qui traduit correctement le mot « cendre ». VOxford English Dictionary prend soin de préciser que « cinder » n’a
pas la même origine étymologique que « cendre ». Cela est important étant donné les significations symboliques qui s’attachent au nom de « Cendrillon » : les cendres (ashes) sont la matière résiduelle poudreuse et très propre d'une combustion complète, tandis que les escarbilles (cinders) sont une matière solide et sale qui résulte d’une combustion incomplète.
La pureté de la prêtresse qui était responsable du feu sacré, et du feu en général, qui purifie, suscite des évocations qui se rattachent également aux cendres. Dans de nombreuses sociétés, les cendres étaient utilisées pour les ablutions, et même pour la lessive, et évoquaient donc une idée de netteté, de pureté.
Les cendres se rattachent également au deuil. Les cendres répandues sur la tête (comme pour le mercredi des cendres) sont comme autrefois un signe de deuil. Se réfugier dans les cendres (on en trouve de nombreux exemples dans L'Odyssée), c’était également marquer le deuil, et c’était une coutume pratiquée par de nombreux
peuples88. Ces idées de pureté et de deuil, qui sont évoquées dans les plus anciennes versions italiennes et dans les versions françaises et allemandes, disparaissent dans les versions de langue anglaise où le nom de l’héroïne (Cinderella), au contraire, évoque la noirceur et la saleté.
En ce qui concerne les lézards, Soriano rappelle l’expression « paresseux comme un lézard », qui explique pourquoi Perrault a choisi ces animaux pour en faire des laquais dont la paresse donnait matière à plaisanteries94.
Un grand nombre de données folkloriques renforcent l’idée que le soulier peut être le symbole du vagin. Rooth, citant Jameson, raconte que selon la tradition mandchoue, la fiancée doit offrir des pantoufles aux frères de son futur époux ; comme le mariage de groupe est pratiqué, les beaux-frères auront droit au lit conjugal tant que durera l’union. Ces pantoufles sont ornées de lien hua, terme populaire servant à désigner les parties génitales de la femme".
Jameson donne plusieurs exemples où l’on voit que les souliers servaient de symbole sexuel en Chine, et Aigremont en fournit d’autres, pour l’Europe et l’Orient 10°.
Dans ces contes de fées, le fiancé-animal est le plus souvent sauvé par l’amour d’une femme, et la fiancée-animal échappe à son sortilège grâce à l’amour d’un homme, ce qui montre une fois de plus que le même thème peut s’appliquer indifféremment aux deux sexes. Dans les langues dont la structure le permet, les noms des personnages principaux sont ambigus, de telle sorte que l’auditeur peut se les représenter à son gré.
Dans les contes de Perrault, les noms des personnages principaux sont de cet ordre. Par exemple, le vrai titre de « Barbe-Bleue » est « La Barbe Bleue » ; le nom d’un personnage nettement masculin est construit avec l’article féminin. « Cendrillon » a une désinence masculine ; la forme féminine aurait pu être « Cendrillette » ou « Cendril-lonnette ». Le Petit Chaperon Rouge porte ce nom non seulement parce que le « chaperon » est un vêtement du genre masculin, mais parce que, à cause de cela, le nom de l’héroïne exige l’article masculin. La Belle au Bois Dormant porte un article féminin, mais « dormant » est une forme qui s’applique aussi bien aux hommes qu’aux femmes (Soriano, op. cit.).
En allemand, la plupart des personnages principaux sont du genre neutre, comme l’est lui-même le mot enfant (Das Kind). Nous avons ainsi Das Schneewittchen (Blanche-Neige), Das Dornrôschen (La Belle au Bois Dormant), Das Rotkàppchen (Le Petit Chaperon Rouge) et Das Aschenputtel (Cendrillon).
Les nombreuses histoires du type du « fiancé-animal » des cultures qui ne connaissaient pas l’écriture nous montrent que le fait de vivre en contact étroit avec la nature ne change rien à l’idée que la sexualité est de nature animale et que seul l’amour peut la transformer en relation humaine ; il ne change pas davantage le fait que le mâle est le plus souvent ressenti inconsciemment comme le partenaire le plus bestial, en raison du rôle plus agressif qu’il joue dans les rapports sexuels ; et ne change pas non plus la notion préconsciente que, bien que le rôle sexuel de la femme soit plus passif-réceptif, elle doit, elle aussi, se montrer active dans l’acte sexuel et que, si elle veut que l’amour vienne enrichir un lien purement charnel, elle doit accomplir quelque chose de très difficile et même de très grossier, comme lécher un museau de crocodile...
Dans les sociétés d’avant l’écriture, les histoires de fiancés ou de fiancées animaux ont des caractéristiques non seulement communes aux contes de fées, mais également totémiques. Par exemple, chez les Lalangs de Java, la tradition veut qu’une princesse ait pris un chien pour mari et que le fils issu de cette union soit l’ancêtre de la tribu108. Dans un conte de fées joruba109, une tortue de mer épouse une jeune fille et, de cette façon, instaure les rapports sexuels sur la terre, ce qui montre l’étroite relation qui existe entre l’idée du fiancé-animal et l’acte charnel.
Le titre complet de ce conte est « Le Roi-Grenouille ou Henri le Ferré », mais le Ferré n’apparaît pas dans la plupart des versions de l’histoire. Sa grande loyauté est surajoutée à la fin de l’histoire pour contraster avec la déloyauté initiale de la prin cesse. Ce personnage n'ajoute pratiquement rien à la signification de l’histoire et je n’en tiendrai donc pas compte. (Iona et Peter Opie avaient de bonnes raisons d’éliminer Henri le Ferré du titre et du texte de leur version no.)
Avec l’intuition de l’inconscient qui est propre aux artistes et avec sa liberté poétique, Anne Sexton a écrit dans son poème « Le Prince Grenouille », inspiré par le conte des frères Grimm :
Au contact de la grenouille la balsamine éclate
comme foudroyée par une décharge électrique. et encore :
La grenouille est le membre viril de mon père114.
Dans la Gesta Romanorum, qui date de l’an 1300 environ, une matricide garde sur les mains des traces de sang indélébile. Personne ne peut voir le sang qui couvre les mains de lady Macbeth, mais elle sait qu’il existe.
« Riquet à la houppe » de Perrault précède ces deux contes et son remaniement original du vieux thème ne connaît pas de précédent. La bête devient un homme, Riquet, laid et contrefait, mais très intelligent. Une princesse stupide, qui devient amoureuse de lui en raison de son caractère et de son brillant, devient aveugle à sa laideur et aux difformités de son corps. Et, parce qu’elle l’aime, elle cesse d’être stupide et apparaît comme très intelligente. Telle est la transformation magique accomplie par l’amour ; l’amour adulte et l’acceptation de la sexualité rendent ce qui paraissait auparavant repoussant ou stupide, beau et spirituel. Comme le souligne Perrault, la morale de l’histoire est que la beauté, que ce soit celle de l’apparence physique ou de l’esprit, n’existe que dans les yeux du spectateur. Mais parce que l’histoire de Perrault a une intention morale, elle s’affaiblit en tant que conte de fées. Alors que l’amour change tout, aucun conflit ne demande à être résolu et aucune lutte n’élève les protagonistes à un niveau supérieur d’humanité.
Voici la traduction de cette comptine :
Cocorico !
Madame a perdu son soulier ;
Monsieur a perdu son archet ;
Et les voilà bien embêtés ! (N. d. T.)
Ce premier mot, « cock » désigne en langage populaire l'organe sexuel masculin. (N. d. T.)
Je me suis, pour ma part, référé aux ouvrages suivants :
Contes de Perrault, édition de G. Rouger, Garnier Frères, 1947.
Les Contes de J. et W. Grimm, dans l’excellente traduction d’Armel Guerne. Collection « L’Age d’or », Flammarion, 1967.
Les Mille et Une Nuits (2. vol.), traduction de Galland, Garnier Frères, 1960. Il n’existe pas d’édition courante de la traduction, plus fidèle, du Dr Mardrus.
Andersen-Contes (3 vol.). Le livre de poche classique, Mercure de France, 1939.
De l’autre côté du Miroir. La chasse au Snark, de Lewis Carroll, texte français par Henri Parisot ; Flammarion, 1969. (N.d.T.)